Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XIV. LETTRES — VOLUME IV

 

 

 

Droits d'auteur pour tous les fichiers des Oeuvres complètes de saint François de Sales: sont mis à disposition pour un usage personnel ou l'enseignement seulement. Dans l'usage public vous devez indiquer la source www.donboscosanto.eu. Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!

Quatrième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

Index OCR

 

Index OCR. 2

Lettres de Saint François de Sales. Année 1608. 17

CDXLIV. A Madame de la Fléchère. Il faut premièrement «avoir patience d'estre imparfait.» — Conseils pratiques pour mettre son esprit en posture de suavité. — A quoi doivent servir nos chutes. 17

CDXLV. A Madame de Vallon. Le Saint donne à la destinataire des nouvelles de son mari et de sa parenté. 17

CDXLVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque élu de Montpellier (Inédite). Remerciements et félicitations pour l'envoi d'une oraison funèbre; souhaits d'amitié offerts au destinataire, son futur frère dans l'épiscopat. — Message pour un ami commun. 19

CDXLVII. Au Roi de France. Pauvreté des curés du Bugey ; supplique en leur faveur. 19

CDXLVIII. A Madame de la Fléchère. L'humilité joyeuse dans les légers manquements. — Les exercices de dévotion pendant la journée. — Faire comme Notre-Dame : se tenir toujours d'une main à Notre-Seigneur. — Apprivoiser son cœur à la mansuétude. — Les prières vocales et l'oraison mentale. 20

CDXLIX. A M. Antoine des Hayes. Henri IV désire attacher le Saint au service de l'Eglise de son royaume. — Humilité et désintéressement de François de Sales ; c'est la volonté du Pape qui lui manifestera la volonté de Dieu. 21

CDL. Au même. Le Saint voudrait savoir de son ami les intentions de Henri IV à son égard. — Diverses raisons persuadent l'Evêque d'attendre sans inquiétude la suite des événements ; il ne veut que la volonté de Dieu. —Témoignages d'amitié. — Message pour Mgr de Montpellier. 22

CDLI. A la Baronne de Chantal. Rien ne se fait que sous la conduite de Dieu. — Lé Saint ne veut que Dieu pour son partage. — L'objet de ses considérations en l'oraison. 23

CDLII. A la même. Il faut tout faire avec une diligence tranquille. — On veut tirer l'Evêque de sa terre et de son «parentage» ; sentiments que lui inspire ce projet. — Le rendez-vous de l'âme du Saint. 24

CDLIII. A Madame de Vallon (Inédite). Témoignages de dévouement à une parente. — Nouvelles et messages. 25

CDLIV. A Mademoiselle Claudine de Chastel. Le vœu de chasteté: considérations qu'il faut faire pour s'y préparer. — Eloge de la sainte chasteté: vertu vraiment céleste, qui consacre à Dieu les âmes et les corps, vouée d'abord par Notre-Dame, et après elle, par toute la troupe des cœurs vierges. — Formule de ce vœu; il fait de notre corps une sainte relique, un calice consacré. 26

CDLV. A Madame de la Fléchère. Un moyen commode d'acquérir les solides vertus: se mettre en patience avec opiniâtreté. — Pour réussir dans les affaires, compter sur l'assistance de Dieu et user d'une douce diligence. — Les affaires de ce monde et les maisonnettes des petits enfants. — La chose la plus importante. — Toujours recommencer: le meilleur moyen pour achever la vie spirituelle. 27

CDLVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque élu de Montpellier (Inédite). Eloge de des Hayes, «le grand amy» de Pierre Fenouillet et de l'Evêque de Genève. — C'est surtout sur les petits lacs d'eau douce que la barque du Saint se plaît à voguer. 29

CDLVII. Au Père Jean Comes, Religieux Augustin. Différend entre les chanoines du Chapitre de Saint-Pierre et les Augustins de Seyssel ; pour le régler, une entrevue est proposée par le Saint. — Assurance d'affectueux dévouement. 30

CDLVIII. A Madame de la Fléchère. Deux choses qu'il faut joindre ensemble. — Comment reprendre son cœur quand il a failli. 30

CDLIX. A Mademoiselle Claudine de Chastel. Dieu protège les vœux qu'il a inspirés. — Il n'est pas toujours possible ni à propos de fuir, mais il est toujours nécessaire de combattre avec opiniâtreté. — Les afflictions qui aident à bien servir Dieu. — Conseils pour l'oraison. — Bonheur de s'être consacré à Notre-Seigneur. 32

CDLX. Au Cardinal Pompée Arrigoni, Secrétaire du Saint-Office (Minute). Le Saint demande au Saint-Siège le renouvellement de plusieurs permissions qui doivent faciliter son ministère et celui de ses prêtres. 33

CDLXI. A la Baronne de Chantal. Il faut aimer l'attente que Dieu impose à l'accomplissement de nos désirs. — Projet de voyage en Bourgogne. — Le sacre de l'Evêque de Lausanne. — Le Saint aimé de «beaucoup de bons veillars.» — Pensées qui lui sont venues quand il faisait oraison. — «Il faut bien que les filles soyent un petit jolies.» — Portrait du P. de Monchy. — Le Frère Matthieu. — Pour se mêler d'exorcismes, il ne faut pas être trop crédule. — Les femmes et le culte ; la part qu'elles peuvent y prendre. — Retour d'apostats. — Nouvelles et messages. — Mme de Charmoisy «chemine fort bien. 34

CDLXII. A la Présidente Brulart. Le Saint n'est «point homm'extreme ;» il espère obtenir davantage de Rose Bourgeois par une entrevue. — Ne pas trop s'attacher aux pratiques de piété de son choix. — Dieu veut être servi par les exercices compatibles avec les devoirs d'état. — Estime du Saint pour l'Ordre du Carmel. 36

CDLXIII. A un cardinal (Fragment). Un reproche immérité. — Les Savoisiens ne lisent pas de mauvais livres. 38

CDLXIV. A la Baronne de Chantal (Fragments). Transcription de l'Introduction à la Vie devote. — Le projet de la Visitation sourit de plus en plus au saint Evêque, — Son amour pour Notre-Seigneur. — Nouvelles de la ferveur de Mme de Charmoisy. — Bonheur de ne prétendre qu'à Dieu. 38

CDLXV. A M. Pierre de Berulle. Retour à la foi d'un apostat ; M. de Bérulle y a beaucoup coopéré. — Le Saint se réjouit d'apprendre le bien qui se fait à Paris par son entremise et celle de ses amis. 39

CDLXVI. Au Baron Amédée de Villette. L'Académie Florimontane et ses premiers membres. — Le Saint promet sa visite au châtelain de Dérée, son parent, nouvellement marié. 40

CDLXVII. Au Pere Pierre Dubouloz, Dominicain (Inédite). Election d'un prieur au couvent des Dominicains d'Annecy; l'élu est prié avec une aimable insistance d'accepter cette charge. 42

CDLXVIII. A Madame de la Fléchère. Conseils à une femme chrétienne. — L'humeur mélancolique : circonstances qui la favorisent ; nécessité et moyens de la combattre. — Une parole de sainte Angèle de Foligno. 43

CDLXIX. A la même. La tranquillité d'âme, mère du contentement et fille de l'amour de Dieu. — Les sujets de se mortifier plus grands dans le monde qu'en Religion. — Ne s'astreindre «que tout bellement» aux exercices de piété, est chose conseillée en certains cas. — Attitude devant la souffrance. — Qu'il est permis de se plaindre à Dieu, et à quelle condition. — Notre-Seigneur aime ceux qui souffrent. 44

CDLXX. A la même (Inédite). — Dispositions, pieux espoir du Saint à l'approche d'une naissance. 44

CDLXXI. A M. Claude-François de la Flechere. Félicitations, prédictions, prières du saint Evêque répandues sur un berceau. 45

CDLXXII. A Madame de la Fléchère. La vertu des vertus. — Comment servir le Maître. — Le moyen de faire glorifier Dieu par le prochain. — Quand les mortifications sont interdites par une santé délicate, que faut-il faire ?  45

CDLXXIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). L'Evêque de Genève avertit le duc qu'il ira en Bourgogne pour une affaire de famille. 47

CDLXXIV. A Madame de Charmoisy. La «soigneuse assistance» des bons Anges. — Exhortation à progresser dans l'amour de Dieu. — Message pour une ancienne Abbesse. 47

CDLXXV. A la Baronne de Chantal. La Baronne est prévenue que le Saint est aux «portes» de Monthelon. 48

CDLXXVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Encouragements à persévérer dans de saintes résolutions. 49

CDLXXVII. A une religieuse. Dieu agrée extrêmement la résignation dans les maladies et l'obéissance au médecin. — Les croix qu'il faut baiser avec amour. 49

CDLXXVIII. A la Baronne de Chantal. Anne-Jacqueline Coste offre spontanément au Saint de servir les futures Religieuses qu'il méditait d'établir. 50

CDLXXIX. Aux Ecclésiastiques du Bugey, du Valromey et de Gex. Les ecclésiastiques des pays exemptés des décimes doivent envoyer à Lyon un député pour régler le paiement d'un don. 51

CDLXXX. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex. Servir Dieu où l'on est. — Le labeur patient n'est jamais stérile devant Dieu. Le désir du changement empêche le succès de l'œuvre présente. 52

CDLXXXI. A la Baronne de Chantal. Accueil que fait le Saint aux désirs et aux recommandations de la baronne de Chantal. — Dieu seul est un guide indispensable. — Sortir du monde, pour plusieurs, n'est pas toujours sortir d'eux-mêmes et de leur amour-propre. — La fin qu'on doit se proposer en quittant le siècle. — Une sainte Fondatrice dont la Congrégation semble donner à penser au futur Fondateur de la Visitation. — Conseil du Saint à «ceux qui se meslent des ames» et aux personnes de piété. — Son affection pour le père et les enfants de sa fille spirituelle. — La jeune fille et le seau d'eau. — Messages divers. 53

CDLXXXII. Au Père Nicolas Polliéns, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Témoignages d'affection pour les PP. Jésuites de Chambéry et de sympathique dévouement à une pieuse chrétienne qui soupirait après le cloître. 55

CDLXXXIII. A Mademoiselle Clement. Se résigner humblement, si, malgré tous nos efforts, notre désir n'est pas accompli. — Les âmes que Dieu aime «en tout et par tout.». 56

CDLXXXIV. A la Baronne de Chantal. La fête de la Dédicace ; les cœurs et les corps, temples mystiques dédiés à Dieu par les vœux. — La dévotion du Rosaire à Annecy. — La baronne de Chantal à l'hôpital de Beaune. 56

CDLXXXV. A Madame de la Fléchère. Les vendanges. — Comment l'Epoux divin des âmes nourrit leur espérance et repaît leur amour. — Les vendanges spirituelles. — Le côté du Sauveur percé sur la croix. — Les choses temporelles doivent servir «d'eschellon» aux spirituelles. — Comment il faut considérer ses fautes. 57

CDLXXXVI. A Madame de Maillard, ancienne Abbesse de Sainte-Catherine. Souhaits de ferveur par le don du cœur à Dieu. — N'aimer rien qu'en lui, par lui et pour lui. 58

CDLXXXVII. A la Baronne de Chantal. Humilité du Saint ; sa confusion et sa peine de se voir estimé. — Se tenir dans l'indifférence. 60

CDLXXXVIII. A Madame de la Fléchère. L'insensibilité et l'indifférence religieuse : définition de l'une et de l'autre ; celle-ci est un grand don de Dieu. 60

CDLXXXIX. Aux Syndics ou aux Messieurs du Conseil de Rumilly. L'église paroissiale de Rumilly a besoin d'une restauration: difficultés de l'entreprise; encouragements à les vaincre. —Affection du Saint pour la ville; son humilité. 61

CDXC. A Madame de Mieudry. Les menues pensées de vaine gloire et les mouches. — Les larmes et les résolutions, «la tendreté de cœur et la fermeté de cœur»: choses bien différentes. — Les pensées importunes. — Ne pas tourmenter son âme. 63

CDXCI. A Mademoiselle de Bréchard. Recommandations pressantes de garder son cœur, de le mortifier et de le tenir en même temps dans la joie. — Messages. 64

CDXCII. A la Baronne de Chantal. Amiable partage de biens pour faciliter le mariage de Bernard de Sales. 64

CDXCIII. A Madame de la Chambre, Religieuse de l'Abbaye de Baume. Pourquoi il ne faut pas remettre les Vêpres après souper. — Le moyen d'être consolée pour cette vie et pour l'autre. — Messages divers. 64

CDXCIV. A la Baronne de Chantal. Anniversaire d'une consécration épiscopale. — Sentiments de François de Sales à propos de cet événement. 65

CDXCV. A Mademoiselle de Traves. Témoignages d'affectueux dévouement. — Ingénieuse manière de demander à une âme chrétienne si elle aime Dieu; que faire quand on aime bien Dieu. 66

CDXCVI. A la Baronne de Chantal. Départ de Bernard de Sales pour la Bourgogne. — Souhaits et actions de grâces à propos de son mariage. — Le Saint déplore les dangers que court une âme infidèle à ses engagements sacrés et bénit Dieu qui l'a gardé de l'erreur dès son jeune âge. — Les saints Pères et l'hérésie. — Un ministre converti. — «Madamoyselle de Perdreauville» et sa famille. — La manière de prêcher contre les hérétiques. 67

CDXCVII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Le Saint demande à l'Abbesse de ses nouvelles. — Conseils divers. — Le moyen de tirer profit de ses infirmités. — Exhortation à la dévotion. — Assurance de dévouement. 68

CDXCVIII. A Madame de Rochette, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine (Inédite). Un sujet inépuisable de correspondance. — Le Saint envoie à la destinataire des chansons spirituelles. 69

CDXCIX. A M. Claude Bretagne. Souhaits de courtoisie à un magistrat à la fin d'une année. Pourquoi la fuite des années ne doit pas nous attrister. 69

D. A la Baronne de Chantal. Dieu favorise le dessein de la Visitation en lui préparant des âmes d'élite. — Une prétendante ; estime qu'en fait le saint Evêque. 71

Fragments de lettres a la Baronne de Chantal, 1605-1608. 72

DI. Ne jamais reprendre le temps fixé pour l'oraison. — Le crucifix matériel et le vrai Crucifix. — Comment s'accuser en confession. La simplicité, l'amitié, la petitesse. — Que faire quand il arrive des pensées mauvaises. 72

DII. Exhortation à la douceur dans les relations avec le prochain. Comment réprimer les défauts de nos inférieurs. — Aveu du Saint. — Les vainqueurs du mal. 72

DIII. Avoir son âme en ses mains; comment elle nous échappe et les moyens de la reprendre. — Obligation d'une âme qui est toute à Dieu. — Le présent, le passé et l'avenir, et l'emploi qu'il convient d'en faire pour servir Notre-Seigneur comme il le désire. 74

DIV. (Fragment inédit). — Un «point d'importance.» — Les feuilles, les fleurs et les fruits des amitiés mondaines. — Les petits renardeaux et les mouches mortes. — Les amitiés mauvaises et les amitiés de charité ; différence de leurs allures. — Il faut couper les premières, et «auconteau tranchant.» — Le trouble de la Sainte Vierge à la vue d'un Ange doit servir de leçon aux âmes pudiques. 75

DV. Vertus, exercices, lieu, rang, gloire et couronne des veuves. A qui faut-il laisser les extases et la contemplation de l'Essence divine. — Tableau rapide des vertus que la très Sainte Vierge a pratiquées depuis Nazareth jusqu'au Calvaire. — Les petites et les grandes vertus ; c'est par les unes qu'on arrive aux autres. — La «femme forte» et ce qu'il faut faire pour lui ressembler. Dieu, comme un bon père, accommode ses pas aux nôtres. — Comment fortifier son cœur contre Satan et le rendre «imprenable. 76

DVI. L'esprit naturel et l'esprit chrétien ou l'esprit de la foi ; les rébellions du premier n'empêchent pas celui-ci de subsister et d'avoir finalement la victoire. — La barque, l'aiguille marine et la «belle estoile.» — Que doit faire l'âme chrétienne au temps de la «dereliction.» — Comment se conduire dans les assauts contré la foi et dans les tentations de vanité et de vaine gloire. Les assoupissements et les distractions. — Les nuages du ciel atmosphérique et les brouillards de l'esprit. — Porter remède au mal, mais se tenir dans l'indifférence à l'égard des résultats. — Le moyen d'être parmi le monde, sans y avoir son cœur. 78

DVII. Une grâce que le Saint sollicite de Notre-Seigneur pour Mme de Chantal. — La présence de Dieu dans l'âme chrétienne, d'après sainte Thérèse et saint François de Sales. 79

DVIII. La charité envers le prochain ne doit pas nous faire couvrir le mal. — Blâmons le vice, épargnons les personnes. — Comment nous devons considérer les actions du prochain. — La charité et les pécheurs. 80

DIX. A un inconnu (Fragment inédit). Regrets adressés à un supérieur de n'avoir pas su le rencontrer pour lui baiser les mains. 80

DX. A la Baronne de Chantal. Impatience de Mme de Boisy de voir la conclusion du mariage de son fils Bernard. — Le Saint partage ce même désir, mais sans impatience. 80

Année 1609. 82

DXI. Aux Syndics de Rumilly. Entremise du Saint auprès des FF. mineurs Capucins en faveur de la ville de Rumilly. 82

DXII. A Madame de la Fléchère. Les assoupissements des sens et la volonté résolue d'être tout à Dieu. — La miséricorde de Dieu surpasse la misère de ceux qui «en luy ont logé leurs esperances.» — Le meilleur remède contre l'appréhension de la mort. — Ne pas examiner ce qui est fait, mais penser à ce qui est à faire. — Comment haïr nos défauts. — Ce qui conserve «nos tares.» — Désirs illusoires de changement; c'est nous-même qu'il faut changer. 82

DXIII. A la même. Quand les mortifications ne manquent pas, n'en pas désirer d'autres. — De quelle plainte il se faut garder en toute façon. — Les «petites tricheries quotidiennes.» — La confiance filiale des petits enfants proposée aux âmes qui aspirent à l'extrême perfection. — Après les chutes, il ne faut jamais se décourager. — Dans quel cas il est sage de payer ce qu'on ne doit pas. 83

DXIV. A Monseigneur Pierre de Villars, Archevêque de Vienne. L'Introduction a la Vie devote: circonstances historiques de la publication de cet ouvrage. — Pour quelles raisons l'auteur croit devoir laisser aux grands ouvriers les grands desseins. — Ouvrages moins laborieux qu'il médite d'écrire: «un livret» de l'Amour de Dieu, un petit Calendrier et Journalier pour l'âme dévote, un Traité de la prédication, une méthode de convertir les hérétiques. — La bibliothèque du Saint en Chablais. — Jugement de Mgr Fenouillet sur l'Introduction. 85

DXV. A la Baronne de Chantal. Souhaits de bienvenue et offrande d'un gîte. — Envoi d'exemplaires de l'Introduction à la Vie devote. — Joie du. Saint de voir que tous les siens parlent avec respect et affection de la petite Aimée et de sa mère. — Mme de Chantal attendue à Sales. — De quels documents l'auteur compte se servir pour une seconde édition de l'Introduction. — L'Abbesse du Puits-d'Orbe et son frère. — Affection de François de Sales pour Marie-Aimée. 87

DXVI. A la Présidente Brulart. En quels cas une chrétienne doit être indifférente au choix du confesseur. — Les bonnes intentions et les mauvaises pensées. — Dévotion de François de Sales à sainte Thérèse. — Intérêt qu'il porte à une veuve. — Pourquoi les vertus des femmes mariées sont agréables à Dieu. — Unique souci d'une veuve chrétienne. — Il faut être douce et suave parmi les siens, et mettre un soin particulier à le devenir. 88

DXVII. A Madame de la Fléchère. Analyse d'une tentation de découragement. — Comment doit s'exercer l'apostolat des femmes chrétiennes hors de leur maison. — Conduite à tenir lorsque nous sommes préoccupés de savoir si nous avons bien fait. — L'amour-propre et l'amour de Dieu. — Les heures de sommeil et la santé. — Pourquoi le monde est quelquefois plus propice que le cloître à l'acquisition des vertus. 90

DXVIII. A la Présidente Brulart. Les menues et fréquentes impatiences ; moyens de les surmonter. — Il faut être colombe à l'oraison, mais aussi dans son foyer et avec son entourage. 91

DXIX. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque nommé de Belley (Fragment). Panégyrique en raccourci de saint Joseph. — Tableau de la Sainte Famille. — François de Sales accepte avec joie de «mettre la mitre en teste» au futur Evêque de Belley. 92

DXX. A la Présidente Brulart. Trop différer la première Communion: grande erreur. — Le visage pâle et l'âme vermeille. Envoi d'un exemplaire corrigé de l'Introduction. 92

DXXI. A Monseigneur Pierre de Villars, Archevêque de Vienne. Une «petite opiniastreté» de saint François de Sales. — L'Archevêque ayant refusé le titre de Monseigneur, le Bienheureux s'excuse de le lui donner encore et lui expose les raisons de sa respectueuse obstination. 93

DXXII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Faire le bien joyeusement, sans s'attrister de ses défauts. — Tenir la clôture. — Les confesseurs extraordinaires: manière d'observer la prescription du Concile de Trente. — L'administration des pensions et les avis que doit donner l'Abbesse dans ses Chapitres. — Rappeler au monastère une Religieuse absente et par quels procédés. — Conseils variés sur l'oraison, la lecture spirituelle, etc. — Acquérir un grand courage au service de Notre-Seigneur. 95

DXXIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. Le destinataire ayant écrit au Saint une lettre d'affectueuse courtoisie, celui-ci lui envoie l'expression de son respect et de sa confiance. 97

DXXIV. A Mademoiselle de Traves. Le monde «n'est qu'un vray trompeur.» — Considérations proposées à une personne qui songeait à se marier. — L'amour du Sauveur, de Notre-Dame et des Saints à la très sainte unité de Dieu. 97

DXXV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Annonce de nouvelles. Messages. — Le nouvel Evêque de Belley. — Jean-Pierre Camus songe à faire une visite à saint François de Sales. — «Une lettre toute d'amour. 98

DXXVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Une cure difficile; le charitable Saint prend l'avis d'un gentilhomme et d'un «viel cyrurgien» et députe à la malade le fils de celui-ci. — Conseil donné à l'Abbesse de renoncer au voyage de Savoie. — Comment Dieu lui témoigne son amour paternel. 99

DXXVII. A la même. Offre de services spirituels. — Visite annoncée. — Nécessité de donner suite à de bonnes résolutions. Exhortation à faire «beaucoup d'eslancemens de cœur sur Jesus crucifié.». 100

DXXVIII. A Madame de la Fléchère. Après un premier «choppement,» que faire? — Comment apaiser son cœur quand il est prévenu contre le prochain. — Il faut avoir de la compassion pour celui-ci et suivre pour nous-même l'humilité. 101

DXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Recommandation en faveur d'un officier sans ressources. 102

DXXX. A Madame de Cornillon, sa sœur. Les sentiments que doit exciter la perte des parents. — Mort de Mme de la Thuille. — Le meilleur des souhaits. — Comment il faut supporter les ennuis que donnent les affaires temporelles. 102

DXXXI. A Mademoiselle de Bréchard. Dieu le Père et ses images vivantes sur la terre. — Que l'on ne puisse pas communier sans ouïr la Messe, c'est une opinion nullement fondée. — Les Communions que nul ne peut refuser. — La plus solide des nourritures au Ciel et sur la terre. 103

DXXXII. A Madame de la Fléchère. La réponse de La Faye au livre de la Croix ne vaut pas la peine d'une réplique. — Zèle de Mme de Mieudry pour la foi catholique. — Messages. — Quel est le vrai esprit de Jésus. 103

DXXXIII. A la Baronne de Chantal. L'âme humaine et les afflictions de cette vie. — Une réflexion de saint Grégoire. — Une vraie chimère. — L'esprit de foi et la douleur. — Les progrès d'un Saint dans l'oraison. 104

DXXXIV. A Mademoiselle de Bréchard. L'art de cheminer sur la corde et «le baston de contrepoidz» pour marcher assurément parmi les périls du monde. — On ne peut jamais atteindre le souverain degré de l'amour divin. — Pourquoi Dieu nous a donné notre cœur. 106

DXXXV. A la Présidente Brulart. L'Abbesse du Puits-d'Orbe désire venir en Savoie; réserves que fait le Saint à propos de ce projet de voyage. — Il se dispose à sacrer l'Evêque de Belley. — Comment réparer «le manquement» de la méditation. — Pourquoi Dieu quelquefois empêche la méditation. — Les «vrayes continuelles oraysons» et «la pins dign' offrande.» La sainte Communion en dehors de la sainte Messe. — Faisons le bien avant de mourir, mais toujours avec discrétion. — Le bon plaisir de Dieu meilleur que le nôtre. 107

DXXXVI. A la Baronne de Chantal. Quelques-unes des «mille douces pensees» du saint Evêque pendant qu'il portait le Saint-Sacrement. — Le pectoral de l'ancienne Loi et l'ostensoir eucharistique. — Effusions de piété. — Nouvelles et messages. 108

DXXXVII. A Madame de Cornillon, sa sœur. L'amitié d'un Saint pour sa sœur. — Ecercice recommandé pour s'avancer en l'amour de Dieu. — Quand les affaires réussissent-elles plus à souhait. — Pourquoi Mme de Cornillon paraît à son frère plus digne d'affection. 110

DXXXVIII. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, Prieur du Monastère de Talloires. La réforme dans un monastère demande une grande longanimité dans l'exécution et un cœur généreux. — L'exemple de Notre-Seigneur. — Les exercices de piété; l'habit, le mobilier, etc.; la «composition exterieure» et son importance dans une Communauté. — Conditions du succès. 111

DXXXIX. A M. Claude de Charmoisy. M. de Charmoisy s'apprête à quitter Turin, — Un «ennemi juré des cours.» — Le Saint se réjouit à l'espoir de posséder son ami avec plus de loisir. 113

DXL. A la Baronne de Chantal. La quatrième chose tout à fait ignorée de Salomon. — L'ange gardien de Celse-Bénigne. — L'unique ambition d'un Saint. — L'Evêque de Genève trouve son âme «un peu plus a» son «gré que l'ordinaire,» et pourquoi. — Ce qu'il veut, d'une volonté inviolable. — Le gui et les imperfections involontaires. 114

DXLI. A M. Antoine Bellot (Minute inédite). Les conditions de la conférence contradictoire proposée par les Genevois sont acceptées par le Saint. — Celui-ci désire y apporter non un esprit de contention, mais de bonne foi; entre les difficultés, il faut choisir les plus importantes et les éplucher. — Une dernière garantie à prendre. 115

DXLII. A M. Antoine des Hayes. Remerciements du Saint à son «arch'intime» qui voulait le faire venir à Paris. — Les obédiences qui entravent sa liberté. — Invitation pour l'année 1611 à prêcher dans la chaire de Saint-Gervais; hésitations de François de Sales pour accepter l'intervention de Henri IV. — Nouvelles de M. de Charmoisy et de sa rupture avec le duc de Nemours. — Le Saint désire rétablir le mari de Philothée. — Un projet de pèlerinage à la Sainte-Baume. — Mme de Maignelais. — La deuxième édition de l'Introduction. 116

DXLIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Recommandation en faveur d'un gentilhomme, pour lui obtenir de succéder à son père dans la charge de juge-maje du Faucigny. 117

DXLIV. Au Père Jacques-Philibert de Bonivard de la Compagnie de Jésus (Minute inédite). Raisons et avantages d'offrir aux ministres de Genève une conférence publique. — Manière de la proposer. — En quel cas il serait à propos d'engager la controverse sur les Versions. — Comment; présenter la doctrine catholique, et de la prudence requise en la formulant. — Derniers avis. 119

DXLV. A Madame de la Fléchère. L'attitude d'une âme chrétienne durant la maladie. — Douceur et tranquillité. Comment ne jamais trébucher. 121

DXLVI. A Dom Michel Boudet, Prieur de Pommier. Prière au destinataire de s'entremettre auprès des sujets de sa Maison qui refusaient de payer les prémices à leur curé. 122

DXLVII. Au Président Antoine Favre. Négociations du Saint dans le pays de Gex. — Une première Messe après soixante-treize ans d'interruption. — La traversée de Genève. 123

DXLVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. François de Sales offre au duc la deuxième édition de l'Introduction à la Vie devote. — Culte du bienheureux Amé en Savoie et en Bourgogne. — Supplique pour obtenir que le président Favre puisse transmettre à son fils René la charge de sénateur. 123

DXLIX. Au Roi de France, Henri IV. Remerciements adressés à Henri IV à propos du rétablissement du culte catholique dans deux paroisses de Gex; «bien infini» qui en résultera. — Le digne héritier et imitateur de saint Louis et de Charlemagne. — Zèle et prudence du baron de Lux. 125

DL. A Madame de la Fléchère. Les suites d'une chute. — Annonce d'un deuxième voyage en Bourgogne. — Les Saints ne sont pas «despiteux.» — Les curiosités qu'il faut éviter. 125

DLI. A Madame de la Forest, Religieuse de l'Abbaye de Bons (Inédite). Les «ames revesches» et le Saint. — Pourquoi la patience est nécessaire à ceux qui veulent servir les âmes. — Une Religieuse qui avait besoin de changer d'air. — Les promenades dangereuses. — Envoi d'un exemplaire de l'Introduction. 127

DLII. A la Baronne de Chantal. A une journée de Monthelon, le Saint prévient la Baronne qu'il va arriver. — Il demande «un petit bain de sauge» pour son pied à peine guéri d'une chute récente. 127

DLIII. A M. Pierre de Berulle. Sympathie très effective de François de Sales pour le dessein de M. de Bérulle. — Il conseille une démarche auprès du Nonce. 129

DLIV. Aux Magistrats de la Ville de Salins. Acceptation d'une invitation à prêcher dans la ville de Salins. 130

DLV. A la Baronne de Chantal. Pourquoi nous sommes en ce monde. — Absoudre, c'est donner Jésus-Christ. Le traité du P. Arias. — Le corporal envoyé par la Baronne. 131

DLVI. A Madame de Boisy, sa mere. Mme de Boisy est priée par son fils de consulter le médecin Marc Offredo. — Pourquoi elle doit se dégager de certaines «petites pensees.» — Le «petit advis» que le Saint donne clairement à sa «chere Dame et bonne Mere.». 132

DLVII. A la Baronne de Chantal. Retour de François à Annecy; il en donne avis à la baronne de Chantal. — L'abandon de tout notre être au bon plaisir divin; bonheur qu'il procure. — Le sacré oreiller de saint Jean. 133

DLVIII. A M. Antoine des Hayes. Nouvelles rétrospectives d'un voyage en Bourgogne. — Pèlerinage différé. — François de Sales accusé auprès du duc de Savoie d'avoir fait une tentative pour reprendre son autorité temporelle de prince-évêque de Genève; le fondement de cette calomnie. — Un mariage désiré. — Dévouement des amis de M. de Charmoisy pour le tirer de sa retraite. — Trois dames destinataires de l'Introduction a la Vie devote. 134

DLIX. Au Père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Les fruits des Exercices de saint Ignace. — Progrès des conversions autour de Genève. — Une paysanne missionnaire. — Rétablissement du culte catholique à Gex. — Un grand nombre de genevois ébranlés; obstacles qui s'opposent à leur retour. — Le Saint raconte comment il a traversé Genève à cheval et l'émoi que son passage a suscité dans la ville. — Le mauvais vouloir des ministres à l'égard des propositions de François de Sales. — Comment l'Introduction a la Vie devote a vu le jour; cause de son succès. — Offrande d'un exemplaire au destinataire. 136

DLX. A la Baronne de Chantal. Promesses pour le recrutement de la future Congrégation. — Le passage par Genève et les calomniateurs. — Le dessein de François de Sales traversé. Occupations, affections pieuses, souvenirs évoqués au cours du voyage d'un apôtre. — Les grands désirs qui remplissent le cœur d'un Saint. — Une affection que les paroles du monde ne sauraient traduire. 139

DLXI. A la même. Ferveur d'une postulante. — Les austérités corporelles et les mortifications spirituelles; celles que le Saint désire pour les filles de sa future Congrégation. 140

DLXII. A Madame de la Fléchère. Une contemplation, source de profonde tranquillité. — Sentiments qui doivent animer un cœur grandement épris de Jésus-Christ crucifié. — Examen de prévoyance fort utile. — Une pauvreté qui n'en est pas une. L'appréhension de l'éternité et l'appréhension des accidents de cette vie mortelle. — La révérence envers Notre-Seigneur; en quoi surtout elle consiste. 141

DLXIII. A la Baronne de Chantal. La succession des années et l'éternité. — Souhaits de nouvel an. — Le temps de Dieu; récompense promise à ceux qui en usent bien. — Comment tenir son cœur solitaire au milieu de la foule. 142

DLXIV. A Madame de la Fléchère. L'unique guérison de certaines épreuves spirituelles. — Le sang du Calvaire et la clarté du Thabor; de ces deux montagnes, quelle est la plus désirable et la plus fructueuse. — Le pain sans sucre et le sucre sans pain. — Pourquoi la connaissance de notre néant ne doit pas nous troubler. 143

Année 1610. 144

DLXV. A une dame inconnue. Qu'il faut ravaler son courage et en même temps l'exalter. — L'unique leçon du divin Maître. — Une bonne condition pour faire des progrès spirituels. — Deux choses conseillées contre les assoupissements en l'oraison. 144

DLXVI. A la Baronne de Chantal (Fragment). La première tourière de la Visitation offre ses services. 145

DLXVII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Sainteté du bienheureux Amédée. — Estime qu'on en fait en Savoie. — C'est un devoir pour le duc de désirer la canonisation d'un tel ancêtre et de s'employer à l'obtenir. 145

DLXVIII. A un gentilhomme. Charité du Saint pour ses amis: au premier il propose une honorable alliance pour l'un des siens; il fait à l'autre de vives instances pour qu'il pardonne à son fils repentant. 146

DLXIX. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe (Inédite). Un chirurgien espagnol est prié de s'employer à guérir l'Abbesse. — Encouragements. — Comment le Saint s'excuse de parler brièvement de Dieu. 146

DLXX. A Madame de Cornillon, sa sœur. Que faire à mesure que les années s'en vont. — Les mères chrétiennes et Notre-Seigneur, qui se comporte au rebours des autres enfants. 148

DLXXI. Aux Echevins de Salins. Les predications qu'il avait promises à Salins étant empêchées, le Saint les veut «contreschanger en autant d'oraysons» pour la ville. 148

DLXXII. A la Baronne de Chantal. Pourquoi l'Evêque de Genève n'alla pas à Salins en 1610. — Une âme dont il espérait faire quelque chose de bon. — Les souhaits, le cœur et la plume d'un Saint. 149

DLXXIII. A M. Claude de Blonay (Fragment). La nouvelle Congrégation étant sur le point de s'établir, François de Sales demande au destinataire qu'il veuille bien lui amener sa fille après Pâques. 149

DLXXIV. A M. Jacques de Bay. Recommandation en faveur d'un jeune étudiant savoyard. 150

DLXXV. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. François de Sales intercède auprès du duc pour obtenir un secours au chanoine-poète Nouvellet. 150

DLXXVI. A la Baronne de Chantal. Un cœur plus que paternel, dégagé et fervent au milieu des tracas. — Les petites fleurs et les arbres en Savoie, quand souffle la tempête. — Petite pluie abat grand vent. — La rosée de la Croix. — Rendez-vous pendant le Carême: l'aimable et saint domicile du Cœur de Jésus Notre-Seigneur. — Ce qui «contenta fort» le Saint. — Il n'était point dur aux chrétiennes d'Annecy, et pourquoi. — Sermon tout de flammes. 152

DLXXVII. A Madame de Cornillon, sa sœur. Heureuse fin de Mme de Boisy. — Une promesse mutuelle. — Les regrets dans les séparations. — Paix joyeuse de la mère du Saint. 153

DLXXVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Lettre d'introduction auprès de Charles-Emmanuel, en faveur d'un ami. 153

DLXXIX. A M. Antoine des Hayes. Une douloureuse satisfaction. — Mme de Boisy assistée par son fils; rapide éloge de la défunte. — Pourquoi le Saint n'a pas de particulières nouvelles à communiquer. 154

DLXXX. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. François de Sales apprend à son ami la mort de Mme de Boisy. 155

DLXXXI. A la Baronne de Chantal. Les sentiments du Saint à la mort de sa mère. — François de Sales raconte à Mme de Chantal comment Mme de Boisy a fini ses jours et combien il pleura sur «cette bonne mere.» — Invitation à venir en Savoie pour le dimanche des Rameaux. — Dispositions à prendre pour le séjour de la Baronne. — Mort de la petite Charlotte. — Il faut pleurer un peu sur nos trépassés. — L'Abbesse du Puits-d'Orbe, Mme de Saint-Jean, le P. de Monchy, Mlle Favre, le monastère de Sainte-Catherine, — Le «train des saintz devanciers et des simples.» — Prendre pour méthode de ne point se préparer à l'oraison, le Saint déclare le trouver «un peu dur.». 156

DLXXXII. A Madame de Dérée. Tout fait espérer que l'âme de Mme de Boisy a été reçue «en la main dextre de son Dieu.». 159

DLXXXIII. A la Baronne de Chantal (Fragment). Souhaits de bienvenue. — Les postulantes de Dijon. Engagement avec un imprimeur. 159

DLXXXIV. A Madame de la Fléchère. Ne pas donner créance aux vains présages. — Satan abuse des âmes crédules; comment se garder de ses pièges. — Avis variés pour les œuvres de sanctification. — Moyen de soulager le prochain et de louer la Vierge Marie. 160

DLXXXV. A une dame inconnue. Parmi les délais imposés à nos désirs, il faut garder la sainte patience. 160

DLXXXVI. Au Cardinal Antoine-Marie Gallo (Inédite). Le Saint s'excuse de ne pouvoir obliger le protégé d'un Cardinal. 162

DLXXXVII. Au Pére Alexandre Ceva, de l'Ordre des Camaldules. Détresse d'un gentilhomme genevois. — La Congrégation des convertis. — Charité de François de Salès. 162

DLXXXVIII. A la Présidente Brulart. Par plusieurs voies on va au Ciel, si l'on a pour guide la crainte de Dieu. — Contre l'amour-propre, il faut faire bon guet. — C'est tenter Dieu de confier l'âme d'une jeune fille à un jeune homme de mauvais naturel, avec l'espoir qu'il s'amendera. — Consultation particulière sur les divertissements pour Mlle Brûlart. — Comment porter à la vertu une enfant vigoureuse et de naturel un peu ardent. — Un magistrat chrétien au XVIIe siècle. — Un bien grand voyage pour des femmes. — Le plus grand appui pour s'avancer dans la piété. — Les aumônes fructifient comme le froment jeté en terre. 164

DLXXXIX. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Une heureuse rencontre. — A quelles conditions la faiblesse n'est pas un grand mal. — Ce que Notre-Seigneur ne requiert pas de nous. — Comment se mettre «sur le solide.» — Le moyen de n'avoir rien à craindre. — Combien de bons médecins maladifs et d'habiles peintres bien laids. — Un «pauvre chetif pere» et la seule chose qui pouvait le contrister. — Plutôt mourir que de démordre. — Les Supérieures et l'observance. 166

DXC. A Madame de la Fléchère. «Il est dangereux de marcher au chemin des proces.» — Par quelles pratiques les âmes chrétiennes témoignent-elles de la fidélité à Notre-Seigneur. 168

DXCI. A la Baronne de Cusy. Derniers préparatifs dans le «petit bastiment» destiné aux premières recrues de la Visitation. — Le Saint compte les y introduire à la Pentecôte. — Quel sera le costume la première année. — Réponse à des objections que présentait la destinataire. — Un petit Isaac. 168

DXCII. A la Baronne de Chantal. L'Institut de la Visitation, «havre de grace et de consolation.» — Méditation sur l'Evangile: Je suis la vigne. — Notre-Seigneur Jésus-Christ, le tout de François de Sales. 169

DXCIII. A M. Jacques de Bay. Jacques de Bay et son zèle pour la formation chrétienne des jeunes Savoyards. — Recommandation en faveur de Jean-Antoine Rolland et de Bernardin du Nant. — Le Saint offre au destinataire deux de ses ouvrages; son humilité. 170

DXCIV. A la Baronne de Cusy. Une postulante que le monde dispute à la vie religieuse. — Qu'elle sonde son cœur avant d'embrasser Jésus-Christ crucifié; ce dessein demande une âme vaillante et généreuse. — Encouragements à prendre un parti décisif. — Le Saint promet de s'employer avec joie et constance à la «sainte besoigne» de la future Congrégation. 172

DXCV. A Madame de Charmoisy (Billet inédit). Prière de donner l'hospitalité à une postulante de la Visitation. 173

DXCVI. A la Baronne de Chantal. Une idée que le Saint trouve à son réveil. — La fête du Saint-Suaire et les paroles «extatiques» d'Isaïe. — Espoir joyeux que Dieu plantera et fera fructifier la plante du futur Institut. 173

DXCVII. A M. Jean-François Ranzo. Zèle de François de Sales pour la Canonisation du bienheureux Amédée. — Il propose de lui faire dédier l'oratoire de sa future Congrégation. 174

DXCVIII. A M. Roch Calcagni. Titres et aptitudes de M. de la Thuille, frère du Saint, à remplir la charge de chevalier pour laquelle il est proposé. — Le destinataire est prié de remettre des lettres pour faire aboutir la nomination. 176

DXCIX. Au Père Nicolas Polliens, de la Compagnie de Jesus. A un Jésuite qui s'intéressait à l'œuvre du Saint, celui-ci raconte les circonstances qui ont donné jour aux commencements de la Visitation. — Sommaire et premier crayon de la vie religieuse proposée par manière d'essai. — La clôture, l'habit, l'Office, l'union intérieure. — La pierre fondamentale. — Pourquoi le Saint ne se soucie pas des critiques. — L'Institut de la Visitation et le voyage de François de Sales à Dijon en 1604. 177

DC. Au Président Bénigne Frémyot. Mort de Henri IV. — Vanité des grandeurs du monde. — «Un contemptible coup de petit couteau.» — Le Roi immortel. — Pourquoi le Saint espère que Dieu aura été pitoyable au prince. — Les faveurs de Henri IV pour François de Sales. — Aveu du Saint; sa gratitude. 178

DCI. A la Baronne de Chantal. Les soucis du saint Fondateur. — Ses désirs d'union à Jésus-Christ. — Pourquoi Mme de Chantal doit se «mettre sur la grandeur de courage.». 179

DCII. A la meme. Pourquoi le Saint se trouvait un peu las, mais de corps seulement. — De quelles vertus Notre-Seigneur est surtout amoureux. — Un Psaume dont le chant attendrissait le cœur de l'Evêque pendant la procession. 180

DCIII. A M. Roch Calcagni. Gratitude pour la courtoise intervention du destinataire en faveur de Louis de Sales, frère du Saint. 181

DCIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Remerciements et actions de grâces de la Savoie et de son Evêque pour la promotion d'Antoine Favre «a l'estat de premier President.» — Ce qui donne le plus de douceur à la vie humaine. — Description imagée de la justice. — Responsabilité et devoir des princes dans le choix de ceux qui l'exercent en leur nom. 182

DCV. A M. François de Saint-Sixt. Affaire d'argent qui sépare deux frères; intervention du Saint pour les accommoder. 183

DCVI. A la Mère de Chantal. Elévation sur la vie de saint Jean-Baptiste: sa nourriture, le miel, les locustes représentent les deux vies, contemplative et active. — Applications. — Signification de ses vêtements. — Un habit propre à conserver la sainteté. — Obéissance du Précurseur. — Ce qu'annonçait «ce beau rossignol du bois   183

DCVII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Le trépas du «grand Roy.» — Regrets. — «Le jeune et nouveau Roy.» — Le vrai rendez-vous de nos «cogitations.» — Une charge obtenue «sans brigue, sans cour et sans argent. 184

DCVIII. A la Mère de Chantal. Comment remplacer le jeune. — Les «petites brebis» de la Mère de Chantal. — Visite de Marie à Elisabeth; amabilité de la très Sainte Vierge. — Contemplation du mystère. — Un beau pèlerinage en compagnie du Sauveur. 186

DCIX. A Mademoiselle de Chapot. Les parents et les directeurs spirituels; l'autorité des uns et des autres et la confiance qu'ils méritent dans l'affaire d'une vocation religieuse. — S'il fallait ouïr l'avis des premiers, qu'arriverait-il? — Comment reconnaître la volonté de Dieu, parmi les empêchements. — Quand on a pris une bonne résolution, il faut la rectifier, si elle est excessive, mais non la rompre. 187

DCX. A M. Philippe de Quoex. Pension ou dot requise pour les postulantes de la Visitation. — «Il est vray que l'on regarde encor aux facultés.» — Le Chablais au XVIIe siècle. — Une Congrégation qui ne veut être «ni mendiante ni playdante.» — Sommaire des Règles. — Les commencements de l'Institut donnent beaucoup d'édification; à quelles âmes offrait-il un refuge. 189

DCXI. A Madame de Travernay. Quand on souffre, il est malaisé de prier. — Quels sont les malades capables de faire oraison. — Comment remplacer cet exercice, si nous sommes trop douillets. — Il faut reprendre, quand on est guéri, ses habitudes de prière. — Un «rare bien:» parler cœur à cœur avec son Dieu. 190

DCXII. A la Mère de Chantal (Inédite). Les premiers jours de la Visitation. — Les «douces amours en Jesus Christ» de l'Evêque de Genève; où se portait nuit et jour sa sollicitude. 192

DCXIII. A Madame de la Forest, Religieuse de l'Abbaye de Bons. Subtilité de Satan. — Le Saint cherche à détruire le résultat d'une calomnie. — Bonnes nouvelles de la Maison de la Galerie. 193

DCXIV. A Madame de Cornillon, sa sœur. La transfiguration en Notre-Seigneur. — Le séjour des vaines beautés et belles vanités. — Encouragements à monter à la céleste vision du Sauveur. Ce qui est pire que la mort pour une âme de Saint. — Partout il faut avoir bon courage, et pourquoi. 194

DCXV. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Recommandation en faveur du sieur Bouvard pour la charge d'avocat fiscal. 195

DCXVI. A M. Antoine des Hayes. Un trépas vraiment pitoyable. — Le Saint relève le courage de son ami, dont la mort de Henri IV semblait avoir compromis la fortune. — Comment se ménager la protection de la Providence. — Souhaits pour la France et la famille royale. 195

DCXVII. A la Mère de Chantal. Hésitations à faire venir en Savoie le P. de Monchy. — Souhait du Saint pour Mme de Chantal. 196

DCXVIII. A la même. La méthode de Mme de Chantal. — La confession de Françon. — Doux pressentiments intimes à l'approche de la fête de la Nativité de la très sainte Vierge. — La céleste Pouponne. 196

DCXIX. A Madame de Travernay. Une âme docile. — L'exercice de l'amour sacré et les tribulations. Un spectacle encourageant. 197

DCXX. A Madame de la Fléchère. Parmi les afflictions, les unes sont plus affligeantes, les autres plus dangereuses pour l'âme. — Pourquoi le tracas des procès, plus que tout autre, ôte la paix intérieure. — La seule perte que nous devons craindre en cette vie. — Comment les procès peuvent servir à l'avancement spirituel, — Exemple de Notre-Seigneur. — Le moyen d'être toujours assez riche. 198

DCXXI. A M. Jean-Francois Ranzo (Inédite). Les débuts de la Congrégation. — La Patronne qu'elle a choisie. — Attestation du culte rendu au bienheureux Amédée dans le monastère de Talloires et à Chambéry; à son passage dans cette ville, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie refoit les hommages de François de Sales. 199

DCXXII. A Madame de la Fléchère. Condoléances sur la mort de M. d'Avully, père de la destinataire. — Raisons d'espérer que Dieu l'aura reçu dans l'Eglise triomphante. 201

DCXXIII. A la Mère de Chantal. Pourquoi François de Sales travaille avec zèle au Traitté de l'Amour de Dieu. — «Petites lanterneries» et «petites clartés.» — La parfaite résignation. — Une lettre où il est parlé mignardement de Celse-Bénigne. 201

DCXXIV. A Mademoiselle de Vallon (Inédite). Une nouvelle postulante pour la Maison de la Galerie. — Par quelles vertus s'entretient le désir de la vie religieuse. 203

DCXXV. A M. Philippe de Villers. Différend avec le Chapitre de Belley, à propos des cures et églises des paroisses vacantes. — Affaire de M. de Sauzéa. — La vérité est toujours la plus forte. 204

DCXXVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Le profit qu'on peut retirer d'un mal incurable. — En quels cas le monde juge sévèrement les âmes qui l'ont quitté pour le cloître; celles-ci perdent toujours quelque chose aux sorties. — Il faut avoir quelque égard à l'opinion publique. — Une ancienne coutume du monde; son pharisaïsme. — Contrairement à l'esprit du siècle, c'est aux supérieurs à gagner les inférieurs. — Une abbesse et une prieure un peu refroidies; exhortation du Saint pour ramener entre les deux sœurs l'amitié fraternelle. 204

DCXXVII. A M. Pioton. Prière de retirer un legs en faveur d'une œuvre pieuse. 206

DCXXVIII. Au Président Antoine Favre. Les curés de Valromey et le Parlement de Dijon. — Le Saint réclame l'intervention de son ami pour obtenir du Sénat une pièce utile au procès. 207

DCXXIX. A Madame de Cornillon, sa sœur (Fragment). Les croix domestiques; il faut savoir les bien prendre. 208

DCXXX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Une tranquillité fainéante et trompeuse. — Quand faut-il augmenter les Communions, au lieu de les diminuer. — Le Saint, ennemi, dans ses visites, des cérémonies, compliments et perte de temps. 208

DCXXXI. A la Mère de Chantal. Quelques bonnes pensées pour passer l'Avent avec dévotion: trois objets capables de ravir les cœurs en la sainte dilection. 209

DCXXXII. A Monseigneur Vespasien Gribaldi, ancien Archevêque de Vienne. Le Prélat destinataire est prié de vouloir bien réconcilier un cimetière profané par un assassinat. 209

DCXXXIII. A la Mère de Chantal. Pratique conseillée à la Mère de Chantal pour s'attirer la spéciale protection de Notre-Dame. 210

DCXXXIV. Au Président Antoine Favre. Le grand tracas d'un premier Président. — Le prieuré de Contamine, les Chevaliers de Saint-Lazare et la Sainte-Maison de Thonon. — Les Pères Feuillants. — L'hôtesse du Chablais. 210

DCXXXV. A la Présidente Favre. Une lettre écrite après dix heures du soir. — Les additions à une nouvelle édition de l'Introduction à la Vie devote. — Notre guide, notre nocher pendant notre navigation. — Le moyen de ne rien craindre. 211

DCXXXVI. A la Mère de Chantal. Les désirs d'un Saint à propos de la manducation quotienne du «Pain vivant et suressentiel.» — Les vertus dont il embaume les âmes qui le reçoivent. 213

DCXXXVII. A M. Celse-Benigne de Chantal. Conseils à un jeune homme qui allait à la cour de France; à quelles âmes cette fréquentation est-elle moins dangereuse. — Ses écueils, leurs pernicieux effets. — Remèdes: les «viandes spirituelles et divines.» — Eviter les mauvaises lectures, Rabelais, «cet infâme,» et les sceptiques. — La vraie courtoisie. — Ne pas s'embarrasser parmi les amourettes. — Faire profession ouverte de vouloir vivre vertueusement, judicieusement, constamment et chrétiennement. — Les vertueux à la philosophique. — En quoi il ne faut pas marchander. — Se choisir des amis de même intention. — Recourir à la direction d'un prêtre, Religieux ou séculier. — Un exercice de fainéant. — Avoir un cœur vigoureux, et pourquoi. — L'idéal d'un courtisan, d'après saint Louis; portrait de ce prince. — La bravoure et la piété. —Une méditation à faire souvent. — Le patron, la voile, l'ancre, le vent qu'il faut choisir pour voguer sur la haute mer du monde. 214

DCXXXVIII. A la Mère de Chantal. Pourquoi ne pas se tourmenter des fâcheuses pensées qui sont autour, du cœur. A quelle condition rien ne nous offensera. 217

DCXXXIX. A M. Pierre Rigaud (Inédite). Le Saint et son éditeur lyonnais. — Celui-ci le presse «de rendre fait» le Traitté de l'Amour de Dieu. — Commande de livres. 218

DCXL. A M. Jacques de Bay. Le Saint s'intéresse aux études d'un jeune annécien et demande que le collège de Savoie de Louvain lui soit rouvert. 218

DCXLI. A M. Philippe de Quoex. Dans les appointements, le Saint n'est pour personne. — Pas de particularités dans sa Congrégation; il faut que tout y «aille d'un train.». 219

DCXLII. Au Président Antoine Favre. Les «bonnes coustumes» de Savoie. — Rendez-vous pour les âmes chrétiennes unies d'affection. — Une amitié sans limites. 220

CDXLIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Une galerie où le Saint parlait «plus a commodité» à la Mère de Chantal. 221

DCXLIV. Au Président Antoine Favre (Inédite). Recommandation en faveur d'une pauvre veuve. 221

DCXLV. A la Mère de Chantal. Tableau de la Nativité. — Où se trouvaient en la nuit de Noël, les bons Anges des deux Saints. — Les pasteurs et la mélodie sacrée qu'ils entendent durant leur sommeil. — Le cadeau du Bienheureux au «petit Roy.». 221

DCXLVI. A Madame d'Aiguebelette. Les présents du Sauveur aux gens de bonne volonté. — Ce que fait la «petite trouppe» de la Visitation. 223

DCXLVII. Au Président Antoine Favre. Ce qui rend notre durée périssable, et partant plus aimable. — La pensée de l'éternité pour le Saint. — L'espérance de l'éternité, et les motifs philosophiques qui la légitiment. — L'échelle qui nous conduit aux années éternelles. — Souhaits de nouvel an. 224

DCXLVIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Les Filles de saint Bernard chez les Filles du saint Evêque de Genève. — Promesse d'un bonsoir ou d'un bonjour. 225

DCXLIX. A M. Antoine des Hayes (Inédite). Une amitié constante. — Mariage princier et les menaces d'une guerre. 225

DCL. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Sollicitude pour la santé de la Mère de Chantal. 226

DCLI. A la même. — Souci charitable que prend le Saint pour la santé de la Fondatrice. 226

DCLII. A Mademoiselle de Blonay (Fragment). La grâce d evangéliser n'est pas le privilège de tout le monde. 227

Appendice. 228

I. Lettres adressees a Saint François de Sales par quelques correspondants. 230

A. Facultés accordées par la Congrégation du Saint-Offic. 230

B. Lettres de Mgr de Villars, Archevêque de Vienne. (Fragments). 233

C. Lettre du P. Jacques-Philibert de Bonivard, de la Compagnie de Jésus. 235

D. Lettre de Mlle Fayre. (Fragment). 236

E. Lettre du Président Frémyot. 236

F. Lettre du Cardinal Jean Garcia Millino. 237

II. Lettre de Sainte Jeanne-Françoise de Chantal a Monseigneur Jean-Pierre Camus. 238

 

 

Lettres de Saint François de Sales. Année 1608

 

(Suite)

 

 

CDXLIV. A Madame de la Fléchère. Il faut premièrement «avoir patience d'estre imparfait.» — Conseils pratiques pour mettre son esprit en posture de suavité. — A quoi doivent servir nos chutes.

 

Annecy, 8 avril 1608.

 

                        Madame,

            J'ay receu vostre premiere lettre avec une particuliere consolation, comme un bon commencement de la communication spirituelle que nous devons avoir ensemble pour l'advancement du royaume de Dieu dans nos cœurs. [1] Veuille ce mesme Dieu me bien inspirer ce qui sera plus propre pour vostre conduitte.

            Il n'est pas possible que vous soyes si tost maistresse de vostre ame et que vous la tenies en vostre main si absolument de premier abord. Contentés-vous de gaigner de tems en tems quelque petit advantage sur vostre passion ennemie. Il faut supporter les autres, mais premierement, il se faut supporter soy mesme et avoir patience d'estre imparfait. Mon Dieu, ma chere Fille, voudrions nous bien entrer au repos interieur sans passer par les contradictions et contestes ordinaires?

            Observés bien ces pointz que je vous ay dit. Preparés des le matin vostre ame a la tranquillité; ayés un grand soin le long du jour de l'y rappeller souvent et de la reprendre en vostre main. S'il vous arrive quelque acte de chagrin, ne vous en espouvantés point, ne vous en mettes nullement en peyne; mais, l'ayant reconneu, humiliés-vous doucement devant Dieu et taschés de remettre vostre esprit en posture de suavité. Dites a vostre ame: Or sus, nous avons fait un faux pas; allons maintenant tout bellement et prenons garde a nous. Et toutes fois et quantes que vous retomberes, faites-en de mesme.

            Quand vous aures le repos, employés-le vivement, faysant le plus d'actes de douceur que vous pourres et es occasions les plus frequentes que vous en ayes, pour petites qu'elles soyent; car, comme dit Nostre Seigneur, qui est fidele es petites choses, on luy confiera les grandes. Sur tout, ma Fille, ne perdés point courage, avés patience, attendes, exerces-vous fort a l'esprit de compassion. Je ne doute point que Dieu ne vous tienne de sa main, et bien qu'il vous laissera broncher, ce ne sera que pour vous faire connoistre que s'il ne vous tenoit vous tomberies du tout, et affin que vous luy serries la main de plus fort. [2]

            A Dieu, Madame, a Dieu soyés vous entièrement, absolument, irrevocablement. Je suis en luy,

                                                                       Vostre serviteur tout dedié,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

Le 8 avril 1608.

 

 

 

CDXLV. A Madame de Vallon. Le Saint donne à la destinataire des nouvelles de son mari et de sa parenté.

 

Annecy, 10 avril 1608.

 

                        Madame ma Cousine,

            Je sçai que vous aves eu des lettres de monsieur mon cousin vostre mari, mais je ne puis me contenir de vous dire que monsieur de la Fleschere, qui fut hier icy, m'asseure que jamais il ne se porta mieux, ni monsieur de Charmoysi. Il faut donques que vous vous en resjouissies, en remerciant Dieu et le loüant. Je le supplie qu'il vous accompaigne tous-jours de ses saintes consolations et, qu'en icelles, il vous rende de plus en plus sa devote.

            Je suis cependant, ma Cousine,

                        Vostre cousin, compere, parrein et serviteur

                                                           bien humble,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

 

X avril 1608. [3]

 

CDXLVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque élu de Montpellier (Inédite). Remerciements et félicitations pour l'envoi d'une oraison funèbre; souhaits d'amitié offerts au destinataire, son futur frère dans l'épiscopat. — Message pour un ami commun.

Annecy, 19 avril 1608.

 

                        Monsieur,

            Il n'estoit pas besoin que vous prissies la peyne de me faire sçavoir comme j'avois perdu le bien de recevoir de vos lettres ces deux ou trois moys passés, car jamais je ne me fusse voulu donner cette affliction de croire que c'eust esté pour estre esloigné de vostre bonne grace, et toutes les autres causes ne me sont pas ennuyeuses. Je vous rens mille graces de la belle orayson funebre que vous m'aves envoyee. Elle a double prix en mon estime, [4] estant, comm'elle est, fort ornee, et d'un lieu que j'honnore avec une affection tres entiere.

            J'attens avec un peu d'inquietude la nouvelle de vostre consecration. Il m'est advis que la communion de ce saint caractere nous alliera de plus fort; mays en l'attendant, je ne laisseray de prononcer souvent en mon ame le souhait solemnel: Ad multos annos. Dieu me veuille exaucer, Monsieur, et vous seres beni des plus durables benedictions du ciel, et moy je deviendray autant utilement comme je suis affectionnement,

 

Vostre serviteur et tres humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            Monsieur, j'escris a nostre grand amy, mais je vous requiers vostre intercession encor affin qu'il continue de m'aymer. Helas, le pauvre Truitard me vient de supplier avec grande instance de le recommander a monsieur de la Bretonniere.

            A Annessy, le 19 avril 1608.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation de Montpellier. [5]

 

 

 

CDXLVII. Au Roi de France. Pauvreté des curés du Bugey ; supplique en leur faveur.

 

Annecy, fin avril 1608.

                        Sire,

            J'ay cinquante ou soixante curés sous ma charge au balliage de Beugey, sur lesquelz nulle decime n'a ci devant esté imposee de la part de Vostre Majesté, a la bonté delaquelle je recours maintenant pour eux, et eux avec moy, affin quil luy playse les exempter encores ci apres. Le fondement de cette supplication, Sire, est a la verité bien mauvais, mais il n'en est que plus solide; car c'est leur extreme pauvreté; puisque presque tous sont si chetifz en moyens qu'ilz n'en ont que pour vivre miserablement. Si que Vostre Majesté commandant qu'on les laysse, elle leur fera un'excellente aumosne, car elle leur donnera le repos, seule condition qui peut rendre leur disette aucunement supportable, du milieu delaquelle [je prie] Dieu quil prospere Vostre Majeste..............................................................................................qui est...................................

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [6]

 

CDXLVIII. A Madame de la Fléchère. L'humilité joyeuse dans les légers manquements. — Les exercices de dévotion pendant la journée. — Faire comme Notre-Dame : se tenir toujours d'une main à Notre-Seigneur. — Apprivoiser son cœur à la mansuétude. — Les prières vocales et l'oraison mentale.

 

Annecy, [fin avril ou commencement de mai] 1608.

 

                        Madame,

            J'ay esté bien consolé par les lettres que vous m'aves escrit, voyant que Nostre Seigneur vous a fait gouster les commencemens de la tranquillité avec laquelle, moyennant sa grace, il nous faut desormais continuer de le servir parmi la presse et multiplicité des affaires ausquelles nostre vocation nous oblige. J'ay une extremement bonne esperance pour vous, parce que j'ay veu, ce me semble, en vostre cœur une profonde resolution de vouloir servir sa divine Majesté, qui me fait asseurer que vous userés de fidelité es exercices de la sainte devotion. Que si bien il y entrevient beaucoup de manquemens par infirmité, il ne faut nullement s'estonner; mais, en detestant d'un costé l'offence que Dieu en reçoit, il faut de l'autre avoir une certaine humilité joyeuse qui ayt a playsir de voir et connoistre nostre misere.

            Je vous diray briefvement les exercices que je vous conseillerois; vous les verres plus clairement en cet escrit que je fay. La preparation de toute la journee, qui se fait briefvement le matin; l'orayson mentale avant disner, selon vostre loysir, pour une heure ou environ; le soir, avant souper, une petite retraitte, en laquelle, comme [7] en maniere de repetition, vous facies une douzaine de vives aspirations en Dieu selon la meditation du matin, ou sur quelque autre sujet.

            Parmi le jour et entre les affaires, le plus souvent que vous pourres, examinés si vostre amour est point engagé trop avant, s'il n'est point detraqué et si vous ne vous tenes pas tous-jours par l'une des mains a Nostre Seigneur. Si vous vous treuves embarrassee outre mesure, accoisés vostre ame et remettes-la en repos. Imaginés vous comme Nostre Dame employoit doucement l'une de ses mains tandis qu'elle tenoit Nostre Seigneur de l'autre, ou sur son autre bras, en son enfance; car c'estoit avec un grand esgard.

            Au tems de paix et de tranquillité, multipliés les actes de douceur; car, par ce moyen, vous apprivoyseres vostre cœur a la mansuetude. Ne vous amuses pas a combattre les menuës tentations qui vous arrivent, par des contestes ou disputes avec elles, mais par des simples retours de vostre cœur a Jesus Christ crucifié, comme si vous allies bayser son costé ou ses pieds par amour.

            Ne vous mettes point en peyne de faire beaucoup d'oraysons vocales, et tous-jours, quand vous prieres et que vous sentires vostre cœur porté a l'orayson mentale, laissés-l'y aller hardiment; et quand vous ne feries que l'orayson mentale avec l'Orayson Dominicale et la Salutation Angelique et la Creance, vous pouves vous contenter.

            Je me dedie de grand courage au service de vostre ame, qui me sera dores-en-avant chere comme la mienne propre. Nostre Seigneur soit a jamais maistre de nos cœurs, comme je suis en luy,

                                                                                              Vostre serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [8]

 

 

 

CDXLIX. A M. Antoine des Hayes. Henri IV désire attacher le Saint au service de l'Eglise de son royaume. — Humilité et désintéressement de François de Sales ; c'est la volonté du Pape qui lui manifestera la volonté de Dieu.

 

Annecy, 6 mai 1608.

 

                        Monsieur,

            J'ay receu vostre lettre du 21 avril qui me fait admirer la bonté du Roy, qui non seulement me fait lhonneur de se resouvenir de moy, mais encor de me vouloir du bien et m'estimer digne de luy rendre du contentement au service de l'Eglise en son royaume. Vous pouves penser, Monsieur, si j'ay esté touché de gloyre pour cela. Si ay, a la verité, et m'y fusse laissé emporter si la connoissance de mon insuffisance ne m'eut arresté; car cet honneur ne m'esblouyt point tant que je ne voye bien les bornes et limites de ma capacité, lesquelles sont sans doute fort courtes et estroittes.

            Et pour cela, Monsieur, je vous supplie d'apprendre de Sa Majesté que c'est qu'elle penseroit faire de moy et en quoy elle desireroit m'employer, car sans doute je ne suis pas bon a beaucoup de choses; et j'ay neanmoins cette generosité de ne vouloir pas estre appliqué que pour ce que je suis et en ce que je puis, d'autant plus quand ce seroit par la gratification et grace d'un si grand Roy, lequel ne pense pas a me faire transplanter de ce pais en son royaume, abondant en toutes sortes de personnes de merite, quil ne m'estime fructueux et propre a son contentement.

            Et je sçai bien qu'il ny a nulle si mauvayse piece au monde qui ne soit utile a quelque chose; mais il faut [9] luy treuver son usage et son lieu. Dieu m'a fait la grace de reconnoistre que je suis fait pour luy, par luy et en luy. Je ne suis ni seray jamais enfant de fortune, tandis que le Ciel m'esclairera. C'est pourquoy, ou que je sois appellé pour le service de la gloire divine, je ne contrediray nullement d'y aller; mais sur tout en France, a l'air de laquelle ayant esté nourri et instruit, je ne puis dissimuler que je n'aye une speciale inclination, et encor plus, la voyant sous un Roy que je doys honnorer et estimer si hautement et qui m'oblige si extremement comm'il fait. Il est vray que je suis en mon pais et entre les miens, avec une certaine suffisance qui me suffit et, ce qui m'est le plus cher, avec un repos aussi grand que ma charge le peut permettre et qui meshuy me semble asses ferme. Mais tout cela ne me tient qu'au bout des doigtz et ne me sçauroit empescher de m'embarquer a tout autre service ou je penserois estre plus utile a la gloire divine et au bien de l'Eglise, puisque des mon Baptesme et par vocation je suis consacré a cela.

            Si donques Sa Majesté vous dit son intention particuliere, j'examineray avec Dieu et en sa presence mes forces; et si je les sens aucunement assortissantes au service qu'elle desirera, et que Sa Sainteté me le commande (car vous sçaves bien que sans cela je n'oserois me remuer de la sentinelle en laquelle je suis posé), je me rendray tout prest, tout prompt, tout affectionné a suivre la vocation divine, ne doutant nullement qu'elle ne soit telle, quand je verray se joindre les volontés du Pape et du Roy.

            C'est trop dit, ce me semble, a vous, Monsieur, qui m'aymes tant et me connoisses tant, et qui sçaves entr'autres choses que je suis de tout mon cœur, Monsieur,

                                               Vostre serviteur tres affectionné et bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VI may 1608, a Neci.

                        A Monsieur

                                   Monsieur des Hayes.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Ier Monastère de la Visitation de Rouen. [10]

 

 

 

CDL. Au même. Le Saint voudrait savoir de son ami les intentions de Henri IV à son égard. — Diverses raisons persuadent l'Evêque d'attendre sans inquiétude la suite des événements ; il ne veut que la volonté de Dieu. —Témoignages d'amitié. — Message pour Mgr de Montpellier.

 

Annecy, 6 mai 1608.

 

                        Monsieur,

            Je jette cette feuill' a part affin de vous y parler avec plus de liberté et vous en laisser aussi pour monstrer ma lettre, sil y escheoit. Vous verres donq, sil vous plait, la lettre que j'escris au Roy, et, sil vous semble a propos, vous la luy donneres, ou si vous juges autrement, vous pourres en parler a Sa Majesté vous mesme a vostre gré, car en ceci j'ay grandement besoin de vostre conduite.

            Je n'ay pas creu, sur une proposition si generale comm'est celle que Sa Majesté me fait faire, de me devoir resoudre; car il se pourroit bien faire que venant a joindre et a voir le lieu ou l'occasion en laquelle on me voudroit tirer, que je me treuverois tout a fait insuffisant au service que l'on praetendroit de moy, ou quil ne seroit pas expedient que je me misse au change, dautant que les changements, a mon advis, sont tous-jours dignes de consideration pour ceux qui ne sont pas mal. Si le sujet n'en est grand et digne, on est blasmé de legereté, et l'attirail en est tous-jours de grands frais; car il faut un peu tout dire avec vous qui aves mon cœur en main.

            Apres tout cela, vous sçaves que sans l'authorité du Pape, je ne puis nullement me remuer; et si, il m'importe que cest' authorité previenne toutes les nouvelles qu'on en pourroit avoir de deça. Vous jugeres bien pourquoy. C'est cela qui me rend tout ceci difficile, car, pour parler en conscience, je ne merite pas l'employte de tant de misteres. [11]

            Je sçai que, la chose n'estant pas preste, il y a asses de tems pour penser a toutes ces choses; mais encor m'a-il semblé que je vous devois ainsy tout dire naivement, affin que, selon les occurrences, vous m'aydies a prendre les resolutions convenables. Et ce pendant, je demanderay incessamment la clarté du Ciel et diray a Nostre Seigneur: Seigneur, que voules vous que je face? car je proteste devant sa souveraine Majesté, que je ne veux vouloir que sa volonté tressainte, soit a demeurer, soit a changer de place. Et si je la sçai connoistre, je ne me veux divertir ni a droite m a gauche du chemin qu'elle me monstrera; car ce peu de tems que j'ay a passer ne m'est rien au prix de l'eternité. Pour donques laysser entierement la conduite de mon sort es mains de Dieu, je ne veux ni refuser ni accepter que je ne voye et considere que c'est.

            Au demeurant, je ne doute point que vostre amitié en mon endroit n'aye beaucoup contribué pour amplifier et aggrandir l'estime que le Roy fait de moy, de laquelle, sans mentir, je suis honteux, et en cas que je deusse paroistre a sa veue, je serois bien en peyne de soustenir cett' opinion. Nostre Seigneur vous conserve et aggrandisse en ses saintes benedictions, et me face la grace de ne point paroistr'ingrat de tant de faveurs que je reçois de vous, ains de tesmoigner par effect que je suis de coeur tout entier,

                                   Monsieur,

                                               Vostre serviteur plus humble et tres fidelle,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            6 may 1608.

            Monsieur, on me presse de plier ce pacquet. Oseray je donq bien supplier Monsieur le Reverendissime de Montpellier de me conserver ses graces, et sçavoir par ces trois lignes que je suis son tres humble serviteur? Monsieur, obliges moy de le luy dire, car il est fort vray.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Ier Monastère de la Visitation de Rouen. [12]

 

 

 

CDLI. A la Baronne de Chantal. Rien ne se fait que sous la conduite de Dieu. — Lé Saint ne veut que Dieu pour son partage. — L'objet de ses considérations en l'oraison.

 

Annecy, 6 mai 1608.

 

            On parle de m aggrandir, mais c'est a bon jeu, bon argent, et du costé de dela. Cela m'a mis en peyne, car c'est avec le tiltre de la plus grande gloire de Dieu et du service de l'Eglise. Or, demeurés en paix, ma tres chere Fille; car il ne se fera rien que selon le bon playsir de sa divine Majesté et. sous sa conduite.

            Je ne sçai d'ou cela peut arriver que ce grand Prince continue si fort a me favoriser sans que j'aye jamais fait nulle chose pour cela. J'ay fait responce (car, comme je vous dis, c'est tout de bon) que j'estois tout a Dieu et que je luy dirois: Seigneur, que voules vous que je face? Entre ci et deux mois, je seray hors de cette peyne par une resolution absoluë. Priés donques bien pour moy, ma chere Fille, affin que mon cœur se tienne pur de toutes vanités et pretentions mondaines. Pour moy, je proteste que je ne veux que Dieu pour mon partage, comme que ce soit. La commodité de nos resolutions ne se peut bonnement perdre, mais de plus en plus faciliter, moyennant la grace divine.

            O ma Fille, quand serons nous unis a nostre Dieu de l'union parfaite? quand aurons nous des cœurs embrasés de son amour? Courage, ma chere Fille, nous sommes destinés a cette heureuse fin. Ne nous troublons point des sterilités, car les sterilités enfanteront en fin; ni des secheresses, car la terre seche se convertira en sources d'eaux vivantes. [13]

            L'autre jour en l'orayson, considerant le costé ouvert de Nostre Seigneur et voyant son cœur, il m'estoit advis que nos cœurs estoyent tout alentour de luy, qui luy faisoyent hommage comme au souverain Roy des cœurs. Qu'a jamais soit-il nostre cœur. Amen.

 

            Et cette petite Aymee sera des tres mieux aymees seurs du monde, car je seray son frere. Mais, avec tout cela, ceci ne sera que nostre alliance exterieure, car Celuy a l'œil duquel le fond de mon cœur est ouvert, sçait bien que le lien interieur duquel il joint mon esprit au vostre est totalement independant de tous ces accidens, qui ne peuvent ni adjouster ni diminuer a cette intime et tres pure affection et union que Dieu a fait en nous.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

CDLII. A la même. Il faut tout faire avec une diligence tranquille. — On veut tirer l'Evêque de sa terre et de son «parentage» ; sentiments que lui inspire ce projet. — Le rendez-vous de l'âme du Saint.

 

Annecy, [vers le 11] mai 1608.

 

            Je receu la semaine passee quatre lettres des vostres: l'une, du jour de Pasques, les autres trois, du 27 avril. Or, plustost que de tarder davantage, je vous veux escrire tout a la haste.

            Je voy ce que vous me dites de ces bonnes ames, [14] compagnes de vos desirs; de vos desirs, dis je, qui se fortifient et se rendent actifs dedans vostre cœur. Helas, ma chere Fille, ilz vous resveillent souvent l'esprit, a ce que je voy; mais croyés bien que celuy que j'ay de conduire le tout a chef et a la gloire de Dieu m'excite aussi tres souvent (or sus, je veux dire ce mot de vanterie), plus souvent que vous, que je croy; mais ne faut il pas tout faire avec une diligence soigneuse, mais douce, mais tranquille, mais resignee? Eh bien, j'espere que Dieu sera nostre guide.

            Et ne vous troubles point, ma Fille, je vous prie, de ce que je vous escrivis l'autre jour touchant la proposition qui se fait de me tirer moy mesme de ma terre et de mon parentage; car rien ne se fera que de par Dieu, et de quel costé que j'aille sous sa conduite, tout ira fort bien et pour vous et pour moy. Non, croyés-le bien, ma chere Fille (mais voyes vous, n'en parles a personne, je vous dis tout), ce ne seroit pas sans repugnance s'il me failloit changer de logis, bien que je ne me sente nullement attaché qu'a quelques ames, d'un lien tput purement spirituel, Dieu mercy. Mais Dieu tiendra tout de sa main; car voyes vous, ma chere Fille, mon ame n'a point de rendes vous qu'en cette providence de Dieu: Mon Dieu, vous me l'aves enseigné des ma jeunesse, et jusques a present j'en annonceray vos merveilles.

            A Dieu, ma chere Fille. Tenés pour tout asseuré que je pense fort au soin de vostre ame, laquelle m'est chere, pretieuse et aymable comme la mienne propre, et je ne la tiens que pour une mesme. Dieu nous ayme, ma chere Fille; il sera tous-jours avec nous, nostre unique amour et confiance. O Dieu, que je desire de bien a vostre esprit, [15] ma chere Fille! Nostre Dame soit nostre Dame et Maistresse.

                                                                       Vostre, tel que Dieu le veut et fait,

FRANÇS, E. de Geneve.

A Neci... may 1608.

CDLIII. A Madame de Vallon (Inédite). Témoignages de dévouement à une parente. — Nouvelles et messages.

 

Annecy, 16 mai 1608.

 

                        Madame ma Cousine,

            Par ce que monsieur de Fontaine, partant lundi de Turin, laissa monsieur de Vallon mon cousin en bonne santé et monsieur de Charmoysi aussi, j'ay voulu, par cette commodité, vous en donner l'asseurance, bien que peut estre aures vous des lettres aussi recentes que cela. Mais cet advis ne sera pas pour cela inutile, puis qu'il me donnera sujet de me ramentevoir en vostre bonne grace, en vous tesmoignant que si mes prieres sont favorisees au Ciel, vous vivrés tous-jours toute consolee des consolations du Saint Esprit.

            Je verray dans peu de jours mes cousines a Sainte Catherine, ou je leur offriray tout ce qui est en mon [16] pouvoir; mais elles ont un si bon pere et une si bonne mere, que le reste des parens n'ont nul sujet de les servir. Au moins en auray-je tous-jours la volonté, puis que je suis,

            Madame ma Cousine,

                        Vostre bien humble cousin, parrein, compere

                                                           et serviteur,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            Je salue bien humblement monsieur du Vilars, mon bon cousin, et luy renvoyeray bien tost la requeste de la parroisse respondue.

            La bonne madame de Charmoysi est malade d'une grande descente, et je m'en vay tout maintenant la voir, si cela ne l'incommode point.

            A Neci, le XVI may 1608.

            A Madame

                        Madame de Vallon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [17]

 

CDLIV. A Mademoiselle Claudine de Chastel. Le vœu de chasteté: considérations qu'il faut faire pour s'y préparer. — Eloge de la sainte chasteté: vertu vraiment céleste, qui consacre à Dieu les âmes et les corps, vouée d'abord par Notre-Dame, et après elle, par toute la troupe des cœurs vierges. — Formule de ce vœu; il fait de notre corps une sainte relique, un calice consacré.

 

Annecy, 18 mai 1608.

 

                        Madamoyselle,

            Je croy que le desir que vous aves de vouer vostre chasteté a Dieu n'a pas esté conceu en vostre ame que premierement vous n'ayes longuement consideré son importance: c'est pourquoy j'appreuve que vous le facies, et le jour de Pentecoste mesme. Or, pour le bien faire, prenés le loysir les trois jours precedens, de bien preparer vostre vœu par l'orayson, laquelle vous pourres tirer de ces considerations:

            Considerés combien la sainte chasteté est une vertu aggreable a Dieu et aux Anges, ayant voulu qu'elle fust eternellement observee au Ciel, ou il n'y a plus aucune sorte de playsirs charnelz ni de mariages. Ne seres-vous pas bien heureuse de commencer en ce monde la vie que [18] vous continueres eternellement en l'autre? Benisses donq Dieu qui vous a donné cette sainte inspiration.

Considerés combien cette vertu est noble, qui tient nos ames blanches comme le lys, pures comme le soleil; qui rend nos cors consacrés et nous donne la commodité d'estre tout entierement a sa divine Majesté, cœur, cors, esprit et sentimens. N'est ce pas un grand contentement de pouvoir dire a Nostre Seigneur: Mon cœur et ma chair tressaillent de joye en vostre Bonté, pour l'amour de laquelle je quitte tout amour et pour le playsir de laquelle je renonce a tous autres playsirs? Quel bonheur de n'avoir point reservé de delices mondaines pour ce cors, affin de donner plus entierement son cœur a son Dieu!

            Considerés que la Sainte Vierge voua la premiere sa virginité a Dieu, et apres elle, tant de vierges, hommes et femmes. Mais avec quelle ardeur, avec quel amour, avec quelle affection furent vouées ces virginités, ces chastetés? O Dieu, cela ne se peut dire. Humiliés vous fort devant la trouppe celeste des vierges et, par l'humble priere, suppliés-les qu'elles vous reçoivent avec elles, non pas pour pretendre a les esgaler en pureté, mais au moins affin que vous soyes advoùee leur servante indigne, en les imitant au plus pres que vous pourres. Suppliés-les qu'elles offrent avec vous vostre vœu a Jesus Christ, Roy des vierges, et qu'elles rendent aggreable vostre chasteté par le merite de la leur. Sur tout, recommandés vostre intention a Nostre Dame, puis a vostre bon Ange, affin que desormais il luy playse, d'un soin particulier, preserver vostre cœur et vostre cors de toute souilleure contraire a vostre vœu.

            Puis, le jour de Pentecoste, lhors que le prestre eslevera la sainte Hostie, offrés avec luy a Dieu, le Pere eternel, le cors pretieux de son cher Enfant, Jesus, et tout ensemble vostre cors, lequel vous feres vœu de conserver en chasteté tous les jours de vostre vie. La forme de faire ce vœu pourroit estre telle:

            O Dieu eternel, Pere, Filz et Saint Esprit, je N., vostre indigne creature, constituee en vostre divine presence et [19] de toute vostre Cour celeste, prometz a vostre divine Majesté, et fay vœu de garder et observer tout le tems de la vie mortelle qu'il vous plaira me donner, une entiere chasteté et continence, moyennant la faveur et grace de vostre Saint Esprit. Playse vous accepter ce mien vœu irrevocable en holocauste de suavité, et puisqu'il vous a pleu m'inspirer de le faire, donnes moy la force de le parfaire a vostre honneur, par tous les siecles des siecles.

            Quelques uns escrivent ou font escrire ce vœu, et le signent; puis le remettent a quelque pere spirituel, affin qu'il en soit comme le protecteur et parrein. Mais bien que cela soit utile, il n'est pas necessaire. Vous communieres sur cela, et pourres dire a Nostre Seigneur que vrayement il est vostre Espoux.

            Mais parles-en a vostre confesseur; car s'il vous ordonnoit de ne le faire pas, il le faudroit croire, puisque, voyant l'estat present de vostre ame, il pourra mieux juger ce qui est expedient que moy.

            Mais, ma bonne Fille, ce vœu estant fait, il faut que vous ne permetties jamais a personne de chatouiller vostre cœur d'aucun propos d'amour ni de mariage; mais que vous ayés un grand respect a vostre cors, non plus comme a vostre cors, mais comme a un cors sacré et a une tres sainte relique. Et comme on n'ose plus toucher ni profaner un calice apres que l'Evesque l'a consacré, ainsy, le Saint Esprit ayant consacré vostre cœur et vostre cors par ce vœu, il faut que vous luy porties une grande reverence.

            Au demeurant, je recommanderay le tout a Dieu, lequel sçait que je vous cheris fort affectionnement en luy; et le mesme jour de Pentecoste, je luy offriray vostre cœur et ce qui en sortira pour sa gloire. Qu'a jamais Jesus soit vostre amour et sa sainte Mere vostre guide! Amen.

                                    Vostre serviteur en Jesus Christ,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

A Neci, le 18 may 1608. [20]

 

 

 

CDLV. A Madame de la Fléchère. Un moyen commode d'acquérir les solides vertus: se mettre en patience avec opiniâtreté. — Pour réussir dans les affaires, compter sur l'assistance de Dieu et user d'une douce diligence. — Les affaires de ce monde et les maisonnettes des petits enfants. — La chose la plus importante. — Toujours recommencer: le meilleur moyen pour achever la vie spirituelle.

 

Annecy, 19 mai 1608.

 

            Je me resouviens que vous me distes combien la multiplicité de vos affaires vous chargeoit; et je vous dis que c'estoit une bonne commodité pour acquerir les vrayes et solides vertus. C'est un martyre continuel que celuy de la multiplicité des affaires; car, comme les mouches font plus de peyne et d'ennuy a ceux qui voyagent en esté que ne fait le voyage mesme, ainsy la diversité et la multitude des affaires fait plus de peyne que leur pesanteur mesme.

            Vous aves besoin de la patience, et j'espere que Dieu la vous donnera, si vous la luy demandes soigneusement et que vous vous efforcies de la prattiquer fidellement, vous y preparant tous les matins par une application speciale de quelque point de vostre meditation, et vous opiniastrant de vous mettre en patience le long de la journee tout autant de fois que vous vous en sentires distraite.

            Ne perdés nulle occasion, pour petite qu'elle soit, d'exercer la douceur de cœur envers un chacun. Ne vous confiés pas de pouvoir reuscir en vos affaires par vostre industrie, ains seulement par l'assistance de Dieu; et partant, reposés vous en son soin, croyant qu'il fera ce qui sera le mieux pour vous, pourveu que, de vostre costé, [21] vous usies d'une douce diligence. Je dis douce diligence, parce que les diligences violentes gastent le cœur et les affaires, et ne sont pas diligences, mais empressemens et troubles.

            Mon Dieu, Madame, nous serons bien tost en l'eternité, et lhors nous verrons combien toutes les affaires de ce monde sont peu de chose et combien il importoit peu qu'elles se fissent ou ne se fissent pas; maintenant, neanmoins, nous nous empressons comme si c'estoyent des choses grandes. Quand nous estions petitz enfans, avec quel empressement assemblions nous des morceaux de tuyles, de bois, de la bouë, pour faire des maysons et petitz bastimens! Et si quelqu'un nous les ruynoit, nous en estions bien marris et pleurions; mais maintenant nous connoissons bien que tout cela importoit fort peu. Un jour nous en serons de mesme au Ciel, que nous verrons que nos affections au monde n'estoyent que de vrayes enfances.

            Je ne veux pas oster le soin que nous devons avoir de ces petites tricheries et bagatelles, car Dieu nous les a commises en ce monde pour exercice; mais je voudrois bien oster l'ardeur et la chaleur de ce soin. Faysons nos enfances, puisque nous sommes enfans; mais aussi, ne nous morfondons pas a les faire. Et si quelqu'un ruyne nos maysonnettes et petitz desseins, ne nous en tourmentons pas beaucoup; car aussi, quand ce viendra le soir auquel il se faudra mettre a couvert, je veux dire la mort, toutes ces maysonnettes ne seront pas a propos: il faudra se retirer en la mayson de nostre Pere. Soignés fidellement a vos affaires, mais sachés que vous n'avés point de plus dignes affaires que celuy de vostre salut et l'acheminement du salut de vostre ame a la vraye devotion.

            Ayés patience avec tous, mais principalement avec vous mesme; je veux dire, que vous ne vous troublies point de vos imperfections et que vous ayes tous-jours courage de vous en relever. Je suis bien ayse dequoy vous recommences tous les jours: il n'y a point de meilleur moyen pour bien achever la vie spirituelle que de tous-jours recommencer et ne penser jamais avoir asses fait. [22]

            Recommandés moy a la misericorde de Dieu, laquelle je supplie de vous faire abonder en son saint amour. Amen. Je suis

                                   Vostre serviteur bien humble,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 19 may 1608.

 

CDLVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque élu de Montpellier (Inédite). Eloge de des Hayes, «le grand amy» de Pierre Fenouillet et de l'Evêque de Genève. — C'est surtout sur les petits lacs d'eau douce que la barque du Saint se plaît à voguer.

 

Annecy, 23 mai 1608

 

                        Monsieur,

            Je cours apres vous par ces deux motz pour vous rendre graces de la faveur que vous me faites, si abondamment tesmoignee par vostre lettre. J'escrivis il y a quinze jours a nostre grand amy, et luy addressay une lettre pour Sa Majesté, que je remerciois, suivant le conseil que vous me donnes avant que je l'eusse receu; tant mon affection, qui est vostre, a de pouvoir de tirer mon esprit a quelque conformité du vostre, duquel, en toutes parties, il est au demeurant inferieur.

            Je m'esjouis d'une joye toute particuliere sur l'advancement de ce digne amy, duquel le merite se fera tous-jours plus paroistre en montant, comme fait le soleil; [23] et ce grand Roy, qui le tire apres sa prouvoyance, le portera sans doute bien plus haut.

            Pour Ihonneur que Sa Majesté me fait, je l'admire d'autant plus que je ne vois rien en moy qui n'en soit extremement indigne, et ne doute point que vostre bienveuillance en mon endroit et celle de nostre amy ne soyent le seul vent qui enfle la voyle de ma barque pour la porter en cette haute mer, en laquelle, si Dieu me fait passer, ce ne sera pas sans un grand danger, puisqu'elle n'est pas pour les eaux salees de l'Ocean, mais pour nos petitz lacs d'eau douce.

            Monsieur vostre cousin m'arrache cette lettre d'entre les mains, car il veut partir et il est tard. Nostre Seigneur vous prospere, Monsieur, et je suis extremement,

                                               Vostre serviteur tres humble,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve,

            23 may 1608.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation de Montpellier.

 

CDLVII. Au Père Jean Comes, Religieux Augustin. Différend entre les chanoines du Chapitre de Saint-Pierre et les Augustins de Seyssel ; pour le régler, une entrevue est proposée par le Saint. — Assurance d'affectueux dévouement.

 

Annecy, 24 mai 1608.

 

                        Mon Reverend Pere,

            Les sieurs chanoynes de mon Eglise s'accommodent fort volontier au desir que j'ay de vous voir bien ensemblement [24] avec eux, par un appointement amiable de tous les differens qui sont entre vous. Il ne reste sinon de convenir du tems, du lieu et des personnes convenables a cett'intention; sur quoy je vous prie m'envoyer quelque proposition et projet, affin que, de nostre costé, nous taschions de concourir a vostre commodité. Et ne doutant point que messieurs vos Religieux n'affectionnent ce parti paysible et plus sortable a nos vocations, je tiens des-ja l'appointement pour fait, bien que, puisque vous le desirés, le proces ne se retarde point encor, lequel neanmoins il sera bien raysonnable de sursoyer quand le jour sera marqué entre nous; ce qui sera bien tost, si vous nous envoyés vostre intention pour ce regard.

            Quant au fermier du prieuré de Sessel, sil a quelque chose a demesler pour son particulier avec vostre Convent, mon Chapitre n'y peut pas remedier. Que si c'est a rayson de la cure, je puis y donner de l'ordre moy mesme, et le feray tous-jours convenablement quand il vous plaira.

            Et pour le regard des paroles desreglees desquelles vous vous plaignés, nos chanoynes nient qu'elles soyent sorties de leur Chapitre, et disent qu'au contraire on leur [25] a donné advertissement que vos Religieux en avoyent asses proferé contr'eux. Mais les causes estant ostees, tous ombrages, soupçons et rapportz cesseront, et, comme nous devons, et l'un et l'autre des cors s'entretiendront par une sainte charité a cooperer l'un a l'autre pour le service du cors general de Jesuschrist qui est l'Eglise.

            Je me res-jouis que vos Religieux ayent pris en bonne part l'advis que je vous donnay; aussi le devoyent-ilz faire, puisqu'il sortoit d'une poitrine sincerement affectionnee a leur bien et honneur, comme je seray tous-jours plein de ce desir. Je prie sa divine Majesté qu'elle nous rende tous dignes du service auquel nous avons esté appellés, et suis, en ce qui regarde vostre particulier,

            Mon Reverend Pere,

Vostre confrere bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            24 may 1608, a Neci.

                        Au R. P. en N. Sr,

Le P. Maistre Cornes, Bachelier en l'Université de Paris.

                        Aux Augustins de Sessel.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Maistre, au château de Bissy, près de Chambéry.

 

 

 

CDLVIII. A Madame de la Fléchère. Deux choses qu'il faut joindre ensemble. — Comment reprendre son cœur quand il a failli.

 

Annecy, 28 mai 1608.

 

                        Madame,

            Il est vray, je desire fort que quand vous penseres tirer de la consolation en m'escrivant, vous le facies avec confiance. [26]

            Il nous faut joindre ces deux choses ensemble: une extreme affection de bien et exactement prattiquer nos exercices, tant de l'orayson que des vertus, et de nullement nous troubler ou inquieter ou estonner, s'il nous arrive d'y commettre des manquemens; car le premier point depend de nostre fidelité, qui doit tous-jours estre entierè et croistre d'heure en heure; le second depend de nostre infirmité, laquelle nous ne sçaurions jamais deposer pendant cette vie mortelle.

            Ma tres chere Fille, quand il nous arrive des defautz, examinons nostre cœur tout a l'heure et demandons-luy s'il a pas tous-jours vive et entiere la resolution de servir a Dieu; et j'espere qu'il nous respondra qu'ouy et que plustost il souffriroit mille mortz que de se separer de cette resolution. Demandons-luy de rechef: Pourquoy donques bronches tu maintenant? pourquoy es tu si lasche? Il respondra: J'ay esté surpris je ne sçai comment, mais je suis ainsy pesant maintenant.

            Helas! ma chere Fille, il luy faut pardonner; ce n'est pas par infidélité qu'il manque, c'est par infirmité. Il le faut donques corriger doucement et tranquillement, et non pas le courroucer et troubler davantage. Or sus, luy devons-nous dire, mon cœur, mon amy, au nom de Dieu, prens courage; cheminons, prenons garde a nous, eslevons nous a nostre secours et a nostre Dieu. Helas! ma chere Fille, il nous faut estre charitables a l'endroit de nostre ame, et ne la point gourmander tandis que nous voyons qu'elle n'offense pas de guet a pens. Voyes vous, en cet exercice, nous pratiquons la sainte humilité.

            Ce que nous faysons pour nostre salut est fait pour le service de Dieu, car Nostre Seigneur mesme n'a fait en ce monde que nostre salut. Ne desirés point la guerre, mais attendés la de pied coy.

            Nostre Seigneur soit vostre force. Je suys en luy,

                        Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 28 may, en haste. [27]

 

CDLIX. A Mademoiselle Claudine de Chastel. Dieu protège les vœux qu'il a inspirés. — Il n'est pas toujours possible ni à propos de fuir, mais il est toujours nécessaire de combattre avec opiniâtreté. — Les afflictions qui aident à bien servir Dieu. — Conseils pour l'oraison. — Bonheur de s'être consacré à Notre-Seigneur.

 

Annecy, [fin mai ou commencement de juin] 1608.

 

                        Madamoyselle,

            Je garderay cherement le billet de vostre vœu et Dieu en gardera la fermeté; il en a esté l'autheur il en sera le conservateur. Je feray souvent pour cela la priere de saint Augustin: Helas! Seigneur, voyla un petit poussin esclos sous les aysles de vostre grace: s'il s'escarte de l'ombre de sa mere, le milan le ravira; faites donq qu'il vive a la faveur et a l'abry de la grace qui l'a produit. Mais voyés-vous, ma Seur, il ne faut pas seulement penser si cette resolution sera perdurable; il faut tenir cela pour si certain et resolu, que jamais plus il n'en soit doute.

            Vous m'obliges bien fort de me dire les deux motz que vous m'escrives de vos inclinations; sur lesquelz je vous dis que nos affections, pour petites qu'elles soyent, deschirent nostre ame quand elles sortent mal a propos. Tenés-les en main et n'en faites pas peu de conte, car elles valent beaucoup selon le poids du sanctuaire.

            Le desir de vous esloigner des causes n'est pas a propos au train auquel nous sommes, car il fait abandonner [28] le vray soin de combattre. Or, ce dernier nous est necessaire, tandis que le premier est impossible. Et puis, ou il n'y a pas danger de peché mortel, il ne faut pas fuir, mais vaincre tous nos ennemis et s'y opiniastrer sans perdre courage, bien que nous soyons quelquefois vaincus.

            Ouy vrayement, ma chere Fille, attendés de moy tout ce que vous pouves attendre d'un vray pere, car j'ay certes bien cette affection la pour vous; vous le connoistres au progres, si Dieu m'assiste.

            Or sus donq, ma bonne Fille, vous voyla affligee comme il faut pour bien servir Dieu, car les afflictions sans abjection enflent bien souvent le cœur en lieu de l'humilier; mais quand on a du mal sans honneur, ou que le deshonneur mesme, l'avilissement et l'abjection sont nostre mal, que d'occasions d'exercer la patience, l'humilité, la modestie et la douceur de cœur! Le glorieux saint Paul s'esjouyt, et d'une humilité saintement glorieuse, dequoy il est, avec ses compaignons, estimé comme les ballieures et racleures du monde.

            Vous aves, ce me dites vous, encor le sentiment fort vif aux injures. Mais, ma Chere Fille, cet encor a quoy se rapporte-il? En aves vous des-ja beaucoup gasté de ces ennemis-la? Je veux dire qu'il faut avoir courage et bonne opinion de faire mieux dores-en-avant, puisque nous ne faysons que commencer et que neanmoins nous avons desir de bien faire.

            Pour vous rendre fervente en l'orayson, desirés-la bien fort, lisés volontier les louanges de l'orayson qui sont semees en beaucoup de livres: en Grenade, au commencement de Bellintani et ailleurs; car l'appetit d'une viande fait qu'on s'entend fort a la manger.

            Vous estes bien heureuse, ma Fille, de vous estre vouee a Dieu. Souvenes vous de ce que fit saint François quand son pere le mit a nud devant l'Evesque d'Assise: «Maintenant donques, dit il, je pourray bien dire: Nostre Pere qui estes es cieuxMon pere et ma mere, dit David, m'ont abandonné, et le Seigneur m'a pris a soy.

            Ne me faites point de preface pour m'escrire, car il [29] n'est nul besoin de cela, puisque je suis avec tant de volonté dedié a vostre ame. Dieu la benisse de ses grandes benedictions et la rende toute sienne. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

CDLX. Au Cardinal Pompée Arrigoni, Secrétaire du Saint-Office (Minute). Le Saint demande au Saint-Siège le renouvellement de plusieurs permissions qui doivent faciliter son ministère et celui de ses prêtres.

 

Annecy, 10 juin 1608.

 

Illustrissime et Reverendissime Domine mi colendissime,

 

            Mihi ac aliis viris idoneis a me deputandis, quoscumque haereticorum seu alias prohibitos libros legendi et retinendi, necnon haereticos, etiam relapsos, pœnitentes [30] recipiendi, ac insuper sacerdotes, qui ecclesias ac caemeteria polluta ac omnia ornamenta ad divinum cultum necessaria benedicere possint deputandi, matrimonia in quarto affinitatis vel consanguinitatis gradu ab haereticis conversis revalidandi, vota simplicia commutandi, pugnantes in duello absolvendi, facultatem ac authoritatem amplissimam, ad quinquennium, Sacra Congregatio jampridem concessit. Verum mihi pluribus aliis cogitationibus intento, accidit ut temporis illius spatium elaberetur antequam de nova facultate impetranda memorise occurreret. Quod ubi cognovi, non diutius immorandum duxi quin humillimis praecibus a Dominatione Vestra Illma et Rma contenderem ut mihi eadem facultas, et per longius temporis spatium, si qua fieri possit ratione, concedatur.

            Petitionis ratio est quia plerosque adhuc in diocæsi habemus haereticos qui quotidie, tum publicis concionibus, tum privatis colloquiis, ad Ecclesiae caulas redeunt, et quia cominus, non solum cum haereticis, sed cum haereticorum magistris pugnare, et mihi interdum et aliis [31] etiam per diocaesim concionatoribus contingit, quod sine prohibitorum librorum lectione vix fieri posse, nemo peritus dixerit. Caeterum, quo fructu hactenus ea facultate usi fuerimus, illud satis testatum faciet quod hominum et mulierum haereticorum multa millia, istis duodecim annis novissime elapsis, partim meo, partim aliorum ministerio, haeresim abjurarunt et in Catholicae Ecclesiae gremium per Dei gratiam reversi sunt.

            Quapropter, nobis ne hujusmodi facultas desit, Illustrissimam et Reverendissimam Dominationem, per animarum supremum Episcopum et Salvatorem, et Apostolicam quam in terris stabilivit Sedem, obtestor.

            Necii Gebennensium, X Junii 1608.

 

Revu sur l'Autographe conserve a la Visitation d'Annecy. [32]

 

 

 

Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

 

            Il y a déjà longtemps, la Sacrée Congrégation m'avait accordé, pour moi et pour d'autres personnes que je jugerais capables, la faculté et la plus ample autorisation de lire et de garder les ouvrages [30] des hérétiques quels qu'ils fussent, et aussi les livres défendus à un autre titre, de recevoir les hérétiques pénitents, même les relaps, de déléguer des prêtres pour réconcilier les églises et les cimetières pollués et pour bénir tous les ornements nécessaires au culte divin, de revalider les mariages que les hérétiques convertis auraient contractés dans le quatrième degré d'affinité ou de consanguinité, de commuer les vœux simples et d'absoudre les duellistes. Ces pouvoirs étaient pour cinq ans; mais, absorbé par beaucoup d'autres pensées, j'ai laissé écouler cet espace de temps sans songer à demander de nouvelles permissions. Dès que je m'en suis aperçu, je me suis hâté de recourir à Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie, pour la prier très humblement de m'accorder les mêmes facultés et, s'il se peut en quelque manière, pour un temps plus long.

            Voici les raisons de ma supplique. Des hérétiques que nous avons encore dans le diocèse, le plus grand nombre reviennent chaque jour [31] au bercail de l'Eglise, tant par l'effet des prédications publiques que des entretiens privés. De plus, il m'arrive, comme aussi aux autres prédicateurs, d'avoir à combattre de près à travers le diocèse, non seulement les hérétiques, mais aussi les ministres; or, de telles discussions sont presque impossibles si l'on n'a pas lu les ouvrages prohibés. Tout homme compétent le certifiera. D'ailleurs, le profit que nous avons retiré de cette faculté ressort assez clairement de ce fait, que plusieurs milliers d'hommes et de femmes, dans ces douze dernières années ont abjuré l'hérésie, en partie par mon ministère, en partie par celui des autres, et sont rentrés par la grâce de Dieu dans le sein de l'Eglise Catholique.

            C'est pourquoi, je supplie Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie de vouloir bien proroger en ma faveur cette permission. Je vous le demande au nom de l'Evêque souverain et Rédempteur des âmes, et du Siège Apostolique qu'il a établi sur la terre.

            A Annecy en Genevois, 10 juin 1608. [32]

 

 

 

CDLXI. A la Baronne de Chantal. Il faut aimer l'attente que Dieu impose à l'accomplissement de nos désirs. — Projet de voyage en Bourgogne. — Le sacre de l'Evêque de Lausanne. — Le Saint aimé de «beaucoup de bons veillars.» — Pensées qui lui sont venues quand il faisait oraison. — «Il faut bien que les filles soyent un petit jolies.» — Portrait du P. de Monchy. — Le Frère Matthieu. — Pour se mêler d'exorcismes, il ne faut pas être trop crédule. — Les femmes et le culte ; la part qu'elles peuvent y prendre. — Retour d'apostats. — Nouvelles et messages. — Mme de Charmoisy «chemine fort bien

 

Annecy, 25 juin 1608.

 

            C'est encor vitement que je vous escris a cett'heure, ma chere Fille, que j'aime tendrement et incomparablement en Nostre Seigneur. J'ay receu vos deux lettres du 24 may et 8 juin, et en toutes deux je voy ce grand desir de vostre retraitte et tranquillité. J'en ay un, je pense, bien aussi fort, mais il faut attendre que Dieu le veuille. Je dis quil faut l'attendre bien doucement et amoureusement; je veux dire, quil faut aymer cett'attente, puisque Dieu la veut.

            J'attens que l'on m'assigne le tems auquel je devray aller au conté de Bourgoigne pour consacrer Monsieur l'Evesque de Lausanne, car un gentilhomme qui manie cet affaire m'a asseuré que j'y seray appellé; et cela estant, de la j'iray infalliblement vers vous, et verray le reste des alliés de dela, chacun chez soy, sinon peut estre ceux de Dijon ou je ne pourray peut estre pas aller, de peur de m'engager en un lieu d'ou je ne pourroys pas [33] sortir si tost qu'il seroit requis, sans laisser beaucoup de mes [fonctions] a faire. Mais nous y penserons, et si je ne suis pas appellé a ce sacre, je treuveray quelqu'autr'expedient. Hier nous en parlions, mon frere de Groysi et moy; car, comme vous desires, il sera de la partie. J'espere que Dieu nous fera la grace de treuver monsieur vostre beaupere plein de vie, et ce me sera une consolation incredible de le pouvoir entretenir. Je m'imagine que je le gouverneray paysiblement, non obstant la disparité de nos eages, car beaucoup de bons veillars m'ont aymé. Je l'honnore de tout mon cœur, et ce jourdhuy je m'en vay luy appliquer le saint Sacrifice de l'autel, ou j'auray particuliere memoire de nos filles que je cheris tendrement.

            Quant a vous, je sçai bien que vous aves nom Jane, et que toute cet'octave vous penses que je vous recommande a ce glorieux Praecurseur. Vrayement, l'autre jour (ce fut samedy) je faysois l'orayson sur la grandeur de l'amour que Nostre Dame nous porte. Entr'autres choses, il me vint en l'esprit ce qui est dit de Bala, servante de Rachel, qu'ell'enfantoit ses enfans sur les genoux et dans le giron de sa dame, et les enfans n'estoyent plus siens, mais de Rachel sa dame; et me sembloit que si nous mettions, par une juste confiance, nos cœurs et nos affections sur les genoux et dans le giron de Nostre Dame, qu'ilz ne seront plus nostres, mais a elle: cela me consoloit beaucoup. A la fin, je me mis a luy remettre non seulement ces enfans de mon cœur, mais aussi le cœur de mes enfans et mes enfans de cœur. Penses, ma chere Fille, si vous estes du nombre et en quel rang je vous y mettois. O Dieu j'avois une certaine chaude suavité a vous colloquer dans ce giron sacré et dire a Nostre Dame: Voyla vostre fille, de laquelle le cœur vous est entierement voué. Je ne sçaurois pas dire ce que mon cœur disoit, car, comme vous sçaves, les cœurs ont un langage secret que nul n'entend qu'eux. Il m'est venu de vous dire cela et je vous l'ay dit. [34]

            Je demanday voirement a Jan si nostre chere Marie bienaymee portoit le moule, mais je n'y entendois nul mal; car vous sçaves bien que j'ayme les testes bien moulées, et si cette petite teste est moulée par la vostre, je l'en cheriray davantage. Que voules vous? il faut bien que les filles soyent un petit jolies.

            Le Pere de Monchi vous fut envoyé, tout ainsy que je vous escrivis: c'est a dire, Thibaut luy parla d'aller servir vostre chapelle, et puis ilz m'en parlerent; et me resouvenant que vous aviés peyne d'en treuver, je consentis qu'il allast et vous escrivis. Je veux dire que vous ne permetties point que monsieur vostre beaupere en soit importuné, sil n'est pas a propos pour ce service la. Je luy escris qu'il oste hardiment cet habit et qu'il prenne un habit de prestre seculier, puisque Nostre Seigneur n'a pas voulu qu'il demeurat en lieu ou cet habit fut convenable. Il est admirable en ces affections auxquelles, comme vous voyes, il s'abbandonne totalement, et n'est importun qu'a force d'affectionner. Au demeurant, il est fort desireux de servir Dieu. Il a pourtant bien un peu tort de vouloir exhorter, car il n'en a pas le talent, ce me semble. Mais il n'y a remede, il faut supporter un peu d'indiscretion en son zele. Je ne laisseray pas de luy en [35] escrire. Je ne sçaurpis me courroucer avec ceux qui vont simplement.

            Le Frere Mathieu fera bien de s'en aller. Je ne me resouvins pas de vous escrire que ce bon Pere a une certaine inclination aux exorcismes, laquelle ne me plait point, car il est trop simple et credule pour cela. Si par fortune il s'en vouloit mesler, ou mesme qu'il parlast beaucoup de ce sujet-la, dites luy que je vous ay defendu de vous entretenir de ces choses-la et de vous en mesler, ni personne qui soit avec vous; car ce sont des discours auxquelz il s'engage plus avant quil ne faut. Le bonhomme m'escrit que je luy die sil fera la vie active ou la contemplative, ou toutes deux. Vous voyes bien sil est simple; je luy escris quil face la vie douce et devote. Il est fort entendu aux cas de conscience, pour le peu de doctrine qu'il a; mais par ce qu'il n'a pas le discernement si delicat quil seroit requis, ne vous amusés point a ses advis. Vous pourres donq vous confesser a luy, et les autres, et tout. Quant aux cantiques, je vous asseure que je n'ay pas tant de loysir que d'en faire il m'en a veu peut estre de ceux de M. de Lacurne, et il a pensé que ce fussent des miens.

            Je vous ay des-ja escrit que vous pouvies accommoder les corporaux apres que le prestre les auroit lavé en deux eaux, et qu'il n'est pas besoin de les rebenir pour s'en servir apres. Il ne faut pas que les femmes ni les filles ministrent a l'autel, mais elles peuvent bien respondre; c'est a dire, elles ne doivent pas ni prendre le livre ni donner les burettes. Je vous avois des-ja bien escrit ceci, je ne sçai comme vous n'aves pas receu les lettres.

            J'ay fait ces jours passés une course a Thonon pour recevoir des habiles hommes ecclesiastiques qui s'estoyent mis entre les huguenotz par desbauche. Helas, quelle cheute avoyent ilz faite! Ce m'a esté une grande consolation de les voir revenir entre les bras de l'Eglise, avec grande violence qu'ilz se sont faite pour cela. Helas, ilz [36] estoyent Religieux, et l'un estoit Jesuite. La jeunesse et vaine gloire et la chair les avoient emportés en cet abisme contre leur propre conscience. Le Jesuite sur lotit, me racontant sa cheute, me faysoit grande pitié, et dautant plus de joye de sa constance a revenir. O Dieu, quelle grace ay-je receue d'avoir esté tant de tems, et si jeune et si chetif, parmi les haeretiques, et si souvent invité par les mesmes amorces, sans que jamais mon cœur aye [37] seulement voulu regarder ces infortunés et malheureux objetz! Benite soit la main debonnaire de mon Dieu qui m'a tenu ferme dans cet enclos.

            Le bon curé de Bon, duquel vous me parles, me demanda de vostre santé et vous honnore d'un honneur particulier. A mon retour, je vis ma mere et fus deux jours avec elle, et, de trois motz, les deux furent de vous et de nostre chere Aymee. Ma seur de Mayrens me fit promettre de vous saluer de sa part, et hier nos dames, mais specialement la bonne Mme de Lalee. Quant a Mme de Charmoysi, il ne faut pas dire combien elle vous ayme affectionnement. Elle chemine fort bien et advance de bien én mieux; je la voy souvent, au pris de vous, mais non pas si souvent que je voudrois, par ce que je n'en ay pas la commodité pour le faire a propos. C'est hors de confession que je parle, car en confession je la voy tous les huit jours pendant l'absence de son mari. Je vous ay escrit par Mme de Traves, mais tous-jours en presse.

            A Dieu, ma tres chere Fille; a Dieu soyons nous entierement et eternellement. Je vous ay appliqué plusieurs Messes ces jours passés. O Dieu, ma Fille, que ce cœur est vostre, puisque Dieu l'a voulu et le veut; Qu'a jamais son nom soit beni! Amen.

F.

            XXV juin 1608.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Bibliothèque communale d'Amiens.[38]

 

 

 

CDLXII. A la Présidente Brulart. Le Saint n'est «point homm'extreme ;» il espère obtenir davantage de Rose Bourgeois par une entrevue. — Ne pas trop s'attacher aux pratiques de piété de son choix. — Dieu veut être servi par les exercices compatibles avec les devoirs d'état. — Estime du Saint pour l'Ordre du Carmel.

 

Annecy, 25 juin 1608.

 

                        Madame ma tres chere Seur,

            J'ay receu vostre lettre du 16 may. Que je seray marri si les bons projetz de la reformation du Puys d'Orbe s'esvanouissent comme cela! Si est ce pourtant que si l'esperance que j'ay d'aller en Bourgoigne n'est point vayne, je me resoulz d'aller jusques la pour voir ce que c'est. Je ne suis point homm'extreme, et me laisse volontier emporter a mitiger, quand on ne peut faire absolument.

            Je n'escris point a Mme l'Abbesse, quoy que je le desire, par ce que je n'en ay pas le loysir, et il faut que je luy escrive un peu a mon ayse. C'est grand cas; je pense tous-jours que si je la voy a souhait avec toute sa trouppe, si nous ne faysons pas tout ce qui seroit desirable, nous en ferons quelque chose; car j'ay quelque confiance en la confiance qu'ell'a en moy, qui aussi la cheris d'un amour fort particulier en Nostre Seigneur.

            Vous me parles de vostre impatience. Est ce bien une vraye impatience, ou sont ce point seulement des repugnances naturelles? Mais puisque vous la nommés impatience je la tiendray pour telle, et en attendant de vous en parler plus amplement a bouche devant que l'automne se passe, je vous diray, ma chere Seur, en esprit de liberté, qu'a ce que j'ay reconneu de vous par vos lettres, plus que par le peu de conversation que j'ay eu avec vous, vous aves un cœur qui s'attache puissamment aux moyens de vostre praetention. Vous ne praetendes, je le sçai bien, [39] que l'amour de nostre Dieu; pour y parvenir, il faut employer des moyens, des exercices, des prattiques. Or, je dis que vous vous attachés puissamment aux moyens que vous goustés et voudriés tout reduire la; c'est pourquoy vous aves de l'inquietude quand on vous empesche ou qu'on vous distrait.

            Le remede seroit de prendre la peyne de vous bien persuader et bien detremper vostre esprit en ce sentiment: c'est que Dieu veut que vous le servies ainsy comme vous estes, et par les exercices convenables a cet estat et par les actions qui en dependent; et en suite de cette persuasion, il faut que vous vous rendies tendrement amoureuse de vostre estat et des exercices d'iceluy pour l'amour de Celuy qui le veut ainsy. Mays voyes vous, ma chere Seur, il ne faut pas penser a ceci simplement en passant; il faut mettre cette cogitation bien avant dans vostre cœur et, par des recollections et attentions particulieres, vous rendre cette verité savoureuse et bien venue dans vostre esprit. Et croyes moy, tout ce qui est contraire a cet advis n'est autre chose qu'amour propre.

            Quand a la sainte Communion, j'appreuve que vous continuies a la desirer fort frequente, pourveu que ce soit avec la sousmission que vous deves avoir a vostre confesseur, qui void l'estat present de vostre ame et est si digne personnage.

            Cette varieté en laquelle vostre esprit se void en l'orayson et hors de l'orayson, tantost fort, tantost foible, tantost regardant le monde avec playsir, tantost avec degoust, ce n'est autre chose qu'un sujet que Dieu vous laysse de vivre bien humblement et doucement, car vous voyes, par ce moyen, quelle vous estes de vous mesme et quelle avec Dieu; de sorte que vous ne deves nullement vous en descourager pour cela.

            Il n'est ja besoin que madame nostre chere seur l'Abbesse m'envoye un homme pour me fair'avoir de ses nouvelles ni pour sçavoir comm'elle me pourra voir; car si je fay mon voyage, comme j'espere, je vous advertiray [40] asses tost devant mon despart pour tout cela. Je vous recommande a Nostre Seigneur continuellement et ay vostre dilection fort avant dans mon cœur. Je feray part aux Sacrifices que je presente, a la Mere Prieure des Carmelines; j'honnore generalement tout cet Ordre, et la remercie de la charité qu'ell'use en mon endroit de prier pour moy, qui suis des plus necessiteux de la sainte Eglise.

            Qu'a jamais le saint amour de Dieu vive et regne dans nos espritz. Amen.

                                                                       Vostre tres affectionné et tout dedié

                                                                                  frere et serviteur,

                                                                                              F.

            A Neci, le XXV juin 1608

 

A Madame

            Madame la Presidente Brulart.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Boissat, à Albens (Savoie). [41]

 

CDLXIII. A un cardinal (Fragment). Un reproche immérité. — Les Savoisiens ne lisent pas de mauvais livres.

 

Annecy, commencement de juillet 1608.

 

            Profecto si res ita haberet, justissime non tantum indignaretur in me Sua Sanctitas, sed negligentiam meam, imo vero proditionem, castigaret. At in rei veritate dico: cum generalem diocaesis meae visitationem, nulla praetermissa parrœcia, pene exegerim, nullum omnino reperi [42] haereticum in parroeciis quae a Bernatibus et Genevatibus non fuerunt occupatae, nullum librum prohibitum, antiquis nonnullis exceptis, qui ex mera negligentia et contemptu in alicujus domus profundo pulvere restabant; et Catholici nostri tantis anguntur scrupulis, ut, cum de libro aliquo dubitant, vel in ignem projiciunt, vel deferunt ad delegatos. Verum est Genevae fabricari libellos multos pestilentissimos, sed quod Sabaudi nostri eos legant, nullo modo verum est.

            Fateor postea me non tanta uti diligentia quanta necessarium forte foret; verumtamen in ea qua secundum tenuitatem meam uti possum, fidelis sum et sincerus, et in me nec perfidia nec animi defectus, siquidem virium et insitae dotis, reperientur.

            Obsecro te autem, Illustrissime Domine, uti hilaritatis mihi in afflictissima hac provincia necessariae protector esse velis: pendet vero ex eo haec hilaritas, ut sciam Sanctam Sedem de actibus meis non contristari, ut a generali illa sua erga inferiores benevolentia non me excludat. [43]

 

 

 

.... Si ce reproche était fondé, Sa Sainteté aurait un très juste motif, non seulement de s'indigner contre moi, mais encore de châtier ma négligence, je dirais même ma trahison. Mais la vérité, la voici: dans la visite générale de mon diocèse, que j'ai presque achevée, sans laisser aucune paroisse, je n'ai trouvé absolument aucun hérétique dans les paroisses qui n'ont pas été occupées par les Bernois et les [42] Genevois, ni aucun livre prohibé, si ce n'est quelques vieux ouvrages restés ensevelis, soit pure indifférence, soit mépris, dans la poussière de quelque maison. D'ailleurs, sur ce point, nos catholiques sont pris de tels scrupules que, si quelque livre leur paraît suspect, ils le jettent au feu ou le remettent aux délégués. Oui, à Genève, des libelles très corrupteurs se fabriquent en nombre; mais que nos Savoisiens les lisent, cela n'est nullement vrai.

            Après tout, je n'use pas, je le confesse, de toute la diligence qui serait nécessaire; toutefois, je mets de la fidélité et du bon vouloir à celle que, selon ma petitesse, je puis exercer. Enfin, si les forces et les talents naturels me font défaut, on ne trouvera point en moi de perfidie, ni de manque de courage.

            Je vous en supplie donc, Illustrissime Seigneur, daignez me conserver la consolation joyeuse dont j'ai tant besoin dans cette province si éprouvée; cette joie dépend de la certitude que le Saint-Siège n'est pas affligé de ma conduite et que je ne suis pas exclu de la bienveillance ordinaire accordée à ses inférieurs……………………………….[43]

 

 

 

CDLXIV. A la Baronne de Chantal (Fragments). Transcription de l'Introduction à la Vie devote. — Le projet de la Visitation sourit de plus en plus au saint Evêque, — Son amour pour Notre-Seigneur. — Nouvelles de la ferveur de Mme de Charmoisy. — Bonheur de ne prétendre qu'à Dieu.

 

Annecy, 4 juillet 1608.

 

me feroit volontier………………………………………………………………………………….

me feroit des be……………………………………………………………………………………..

series bien ayse.... non pas plus que moy. Or sus, ce sera a mon tour que je seray le bien venu comme les autres; je dis plus que les autres, car je pense bien cela. Alhors nous parlerons, si nous pouvons, de vostre misere et de l'envie que vous me dites avoir de vous plonger pour la derniere fois au saint lavoir de Poenitence.

            J'ay respondu a toutes vos lettres jusques a huy; et si, je n'ay pas beaucoup de loysir maintenant, car voyes vous, en ces grans jours on ne me laisse point en repos, et je fay escrire a nostre Thibaut les advis spirituelz desquelz je vous ay parlé. Mais si faut il que je vous die que la sorte de vie que nous avons choysie me semble tous les jours plus desirable et que Nostre Seigneur en sera fort servi. Je voy bien plusieurs difficultés, mais croyant que Dieu le veut, cela ne me donne nulle crainte: il faut seulement avoir un peu de patience. Je vous recommande, ce me semble, de si bon cœur a Dieu, ma chere Fille; croyés que je le fay avec un'affection du tout incomparable. Vives bien doucement, ce pendant, tous-jours aupres de Nostre Seigneur et de Nostre Dame et de saint [44] Joseph. Mon Dieu, ma Fille, que quelquefois j'ay des bonnes et douces affections en mon ame a l'endroit de ce Sauveur; mais, helas! je n'ay guere d'effectz en mes mains. Je ne perds pourtant point courage.

            Or sus,... [mon] frere de Groysi n'est pas.... resolution quil viendroit avec moy vers vous, ou soit que Monsieur de Nemours fut icy ou quil n'y fut pas.

            Vostre fileul se porte bien, et sa bonne mere l'ayme spécialement pour l'amour de vous. Ma mere se porte bien aussi et tout le reste de la famille. Or, pour moy, je pippe a me porter bien maintenant. Mme de Charmoysi se porte bien et ne me parle jamais que de vous, et me presse de vous aller voir tant qu'elle peut. Je ne la voy pas si souvent que je voudrois, mais si voy-je bien qu'elle s'affermit fort en sa resolution de bien servir Dieu.

            Or sus, je verray encor nos vefves avec vous, ou a Dijon: comment? O ma Fille, ne sommes nous pas bienheureux de ne praetendre rien moins qu'a Dieu? Mais monsieur le Conte est il tout a fait mort, que je ne sçai ou il est, ni ce quil fait?

            A Dieu, ma chere Fille, je m'en vay aux prieres du soir qui se font devant le Saint Sacrement pour les necessités de ce pais. Vous ny seres pas oubliee, car vous tenes un rang en mon cœur qui ne le peut permettre. Ouy, je croy en mon ame que Dieu veut que je sois inviolablement et tres incomparablement tout vostre.

                                                                                                                                 F.

            A Neci, le IIII julliet 1608.

                        A Madame

Madame la Baronne de Chantal, m. f. (ma fille).

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Limoges. [45]

 

 

 

CDLXV. A M. Pierre de Berulle. Retour à la foi d'un apostat ; M. de Bérulle y a beaucoup coopéré. — Le Saint se réjouit d'apprendre le bien qui se fait à Paris par son entremise et celle de ses amis.

 

Annecy, 6 juillet 1608.

 

                        Monsieur,

            Je me retiens de vous escrire souvent pour le respect que je doy a vos dignes et religieuses occupations, quoy que je desire tous-jours bien fort d'avoir quelque place en vostre memoire et dilection, particulierement pour le tems de vos oraysons et Sacrifices. Mais maintenant vous aures aggreable, je m'asseure, que je vous divertisse un peu pour vous dire que le 15 du moys passé, je receuz l'abjuration de M. Claude Boucard, de Verdun, et le remis dans le sein de la sainte Eglise publiquement, en l'eglise de Nostre Dame de Thonon. Vous devés vous en resjouir par ce que la piece que nous avons gaignee est importante, mais specialement par ce que, comme vous avies receu de luy l'instruction de la philosophie, ainsy quil m'a dit, aussi vous avés beaucoup cooperé par vos lettres a sa reduction en l'Eglise; et si, vous m'aves beaucoup obligé, l'asseurant que je le servirois en ce dessein-la.

            Dieu soit a jamais beni de la chaleur amoureuse duquel nul n'est esconduit ni caché. Le discours que ce personnage m'a fait de sa cheute et de la peyne quil a eu a prendre les resolutions convenables pour son reddressement, me font dire du fond de mon ame: Nisi quia Dominus erat in nobis, nisi quia Dominus erat in nobis. [46]

            J'ay de la consolation d'oiiir le resonnement, quoy que confus, des biens qui se font a Paris par vostre entremise et de ces autres serviteurs de Dieu, que j'honnore de tout mon cœur. Sa divine Majesté soit tous-jours a vostre dextre pour establir de plus en plus vostre vie en son saint amour, et je suis inviolablement,

            Monsieur,

                        Vostre serviteur bien humble,

                                                           FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le VI julliet 1608.

            Monsieur, je salue bien humblement mesdames vos mere et tante, et madamoyselle de Montberaut; sil vous plait de le leur faire sçavoir, je vous en auray de l'obligation.

            A Monsieur

Monsieur de Berule,

                        Aumosnier de S. M.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Carmel de la rue Messine, à Paris. [47]

 

 

 

CDLXVI. Au Baron Amédée de Villette. L'Académie Florimontane et ses premiers membres. — Le Saint promet sa visite au châtelain de Dérée, son parent, nouvellement marié.

 

Annecy, 7 juillet 1608.

 

                        Monsieur mon Oncle,

            Ce m'est tous-jours beaucoup d'honneur et de consolation de recevoir par vos lettres les tesmoignages que vous me donnes de la continuation de vostre bienveuillance en mon endroit. Je voudrois bien, en eschange, vous pouvoir aussi rendre des preuves de mon affection a vostre service, et avoir quelques bonnes nouvelles pour vous envoyer, en lieu de celles dont il vous a pleu me gratifier. Mais outre que je croy que vous les aves de dela les mons, j'en suis bien le plus mauvais pescheur de cette ville. Je vous diray seulement que nostr' Academie [48] a receu pour faveur la demande que monsieur Nouvelet luy a faitte d'une place pour vous, entre les academiciens. Pour moy, vous pouves penser si je la pris a gloire, m'acquerant un si digne sujet.

            Demain, madame de Deré vient a Deré, et moy j'y iray mercredi faire la part des honneurs du logis qui me compete, en qualité de bien humble parent du nouveau marié. Nostre Seigneur vous prosperera tous-jours en l'abondance de ses benedictions, si luy plait d'exaucer les souhaitz que fait continuellement, Monsieur,

                        Vostre serviteur bien humble et neveu,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            VII julliet 1608.

                                   A Monsieur

                        Monsieur le Baron de Vilette,

                                   Conseiller d'Estat

et Ambassadeur ordinaire de S. A. en Soüisse.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Domenjoud, à Annecy. [49]

 

CDLXVII. Au Pere Pierre Dubouloz, Dominicain (Inédite). Election d'un prieur au couvent des Dominicains d'Annecy; l'élu est prié avec une aimable insistance d'accepter cette charge.

 

Annecy, 8 juillet 1608.

 

                        Monsieur nostre Maistre,

            Ayant sceu que les bons Peres Religieux de cette ville vous avoyent esleu pour leur Prieur, je m'en suis extremement res-jouy; et ne pouvant aller moy mesme vous faire la priere quilz vous veulent presenter de vouloir accepter cett'election et charge, je vous envoye cet [50] escrit, qui vous tesmoignera que jamais vous n'aves esté ni desiré ni demandé avec plus d'affection et de sincerité que vous l'estes d'eux et de moy, qui, en particulier, m'essayeray de vous servir si promptement en toutes occurrences, que vous n'aures pas, Dieu aydant, occasion [de vous repentir] d'avoir gratifié mon desir. Les Religieux aussi se disposent a vous obeir et soulager si entierement que vous ne perdres nullement le repos requis a vostr'aage et a vostre contemplation. Faites nous donques a tous ce bien que de ne point esconduire nostre juste demande, qui regarde la gloire de Dieu et le restablissement d'un convent tout entier.

            Je me prometz bien que l'amitié que vous me portés intercedera encor pour moy en cett'occasion; c'est pourquoy, finissant, je prieray Nostre Seigneur quil vous prospere et inspire a nostre consolation, demeurant,

            Monsieur,

                                               Vostre serviteur tres affectionné,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII julliet 1608.

            A Monsieur nostre Maistre,

Le R. P. de Bollo, Docteur en theologie.

                                   A St Dominique de Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Saint-Marcellin.

 

CDLXVIII. A Madame de la Fléchère. Conseils à une femme chrétienne. — L'humeur mélancolique : circonstances qui la favorisent ; nécessité et moyens de la combattre. — Une parole de sainte Angèle de Foligno.

 

Annecy, 13 juillet 1608.

 

                        Madame,

            Je n'ay pas respondu ci devant a vostre derniere lettre par ce que je n'ay point rencontré de porteur asseuré, et maintenant je n'ay pas le loysir requis pour vous bien [51] satisfaire. J'ay voulu neanmoins vous escrire pour simplement vous tesmoigner que je prie tous les jours Nostre Seigneur pour vous; mais je dis d'un'affection toute speciale, le requerant quil vous assiste de ses saintes consolations parmi les travaux que vostre grossesse vous donnera.

            Voyes vous, Madame, je m'imagine que l'humeur melancolique se prævaudra de vostre grossesse pour vous attrister beaucoup, et que, vous voyant triste, vous vous inquieteres. Mais ne le faites pas, je vous prie. Si vous vous treuves pesante, triste et sombre, ne laisses pas pour cela de demeurer en paix; et bien quil vous semblera que tout ce que vous ferés se face sans goust, sans sentiment et sans force, ne laisses pour tant pas d'embrasser Nostre Seigneur crucifié, de luy donner vostre cœur et consacrer vostre esprit avec vos affections telles quelles et toutes languissantes qu'elles sont. La bienheureuse Angeline de Foligni disoit que Nostre Seigneur luy avoit revelé quil n'avoit nulle sorte de bien tant aggreable que celuy qui luy estoit fait par force; c'est a dire, que celuy qu'une volonté bien resolue luv fait contre les alanguissemens de la chair, les repugnances de la partie inferieure, et au travers des secheresses, tristesses et derelictions interieures. Mon Dieu, ma chere Fille, que vous seres heureuse si vous estes fidele en vos resolutions, parmi les croix qui se presentent, a Celuy qui vous ayma si fidelement jusques a la mort, et la mort de la croix.

            J'escriray au premier loysir sur le sujet de vostre lettre derniere, et a Mme de Mioudri et a Mme de la Forest, vostre bonne seur. Demeures avec Jesus, vives en luy et par luy, qui m'a fait

                                                                                  Vostre serviteur tout dedié,

                                                                                                                      F. E. de G.

            XIII jullet 1608, a Neci.

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron d'Yvoire, château d'Yvoire, près de Thonon. [52]

 

CDLXIX. A la même. La tranquillité d'âme, mère du contentement et fille de l'amour de Dieu. — Les sujets de se mortifier plus grands dans le monde qu'en Religion. — Ne s'astreindre «que tout bellement» aux exercices de piété, est chose conseillée en certains cas. — Attitude devant la souffrance. — Qu'il est permis de se plaindre à Dieu, et à quelle condition. — Notre-Seigneur aime ceux qui souffrent.

 

Annecy, 16 juillet 1608.

 

            Il faut sur toutes choses, ma chere Fille, procurer cette tranquillité, non point parce qu'elle est mere du contentement, mais parce qu'elle est fille de l'amour de Dieu et de la résignation de nostre propre volonté. Les occasions de la prattiquer sont quotidiennes, car il ne nous manque pas de contradictions ou que nous soyons; et quand nul ne nous en fait, nous nous en faysons a nous mesmes. Mon Dieu, ma chere Fille, que nous serions saintz et aggreables a Dieu si nous sçavions bien employer les sujetz de nous mortifier que nostre vocation nous fournit, car ilz sont plus grans sans doute qu'entre les Religieux; le mal est que nous ne les rendons pas utiles comme eux.

            Contregardés-vous fort soigneusement en cette grossesse; ne vous mettés nullement en peyne de vous contraindre a aucune sorte d'exercice que tout bellement. Si vous vous lasses a genoux, assiés-vous; si vous n'aves pas d'attention pour prier demi heure, priés un quart d'heure ou demi quart d'heure seulement.

            Je vous prie de vous mettre en la presence de Dieu et de souffrir vos douleurs devant luy. Ne vous retenes pas [53] de plaindre, mais je voudrois que ce fust a luy, avec un esprit filial, comme feroit un tendre enfant a sa mere; car, pourveu que ce soit amoureusement, il n'y a point de danger de se plaindre, ni de demander la guerison, ni de changer de place, ni de se faire soulager. Faites seulement cela, avec amour et resignation entre les bras de la bonne volonté de Dieu.

            Ne vous mettes point en peyne de ne faire pas bien les actes des vertus; car, comme je vous ay dit, ilz ne laissent pas d'estre tres bons, encor qu'ilz soyent faitz langoureusement, pesamment et quasi forcement. Vous ne sçauries donner a Dieu que ce que vous aves, et en cette sayson d'affliction vous n'aves pas d'autres actions. Maintenant, ma chere Fille, vostre Bienaymé vous est un bouquet de myrrhe; ne laissés pas de le bien serrer sur vostre poitrine. Mon Bienaymé est a moy, et moy a luy; tous-jours il sera dans mon cœur. Isaïe l'appelle homme de douleurs; il ayme les douleurs et ceux qui les ont. Ne vous tourmentes pas a beaucoup faire, mais disposes vous a souffrir ce que vous souffrires, avec amour.

            Dieu vous sera propice, Madame, et vous fera la grace de traitter de cette vie plus retiree de laquelle vous me parles. Ou languissant, ou vivant, ou mourant, nous sommes a Dieu, et rien ne nous separera de son saint amour, moyennant sa grace. Jamais nostre cœur n'aura vie qu'en luy et pour luy, il sera a jamais le Dieu de nostre cœur. Je ne cesseray point de l'en supplier, ni d'estre entierement en luy,

                        Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            Le... julliet 1608. [54]

 

 

 

CDLXX. A la même (Inédite). — Dispositions, pieux espoir du Saint à l'approche d'une naissance.

 

Annecy, vers le 21 juillet 1608.

 

            Oüy, ma tres chere Fille, de bon cœur je rendray a la mayson de la Flechere le nom de François, qui me fut donné au saint Baptesme par monsieur le Prieur de la Flechere, vostre oncle et mon bon parrein; mais si c'est une fille, nous en ferons une bonne Religieuse.

                        A Madame de la Flechere.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

CDLXXI. A M. Claude-François de la Flechere. Félicitations, prédictions, prières du saint Evêque répandues sur un berceau.

 

Annecy, 23 juillet 1608.

 

                        Monsieur,

            Je loüe Dieu de l'heureuse arrivee de cette belle fille [55] que vous m'aves accordee pour filleule; madame sa mere sera un jour recompensee, je dis mesme en ce monde, des travaux qu'elle a souffertz pour la produire, quand elle la verra, pleine de vrayes vertus, luy donner mille sortes de contentemens. Mes foibles prieres ne luy manqueront point a cette intention, ni a vous aussi et a madame sa mere, pour vostre longue prosperité que je souhaitteray tous-jours avec grande affection.

            Vostre commodité fera tous-jours naistre la mienne, pour lhonneur que je desire de pouvoir aussi veritablement me nommer vostre humble compere, comme je suis sincerement

                        Vostre tres affectionné et fidelle serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

Co 23 julliet 1608.

 

            A Monsieur de la Flechere.

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [56]

 

 

 

CDLXXII. A Madame de la Fléchère. La vertu des vertus. — Comment servir le Maître. — Le moyen de faire glorifier Dieu par le prochain. — Quand les mortifications sont interdites par une santé délicate, que faut-il faire ?

 

Annecy, [août] 1608.

 

            Madame ma tres chere Fille (car je croy que vous voules bien que je vous nomme ainsy), nourrissés vostre chere une en l'esprit de cordiale confiance en Dieu, et a mesme que vous vous treuveres environnee d'imperfections et miseres, relevés vostre courage a bien esperer. Ayés beaucoup d'humilité, car c'est la vertu des vertus, mais humilité genereuse et paisible.

            Soyés fidelle a bien servir nostre Maistre, mais gardés en son service la liberté filiale et amoureuse, sans donner des amertumes degoustantes a vostre cœur. Conservés un esprit d'une sainte joye qui, modestement respandue sur vos actions et paroles, donne de la consolation aux gens de bien qui vous verront, affin qu'ilz en glorifient Dieu qui est nostre unique pretention. Et puisque vous ne sçauries plus exercer vostre cors en aucune mortification et aspreté de penitence et qu'il n'est nullemenc expedient que vous y pensies, ainsy que nous demeurasmes d'accord, tenes vostre cœur bien rangé devant son Sauveur et faites, le plus que vous pourres, ce que vous feres pour plaire a Dieu, et ce que vous aures a souffrir selon la condition de cette vie, souffres le a mesme intention; car ainsy Dieu vous possedera toute et vous fera la grace que vous le possederes un jour eternellement, dont je le supplieray toute ma vie, ma tres chere Fille, et seray de tout mon cœur,

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                           FRANÇS, E. de Geneve. [57]

 

CDLXXIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). L'Evêque de Genève avertit le duc qu'il ira en Bourgogne pour une affaire de famille.

 

Annecy, 16 août 1608.

 

                        Monseigneur,

            Desirant de tous-jours rendre conte a Vostre Altesse de mes actions, et m'acheminant en Bourgoigne pour un'affaire d'un mien frere, ou je pense arrester seulement quinze jours, je supplie tres humblement Vostre Altesse de l'avoir aggreable, et la continuation du vœu que j'ay a l'obeissance de ses commandemens, m'advouant,

            Monseigneur,

                        Son tres humble, tres fidelle

                                   et tres obeissant orateur et serviteur,

                                                           FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 16 aoust 1608.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

CDLXXIV. A Madame de Charmoisy. La «soigneuse assistance» des bons Anges. — Exhortation à progresser dans l'amour de Dieu. — Message pour une ancienne Abbesse.

 

Saint-Rambert, 21 août 1608.

 

                        Madame ma tres chere Cousine,

            A mesure que je m'esloigne de vous selon l'exterieur, mon esprit retourne plus frequemment ses yeux du costé [58] du vostre, d'avec lequel il est inseparable, et je ne manque point d'invoquer tous les jours la bonté de nostre Sauveur sur vous et la soigneuse assistance de vostre bon Ange pour la conservation de vostre cœur, auquel d'une ardeur nompareille, je souhaitte toutes les plus desirables faveurs du Ciel, et sur tout cette inviolable fidelité au saint amour que vous aves voué par tant de resolutions au cœur debonnaire de ce doux et cher Jesus. Vivés tous-jours, ma chere Cousine, ma Fille, avec ce courage d'aggrandir perpetuellement en la dilection de Dieu; tenés bien estroittement sur vostre poitrine et entre les bras de vos saintes resolutions Celuy qui, par tant de signes visibles, vous a tesmoigné d'avoir eu eternellement vostre nom et vostre cœur gravé en sa volonté pleine de bienveuillance en vostre endroit.

            Je pars pour aller voir cette chere seur que vous aymes tant, avec laquelle vous pouves penser si je m'entretiendray de vostre ame, laquelle je porte tous-jours presente a la mienne par affection. Je vous supplie de visiter par lettre la bonne Madame l'Ancienne, a laquelle vos encouragemens seront profitables; car pour le present, je n'ay nul loysir que pour vous escrire ces quatre motz que je fay, vous donnant la sainte benediction de Dieu, qui tous les jours me rend plus vivement et singulierement,

            Madame ma chere Cousine,

                        Vostre tres fidelle et tres affectionné serviteur,

                                                           FRANÇS, E. de Geneve.

            A Saint Rambert, le 21 aoust 1608.

            Je finis aujourd'huy ma 41 annee: priés Nostre Seigneur qu'il rende le reste de mon aage utile a sa gloire et a mon salut. Dieu soit tous-jours au milieu de vostre cœur. [59]

 

 

 

CDLXXV. A la Baronne de Chantal. La Baronne est prévenue que le Saint est aux «portes» de Monthelon.

 

Montcenis (près Autun), 24 août 1608.

 

            Nous voyci a vos portes, ma tres chere Fille; mais par ce que Thibaut m'a dit qu'avec beaucoup d'affection vous voulies estre advertie un peu devant nostre arrivee, j'ay voulu vous aggreer, et pour cela je l'ay fait partir trois heures avant nous.

            Or sus, ma chere Fille, vous l'avois-je pas escrit que ce seroit environ la feste du grand saint Louys? Je vous porte mon esprit plein de desir de servir le vostre et faire tout le bien que nous pourrons faire. Environ les trois heures, je vous verray, Dieu aydant; car, en passant, je veux bayser les mains de Monsieur vostre bon Evesque, et voir nos Capucins, l'eglise cathedrale et ce quil faut que je voye en vostre Autun, affin que je ne sois pas contraint d'y retourner.

            Dieu soit tous-jours avec nous, ma chere Fille. C'est luy qui me rend si uniquement

                                                                                                          Vostre F. E.

            Au Mont Senis, le 24 aoust 1608.

 

                        A Madame

Madame la Baronne de Chantal, m. f. (ma fille).

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Paris. [60]

 

CDLXXVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Encouragements à persévérer dans de saintes résolutions.

 

Dijon, 1er septembre 1608

 

            Je vous avois promis, ma chere Seur, ma Fille, de vous escrire par le retour de vostre laquay; mais l'ayant rencontré en lieu ou je ne pouvois le faire, je repare ce defaut, vous escrivant ce soir de nostre arrivee en cette ville. Mais que vous escriray-je donques, ma chere Fille? Rien, sinon que, a mesure que je me suis esloigné de vous corporellement, mon esprit s'est retourné plus ardemment de vostre costé pour vous souhaitter mille benedictions. Sa divine Majesté vous les donne tres abondantes, et vous veuille fortifier de plus en plus es saintes resolutions quil vous a inspirees. Helas! je regrette sans doute tant d'incommodités qui s'opposent a nos desirs; mais faysant ce qui est en nous, doucement et constamment, ce bon Dieu suppleera au reste et vous consolera de son assistence speciale.

            Je vous escriray, Dieu aydant, avant mon depart d'icy, et a mon premier loysir, je vous mettray par ordre tout ce qui me semble propre a la reprise de nos bons propos. Ah, que je desire de bonheur a vostre chere ame, ma Fille bien aymee! Qu'a jamais puissions nous vivre pour ce saint amour celeste.

            Je suis d'un'affection inviolable, ma chere Fille,

                        Vostre tres fidelle et tres affectionné serviteur,

                                                                                  F.

            A Dijon, le [1er septembre] 1608.

A Madame, Mme l'Abbesse du Puys d'Orbe.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'Evêché d'Orléans. [61]

 

 

 

CDLXXVII. A une religieuse. Dieu agrée extrêmement la résignation dans les maladies et l'obéissance au médecin. — Les croix qu'il faut baiser avec amour.

 

Annecy, 9 septembre 1608.

 

            Je m'advise, ma chere Fille, que vous estes malade d'une maladie plus fascheuse que dangereuse, et je sçay que telles maladies sont propres a gaster l'obeissance que l'on doit aux medecins. C'est pourquoy je vous veux dire que vous n'espargnies nullement ni le repos, ni les medecines, ni les viandes, ni les recreations qui vous seront ordonnees. Vous feres une sorte d'obeissance et de resignation en cela, qui vous rendra extremement aggreable a Nostre Seigneur; car en fin, voyla une quantité de croix et mortifications que vous n'aves pas choisies ni voulues, Dieu vous les a donnees de sa sainte main: receves les, baysés les, aymés les. Mon Dieu, elles sont toutes parfumees de la dignité du lieu d'ou elles viennent.

            Bon jour, ma chere Fille; je vous escris avec empressement. Que si j'avois le loysir, j'en dirois davantage, car j'affectionne infiniment que vous soyes fidele en ces petites et fascheuses occurrences, et que, tant au peu qu'au prou, vous disies tous-jours: Vive Jesus!

                        Vostre tout et tres affectionné serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 9 septembre 1608. [62]

 

 

 

CDLXXVIII. A la Baronne de Chantal. Anne-Jacqueline Coste offre spontanément au Saint de servir les futures Religieuses qu'il méditait d'établir.

 

Sales, 19 septembre 1608.

 

            Au reste, ma Fille, il faut que je vous dise que Dimanche dernier je fus tres consolé. Une païsanne de naissance, tres noble de cœur et de desir, me pria, apres l'avoir confessee, de la faire servir les Religieuses que [63] je voulois establir. Je m'enquis d'ou elle sçavoit une nouvelle encor toute cachee en Dieu. «De personne,» me dit elle, «mais je vous dis ce que je pense.» O Dieu, dis-je en moy mesme, aves vous donques revelé vostre secret a cette pauvre servante? Son discours me consola beaucoup, et j'iray, tant qu'il me sera possible, encourageant et soustenant cette fille, la croyant autant pieuse et studieuse qu'il est requis pour servir en nostre petit commencement….

 

CDLXXIX. Aux Ecclésiastiques du Bugey, du Valromey et de Gex. Les ecclésiastiques des pays exemptés des décimes doivent envoyer à Lyon un député pour régler le paiement d'un don.

 

Sales, 25 septembre 1608.

 

                        Messieurs,

            Par ce que, pour eviter l'imposition de decimes perpetuelles, les deputés de Bresse ont obtenu un arrest qui me semble asses favorable tant au clergé de Bresse qu'a vous, et qui est sorti au prouffit commun de tous les ecclesiastiques des pais eschangés, il me semble que pour concourir avec eux a l'execution dudit arrest, vous deves faire un deputé d'entre vous qui aille a Lion, pour traitter du payement des sommes convenues pour obtenir l'exemption. C'est pourquoy j'ay donné la presente a monsieur Rosetan, curé de Chavornay, affin qu'avec cette mienne [64] lettre en main, il procure et face faire ledit deputé, comme je vous en prie, jugeant que ce soit vostre mieux. Dieu vous conserve, Messieurs, et je suis

                        Vostre confrere tres affectionné,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            XXV septembre 1608, a Sales.

                       

                        A Messieurs

Messieurs les Ecclesiastiques du diocaese de Geneve,

            des pais de Beugey, Valromey et Gex.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine J.-M. Chevalier, à Annecy.

 

CDLXXX. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex. Servir Dieu où l'on est. — Le labeur patient n'est jamais stérile devant Dieu. Le désir du changement empêche le succès de l'œuvre présente.

 

Sales, 25 septembre 1608.

 

                        Monsieur mon tres cher Confrere,

            Pardonnés moy, je vous prie, si j'ay tant tardé a respondre sur la premiere lettre que vous m'aves jamais escritte: il n'en sera pas ainsy des autres, si j'ay la consolation d'en recevoir. Mais je fus si occupé a mon despart, que [65] je n'eus nulle sorte de loysir pour vous rendre ce devoir; et, avec cela, je me promis bien de vostre dilection que vous interpreteries le retardement en bonne part.

            Je persiste tous-jours a vous dire que vous deves servir Dieu ou vous estes, et facere quod facis. Non pas, mon cher Frere, que je veuille forclorre l'accroissement de vos bons exercices ni la purification continuelle de vostre cœur; mais, fac quod facis, et melius quam facis. Car je sçai bien que Dieu commande en la personne d'Abraham a tous ses fideles: Ambula coram me, et esto perfectus; et que beati qui ambulant in viis Domini, et que nos peres euntes ibant, et in corde suo ascensiones disponebant, ut irent de virtute in virtutem.

            Ayés donques bon courage de cultiver cette vigne, contribuant vostre petit travail au bien spirituel des ames quas servavit sibi Dominus, ne flecterent genua ante Baal, in medio populi polluta labia habentis. Ne vous estonnés point si les fruitz ne paroissent pas encor, quia si patienter opus Domini feceris, labor tuus non erit inanis in Domino.

            Helas! Monsieur, Dieu nous a nourris du doux lait de plusieurs consolations, affin que, devenus grans, nous taschions d'ayder a la reedification des murs de Hierusalem, ou en portant des pierres, ou en brassant le mortier, ou en martelant. Croyés-moy, demeurés la; faites fidellement tout a la bonne foy ce que moralement vous pourres [66] faire, et vous verres que si credideris, videbis gloriam Dei. Et si vous voules bien faire, tenés pour tentation tout ce qui vous sera suggeré pour changer de place; car, tandis que vostre esprit regardera ailleurs que la ou vous estes, jamais il ne s'appliquera bien a proffiter ou vous estes.

            Or sus, tout ceci soit dit en la confiance que vous me donnes par vostre lettre, et en la sincere amitié que je vous porte in visceribus ejus cujus viscera pro amore nostro transfixa sunt. Je le supplie qu'il affermisse de plus en plus le zele de son honneur en vous, et suis d'un cœur tout entier,

                        Vostre humble et tres affectionné confrere

                                               et serviteur,

                                                           FRANÇS, E. de Geneve.

 

            A Sales, le 25 septembre 1608.

 

 

 

CDLXXXI. A la Baronne de Chantal. Accueil que fait le Saint aux désirs et aux recommandations de la baronne de Chantal. — Dieu seul est un guide indispensable. — Sortir du monde, pour plusieurs, n'est pas toujours sortir d'eux-mêmes et de leur amour-propre. — La fin qu'on doit se proposer en quittant le siècle. — Une sainte Fondatrice dont la Congrégation semble donner à penser au futur Fondateur de la Visitation. — Conseil du Saint à «ceux qui se meslent des ames» et aux personnes de piété. — Son affection pour le père et les enfants de sa fille spirituelle. — La jeune fille et le seau d'eau. — Messages divers.

 

Annecy, 29 septembre 1608.

 

            Jesus, es entrailles duquel mon ame cherit uniquement la vostre, soit a jamais nostre consolation, ma Fille. J'ay [67] plusieurs choses sur le cœur pour vous dire, je ne sçai si je les pourray mettre sur le papier; car j'ay grandement pensé en vous tout le long de mon retour, je dis grandement.

            Vos troys desirs pour la vie mortelle ne me desplaysent point, car ilz sont justes, pourveu quilz ne soyent pas plus grans que leurs objectz meritent. C'est bien fait, sans doute, de desirer la vie a celuy que Dieu vous a donné pour conduire la vostre; mais, ma Fille, ma bienaymee, Dieu a cent moyens, je veux dire infinis moyens, pour vous guider sans cela: c'est luy qui vous conduit comme une brebis. Ah! je vous prie, tenes bien vostre cœur en haut, attachés le indissolublement a la souveraine volonté de ce tres bon cœur paternel de nostre Dieu; qu'a jamais il soit obei, et souaivement obei par nos ames. J'auray pourtant soin de moy selon que je vous l'ay promis, et plus pour cela, sans doute, que pour inclination que j'aye a cette sorte d'attention; car je croy bien que Dieu veut que je veuille quelque chose pour l'amour de vous. Or, Dieu face de moy selon son gré.

            Ma Fille, tandis que Dieu voudra que vous soyes au monde pour l'amour de luy mesme, demeures-y volontier et gayement. Plusieurs sortent du monde qui ne sortent pour cela pas d'eux mesmes, cherchans par cette sortie leurs goustz, leurs repos, leurs contentemens; et ceux ci s'empressent merveilleusement apres cette sortie, car l'amour propre qui les pousse est un amour turbulent, violent et desreglé. Ma Fille, je dis ma vraye Fille, ne soyons point de ceux la. Sortons du monde pour servir Dieu, pour suivre Dieu, pour aymer Dieu; et en cette sorte, tandis que Dieu voudra que nous le servions, suivions et aymions au monde, nous y demeurerons de bon cœur, car puis que ce n'est que ce saint service que nous desirons, ou que nous le facions, nous nous contenterons. Demeures en paix, ma Fille; faites bien ce pourquoy vous restes au monde, faites le de bon cœur, et croyes que Dieu vous en sçaura meilleur gré que de cent sorties faites par vostre propre volonté et amour.

            Mais faut-il pas que je vous die ceci, puisque j'en ay [68] esté consolé? Je rencontray a Chalons monsieur André Valladier (c'est ce grand praedicateur qui prescha apres moy, estant Jesuite): or, il me fit mille sortes d'honneurs et de caresses et me dit mille choses diverses. Entr'autres choses, il me dit que sainte Françoise, nouvellement canonisee, avoit esté une des plus grandes Saintes quil est possible d'imaginer, et quil avoit luy mesme escrit sa Vie en latin, par le commandement du Pape, et quil alloit a Paris pour la faire imprimer. Et m'enquerant des particularités de cette Vie, il me dit qu'ell'avoit esté quarant'ans mariee, et qu'en sa viduité ell'erigea une Congregation de vefves qui demeurent ensemble en une mayson, dans laquelle elles observent une vie religieuse, et personne n'entre en icelle que pour grandes causes; elles, neanmoins, sortent pour servir les pauvres et les malades, en quoy gist leur plus particulier exercice, et que cette mayson rend un fruit et un exemple bien grand a Romme. Vous ouïtes ce que M. Blondeau dit de Paris. Vive Dieu, ma Fille, et qu'a jamais il regne en nos cœurs! Je n'avois rien sceu de tout cela quand je vous parlois a Dijon, et a nos bonnes vefves: c'est le Saint Esprit, sans doute, qui donne ces mouvemens conformes en divers endroitz de son Eglise. Prions Dieu, humilions nous, attendons en patience, et nous serons consolés.

            Ce bon personnage me dit bien d'autres choses qui ne me furent pas si aggreables, car il parloit avec grande vehemence de sa sortie, et comme vous sçaves, j'ay grand'aversion des espritz troubles. Il me dit que les [69] impertinentes procedures de ce Religieux duquel nous parlasmes en carrosse et duquel vous aviés parlé a M. de la Curne, estoyent venues aux oreilles du Cardinal de Givry et de l'Inquisition de Romme. Je fus marri dequoy il m'en parla comme de chose que je sçavois, quoy que je n'en fisse nul semblant. Je crains, d'un costé, que cela ne s'esvente, car ce seroit un grand scandale et appresteroit beaucoup a dire aux mondains; d'autre part, je voudrois bien que ce mal fut reprimé, de peur quil ne se glisse en d'autres. Il me dit que le Pere duquel vous me monstrastes la lettre a Beaune, faysoit presqu'aussi mal. Cela me despleut infiniment; si je vay ou il est, je m'essayeray de luy en parler.

            Tout cela, ma chere Fille, me fait desirer que mes seurs, mes filles, ne s'abandonnent guere a nulle sorte de, grande confiance qu'en la seule confession; car, mon Dieu, voyla pas des grans dangers? Ah! je veux croire qu'il ni a pas tant de mal; mais il y en a encor moins d'estre bien discret. Je dirois volontier a ceux qui se meslent des ames, comme saint Bernard a ses Novices: «Je ne. veux pour cela que des ames, et que les cors ne s'en meslent point.» Or, j'ay dit tout cela par ce quil m'est ainsy venu, et avec un'ame que je connoy et en laquelle j'ay rayson d'avoir confiance absolue. Serves vous des advis de tous quand il en sera besoin, mais [70] ayes peu de confiance es hommes, quoy qu'ilz semblent des anges; je veux dire pour des confiances grandes et entieres. Or, ceci soit dit entre nous deux.

            Revenons a vostre troysiesme desir. Il est bon aussi; mais mon Dieu, ma Fille, il ne merite pas qu'on s'y affectionne. Recommandons le a Dieu, faysons tout bellement ce qui se peut pour le faire reuscir, ainsy que je feray de mon costé; mais au bout de la, si l'œil de Dieu qui penetre l'advenir, voyant que cela ne reviendroit pas peut estre ni a sa gloire ni a nos intentions, sa divine Majesté ordonn'autrement, il ne faut pas, ma Fille, pour cela en perdre le sommeil d'une seule heure. Le monde parlera. Que dira-on? Tout cela n'est rien pour ceux qui ne voyent le monde que pour le mespriser, et qui ne regardent le tems que pour viser a l'aeternité. Je m'essayeray de tenir l'affaire liee en sorte que nous le (sic) puissions voir achevee, car vous ne le desires pas plus que moy; mais sil ne plait pas a Dieu, il ne me plait pas non plus, ni a vous, car je parle de vous comme de moy.

            J'ay treuvé ma pauvre bonne mere si tres malade a mon gré que j'en ay esté estonné; non pas qu'elle soit alittee, mais il semble que ce soit une lassitude et acheminement a une deffaillance de nature. Et bien, nous y ferons ce qui se pourra, et Dieu face selon son bon playsir de nous et de tout ce qui est a nous.

            Nostre livre de devotion n'est pas encor imprimé: quand il le sera, j'en envoyeray a tous ceux a qui j'en ay promis. Nostre bon pere est venu joyeusement et a un'ame inclinee a la devotion; mais l'embaras des affaires apporte sans doute quelque sorte d'empeschement a une entiere praeparation qui luy seroit necessaire en ce declin de sa vie; mais elle se doit procurer tout bellement. Je luy ay proposé la lecture de certains livres propres a cela, et il l'a receu de fort bon cœur. Je luy suis tout dedié, non seulement pour les obligations exterieures, mais par inclination interieure. [71]

            J'ay pensé a vostre cher filz, et connoissant son humeur, je pense quil faut avoir grand soin de son esprit affin que maintenant il se forme a la vertu, ou qu'au moins il ne panche pas au vice; et pour cela, il le faut bien recommander au bon M. Robert, et luy faire souvent gouster le bien de la vraye sagesse par des remonstrances et recommandations de ceux qui sont vertueux. Je suis tous-jours bien ayse d'avoir veu tous les enfans de ma chere Fille, car vrayement je les ayme comme miens en Nostre Seigneur.

            Demeures en paix, avec un singulier amour de là volonté et providence divine; demeures avec nostre Sauveur crucifié planté au milieu de vostre cœur. Je vis il y a quelque tems, une fille qui portoit un seau d'eau sur sa teste, au milieu duquel ell'avoit mis un morceau de bois; je voulus sçavoir pourquoy, et elle dit que c'estoit pour arrester le mouvement de l'eau, de peur qu'elle ne s'espanchast. Et donques, dores-en avant, ce dis-je, il faut mettre la Croix au milieu de nos cœurs, pour arrester les mouvemens de nos affections en ce bois et par ce bois, affin qu'elles ne s'espanchent ailleurs, aux inquietudes et troublemens d'esprit. Il faut tous-jours que je vous die mes petites cogitations.

            A Dieu, ma chere Fille, a laquelle je suis tout donné en Celuy qui s'est tout donné a nous, affin qu'estant mort pour nous, ne vivions plus qu'a luy. J'escris au bon M. le Prævost, a l'ame duquel j'ay un grand amour par ce qu'elle me semble bonne, ronde et franche. J'escris aussi a nostre M. de la Curne et luy envoyé les escritz ci joins que je vous prie luy faire tenir. Vive Jesus et Marie! Amen.

            Je suis celuy que ce mesme Jesus a rendu vostre.

            A Neci, le 29 septembre 1608.

            Je vous escriray le plus souvent que je pourray. J'ay [72] ouvert les lettres de mon frere de Groysi, par curiosité de savoir ce quil vous disoit et a nostr'Aymee; mais celle de Mlle de Brechart ça esté par mesgarde, la prenant pour la vostre. Mme de Charmoysi vous salue et ne sçait pas que j'escrive.

                        A Madame

Madame la Baronne de Chantal.

                        A Monthelon.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

CDLXXXII. Au Père Nicolas Polliéns, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Témoignages d'affection pour les PP. Jésuites de Chambéry et de sympathique dévouement à une pieuse chrétienne qui soupirait après le cloître.

 

Annecy, 1er octobre 1608.

 

                        Mon Reverend Pere,

            Vostre charité vous trompe saintement en moy, qu'elle vous represente pour digne de vostre affection et de tous vos Peres et Freres, bien qu'en verité je manque de toutes les conditions requises pour recevoir ce bonheur; excepté de lhonneur et respect que je vous dois a tous, et particulierement a vous, car en cela je ne veux ceder a personne. Les bons PP. Villardi et Muilet furent receuz [73] icy avec plus de cœur que de demonstrations et plus de demonstrations que de bonne chere. Ma gloire en eust esté accomplie, s'ilz eussent eu plus de loysir de nous favoriser de leur presence; une autre fois, en pareille occasion, je veux implorer vostre entremise pour obtenir du P. Recteur une prolongation de ce contentement pour moy.

            Dieu sçait que je cheris la bonne fille Mlle Clement, et voudrois bien la voir assouvie en ses devotz desirs; mais, mon cher Pere, je ne pense pas que son cors puisse porter les. effortz de la forme de vivre des Religieuses de Sainte Claire, et ailleurs en Saveye, ou la pourroit on mettre qu'elle ne fust pire qu'au siecle? Je me suis enquis en Bourgoigne s'il y auroit moyen, mais je n'ay sceu rencontrer. Dieu la consolera, puisqu'en luy elle a mis sa confiance; et si elle vient icy ce Caresme prochain, j'auray plus de loysir de voir en quoy je la pourray ayder et servir en cela, car quant a mon affection, elle y est toute entiere, comme aussi a vous honnorer toute ma vie, mon Reverend Pere, et demeurer

                                   Vostre confrere et serviteur

                                                           plus humble et affectionné,

                                                                       FRANÇS E. de Geneve.

            1er octobre 1608.

            Je vous supplie de m'assister aupres de Nostre Seigneur par vos prieres, et d'impetrer la mesme grace de vos Peres et Freres.

            Au R. Pere Nicolas Polliens,

                        de la Compagnie de Jesus.

                                   A Chamberi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

CDLXXXIII. A Mademoiselle Clement. Se résigner humblement, si, malgré tous nos efforts, notre désir n'est pas accompli. — Les âmes que Dieu aime «en tout et par tout.»

 

[Octobre 1608.]

 

                        Madamoyselle,

            Vous deves vous resigner entierement entre les mains de nostre bon Dieu, lequel, quand vous aures fait vostre petit devoir a la sollicitation de ce dessein que vous aves, aura tres aggreable tout ce que vous feres, encor que ce sera beaucoup moins. Bref, vous deves avoir courage a bien procurer que vous soyes Religieuse, puisque Dieu vous en donne tant de desir.

            Mais si, apres tous vos effortz, vous ne pouves pas reuscir, vous ne sçauries plaire davantage a Nostre Seigneur que de luy sacrifier vostre volonté, et demeurer en tranquillité, humilité et devotion, entierement remise et sousmise a son divin vouloir et bon playsir, lequel vous reconnoistres asses quand, ayant fait vostre possible, vous ne pourres pas jouir de vos souhaitz. Car nostre bon Dieu esprouve quelquefois nostre courage et nostre amour en nous privant des choses qui nous semblent et qui sont tres bonnes a l'ame; et s'il nous void ardans a la poursuitte, et neanmoins humbles, tranquilles et resignés au manquement et a la privation de la chose poursuivie, il nous donne des benedictions plus grandes en la privation qu'il ne nous en donne en la possession de l'estat desiré; car, en tout et par tout, Dieu ayme ceux qui, de bon cœur et simplement, en toutes occasions et en tous accidens, peuvent luy dire: Vostre volonté soit faite………………………

 

FRANÇ , E. de Geneve. [75]

 

 

 

CDLXXXIV. A la Baronne de Chantal. La fête de la Dédicace ; les cœurs et les corps, temples mystiques dédiés à Dieu par les vœux. — La dévotion du Rosaire à Annecy. — La baronne de Chantal à l'hôpital de Beaune.

 

Annecy, 8 octobre 1608.

 

            Nous celebrons aujourd'huy, ma chere Fille, la Dedicace de nostre Eglise; mais, entre les Offices, je vous viens escrire cette lettre pour retourner bien tost a l'autel ou je veux, avec des particulieres affections, faire action de graces a nostre doux Sauveur de la dedicace de nos cœurs et de nos cors que par sa misericorde nous luy avons faitte par nos vœux. O que nous serons heureux, ma bonne chere Fille, si nos temples ne sont point violés! Qu'a jamais le Saint Esprit y reside et ne permette point qu'aucune irreverence y soit commise; que ce soyent des maysons d'orayson et de priere, ou les sacrifices de loüange, de mortification et d'amour soyent immolés.

            O ma Fille, que mon cœur est plein de bons souhaitz pour le vostre! Vous diray je bien ce sentiment? Dimanche je fis un sermon du Rosaire, parce que je suis de cette Confrerie la il y a long tems, et presque toute cette vilette en est; et d'autant que je voulois faire entendre a mon cher peuple pourquoy on appelloit le Chapelet Couronne, je fus contraint d'apporter le passage de saint Paul, auquel il appelle ses disciples, sa couronne: Demeurés ainsy, mes tres chers. O ma Fille tres chere et tres desiree, je vous laissay en l'hospital de Beaune, [76] pleine de desir d'aymer, d'honnorer, de servir, d'adorer la volonté de Dieu, resignant en toutes choses, grandes et petites, la vostre a la misericorde de la sienne; je vous laissay avec Nostre Seigneur reellement receu en vous mesme, et cela, entre les pauvres de Nostre Seigneur. Mon Dieu, ma chere et tres singulierement chere Fille, comme cela, vous estes et ma joye et ma couronne. Et demeurés donques ainsy, ma tres chere: demeurés de cœur et d'esprit avec nostre Sauveur, demeurés resignee a sa volonté, demeurés entre ses pauvres par affection. Et puisque sa volonté est que vous soyés encor au service, et a la conduitte de vostre famille, demeurés-y en paix, avec la fidelité que vous devés a ce saint vouloir.

            Je suis celuy que Nostre Seigneur veut estre tout vostre, et tout singulierement vostre.

            Le 8 octobre 1608, a Neci.

(Voir Mémoires de la Mère de Chaugy, Ire Partie, chap. XXI.) En revenant du château de Monthelon, en 1608, le Saint s'arrêta à Beaune et visita l'Hôtel-Dieu avec le président Frémyot, Mgr de Bourges et sa sœur, Mme de Chantal. Ce fut là que les voyageurs se séparèrent. (Cf. Bavard, L'Hôtel-Dieu de Beaune, etc.; Beaune, 1881.)

 

 

 

CDLXXXV. A Madame de la Fléchère. Les vendanges. — Comment l'Epoux divin des âmes nourrit leur espérance et repaît leur amour. — Les vendanges spirituelles. — Le côté du Sauveur percé sur la croix. — Les choses temporelles doivent servir «d'eschellon» aux spirituelles. — Comment il faut considérer ses fautes.

 

Annecy, 12 octobre 1608.

 

                        Madame,

            On m'a dit que vous esties bien avant en vos vendanges: Dieu soit loué. Il faut que mon cœur vous die ce mot que je dis l'autre jour a une autre vendangeuse, qui est bien de vos plus cheres cousines. [77]

            Es Cantiques des Cantiques, l'Espouse sacree, parlant a son divin Espoux, dit que ses mammelles sont meilleures que le vin, odorantes en unguens pretieux. Mais quelles mammelles a cet Espoux? Ce sont sa grace et sa promesse; car il a sa poitrine, amoureuse de nostre salut, pleine de graces, qu'il distille d'heure a heure, ains de momens en momens, dedans nos espritz: et si nous voulons bien y penser, nous trouverons qu'il est ainsy. Et de l'autre costé, il a la promesse de la vie eternelle, avec laquelle, comme avec un saint et amiable lait, il nourrit nostre esperance, comme avec sa grace il repaist nostre amour. Cette liqueur pretieuse est bien plus delicieuse que le vin.

            Or, comme on fait vendange en pressant les raysins, on vendange spirituellement en pressant la grace de Dieu et ses promesses. Et pour presser la grace de Dieu, il faut multiplier l'orayson par les courtz, mais vifs eslancemens de nos cœurs; et pour presser sa promesse, il faut multiplier les œuvres de charité, car ce seront elles a qui Dieu donnera l'effect de ses promesses. J'ay esté malade, et vous m'aves visité, dira-il. Toutes choses ont leur sayson: il faut presser le vin en l'une et en l'autre sorte de vendange; mais il faut presser sans s'empresser, avoir du soin sans inquietude.

            Encor pensant, ma chere Fille, que les mammelles de l'Espoux soyent son flanc percé sur la croix, o Dieu, combien cette croix est une sep tortisse, mais bien chargee! Il n'y a qu'un seul raysin, mais qui en vaut plus que mille. Combien de grains y ont treuvé les ames saintes, par la consideration de tant de graces et vertus que ce Sauveur du monde y a monstrees!

            Faites belles et bonnes vendanges, ma chere Fille, et que les unes vous servent d'eschellon et de passage aux autres. Saint François aymoit les aigneaux et moutons parce qu'ilz luy representoyent son cher Sauveur; et je veux que nous aymions ces vendanges temporelles, non seulement parce que ce sont choses appartenantes au soin qui correspond a la demande que nous faysons tous les jours de nostre pain quotidien, mais aussi, et [78] beaucoup plus, parce qu'elles nous eslevent aux vendanges spirituelles.

            Tenés vostre cœur plein d'amour, mais d'un amour doux, paysible et rassis. Regardés vos fautes, comme celles des autres, avec compassion plustost qu'avec indignation, avec plus d'humilité que de severité.

            A Dieu, Madame; vivés joyeuse, puisque vous vous estes toute dediee a la joye immortelle, qui est Dieu mesme, qui veuille a jamais vivre et regner au milieu de nos cœurs Je suis en luy et par luy,

                                               Vostre humble et tres asseuré serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 12 octobre 1608.

 

 

 

CDLXXXVI. A Madame de Maillard, ancienne Abbesse de Sainte-Catherine. Souhaits de ferveur par le don du cœur à Dieu. — N'aimer rien qu'en lui, par lui et pour lui.

 

Annecy, 15 octobre 1608.

 

            Un seul mot, ma tres chere Fille. N'advoués vous pas le don que je fay tous les jours a Dieu de vostre cœur? Je le luy donne comme tout mien et je le tiens pour tout mien, par ce quil me l'a donné. Mais sil est sien et quil me l'ayt donné, ne le luy puis-je pas donner comme tout mien? Qu'a jamais, et le vostre qui est mien et le mien qui est vostre, puissent estre tous siens, puis que, par son immense bonté, le sien est tout nostre. Je vous conjure, ma chere Fille, [79] d'aymer bien ce bon Dieu qui vous a tous-jours esté si doux, et de n'aymer rien qu'en luy, par luy et pour luy.

            C'est ainsy que je vous cheris de toute mon ame, et suis

                                                           Vostre serviteur tres fidelle,

                                                                                              F. E. de G.

            XV octobre 1608.

            Je sçai bien que vous aures des lettres sur le sujet duquel vous me parlastes. La chere cousine m'escrivit hier: ce sera un cœur tout d'or. Elle m'escrit deux motz d'un saint amour pour vous.

 

            A Madame

Madame l'Ancienne Abbesse

            de Ste Catherine.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Michaud, curé de Saint-Alban, près de Chambéry.

 

CDLXXXVII. A la Baronne de Chantal. Humilité du Saint ; sa confusion et sa peine de se voir estimé. — Se tenir dans l'indifférence.

 

Annecy, 28 octobre 1608.

 

            Je ne sçaurois maintenant, ma chere Fille, respondre a vostre lettre du septiesme de ce mois, que je receus hier au soir bien tard; car il faut que je die Messe et que j'aille visiter une eglise a une lieuë d'icy. Je diray ce que je pourray.

            Ma Fille, je ne suis que vanité, et neanmoins je ne m'estime pas tant que vous m'estimes. Je voudrois bien que vous me conneussies bien; vous ne lairries pas d'avoir une absolue confiance en moy, mais vous ne m'estimeries guere. Vous diries: Voyla un jonc sur lequel Dieu veut que je m'appuye; je suis bien asseuree, puisque Dièu le veut, mais le jonc ne vaut pourtant rien. [80]

            Hier, apres avoir leu vostre lettre, je me promenay deux tours avec les yeux pleins d'eau, de voir ce que je suis et ce qu'on m'estime. Je voy donques ce que vous m'estimes, et m'est advis que cette estime vous contente beaucoup: cela, ma Fille, c'est un idole. Or bien, ne vous fasches point pour cela; car Dieu n'est pas offencé des pechés de l'entendement, bien qu'il s'en faille garder, s'il est possible. Vos affections fortes s'addouciront tous les jours par les frequentes actions de l'indifference. Revoyés une lettre que je vous escrivis au commencement, de la liberté de l'esprit.

            A Dieu, ma Fille tres chere. Je suis celuy que Dieu rend tous-jours plus vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le jour saint Simon et saint Jude, 1608.

 

 

 

CDLXXXVIII. A Madame de la Fléchère. L'insensibilité et l'indifférence religieuse : définition de l'une et de l'autre ; celle-ci est un grand don de Dieu.

 

Annecy, 28 octobre 1608.

 

                        Madame ma tres chere Fille et Commere,

            Vous verres la lettre que j'escris a monsieur de Cisteaux et a madame vostre bonne seur. Il me reste a vous dire, selon le peu de loysir que j'ay, que j'appreuve infiniment l'indifference que vous avés, tant en l'affaire de Bons qu'en toutes autres, puisque c'est en contemplation [81] de la volonté de Dieu. Je n'ayme nullement certaines ames qui n'affectionnent rien, et a tous evenemens demeurent immobiles; mais cela, elles le font faute de vigueur et de cœur, ou par mespris du bien et du mal. Mais celles qui, par un' entiere resignation en la volonté de Dieu, demeurent indifferentes, o mon Dieu, elles en doivent remercier sa divine Majesté, car c'est un grand don que celluy la. Je vous dïrois mieux ceci de bouche; mais vous l'entendres, je pense, asses ainsy que je le dis.

            C'est une tentation, de vray, de vous amuser en l'orayson a penser ce que vous aves a me descouvrir de vostre ame, car ce n'en est pas le tems. N'escrimés neanmoins point contre ces pensees, ains destournes-en tout bellement vostre esprit par un simple retour a l'object de vostre orayson.

            Je vous escriray avec plus de loysir a la premiere rencontre de commodité, car maintenant il faut que je parte pour aller faire la visite d'une parroisse, et j'ay beaucoup de gens autour. Dieu soit au milieu de vostre cœur, ma chere Fille, et le veuille enflammer de son saint, amour. C'est luy qui m'a rendu pour jamais

Vostre tres affectionné et fidelle serviteur,

F. E. de G.

            XXVIII octobre 1608.

            Monsieur de Charmoysi arrive ce soir en cette ville.

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Emile Roux, au château de Vogland

(Ain). [82]

 

 

 

         CDLXXXIX. Aux Syndics ou aux Messieurs du Conseil de Rumilly. L'église paroissiale de Rumilly a besoin d'une restauration: difficultés de l'entreprise; encouragements à les vaincre. —Affection du Saint pour la ville; son humilité.

 

Annecy, 4 novembre 1608.

 

                        Messieurs,

            Je sçay que le desir de la restauration de vostre eglise parrochiale ne vous a jamais manqué. Mais il a neanmoins esté infructueux jusques a present, ou soit que la generale condition de ce païs despuis plusieurs annees vous ayt osté les moyens d'en chevir, ou que l'union et liaison des espritz, si necessaire a toute bonne entreprise, vous ayt defailly.

            L'annee passee, quand j'estois avec vous, il me sembla que ce dernier empeschement fust fort debilité, puisque je vous vis presque tous consentans pour ce regard. Mais nous demeurasmes court au second, parce qu'encor que plusieurs d'entre vous, animés d'une sainte devotion, donnassent leur parole devant Dieu de contribuer, si est ce que plusieurs aussi n'entrerent pas en cette si digne deliberation selon leur devoir; et pour tous il se treuva la difficulté de l'exaction, qui est neanmoins la piece la plus requise a l'execution, et a faute de laquelle tout a cessé, comme il appert.

            Maintenant, il se presente un parti fort asseuré pour vous faire voir en un an ou deux au plus ce que vous aves si longuement desiré, et oster de devant les yeux des estrangers une mauvaise marque de vostre ville, laquelle, [83] au demeurant, n'en a que des bonnes. Il est vray que, comme en toutes les choses de ce monde il y a tous-jours moyen de faire naistre des difficultés, aussi se pourra-il faire qu'en celle-ci quelques uns en pourront susciter. Et pour cela je vous escris, vous conjurant, par vostre propre bonheur et honneur, que vous consideriés beaucoup avant de refuser un si bon moyen de faire une chose si utile, si necessaire et si desirable pour vostre ville, et sans laquelle, ou je me trompe en l'estime que je fay de vos ames, ou vous ne pouves pas vivre contens ni consolés en vos consciences. Je me prometz que cette declaration de mon affection aura quelque poids pour vous esmouvoir, comme considerans que je n'ay nul motif que celuy de la gloire de Dieu et de vostre bien spirituel, auquel, selon mon devoir et inclination, je suis extremement dedié, et je puis mesme dire que j'y suis tout sacrifié et immolé.

            Donnés donq, je vous prie, cette satisfaction a mon ame qui est vostre, ce bon exemple aux autres, cette douceur a vostre vie et cette consolation a vostre posterité, que par des dissensions et varietés de conceptions, une si bonne œuvre ne soit point remise ni divertie. Ainsy, puissies vous longuement tous jouir de la devotion que cette restauration rendra a vos exercices spirituelz et des biens temporelz que Dieu vous en donnera en recompense.

                        Je suis, Messieurs,

            Vostre humble et tres affectionné en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, 4 novembre 1608.

            Je m'essayeray de vous procurer un meilleur predicateur que celuy qui vous prescha l'annee passee, et cela ne me sera pas difficile, bien qu'il est impossible que jamais vous en ayes un plus affectionné. [84]

 

CDXC. A Madame de Mieudry. Les menues pensées de vaine gloire et les mouches. — Les larmes et les résolutions, «la tendreté de cœur et la fermeté de cœur»: choses bien différentes. — Les pensées importunes. — Ne pas tourmenter son âme.

 

Annecy, 6 novembre 1608.

 

                        Madame,

            Hasté du soudain despart de... vostre porteur, je vous respondray briefvement. Escrives moy tous-jours quand il vous plaira, avec entiere confiance et sans ceremonie; car en cette sorte d'amitié, il faut cheminer comme cela.

            Mocques vous, je vous prie, de toutes ces menues pensees de vaine gloire qui se viennent presenter a vostrè ame parmi vos bonnes actions; car ce ne sont proprement que des mouches, lesquelles ne vous peuvent faire nul autre mal que de vous importuner. Ne vous amuses donq point a examiner si vous y aves consenti ou non; mais, tout simplement, continues vos œuvres comme si cela ne vous regardoit nullement.

            Ne poussés pas vostre cœur a la pitié ou compassion en la meditation de la Passion du Sauveur, car il suffit, en toutes meditations, d'en tirer de bonnes resolutions pour nostre amendement et fermeté en l'amour de Dieu, encor que ce soit sans larmes, sans souspirs et sans douceur de cœur; car il y a bien de la difference entre la tendreté de cœur que nous desirons parce qu'elle console, et la fermeté de cœur que nous devons desirer parce qu'elle nous rend vrays serviteurs de Dieu.

            Ne respondes non plus aucun mot a la pensee deshonneste [85] qui vous arrive; seulement, dites en vostre cœur, a Nostre Seigneur: O Seigneur, vous sçaves que je vous honnore; ah! je suis toute vostre; et passes outre, sans disputer avec cette tentation.

            Ne vous troubles point du défaut de vostre examen de conscience, car il ne peut pas estre grand, puisque vous aves désir de vous bien purifier. Il ne faut pas tourmenter son ame, quand on la sent desireuse d'estre fidelle a Dieu. Quand vous n'aures pas vostre confesseur ordinaire, il ne faut pas laisser d'aller a un autre, regardant a Dieu et non pas a l'homme qui confesse ou absout; mesmement, vous confessant souvent comme vous faites.

            Dieu soit tous-jours au milieu de vostre cœur. Je suis en luy, Madame,

                                                                                                          Vostre.....

            A Neci, 6 novembre 1608.

 

CDXCI. A Mademoiselle de Bréchard. Recommandations pressantes de garder son cœur, de le mortifier et de le tenir en même temps dans la joie. — Messages.

 

16 novembre 1608.

 

                        Madamoyselle,

            Le seul desir que j'ay que vous sachies que mon cœur cherit le vostre me fait escrire ces trois motz. Conserves [86] le bien, ce cœur, pour lequel le cœur de Dieu fut triste jusques a la mort, et, apres la mort, transpercé par le fer, affin que le vostre vive apres la mort et soyt joyeux toute sa vie. Mortifies le bien en ses joyes, et le resjouisses en ses mortifications.

            Resouvenes vos petites damoyselles de moy, et principalement ma Marie Aymee que je tiens pour toute mienne. Je suis,

            Madamoyselle,

                        Vostre tres asseuré serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                              F. E. de G.

            XVI novembre 1608.

            Je vous escrivis l'autre jour par l'homme de Mme du Puy d'Orbe, et au bon M. de Lacurne que je vous prie saluer de ma part.

 

            A Madamoyselle

Madamoyselle de Brechard.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. de Mérona, au château de Mérona

(Jura). [87]

 

 

 

CDXCII. A la Baronne de Chantal. Amiable partage de biens pour faciliter le mariage de Bernard de Sales.

 

16 novembre 1608.

 

            Jamais nostre la Thuille ne m'a tant contenté que dans ce partage des biens que nous avons fait aimablement cette semaine entre mes freres. En fin nostre Marie bienaymee sera baronne de Thorens. Mais tout cela s'est passé si paysiblement et si chrestiennement, que j'en suis tout a fait edifié et consolé…………………………………………………………………………………….

 

 

 

CDXCIII. A Madame de la Chambre, Religieuse de l'Abbaye de Baume. Pourquoi il ne faut pas remettre les Vêpres après souper. — Le moyen d'être consolée pour cette vie et pour l'autre. — Messages divers.

 

Annecy, 24 novembre 1608.

 

                        Madame ma tres chere Niece,

            Vous ne sçauries m'obliger davantage que de prendre la confiance que vous aves en moy, qui aussi vous cheris et honnore avec toute la fidelité que vous pouves desirer. Vous faites dignement de donner a monsieur vostre frere toute la satisfaction que vous pouves, puisqu'il vous tesmoigne tant de son amitié, et, puisqu'il le desire, c'est bien fait de vous tenir tout le jour occupee aux ouvrages. Mais quant a remettre vos Vespres jusques a ce que vous vous retiries le soir apres souper, oh! ma chere Niece, je ne vous le conseille pas. Non point que ce soit grand peché, car tout au plus il n'est que veniel; mais par ce que ce sera plus d'edification pour toute vostre compaignie et plus de satisfaction pour vostre ame, si vous vous retires demi heure devant souper pour dire vos Vespres, faysant paroistre que cela est vostre cher ouvrage et vostre besoigne bienaymee. Pour les autres suffrages des trespassés, [89] vous pouves bien ne les point dire du tout, car vous n'y estes nullement obligee; si que vous pouves, sans scrupule, les laisser.

            Soyes tous-jours bien devote, ma chere Niece, et croyes que c'est le seul moyen de recevoir toute consolation pour cette vie et pour l'autre. Je recommanderay a Nostre Seigneur madamoyselle vostre seur, affin quil la conduise selon vostre desir. Je vous supplie de resaluer madame vostre belleseur de ma part et de l'asseurer de mon service.

            Si j'avois autant de liberté que je souhaiterois, vous ne tarderies guere a me voir; mais, ne pouvant mieux, je vous visite souvent en esprit, desirant en vostre cœur, abondance de l'amour divin. Vives joyeuse, Madame ma chere Niece, puisque vous aves bonne volonté d'estre toute a sa divine Majesté, pour laquelle je suis tres affectionnement,

                        Vostre oncle et serviteur tres asseuré,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIV novembre 1608.

            A Madame

Madame de la Chambre,

            Religieuse de Baume.

                        A Aix.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Grand-Séminaire de Besançon. [90]

 

 

 

CDXCIV. A la Baronne de Chantal. Anniversaire d'une consécration épiscopale. — Sentiments de François de Sales à propos de cet événement.

 

Annecy, 7 décembre 1608.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je m'essaye de faire un tres grand renouvellement pour mon ame, parce qu'il y a demain six ans que Dieu m'osta au monde et a moy mesme pour me donner a son Eglise et a ses brebis. Vous sçaves que c'est le jour de ma consecration episcopale. Ah, ma Fille, qu'il me fit alhors de graces, ce grand Dieu, et que j'en ay mal prouffité! Mais, vive sa bonté et son amour! je vay commencer tout a cette heure a le bien servir, moyennant l'ayde de sa grace.

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation.

 

 

 

CDXCV. A Mademoiselle de Traves. Témoignages d'affectueux dévouement. — Ingénieuse manière de demander à une âme chrétienne si elle aime Dieu; que faire quand on aime bien Dieu.

 

Annecy, 18 décembre 1608.

 

                        Madamoyselle,

            Mon frere, qui va la, vous dira peut estre que je vous [91] cheris et honnore bien fort; mais vous croiries peut estre bien aussi qu'il me feroit ce bon office par charité, et je desire que vous sçachies que c'est mon cœur qui a vrayement ce sentiment-la: c'est pourquoy je l'escris ainsy de ma main et de mon cœur.

            Mais dites-moy donq, Madamoyselle, je vous supplie l'amour de Dieu regne-il pas tous-jours en vostre ame? N'est-ce pas luy qui tient les resnes de toutes vos affections et qui dompte toutes les passions de vostre cœur? Oh je n'en doute nullement; mais, Madamoyselle, il faut que vous permetties a un esprit qui vous ayme cherement, de vous demander ce qu'il sçait, pour le playsir qu'il prend d'ouyr dire et redire vostre bonheur. On demande si souvent: Vous portes-vous bien? encor que Ton voye ceux qu'on interroge en fort bonne santé. Ayés donques aggreableque, sans desfiance de vostre vertu et constance, je vous demande par amour: Aymes-vous bien Dieu, Madamoyselle? Si vous l'aymes bien, vous vous plaires a le considerer souvent, a parler souvent a luy et de luy, a vous reunir souvent a luy au tres Saint Sacrement. Qu'a jamais puisse-il estre nostre propre cœur, Madamoyselle!

            Je suis en luy,

                        Vostre serviteur bien humble,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            18 decembre 1608. [92]

 

CDXCVI. A la Baronne de Chantal. Départ de Bernard de Sales pour la Bourgogne. — Souhaits et actions de grâces à propos de son mariage. — Le Saint déplore les dangers que court une âme infidèle à ses engagements sacrés et bénit Dieu qui l'a gardé de l'erreur dès son jeune âge. — Les saints Pères et l'hérésie. — Un ministre converti. — «Madamoyselle de Perdreauville» et sa famille. — La manière de prêcher contre les hérétiques.

 

Annecy, 18 ou 19 décembre 1608.

 

            Mais dites donq la verité, ma tres chere Fille, ne voyci [pas] une extravagance, que mon frere partant pour aller aupres de vous, je n'aye pas loysir de vous escrire qu'a demy? Or sus, voyla quil s'en va avec un cœur tout vostre et desireux de vous obeir en tout; car, comme je luy ay recommandé, il traittera de toutes choses avec vous, en l'entiere confiance et obeissance qu'un humble et doux enfant doit rendre a sa bonne et chere mere, et en tout suivra vos advis. Dieu soit loué a jamais! Je ne puis revoquer en doute que ce mariage ne soit son prouffit, puisque luy en ayant si purement remis et recommandé l'evenement, il l'a conduit a ce terme. Qu'a jamais il veuille en maintenir le lien interieur, et longuement l'exterieur.

            Helas, ma Fille, que c'est un dur passage a mon esprit, de passer de ce mariage a la dissolution de celuy que la pauvre damoyselle de Bareul avoit fait avec son Dieu! [93] La pauvrette se veut donques perdre avec son mary. Les Confessions de saint Augustin et le chapitre que je luy montray passant vers elle, devoyent suffire pour la retenir, si elle n'estoit lancee a son precipice que par les considerations qu'elle allegue. Dieu, au jour de son grand jugement, se justifiera contre elle et fera bien voir pourquoy il l'a abandonnee. Ah! un abisme en tire un autre. Je prieray Dieu pour elle, et specialement le jour de saint Thomas, que je conjureray, par son heureuse infidélité, d'interceder pour cette pauvre ame si malheureusement infidelle.

            Quelles actions de graces devons nous a ce grand Dieu, ma chere Fille! Mais moy, attaqué par tant de moyens, en un aage fresle et flouet, pour me rendre a l'heresie, et que jamais je ne luy aye pas seulement voulu regarder au visage sinon pour luy cracher sur le nez, et que mon foible et jeune esprit, parcourant sur tous les livres empestés, n'aye pas eu la moindre esmotion de ce malheureux mal: o Dieu, quand je pense a ce benefice, je tremble d'horreur de mon ingratitude. Ma Fille, accoisons nous en la perte de ces ames, car Jesus Christ a qui elles estoyent plus cheres, ne les laisseroit pas aller apres leur sens, si sa plus grande gloire ne le requeroit. Il est vray que nous les devons regretter, et souspirer pour elles comme David sur son Absalon pendu et perdu.

            Il n'y eut pas grand mal, non, en ces desdains que vous tesmoignastes parlant avec elle. Helas! ma Fille, on ne se peut contenir quelquefois en des accidens si dignes d'abhorrissement. Les epistres de saint Hierosme luy seront encores bonnes, car voyes vous, outre les tesmoignages qui sont espars ça et la es escritz des saintz Peres en faveur de l'Eglise (car en fin ilz parlent tous comme nous), l'esprit mesme de ces grans personnages respire par tout contre l'heresie.

            L'autre jour, de grand matin, un homme grandement docte et qui avoit esté ministre long tems, vint me voir, [94] et me racontant comme Dieu l'avoit retiré de l'heresie: «J'ay eu,» ce me dit il, «pour catechiste le plus docte Evesque du monde.» Je m'attendois qu'il me nommast quelqu'un de ces grandes renommees de cet aage, et il me va nommer saint Augustin. Il s'appelle Corneille, et maintenant fait imprimer un beau et digne livre pour la foy. Il n'est pas encores receu a l'Eglise, et m'a donné esperance que ce sera moy qui le recevray. Je n'ay jamais veu homme si docte de ceux qui sont hors de l'Eglise. Helas, le bon homme s'en alla satisfait d'avec moy, disant que je l'avois caressé amoureusement et que j'avois le vray esprit de chrestien. Je croy bien qu'il adjousta que je n'estois pas des plus doctes, mais on ne me le dit pas. Mon Dieu, ma Fille, que dis-je? J'escris a course de plume et ne pense qu'a vous parler comme entre nous deux. Je voulois dire que ces anciens Peres ont un esprit qui respire contre l'heresie, es pointz mesmes esquelz ilz né disputent pas contre elle. [95]

            Estant a Paris et preschant en la chapelle de la Reyne, du jour du Jugement (ce n'est pas un sermon de dispute), il se treuva une damoyselle, nommee madamoyselle Perdreauville, qui estoit venue par curiosité; elle demeura dans les filetz, et sur ce sermon prit resolution de s'instruire, et dans trois semaines apres, amena toute sa famille a confesse vers moy et fus leur parrein a tous en la Confirmation. Voyes vous, ce sermon la, qui ne fut point fait contre l'heresie, respiroit neanmoins contre l'heresie, car Dieu me donna lhors cet esprit en faveur de ces ames. Despuis j'ay tous-jours dit que qui presche [96] avec amour presche asses contre les heretiques, quoy qu'il ne die un seul mot de dispute contre eux; et c'est pour dire qu'en general, tous les escritz des Peres sont propres a la conversion des heretiques.

            O mon Dieu, ma chere Fille, que je vous souhaitte de perfections! Une pour toutes: cette unité, cette simplicité. Vivés en paix et joyeuse, ou au moins contente, de tout ce que Dieu veut et fera de vostre cœur. Je suis en luy et par luy, tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le... decembre....

 

                        A Madame

Madame la Baronne de Chantal.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

CDXCVII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Le Saint demande à l'Abbesse de ses nouvelles. — Conseils divers. — Le moyen de tirer profit de ses infirmités. — Exhortation à la dévotion. — Assurance de dévouement.

 

Annecy, 19 décembre 1608.

 

            C'est grand cas, ma chere Fille, que nul ne m'escrit de vous, ni de Dijon, ni de Bourbilly, sinon l'autre jour madame de Chantal qui me dit qu'elle vous iroit voir. Mais que faites vous donq, chere Fille? Voyci la cinquiesme lettre que je vous envoye despuis mon retour: penses vous pas que ce soit a bon escient que je suis vostre pere? Voyes vous, escrives moy un peu souvent, et envoyes a commodité vos lettres a Dijon et a Montelon, car je les recevray tous-jours asses; et si vous ne pouves pas m'escrire (car je m'imagine que cette mauvaise jambe [97] vous tient souvent au lit), faites que cette bonne seur m'escrive pour vous.

            Mon Dieu, que de biens mon ame souhaite a la vostre! Faites bien vostre prouffit de vos travaux, rendes-les fructueux par une volontaire acceptation des croix que la necessité vous impose. Resouvenes vous de vos premiers mouvemens de devotion; car a vostre retour de Dijon, on me dit qu'entre les rasoirs et lancettes, vous chanties des cantiques a Dieu. Prattiques fidellement les oraysons jaculatoires, faites vous lire des bons livres et ordonnes a vos plus confidentes filles quelles vous entretiennent de Dieu.

            J'attens que ce primtems nous donne la commodité de nous revoir, et tandis, tous les jours je prie pour vous; et certes, mon cœur vous cherit tres parfaittement en Celuy qui, pour nous, eut le sien transpercé sur la croix. Dites vous pas tous-jours: VIVE JESUS? Ouy, ma Fille tres chere, qu'a jamais ce grand Jesus vive et regne en nos ames! Amen.

            Je salue toutes vos cheres Seurs, et a part la nostre. Mon frere le chanoyne n'est pas icy; je m'asseure quil vous escriroit; car et luy et toute nostre mayson est dedié a vostre service.

            XVIIII decembre 1608.

 

                        A Madame

Madame l'Abbesse du Puy d'Orbe.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [98]

 

 

 

CDXCVIII. A Madame de Rochette, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine (Inédite). Un sujet inépuisable de correspondance. — Le Saint envoie à la destinataire des chansons spirituelles.

 

Annecy, 28 décembre 1608.

 

            Vous faites bien, ma chere Fille, de m'escrire quelquefois sans sujet particulier, mais avec le seul general que Jesus Christ et sa dilection, unique lien de nos cœurs, vous fournira tous-jours. Sans doute que Dieu vous consolera tous-jours plus en cette heureuse entreprise que vous aves faitte de ne vivre que pour luy. Continues donq courageusement, chere Fille, et demeures invariable en ce divin propos.

            Je vous envoyay des chansons spirituelles par cette porteuse, et ne sçay comme elle ne les vous a donnees. Il y en avoit peu parce que les copies des autres se sont esgarees; mais je les feray rechercher, affin qu'a cela ne tienne que vous aspiries amoureusement et souëfvement en Dieu, pour lequel nous devons souspirer toute nostre [99] vie et auquel nous souhaitons d'expirer a la fin de nos jours. Amen.

            Je suis en luy,

                        Vostre tres affectionné et fidelle serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            28 decembre 1608.

            Si vostre bonne Made (sic) me fait la consolation de venir me voir, faites-le moy sçavoir, je vous prie, affin que je la reçoive plus a propos, et vous aussi.

 

            A Madame de Rochette.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation de Montélimar.

 

 

 

CDXCIX. A M. Claude Bretagne. Souhaits de courtoisie à un magistrat à la fin d'une année. Pourquoi la fuite des années ne doit pas nous attrister.

 

Annecy, 28 décembre 1608.

 

                        Monsieur,

            Cette annee, qui se passe en ces deux jours suivans, me sera memorable pour avoir en icelle receu le bien de [100] vostre amitié et connoissance. Avant donq qu'elle finisse, je me veux ramentevoir en vostre souvenance, et vous supplier de me conserver en cette nouvelle annee venante le mesme bonheur que vous m'aves donné en celle cy. Elles s'en vont bien viste, ces annees, et nous vont ravissant apres, ou plustost avec elles; mais que nous en doit-il chaloir, puis que, moyennant la misericorde de Dieu, elles nous vont fondre et abismer dedans une profonde eternité?

            Je suis toute ma vie, Monsieur,

Vostre bien humble serviteur,

                                               FRANÇS, E. de Geneve.

            28 decembre 1608.

A Monsieur

Monsieur Bretaigne,

Conseiller de Sa Majesté au Parlement de Bourgoigne.

A Dijon.

 

D. A la Baronne de Chantal. Dieu favorise le dessein de la Visitation en lui préparant des âmes d'élite. — Une prétendante ; estime qu'en fait le saint Evêque.

 

Annecy, fin décembre 1608.

 

            Courage, ma Fille, Dieu nous veut ayder a nostre dessein; il nous prepare des ames d'eslite. Madamoyselle de Blonay, de laquelle autrefois je vous ay parlé, m'a declairé son desir d'estre Religieuse; Dieu l'a [101] marquee pour estre de la Congregation. Je luy ay dit de me laisser gouverner son secret, et je me veux rendre bien soigneux de servir cette ame en son inspiration, car Dieu m'a donné quelque mouvement particulier la dessus. Je tiens des-ja cette fille pour vostre et pour mienne. [102]

 

 

Fragments de lettres a la Baronne de Chantal, 1605-1608

 

 

DI. Ne jamais reprendre le temps fixé pour l'oraison. — Le crucifix matériel et le vrai Crucifix. — Comment s'accuser en confession. La simplicité, l'amitié, la petitesse. — Que faire quand il arrive des pensées mauvaises.

 

a)

 

            Le tems que nous determinons de donner a Dieu en l'orayson, donnons le luy avec nostre pensee libre et desoccupee de toutes autres choses, avec resolution de ne jamais le reprendre, quelz que travaux qui nous en arrivent, et tenons un tel tems pour chose qui n'est plus a nous; et encor que vous y senties vostre misere, ne vous troubles point, ains soyes en joyeuse, pensant que vous estes une vrayement bonne besoigne pour la misericorde de Dieu. [103]

 

b)

            Quand on fait les Religieuses professes, on leur met un crucifix materiel entre les bras; mais moy, ma Fille, je vous donne le vray Crucifix. C'est vostre Espoux. Portés le entre vos bras et que vostre ame le tienne bien serré et n'abandonne point le pied de la Croix, luy donnant vostre cœur souventes fois le jour.

 

c)

            Je vous recommande de vous accuser en confession clairement, franchement et simplement, et ne vous empresses point pour vos confessions, pourveu que vous gardies cette fidelité a Dieu, de ne point retenir ni excuser vos pechés: Non, non, mon Sauveur, deves vous dire, jamais je n'oublieray vos volontés, car en icelles, vous m'aves justifiee.

            Vuides vostre cœur de toute image des choses corporelles, et simplifies vos actions et vos paroles, tant que vous pourres. Que vostre amitié soit cordiale et sincere et sans flatterie. Faites vous fort petite a vos yeux: c'est la vraye grandeur des vefves.

            Quand il vous arrivera des pensees mauvaises et que vous vous en appercevres, faites un acte positif par une aspiration contraire, et ne perdes pas le tems a vouloir rien rechercher, mais passes outre.

            Il est bon de representer ses necessités a Dieu par un simple regard, et l'invoquer au commencement de toutes vos actions. Penses que le doux Sauveur est assis dans vostre cœur comme en son throsne, et le regardés souvent, vous humiliant fort devant luy.

            Je desire que vous soyes extremement humble; que vostre cœur soit fort clair et ouvert, et sans resérve en mon endroit. [104]

 

 

 

DII. Exhortation à la douceur dans les relations avec le prochain. Comment réprimer les défauts de nos inférieurs. — Aveu du Saint. — Les vainqueurs du mal.

 

            Quand le saint patriarche Joseph renvoya ses freres d'Egypte pour amener Jacob leur pere, il leur donna cet advis: Ne vous courrouces point en chemin. Je vous dis de mesme: Cette miserable vie n'est qu'un acheminement a la bienheureuse; ah! ne nous courrouçons peint en chemin, allons avec nos compaignes, doucement et paisiblement. Ne recevés pas les pretextes que l'amour propre suggere pour excuser le courroux, car saint Jacques dit tout net: L'ire de l'homme n'opere point la justice de Dieu; combien moins celle de la femme. Et aussi, Nostre Seigneur a formé toute sa doctrine en ces motz: Apprenes de moy que je suis doux et humble de cœur. Bref, le sucre ne gaste nulle sauce.

            Il faut resister au mal et reprimer les vices de ceux qui sont en nostre charge, puissamment, vaillamment, mais doucement, paisiblement. Rien ne matte tant l'elephant que l'aigneau, et rien ne rompt tant la fureur du canon que la laine. Je ne me suis mis en cholere, pour justement que ç'ayt esté, que je n'aye reconneu par apres que j'eusse encores plus justement fait de ne me point courroucer.

            Bref, resouvenes vous que l'espouse de Nostre Seigneur est appellee Sulamite, c'est a dire paisible, et que dessous sa langue est le lait et le miel; en ses levres, le rayon distillant, comme il est dit au Cantique Saint Paul nous apprend de vaincre le mal, et non [105] seulement de le combattre. Ceux qui se courroucent combattent le mal, mais ceux qui sont doux le vainquent: Surmontes, dit l'Apostre, le mal par le bien.

 

DIII. Avoir son âme en ses mains; comment elle nous échappe et les moyens de la reprendre. — Obligation d'une âme qui est toute à Dieu. — Le présent, le passé et l'avenir, et l'emploi qu'il convient d'en faire pour servir Notre-Seigneur comme il le désire.

 

a)

 

            Mon ame est au hazard, je la porte en mes mains, disoit David. Examines souvent si vous aves vostre ame en vos mains; si quelque passion, trouble ou inquietude vous l'a point ravie; si vous l'aves en vostre commandement, ou bien si elle est point engagee en quelque affection; et si vous voyes qu'elle vous soit eschappee, avant toutes choses, cherches la et la reprenes. Mais resouvevenes vous qu'il la faut reprendre fort bellement et doucement, car si vous la voules saysir a force de bras, vous l'effaroucheres.

            Dieu soit nostre tout!

b)

 

            Considerés souvent si vous pouves dire avec verité: Mon Bienaymé est a moy, et moy a luy. Voyés s'il y a quelques pieces et facultés de vostre ame ou quelque sens de vostre cors qui ne soit pas a Dieu, et l'ayant descouvert, reprenes le ou qu'il soit, et le luy rendes, car vous estes a luy, toute, toute.

            Nostre Seigneur desire que vous ne pensies ni a vostre advancement ni a vostre amendement, point du tout; [106] mais a recevoir et employer fidellement les occasions de le servir et prattiquer les vertus dans chaque moment, sans aucune reflexion sur le passé ni l'avenir. Chaque moment present doit porter son soin, et l'unique occupation dans les retours a Dieu, est un general abandonnement et desir qu'il destruise tout ce qui s'oppose a ses desseins.

 

DIV. (Fragment inédit). Un «point d'importance.» — Les feuilles, les fleurs et les fruits des amitiés mondaines. — Les petits renardeaux et les mouches mortes. — Les amitiés mauvaises et les amitiés de charité ; différence de leurs allures. — Il faut couper les premières, et «auconteau tranchant.» — Le trouble de la Sainte Vierge à la vue d'un Ange doit servir de leçon aux âmes pudiques.

 

            Ayes memoyre de l'advis de saint Jacques: L'amitié du monde est ennemie de Dieu. Gardes vous de recevoir ou nourrir aucune amitié mondaine, sous quel pretexte que ce soit; ceci est un point d'importance.

            Vous descouvrires cette amitié par ses feuilles, par ses fleurs [et par ses fruits]. Ses fruitz, ses feuilles et ses fleurs ne valent rien. Ses feuilles sont des paroles bien coiffees, recherchees, inutiles, affectees, louanges tirees de vos qualités naturelles et civiles, et semblables vanités. Ostés-vous de la, ma Fille, car l'ombre de ces feuilles est veneneuse. Les fruitz sont: distraction de cœur, obscurcissement d'esprit, degoustement d'ame, dissipation des facultés interieures. Oh! Dieu vous defende de ces accidens.

            Saysisses, dit il au Cantique, ces petitz renardeaux, car ilz demolissent les vignes. Telles petites galanteries sont renardeaux qu'on ne voit presque pas: ilz sont propres a se cacher parce qu'ilz sont petitz; ilz se fourrent insensiblement au travers de la haye de nos resolutions, mais ilz ne laissent pas de faire un grand degast, pour [107] peu d'entree qu'on leur donne. La vraye marque de ces renardeaux, c'est-qu'ilz ne voudroyent ni dire ni faire ce qu'ilz dient, et voudroyent qu'il ne fust sceu de personne; ilz recherchent les tenebres et fuyent le jour; ilz recherchent des immoderés secretz et silence. Toutes telles amitiés sont mondaines et desplaisantes a Dieu.

            Ce sont ces mouches qui perdent la suavité de l'unguent, parce qu'elles sont mortes. La vraye amitié de charité est ronde, franche, ouverte, sans fierté, sans finesse, toute simple, point jalouse, point affectee. O mouche morte, que fais tu dans ce miel? Que te sert il d'estre parmi l'unguent, ni a l'unguent de te recevoir? Si tu estois vive, tu ferois le miel, et le miel te nourriroit; tu mangerois l'unguent, et l'unguent te parfumeroit, tu emporterois le parfum ça et la: mais morte, tu perds l'unguent.

            Coupés, tranchés ces amitiés, et ne vous amuses pas a les desnouer: il faut les ciseaux et le couteau. Non, les nœudz sont minces, entrefichés, entortillés; vous les penseres desfaire, et les entreficheres plus fort; vos ongles [sont] trop courtes pour passer toutes ces boucles. Ce n'est qu'au couteau tranchant qu'on les coupe; aussi bien les cordons ne valent rien: qu'on ne les espargne point. Ce n'est pas moy qui dis ceci, c'est Dieu.

            Voyes vostre sainte Abbesse: elle se trouble voyant un Ange en forme d'homme avec elle, parce qu'il la louoit et qu'elle estoit seule. Sauveur de mon ame! elle craint un Ange en forme humaine; craignes un homme, encor qu'il soit en forme d'ange, car le danger en est bien plus grand. C'est asses dit.

 

DV. Vertus, exercices, lieu, rang, gloire et couronne des veuves. A qui faut-il laisser les extases et la contemplation de l'Essence divine. — Tableau rapide des vertus que la très Sainte Vierge a pratiquées depuis Nazareth jusqu'au Calvaire. — Les petites et les grandes vertus ; c'est par les unes qu'on arrive aux autres. — La «femme forte» et ce qu'il faut faire pour lui ressembler. Dieu, comme un bon père, accommode ses pas aux nôtres. — Comment fortifier son cœur contre Satan et le rendre «imprenable

 

            Chacun doit aymer les vertus qui luy sont convenables, chacun selon sa vocation. Les vertus d'une vefve sont l'humilité, le mespris du monde et de soy mesme, la simplicité. Ses exercices sont l'amour de son abjection, le service des pauvres et des malades; son lieu, le pied de la Croix; son rang, le dernier; sa gloire, d'estre mesprisee; sa couronne doit estre sa misere: petites vertus. Car, quant aux extases, insensibilités, et ces unions deifiques, eslevations, transformations et semblables vertus, et qu'on estime distraction de servir Nostre Seigneur en son humanité et membres d'icelle, et ne s'amuse plus qu'a la contemplation de l'Essence divine, il les faut laisser pour les ames rares, eslevees et qui en sont dignes. Nous ne meritons pas tel rang au service de Dieu; il le faut servir premierement es bas offices, avant que d'estre attiree a son cabinet.

            Voyes vostre Abbesse par tout ou elle est. En sa chambre de Nazareth: elle exerce sa pudicité en craignant; sa candeur, desirant d'estre enseignee et interrogeant; sa demission, son humilité, se disant chambriere. Voyes la en Bethleem: elle exerce une vie simple de pauvreté; elle escoute les bergers comme si c'eussent esté de grans docteurs. Voyes la avec les Rois: elle ne s'empresse point a leur faire des harangues. Voyes la en la Purification: elle va pour obeir a la coustume ecclesiastique. En allant et revenant de l'Egypte, elle obeit simplement [109] a saint Joseph. Elle ne croit pas de perdre le tems d'aller visiter sa cousine sainte Elizabeth, par office d'une charitable civilité. Elle cherche Nostre [Seigneur] non pas en se res-jouissant, mais en pleurant. Elle a compassion de la pauvreté et confusion de ceux qui l'ont invitee aux noces, leur procurant leurs necessités. Elle est au pied de la Croix, humblement humble, basse, vertueuse, et vertueusement basse.

            Dieu ne recompense pas ses serviteurs selon la dignité de l'office qu'ilz exercent. Je ne dis pas qu'il ne faille aspirer a ces hautes et supremes vertus, mais je dis qu'il faut s'exercer aux petites, sans lesquelles les grandes sont souvent fauses et trompeuses. Apprenons a souffrir volontier des paroles d'abaissement et qui tendent au ravalement de nos opinions et de nos advis; puis nous apprendrons a souffrir le martyre, a faire l'aneantissement en Dieu et 'l'insensibilité en toutes choses. David apprit premierement a esgorger les bestes et puis a desfaire les armees. L'on sçait ce qu'Eliezer fit pour connoistre si Rebecca estoit propre pour estre espouse du filz de son maistre Abraham: [ce] fut en luy demandant a boire de l'eau, espreuvant si elle en donneroit volontier et espreuvant encores si elle en donneroit volontier a ses chameaux. Petite courtoisie; basse vertu, mais marque d'une bien grande.

            Je ne forclos pas l'eslevation de l'ame, l'orayson mentale, la conversation interieure avec Dieu, l'eslancement perpetuel du cœur en Nostre Seigneur; mais sçaves vous ce que je veux dire, ma Fille? Je veux dire qu'il vous faut estre comme cette femme forte, de laquelle le Sage dit: Elle a mis la main a choses fortes et ses doigtz ont manié le fuseau. Medites, esleves vostre esprit, portes-le en Dieu, c'est a dire, tires Dieu en vostre esprit: voyla les choses fortes. Mais avec tout cela, n'oublies pas vostre quenouille et vostre fuseau: filés le fil des petites vertus, abaisses vous aux exercices de charité. Qui dit autrement, se trompe et est trompé.

            Laisses moy le soin de vos autres desirs, je les vous garderay fort soigneusement; n'en ayes nul souci, car [110] peut estre aussi ne vous les rendray je jamais et ne sera pas expedient; mais asseures vous que je ne les employeray pas mal. J'en dois rendre conte a Dieu et je m'en charge.

            Chemines tous-jours devant Dieu et devant vous. Dieu prend playsir a vous voir faire vos petitz pas, et, comme un bon pere qui tient son enfant par la main, il accommodera ses pas aux vostres et se contentera de n'aller pas plus viste que vous. Dequoy vous soucies vous? d'aller ou d'un costé ou d'autre, d'aller vistement ou bellement? Pourveu qu'il soit avec vous, et vous avec luy....

            Ne disputés jamais ni peu ni prou avec les suggestions de l'ennemy, contre la foy, contre la chasteté, contre l'obeissance vouee et contre le dessein de tendre a la perfection. Vostre cœur est imprenable, et ces articles en sont les fondamentales asseurances. Qu'est il besoin de disputer? Non, pas un seul mot de replique, sinon celle de Nostre Seigneur: Arriere de moy, o Satan, tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.

            Marches joyeusement, ma Fille, avec une extreme confiance en la misericorde de vostre Espoux, et croyes qu'il vous conduira bien; mais laissés-le faire.

 

DVI. L'esprit naturel et l'esprit chrétien ou l'esprit de la foi ; les rébellions du premier n'empêchent pas celui-ci de subsister et d'avoir finalement la victoire. — La barque, l'aiguille marine et la «belle estoile.» — Que doit faire l'âme chrétienne au temps de la «dereliction.» — Comment se conduire dans les assauts contré la foi et dans les tentations de vanité et de vaine gloire. Les assoupissements et les distractions. — Les nuages du ciel atmosphérique et les brouillards de l'esprit. — Porter remède au mal, mais se tenir dans l'indifférence à l'égard des résultats. — Le moyen d'être parmi le monde, sans y avoir son cœur.

 

            Resouvenes vous que nostre esprit connoissant et agissant, s'appelle ame agissante et connoissante; [connaissant] par le discours et raysonnement naturel, il s'appelle entendement, intelligence ou esprit humain; [112] mais connoissant et agissant par l'esprit de la foy, il s'appelle esprit de la foy ou esprit chrestien. Or, ma Fille, il arrive quelquefois que nostre esprit n'agit que par la clairté naturelle, et que l'esprit humain ne peut acquiescer a cette action, et beaucoup moins l'ame sensuelle, ains se contredisent et s'opposent; et lhors il nous semble que tout est perdu, et l'esprit, presque abandonné de toutes les facultés raysonnables et sensitives, demeure tout esperdu, ce semble, et estonné. Mays neanmoins, en vraye verité, il n'y a nul danger, car l'esprit de la foy demeure vif et sauve. Quand tout le reste conspireroit contre nous, nous ne sçaurions deschoir de la grace de Dieu.

            Il est vray qu'Absalon inquiete et trouble tout le royaume d'Israël contre son pere David, en sorte que le pauvre David, tout Roy qu'il est, s'en va pleurant, piedz nus et la teste voilee, chacun l'ayant abandonné; mais il est Roy neanmoins, et a la fin rangera tout le reste a son obeissance. Quand donq il vous arrivera de voir vostre ame sensuelle et vostre esprit humain se bander contre vostre esprit chrestien, le troubler, inquieter et faire sous-lever contre luy les facultés de vostre cœur, courage, ma Fille, un peu de patience, car nostre David, en fin, demeurera vainqueur. Que toute la barque de nostre navire aille ou il voudra; il tirera bien quant et soy l'aiguille marine, mais il n'empeschera pas pourtant qu'elle ne face son mouvement et qu'elle n'aye sa tendance a sa belle estoile.

            Cette dereliction ressemble a celle que Nostre Seigneur ressentit a sa Passion; et en icelle, il semble que nostre ame soit comme le Prophete que l'Ange tenoit et portoit en l'air par un de ses cheveux. Nul remede a cela, ma Fille, que de s'humilier et attendre en patience la sainte grace de Dieu, recommandant doucement nostre esprit entre ses mains paternelles.

            Aux tentations de la foy, humilies vous profondement devant Dieu, puis devant son Eglise, par une sainte inclination cordiale, et faites un acte positif de foy, protestant de vouloir a jamais croire tout ce que Dieu a revelé a son Eglise; et, sans plus disputer ni examiner [112] aucunes choses, divertisses vostre cœur a des autres occupations, et principalement exterieures. Et bien que la tentation vienne autour de vous, ne faites aucun semblant de la voir; mais dissimulant cette attaque, appliques vous aux autres exercices.

            Aux tentations de vanité et de vaine gloire, il en faut faire le mesme, c'est a sçavoir: faire un acte positif et contraire, et au lieu de se glorifier, s'humilier de sa propre vanité, comme disant: Ouy, Seigneur, je suis vaine et mon esprit n'est que vanité.

            Ne vous rendes pas si pointilleuse et tendre aux sentimens des tentations, que pour cela vous soyes troublee et inquietee. Helas! ma Fille, il se faut resoudre egalement a sentir les tentations et a n'y point consentir. Quand donq vous les sentires, penches doucement, vostre cœur de l'autre costé et ne vous inquietes point; et bien que vos sens et vostre esprit humain semblent tenir le parti de la tentation, ne vous estonnes nullement, pourveu que l'esprit de la foy et le mouvement intime de vostre cœur se tournent tous-jours a vostre belle estoile.

            Estonnes vous encores moins des assoupissemens et distractions qui surviennent, car ce sont accidens naturelz. Et comme au grand monde, le ciel n'est pas tous-jours serein et descouvert, mais souvent l'air se couvre par des nuages et brouillardz, ainsy au petit monde, qui est l'homme, l'esprit n'est pas tous-jours gay et clair, mais couvert quelquefois d'assoupissement qui trouble sa clairté et empesche sa gayeté.

             Quand il vous arrive des maux, ou interieurs ou exterieurs, employés contre iceux les remedes que je vous ay marqués, puisque Dieu vous les a donnés, mais laissés a Nostre Seigneur le choix de donner la victoire ou aux tourmens ou aux remedes, selon son bon playsir. Cette resignation est bien requise. Cloues vostre cœur au pied de la Croix, laissés-le la en asseurance, tandis que par la necessité de vostre condition il faut estre parmi le monde, car ainsy nous n'y aurons pas nostre cœur. [113]

 

 

 

DVII. Une grâce que le Saint sollicite de Notre-Seigneur pour Mme de Chantal. — La présence de Dieu dans l'âme chrétienne, d'après sainte Thérèse et saint François de Sales.

 

a)

 

            J'ay fort prié Nostre Seigneur qu'il vous fist bien sentir comme il faut resigner tout vostre soin, toutes vos agilités et souplesse d'esprit, toutes ces petites pointes de vostre entendement qui veulent tout mesnager, voir et prevoir, entre les mains de sa Bonté souveraine et tres paternelle, ne permettant point que vostre cœur s'inquiete, ains le faysant reposer doucement sur les bras du Sauveur.

 

b)

            La presence de Dieu que la Mere Therese enseigne au 29 et 30 chapitres du Chemin de perfection est excellente, et pense que c'est la mesme que je vous marquois, quand j'escrivois que Dieu estoit dans nostr'esprit comme le cœur d'iceluy, et en nostre cœur comme l'esprit qui le vivifie, et que David appelloit Dieu: Dieu de son cœur. Usés-en hardiment et souvent, car elle est fort utile.

            Dieu soit a jamais l'ame et l'esprit de nos cœurs, ma tres chere Fille! Courage, je vous prie.

 

DVIII. La charité envers le prochain ne doit pas nous faire couvrir le mal. — Blâmons le vice, épargnons les personnes. — Comment nous devons considérer les actions du prochain. — La charité et les pécheurs.

 

            Je vous conjure de ne dire jamais mal du prochain [114] ni rien qui tant soit peu le puisse offencer. Il ne faut pas toutesfois favoriser le mal, le flatter ou le couvrir, ains parler rondement et dire franchement mal du mal, et blasmer les choses blasmables, quand l'utilité de celuy de qui l'on parle le requiert; car en cela, Dieu est glorifié. Et sur tout, blasmer le vice et espargner le plus que l'on peut la personne auquel il est, d'autant plus que la bonté de Dieu est si grande, qu'un moment seul suffit pour impetrer sa grace. Et qui pourra asseurer que celuy qui estoit hier pecheur et meschant le soit aujourd'huy?

            Quand nous regardons les actions du prochain, [voyons-les] dans le biais qui est le plus doux, et quand [nous] ne pouvons excuser ni le fait ni l'intention de celuy que, d'ailleurs, nous connoissons estre bon, n'en jugeons point, mais ostons cela de nostre esprit et laissons le jugement a Dieu. Quand nous ne pouvons excuser le peché, rendons le au moins digne de compassion, l'attribuant a la cause la plus supportable, comme a l'ignorance ou infirmité.

            La charité craint de rencontrer le mal, tant s'en faut qu'elle l'aille chercher; quand elle le treuve, elle s'en destourne, elle le dissimule, ains elle ferme les yeux avant que de le voir; que s'il faut le voir, elle s'en destourne …………………………………………………………………....

 

 

           

DIX. A un inconnu (Fragment inédit). Regrets adressés à un supérieur de n'avoir pas su le rencontrer pour lui baiser les mains.

 

[Fin 1608 ou 1609.]

 

                        Monsieur,

            Je desirois infiniment d'avoir lhonneur de vous bayser [115] les mains et vous vouer, en presence, l'obeissance que je vous veux rendre toute ma vie, et avois marqué la ville d'Àix pour le lieu auquel, avec moins de vostre incommodité, je pourrois jouir de ce bonheur lhors que vous y viendries faire vostre visite. Mais n'en ayant pas sceu le tems, cett'occasion s'est escoulee inutilement pour moy. Je cours donq d'esprit et d'affection apres vous, Monsieur, et vous supplie tres humblement de me vouloir       

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

DX. A la Baronne de Chantal. Impatience de Mme de Boisy de voir la conclusion du mariage de son fils Bernard. — Le Saint partage ce même désir, mais sans impatience.

 

Annecy, [fin 1608 ou 1609.]

 

            Je vous asseure que ma mere est dans une telle impatience [116] d'estre mere d'une fille que vous luy aves donnee, que les continuelles presses qu'elle m'en fait me bailleroyent avec elle de l'inquietude, si je ne me souvenois de l'edifice auquel je travaille, qui est de bien establir mon ame dans une constante paix. Dieu m'est a tesmoin combien je desire cette belleseur et comme elle me sera chere. Non, je ne penseray point que ce soit ma belleseur, elle me sera plus que seur et plus que fille; mais pour cela, se faut il empresser? [117]

 

Année 1609

 

 

DXI. Aux Syndics de Rumilly. Entremise du Saint auprès des FF. mineurs Capucins en faveur de la ville de Rumilly.

 

Annecy, 13 janvier 1609.

 

                        Messieurs,

            J'ay eu soin de faire tenir vostre lettre au P. Commissaire, et l'ay accompaignee d'un'autre que j'ay escritte a mesme fin. Celuy qui les a portees m'en rapportera bien tost la response, de laquelle je vous feray part comme desireux de vostre consolation spirituelle, estant,

 

                        Messieurs,

                                   Vostre bien humble et tres affectionné

                                                           en Nostre Seigneur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            XIII janvier 1609.

                        A Messieurs

Messieurs les Scindics de Rumilly.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. de Morand, Le Trembley (Savoie).

 

 

 

DXII. A Madame de la Fléchère. Les assoupissements des sens et la volonté résolue d'être tout à Dieu. — La miséricorde de Dieu surpasse la misère de ceux qui «en luy ont logé leurs esperances.» — Le meilleur remède contre l'appréhension de la mort. — Ne pas examiner ce qui est fait, mais penser à ce qui est à faire. — Comment haïr nos défauts. — Ce qui conserve «nos tares.» — Désirs illusoires de changement; c'est nous-même qu'il faut changer.

 

Annecy, 20 janvier 1609.

 

                        Madame,

            Il n'y a point a douter que vous vous expliqueries bien mieux et plus librement a vive voix que par escrit; mais en attendant que Dieu le veuille, il faut employer les moyens qui se presentent. Voyes vous, les assoupissemens, alanguissemens et engourdissemens des sens ne peuvent estre sans quelque sorte de tristesse sensuelle; mais tandis que vostre volonté et le fond de vostr'esprit est bien resolu d'estre tout a Dieu, il ny a rien a craindre, car ce sont des imperfections naturelles, et plus tost maladies que pechés ou defautz spirituelz. Il faut neanmoins s'exciter et provoquer au courage et activité d'esprit, tant quil vous sera possible.

            O cette mort est hideuse, ma chere Fille, il est bien vray; mais la vie qui est au dela, et que la misericorde de Dieu nous donnera, est bien fort desirable aussi. Et si, il ne faut nullement entrer en defiance, car bien que nous soyons miserables, si ne le sommes nous pas a beaucoup pres de ce que Dieu est misericordieux a ceux qui ont volonté de l'aymer et qui en luy ont logé leurs esperances. Quand le bienheureux Cardinal Borromee estoit sur le point de la mort, il fit apporter l'image de [119] Nostre Seigneur mort, affin d'adoucir sa mort par celle de son Sauveur. C'est le meilleur remede de tous contre l'apprehension de nostre trespas, que la cogitation de Celuy qui est nostre vie, et de ne jamais penser a l'un qu'on n'adjouste la pensee de l'autre.

            Mon Dieu, ma chere Fille, n'examines point si ce que vous faites est peu ou prou, si c'est bien ou mal, pourveu que ce ne soit pas peché et que, tout a la bonne foy, vous ayes volonté de le faire pour Dieu. Tant que vous pourres, faites parfaitement ce que vous feres, mais quand il sera fait, ni penses plus, ains penses a ce qui est a faire. Alles bien simplement en la voye de Nostre Seigneur, et ne tourmentes pas vostre esprit. Il faut hair nos defautz, mais d'une hayne tranquille et quiete, non point d'une hayne despiteuse et troublee; et si, il faut avoir patience de les voir, et en tirer le prouffit d'un saint abayssement de nous mesme. A faute de cela, ma Fille, vos imperfections, que vous voyes subtilement, vous troublent encor plus subtilement, et par ce moyen se maintiennent, ny ayant rien qui conserve plus nos tares que l'inquietude et empressement de les oster.

             Dieu soit aupres de madame [de Mieudry] en cette Babilone ou elle va, et luy donne les consolations spirituelles plus grandes que les corporelles. Je salue de tout mon cœur madame de Mirebel et luy souhaite abondance du Saint Esprit.

            C'est une rude tentation de se desplaire, en s'attristant, au monde, quand il y faut estre par necessité. La providence de Dieu est plus sage que nous. Il nous est advis que, changeant de navire, nous nous porterons mieux; ouy, si nous nous changeons nous mesme. Mon Dieu, je suis [120] ennemi conjuré de ces desirs inutiles, dangereux et mauvais; car encor que ce que nous desirons est bon, le desir est neanmoins mauvais, puis que Dieu ne nous veut pas cette sorte de bien, mais un autre, auquel il veut que nous nous exercions. Dieu nous veut parler dedans les espines et le buisson, comm'il fit a Moyse, et nous voulons quil nous parle dans le petit vent doux et frais, comm'il fit a Helie.

            Sa Bonté vous conserve, ma Fille; mais soyes constante, courageuse, et vous res-jouisses dequoy elle vous donne la volonté d'estre toute sienne. Je suis en elle, tres entierement vostre.

F. E. de G.

            XX janvier 1609.

 

Revu sur l'Autographe communiqué par M. le chanoine Collonges, aumônier de la Visitation de Chambéry.

 

 

 

DXIII. A la même. Quand les mortifications ne manquent pas, n'en pas désirer d'autres. — De quelle plainte il se faut garder en toute façon. — Les «petites tricheries quotidiennes.» — La confiance filiale des petits enfants proposée aux âmes qui aspirent à l'extrême perfection. — Après les chutes, il ne faut jamais se décourager. — Dans quel cas il est sage de payer ce qu'on ne doit pas.

 

Annecy, [février] 1609.

 

            Je vous renvoye vostre livre corrigé, ma tres chere Fille: vous puisse-il estre aussi utile que je souhaitte! Sans doute, il faut tant faire et refaire les resolutions de s'unir a Dieu, que nous y demeurions engagés. Mais je desire qu'en vos ferveurs vous ne facies pas des desirs de tentations ni occasions de mortifications; car puisque, [121] par la grace de Dieu, elles ne vous manquent pas, il n'est pas besoin d'occuper vostre cœur a les desirer. Occupés le plustost a le preparer et mettre en la posture requise pour les recevoir, non pas quand vous voudrés, mais quand Dieu voudra les vous permettre.

            D'avoir un peu de joye en la grace divine quand les rencontres nous succedent bien, il n'y a point de mal, pourveu que nous les terminions en humilité. De remedier aux occurrences qui ne vous regardent pas en particulier, mais vostre mayson, il le faut faire, avec cette remise neanmoins, de vouloir avec un cœur esgal attendre l'evenement que Dieu disposera pour le mieux. Mais quant a cette sorte de plainte, que vous estes miserable et infortunee, mon Dieu, ma chere Fille, il s'en faut garder en toute façon; car, outre que telles paroles sont deshonnestes a une servante de Dieu, elles sortent d'un cœur trop abbatu et ne sont pas tant des impatiences que des courroux.

            Voyés vous, ma chere Fille, faites un particulier exercice de douceur et d'acquiescement a la volonté de Dieu, non point pour les choses extraordinaires seulement, mais principalement pour ces petites tricheries quotidiennes. Prepares vous y le matin, l'apres disnee, en disant Graces, devant le souper, apres souper et le soir, et faites en vostre prix fait pour un tems. Mais faites cela avec un esprit tranquille et joyeux, je veux dire ces exercices; et s'il vous arrive des manquemens, humilies vous et recommencés.

            C'est bien fait d'aspirer d'une generale aspiration a l'extreme perfection de la vie chrestienne, mais il ne faut pas philosopher en particulier, sinon sur nostre amendement et sur nostre advancement selon les occurrences quotidiennes, de jour en jour, remettant la conduitte de nostre souhait general a la providence de Dieu, et nous jettant pour ce regard entre ses bras, comme un petit enfant qui, pour croistre, mange de jour en jour ce que son pere luy fournit, esperant qu'il luy fournira a proportion de son appetit et de sa necessité.

            Pour ces tentations d'envie, prattiqués ce que je dis [122] au livre, des mesmes tentations. Puisque la Communion vous est si prouffitable, frequentés la avec ferveur d'esprit et netteté de conscience. Vivés tous-jours joyeuse au travers de toutes vos tentations. Ne faites point pour le present d'autre penitence, et vangés-vous de vous mesme en esprit de douceur a supporter charitablement le prochain, visiter les malades, et ayés bon courage.

            J'ay escrit despuis peu a nostre bonne seur: c'est une fille que je cheris bien fort. La pauvrette a esté tout plein troublee pour peu de chose; mais c'est bon signe, car cela a produit de la crainte de Dieu. Elle a esté toute descouragee parce qu'elle croyoit d'avoir offencé. O Dieu, il faut plustost mourir que d'offencer sciemment et deliberement; mais quand nous tombons, il faut tout perdre, plustost que le courage, l'esperance et la resolution. Or bien, Dieu convertira le tout a son honneur.

            Vostre voysine peut fort loüablement payer derechef ce qu'elle ne doit pas, pour eviter le mal d'un proces ou d'une discorde a son mary, si la somme n'estoit pas fort importante; car, si pour le preserver d'une fievre corporelle, elle peut bien a son insceu employer de l'argent, pourquoy non pour divertir une fievre spirituelle?

            Bon soir, Madame ma tres chere commere, ma Fille; vostre cœur est a Dieu, vivés heureuse d'estre si bien logee. Je suis, d'un cœur entier,

                        Vostre tres fidelle serviteur et compere,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            Je prieray pour la filleule. [123]

 

DXIV. A Monseigneur Pierre de Villars, Archevêque de Vienne. L'Introduction a la Vie devote: circonstances historiques de la publication de cet ouvrage. — Pour quelles raisons l'auteur croit devoir laisser aux grands ouvriers les grands desseins. — Ouvrages moins laborieux qu'il médite d'écrire: «un livret» de l'Amour de Dieu, un petit Calendrier et Journalier pour l'âme dévote, un Traité de la prédication, une méthode de convertir les hérétiques. — La bibliothèque du Saint en Chablais. — Jugement de Mgr Fenouillet sur l'Introduction.

 

Annecy, vers le 15 février 1609.

 

                        Monseigneur,

            Je receus le huitiesme de ce mois la lettre qu'il vous pleut m'escrire le 25 de l'autre prochainement passé, et proteste que rien ne m'est arrivé, il y a long tems, qui m'ayt rempli de tant de joye et d'honneur; car mon ame, qui reveroit la vostre d'un grand respect, desiroit par quelque heureuse rencontre avoir quelque digne acces a vostre bienveuillance. Mais, comme le pouvois je esperer, [124] estant cloué et affigé a ces montaignes, et si indigne de vostre consideration? Et voyci neanmoins que Dieu a voulu me prevenir de cette consolation, de laquelle je remercie tres humblement sa Bonté, et me sens fort obligé a la vostre qui s'y est si amiablement inclinee. C'est un grand fruit que ce pauvre petit livre m'a rendu, et lequel certes je n'attendois pas, mais pour lequel seul, plus que pour aucun autre duquel je me sois apperceu jusques a present, je le veux desormais aymer et cultiver.

            Vous aures bien remarqué, Monseigneur, que cette besoigne ne fut jamais faitte a dessein projetté. C'est un memorial que j'avois dressé pour une belle ame qui avoit desiré ma direction; et cela, emmi les occupations d'un Caresme, auquel je preschois deux fois la semaine. Elle le monstra au R. P. Forier, lhors Recteur du college de Chamberi et maintenant de celuy d'Avignon, qu'elle sçavoit estre mon grand amy, et auquel mesme je rendois souvent conte de mes actions. Ce fut luy qui me pressa si fort de faire mettre au jour cet escrit, qu'apres l'avoir hastivement reveu et accommodé de quelques petitz ageancemens, je l'envoyay a l'imprimeur: c'est pourquoy il s'est presenté a vos yeux si mal accommodé. Mais puisque, tel qu'il est, vous le favorisés de vostre approbation, si jamais il retourne sous la presse, je me delibere de l'ageancer et accroistre de certaines pieces qui, a mon advis, le rendront plus utile au publiq et moins indigne de la faveur que vous luy faites.

            Et puisque vous m'exhortes, Monseigneur, de continuer a mettre par escrit ce que Dieu me donnera pour l'edification de son Eglise, je vous diray librement et avec confiance mes intentions pour ce regard. Tout me manque, sans doute, pour l'entreprise des œuvres de grand volume et de longue haleine; car vrayement je n'ay nulle suffisance d'esprit pour cela. Il n'y a peut estre Evesque a cent lieuës autour de moy qui ayt un si grand embrouillement d'affaires que j'ay; je suis en lieu ou je ne puis avoir ni livres ni communications propres a telz effectz. Pour cela, laissant aux grans ouvriers les grans desseins, j'ay conceu certains petitz ouvrages moins laborieux, et [125] neanmoins asses propres a la condition de ma vie, non seulement vouee mais consacree au service du prochain pour la gloire de Dieu. Je vous en representeray briefvement les argumens.

            Je medite donq un livret de l'Amour de Dieu, non point pour en traitter speculativement, mais pour en monstrer la prattique en l'observation des commandemens de la premiere Table. Celuy ci sera suivi d'un autre, qui monstrera la prattique du mesme amour divin en l'observation des commandemens de la seconde Table; et tous deux pourront estre reduitz en un volume juste et maniable. Je pense aussi de pousser dehors un jour un petit Calendrier et Journalier pour la conduitte de l'ame devote, auquel je representeray a Philothee des saintes occupations pour toutes les semaines de l'annee.

            J'ay de plus quelques materiaux pour l'introduction des apprentifz a l'exercice de la predication evangelique, laquelle je voudrois faire suivre de la methode de convertir les heretiques par la sainte predication. Et en ce dernier livre, je voudrois, par maniere de prattique, desfaire tous les plus apparens et celebres argumens de nos adversaires; et ce, avec un style non seulement instructif mais affectif, a ce qu'il proffitast non seulement a la consolation des Catholiques, mais a la reduction des [126] heretiques: a quoy j'employerois plusieurs méditations que j'ay faites durant cinq ans en Chablais, ou j'ay presché sans autres livres que la Bible et ceux du grand Bellarmin.

            Voyla, Monseigneur, ce que mon petit zele me suggere, lequel, n'estant pas, a l'adventure, secundum scientiam, le tems, le peu de loysir que j'ay, la connoissance de mon imbecillité moderera; bien que, sans mentir, vostre authorité l'ayt bien fort enflammé par le favorable jugement que vous faites de ce premier livret, duquel encor faut-il que je vous die ce que Monsieur nostre Evesque de Montpellier m'a escrit.

            Il m'advertit que je me tiens trop pressé et serré en plusieurs endroitz, ne donnant pas asses de cors a mes advis. En quoy, sans doute, je voy qu'il a rayson; mais n'ayant dressé cette besoigne que pour une ame que je voyois souvent, j'affectois la briefveté en escrit, pour la commodité que j'avois de m'estendre en paroles. L'autre chose qu'il me dit, c'est que, pour une simple et premiere introduction, je porte trop avant ma Philothee; et cela est arrivé parce que l'ame que je traittois estoit des-ja bien fort vertueuse, quoy qu'elle n'eust nullement gousté la vie devote: c'est pourquoy, en peu de tems, elle advança bien fort.

            Or, a l'un et a l'autre de ces defautz, je remedieray aysement si jamais cette Introduction se reimprime; car, pour finir par ou j'ay commencé, l'honneur qu'elle me donne m'ayant ouvert le chemin a vostre amitié, et l'opinion que vous aves qu'elle sera proffitable aux ames, sera cause que je l'aymeray et luy feray tous les biens qu'il me sera possible.

            Mais, mon Dieu, que dires vous de moy, Monseigneur, me voyant espancher mon ame devant vous avec autant de naïfveté et d'asseurance, comme si j'avois bien merité l'accueil que vous me faites et l'acces que vous me donnes? [127] Je suis tel, Monseigneur, et vostre sainte charité me donne cette libre confiance; et, outre cela, me fait vous conjurer, par les entrailles de nostre commun et souverain object et Sauveur, de me continuer ce bien que vous aves commencé a me departir, non seulement me communiquant la suavité de vostre esprit, mais me censurant et advertissant en tout ce que vostre dilection et zele vous dicteront; vous promettant que vous rencontrerés un cœur capable, quoy que indigne, de recevoir de telles faveurs.

            Dieu vous conserve longuement, Monseigneur, et vous prospere en ses graces, selon le souhait de

                                                           Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

DXV. A la Baronne de Chantal. Souhaits de bienvenue et offrande d'un gîte. — Envoi d'exemplaires de l'Introduction à la Vie devote. — Joie du. Saint de voir que tous les siens parlent avec respect et affection de la petite Aimée et de sa mère. — Mme de Chantal attendue à Sales. — De quels documents l'auteur compte se servir pour une seconde édition de l'Introduction. — L'Abbesse du Puits-d'Orbe et son frère. — Affection de François de Sales pour Marie-Aimée.

 

Annecy, mi-février 1609.

 

            Mon Dieu, que vous seres la bien venue, ma chere Fille, et comme il m'est advis que mon ame embrasse la vostre cherement! Partes donq au premier beau jour que vous verrés, apres que vostre cheval se sera delassé, lequel, sans doute, on ne pourroit pas bien vous renvoyer sinon despuis troys jours en ça, pour les dernieres pluyes qui sont tombees en ce païs. Je vous souhaitte [128] bon et heureux voyage et que ma petite fille ne soit pas mallement du travail du chemin; mais arrivant de bonne heure le soir et la faisant bien dormir, j'espere qu'elle fera prou.

            M. de Ballon desire tant que vous facies vostre giste chez luy, que je suis contraint aussi de le desirer pour la bonne amitié qu'il nous porte.

            Madame du Puys d'Orbe m'avoit escrit qu'elle desiroit de venir avec vous; mais ni la sayson n'est pas propre pour elle, ni je ne voudrois pas l'avoir en tems si incommode comme est le Caresme. Je luy escris donq qu'elle attende le vray primtems et qu'elle vienne en litiere, affin que si l'une de ses seurs veut l'accompaigner, elle le puisse faire sans apprehension d'aller a cheval. Je luy envoye le livre ci-joint, l'autre a madamoyselle de Traves selon vostre desir. Le Pere de Monchi m'en demandoit un: si vous luy donnés celuy que vous avés, je vous en rendray un plus brave icy; car encor le faut-il consoler. J'en voudrois envoyer a plusieurs personnes, mais je vous asseure que, pour tout, il n'en est venu que trente en ce païs, et je n'ay peu fournir a la dixiesme partie de ceux a qui j'en devois donner. Il est vray que je n'en suis pas [129] peyne, parce que je sçai que de dela il y en a plus qu'icy. J'ay creu neanmoins que je devois en envoyer un a M. de Chantal, et qu'il s'offenceroit si je ne le faysois; c'est pourquoy le voyla.

            Qu'ay-je a vous dire de plus, ma chere Fille? Mille choses, mais que je n'ay nul loysir d'escrire, car je veux que Claude parte sans plus tarder. Sachés seulement, ma vraye Fille, que je suis tout plein de joye et de contentement dequoy vostre Groysi parle non seulement avec respect, mais avec un amour tout affectionné de vous et de messieurs vos peres, et ce qui me plaist le plus, de ma chere petite Aymee. Je vous dis la verité, il ne me sçauroit plus donner de playsir que par la; et vrayement j'espere que tout ira fort bien et qu'il ne demeurera nul sujet de mescontentement a personne. Ne vous repentes point de m'avoir escrit des douze cens livres, car vous ne vous deves nullement repentir de rien qui se passe avec moy.

            Et bien, je verray donq bien des miseres, et nous en parlerons, a mon advis, a souhait.

            Ma mere desire que vous facies vostre petit delassement a Sales, ou elle vous attendra pour vous accompaigner icy; mais ne croyes pas que je vous y laisse sans moy. Non pas, certes, car ou je vous y attendray, ou j'y seray aussi tost que je vous y sçauray.

            Je n'escris point a vostre commere, car j'auray loysir [130] de l'entretenir bien au long. Et si, je confesse que vous m'aves fait bien playsir de la mettre sur vostre train, bien que pour elle il faudra peut-estre que je me mette en despense, affin qu'a son retour, elle face bon recit de ma magnificence. Voyes vous, je ris des-ja dans le cœur sur l'attente de vostre arrivee.

            Apportes moy toutes les lettres et memoyres que je vous ay jamais envoyé, si vous les aves encor (ce que je dis a cause du naufrage que vous fistes a vandanges), par ce que sil faut reimprimer l'Introduction, cela me deschargera beaucoup, y treuvant plusieurs choses pour ce sujet; puisque l'on ne m'a encor corrigé pour la substance de ce livre-la que de m'estre trop peu estendu

            La bonne Mme de Charmoysi fait prou; vous la treuverés bien avancee aux affections et aux effectz de la vraye devotion. Mais mon Dieu, la voyla l'un des pieds sur le sueil de la porte de la cour. J'espere que Dieu la tiendra par tout de sa main; au moins il luy donne des bonnes resolutions. Je sçai que vostre venue luy sera………………………………………………………………..

            Je vous prie de bien faire tenir a la bonne Mme du Puys d'Orbe le pacquet ci joint, car il faut luy donner satisfaction a la pauvrette. J'ayme bien son cœur par ce quil m'est bien franc. Elle m'escrit que, pour tous les advis que je luy ay donnés pour le bon ordre de son Monastere, elle ne pourroit pas se resoudre a rien faire sans le consentement de son frere, qui a, dit elle, un grand [131] pouvoir sur sa volonté. Elle m'a infiniment obligé a me parler ainsy clair.

            J'ay ouvert la lettre que mon frere vous escrivoit, pour curiosité que j'avois de voir le poulet qui estoit dedans. Je n'escris point a la chere petite, mais je sçai bien que je luy garde le plus amoureux salut que j'aye fait a damoyselle du monde il y a seze ans.

            Mon Dieu, ma Fille, que j'ay grand desir que le bon et doux Jesus vive et regne dans nos cœurs! C'est en luy que je suis tout uniquement vostre.

                                                                                                          F.

 

 

 

DXVI. A la Présidente Brulart. En quels cas une chrétienne doit être indifférente au choix du confesseur. — Les bonnes intentions et les mauvaises pensées. — Dévotion de François de Sales à sainte Thérèse. — Intérêt qu'il porte à une veuve. — Pourquoi les vertus des femmes mariées sont agréables à Dieu. — Unique souci d'une veuve chrétienne. — Il faut être douce et suave parmi les siens, et mettre un soin particulier à le devenir.

 

Annecy, fin février 1609.

 

                        Ma chere Seur, ma Fille,

            Je ne respons qu'aux deux lettres que ce porteur m'a rendues de vostre part; car la troysiesme, envoyee par la voye de madame de Chantal, ne m'est pas encor arrivee. Ce m'est beaucoup de contentement que vous [132] viviés sans scrupule et que la sainte Communion vous soit prouffitable; sur quoy je vous dis qu'il faut donq continuer. Et pour cela, ma chere Fille, puisque monsieur vostre mary s'inquiete dequoy vous alles a N., ne vous y opiniastres nullement; car, puisque aussi bien vous n'aves pas beaucoup de grans conseilz a prendre, tous confesseurs vous seront presque bons, mesme celuy de vostre parroisse, c'est a dire monsieur N., et, quand il s'offrira encor des occasions, celuy des bonnes Meres Carmelites. Vous sçaves tout ce qu'il faut pour se bien conc uire avec toute sorte de confesseurs; c'est pourquoy vous pouves aller en liberté pour ce regard. Ma chere Fille, demeurés bien douce et bien humble a vostre mary.

            Vous aves rayson de ne vous point inquieter pour les mauvaises pensees, tandis que vous aves de bonnes intentions et volontés, car ce sont celles-cy que Dieu regarde. Ouy, ma Fille, faites bien comme je vous ay dit, car quoy que mille petites tricheries de raysons apparentes s'eslevent au contraire, si est-ce que mes resolutions sont fondees sur des raysons fondamentales et conformes aux Docteurs et a l'Eglise; mais je vous dis qu'elles sont tellement veritables, que le contraire est une grande faute. Servés donq Dieu selon cela, et il vous en benira; mais n'escoutés jamais rien au contraire, et croyés qu'il faut que je sois bien asseuré quand je parle si hardiment.

            Je rens graces a la bonne Mere Prieure, et la porte avec toutes ses Seurs en mon ame, avec grand honneur et amour. Mais, ma Fille, il y a bien d'autres choses a vous demander pour cette mesme devotion de la bienheureuse Mere Therese: c'est que je voudrois que vous me fissiés extraire son image au vif jusques a la ceinture seulement, sur celle qu'on dit que ces bonnes Seurs ont, et allant par dela, un de nos curés qui doit y aller [133] dans sept ou huit jours, la prendroit a son retour pour me l'apporter. Je ne traitterois pas comme cela avec toutes sortes de filles, mais avec vous je fay selon mon cœur.

            Je recommanderay au Saint Esprit la chere seur vefve, affin qu'il l'inspire au choix d'un mary qui luy soit a jamais a consolation. C'est le sacré mary de l'ame que j'entens; neanmoins, si Dieu dispose de se servir d'elle encor une fois au tracas d'un mesnage complet et qu'il la veuille exercer a la sujetion, il en faudra louer sa Majesté, laquelle sans doute fait toutes choses pour le bien des siens. Ah mon Dieu, ma Fille, que les vertus d'une femme mariee sont aggreables a Dieu! car il faut qu'elles soyent fortes et excellentes pour durer en cette vocation; mais aussi, o mon Dieu, que c'est une chose douce a une vefve de n'avoir qu'un cœur a contenter! Mais bien; cette Bonté souveraine sera le soleil qui esclairera cette bonne chere seur, affin qu'elle sache ou prendre son chemin. C'est une ame que j'ayme tendrement, et ou qu'elle aille, j'espere qu'elle servira bien Dieu, et je la suivray par les continuelles prieres que je feray pour elle.

            Je me recommande a celles de nostre petite fille [Madeleine] et de N. Il est vray que [Madeleine] est ma fille un peu plus que les autres; et me semble que tout est mien, ma Fille, en Celuy qui, pour nous rendre siens, s'est rendu tout nostre. Je suis en luy, ma tres chere Fille,

                                               Vostre frere et serviteur tres humble,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

            Faites avec un soin particulier tout ce que vous pourres [134] pour acquerir la douceur entre les vostres, je veux dire en vostre mesnage. Je ne dis pas qu'il faille estre molle ni remise, mais je dis, douce et suave. Il y faut penser entrant en la mayson, sortant d'icelle, y estant le matin, a midy, a toute heure; il faut faire un principal de ce soin pour un tems, et le reste, l'oublier quasi un peu.

 

DXVII. A Madame de la Fléchère. Analyse d'une tentation de découragement. — Comment doit s'exercer l'apostolat des femmes chrétiennes hors de leur maison. — Conduite à tenir lorsque nous sommes préoccupés de savoir si nous avons bien fait. — L'amour-propre et l'amour de Dieu. — Les heures de sommeil et la santé. — Pourquoi le monde est quelquefois plus propice que le cloître à l'acquisition des vertus.

 

Annecy, [mars 1609.]

 

            J'ay receu vos deux lettres, ma chere Fille, et voy bien clairement que tout, le mal que vous aves eu n'a esté qu'un vray embarràssement d'esprit provenu de deux desirs qui n'ont pas esté satisfaitz en vous: l'un estoit le desir de servir a Dieu en l'occasion qui se presentoit; l'autre, le desir de connoistre si vous avies fidellement fait vostre devoir. Et en l'un et en l'autre vous aves eu de l'empressement qui vous a troublee et inquietee, et puis embarrassee. Or, sans doute vous aves bien fait vostre devoir. Vostre esprit, panchant tous-jours un peu a l'indignation, vous a fait treuver peu ce que vous aves fait, et le mesme esprit, desirant grandement de satisfaire a son obligation et ne se pouvant certainement persuader de l'avoir fait, est tombé en tristesse et descouragement ou desgoust. [135]

            Or sus, ma chere Fille, il se faut donq bien res-jouir en oubliant tout cela et s'humiliant bien fort devant Nostre Seigneur, et vous resouvenant que vostre sexe et vostre vocation ne vous permet d'empescher le mal hors de chez vous que par l'inspiration et proposition du bien, et des remonstrances simples, humbles et charitables a l'endroit des defaillans, et par advertissement aux Superieurs quand cela se peut; ce que je dis pour une autre fois. A quoy j'adjouste, pour un advis general, que quand nous ne sçavons pas discerner si nous avons bien rendu nostre devoir en quelque occurrence et sommes en doute d'avoir offencé Dieu, il faut alhors s'humilier, requerir Dieu qu'il nous excuse et demander plus de lumiere pour une autre fois, et oublier tout a fait ce qui s'est passé et se remettre au train ordinaire; car une curieuse et empressee recherche pour sçavoir si nous avons bien fait, provient indubitablement de l'amour propre qui nous fait desirer de sçavoir si nous sommes braves, la ou l'amour pur de Dieu nous dit: Truand ou couard que j'ay esté, humilie toy, appuye toy en la misericorde de Dieu, demande tous-jours pardon et, sur une nouvelle protestation de fidelité, passe outre a la poursuite de ton avancement.

            J'appreuve que, si ce n'est quelquefois que l'on a besoin de repos, on ne dorme pas du tout son saoul; mais pour faire que cela ne nuyse point, en lieu de dormir, il faut un peu faire plus d'exercice pour dissiper les humeurs que le manquement du sommeil a laissé indigestes. Et en cette sorte, vous pourres retrancher une heure sur vostre sommeil du costé du matin, et non pas le soir, et je m'asseure que vous vous en porteres mieux. Pour le reste des austerités, ne vous en donnes point d'extraordinaire, car vostre complexion et vocation requiert que vous ne le facies pas; ni je n'appreuve pas une grande retraitte pour le present, car il est mieux, pour l'acquisition des vertus, de les exercer emmi les contradictions; et ne faut [136] point en cela se descourager, ains user de preparation frequente pour s'y bien comporter.

            Dieu soit tous-jours nostre unique amour et pretention, ma chere Fille, et je suis en luy tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

DXVIII. A la Présidente Brulart. Les menues et fréquentes impatiences ; moyens de les surmonter. — Il faut être colombe à l'oraison, mais aussi dans son foyer et avec son entourage.

 

Annecy, vers mi-mars 1609.

                        Ma tres chere Fille,

            Ce sera tous-jours quand je pourray que vous aures de mes lettres; mais maintenant c'est de meilleur cœur que je vous escris, parce que M. [de] Moyron, present porteur, est mon plus proche voysin de cette ville, mon grand amy et mon allié, par le retour duquel vous me pourres escrire en toute asseurance; et si l'image de la Mere Therese estoit faite, il la prendroit, payeroit et apporteroit, ainsy que je l'en ay prié.

            Mais, ma Fille, il m'est advis que je ne vous dis pas bien par ma derniere lettre ce que je desirois touchant vos menuës, mais frequentes impatiences es occurrences de vostre mesnage. Je vous dis donq qu'il faut que vous ayes une speciale attention a vous y tenir douce, et qu'estant levee le matin, sortant de l'orayson, revenant de la Messe ou Communion, et tous-jours quand vous rentres en ces affaires domestiques, il vous faut estre attentive a commencer doucement, et coup sur coup regarder vostre cœur, voir s'il est doux, et s'il ne l'est pas, l'addoucir avant toutes choses; que s'il l'est, il en faut loüer [137] Dieu, et l'employer aux affaires qui se presentent, avec un soin special de ne point le laisser dissiper.

            Voyés-vous, ma Fille, ceux qui mangent souvent du miel treuvent les choses aigres plus aigres et les ameres plus ameres, et se degoustent aysement des viandes aspres. Vostre ame s'entretenant souvent aux exercices spirituelz, qui sont doux et aggreables a l'esprit, quand elle revient aux exercices corporelz, exterieurs et materielz, elle les treuve bien aspres et fascheux; c'est pourquoy aysement elle s'impatiente. C'est pourquoy, ma chere Fille, il faut qu'en ces exercices vous consideries la volonté de Dieu, qui y est, et non pas la chose mesme qui se fait. Invoqués souvent l'unique et belle colombe de l'Espoux celeste, affin qu'elle impetre pour vous un vray cœur de colombe, et que vous soyes colombe non seulement volant par l'orayson, mais encor dedans vostre nid et avec tous ceux qui sont autour de vous.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma bonne et chere Fille, et nous rende un mesme esprit avec luy. Je salue par vostre entremise la bonne Mere et toutes les Seurs Carmelites, implorant l'ayde de leur orayson. Si je sçavois que madamoyselle nostre chere seur Jacob fust la, je la saluerois aussi, et sa petite Françon, comme je fay vostre Magdeleine qui est encor mienne.

                                                                                                                      Vive Jesus! [138]

 

DXIX. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque nommé de Belley (Fragment). Panégyrique en raccourci de saint Joseph. — Tableau de la Sainte Famille. — François de Sales accepte avec joie de «mettre la mitre en teste» au futur Evêque de Belley.

 

Annecy, [fin mars] 1609.

 

                        Monseigneur,

            Je prens avidement cette commodité de vous escrire, quoy qu'elle soit un peu pressante, pour respondre a vostre derniere lettre, toute marquee de suavité, du jour [139] du grand Pere saint Joseph, grand Amy du Bienaymé, grand Espoux de la Bienaymee du Pere celeste, qui a voulu que son Filz celeste fust repeu entre les lys de cette Espouse et de cet Espoux. Je ne treuve rien de plus doux a mon imagination que de voir ce celeste petit Jesus entre les bras de ce grand Saint, l'appellant mille et mille fois: Papa, en son langage enfantin et d'un cœur filialement tout amoureux.

            Or sus, venés donq, mon tres cher Frere, et que ce soit par mon ministere que vous soyes orné de ce grand caractere du sacerdoce evangelique, affin qu'en certaine façon [140] tres veritable, mais que le sang et la chair n'entend pas, nous contractions par ce moyen un parentage spirituel que la mort mesme, ni les cendres de nos cors ne pourront desfaire et qui durera eternellement, et pour lequel mon esprit aura une reelle relation de paternité, filiation et fraternité avec le vostre. Dieu sçait que j'irois au bout du monde pour vous mettre la mitre en teste, et serois jaloux si un autre me ravissoit cet honneur.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DXX. A la Présidente Brulart. Trop différer la première Communion: grande erreur. — Le visage pâle et l'âme vermeille. Envoi d'un exemplaire corrigé de l'Introduction.

 

Annecy, fin mars ou commencement d'avril 1609.

 

            N'attendes pas de moy maintenant que je vous escrive a souhait, car bien que ce soit par mon frere, si n'ay-je pas beaucoup de loysir et si je ne sçai s'il passera a Dijon; mais je sçai bien pourtant qu'il fera rendre seurement ma lettre.

            Ouy, ma Fille, sans doute, il ne faut pas laisser passer ces Pasques sans faire communier vostre filz. Mon Dieu, c'est un docteur des-ja! C'est un grand erreur, ce me [141] semble, de tant differer ce bien en cet aage, auquel les enfans ont plus de discours a dix ans que nous n'en avions a quinze. Vrayement, j'eusse bien desiré de luy donner la premiere Communion: ce luy eust esté un sujet de se resouvenir de moy et de m'aymer toute sa vie. Mais bien, il n'importe pas pour luy.

            J'ay receu l'image de la bienheureuse Mere Therese, dont je suis consolé et vous en remercie.

            Je suis bien ayse de sçavoir que cette fille soit en paix avec monsieur Chevrier. Vrayement, je luy escrivis par M. de Moyron, qu'elle fist ce qu'elle a fait de point en point, sur une lettre par laquelle elle me demandoit conseil.

            Eh bien, ma chere Fille, Dieu soit loué: pourveu que nostre ame soit coloree du vermeil de la charité, il ne nous doit pas chaloir que nous ayons les pasles couleurs. C'est un mal propre a mortifier et les sens et les sentimens, car il ne laisse point de mouvement qu'il n'allanguisse, horsmis celuy du cœur, lequel, pour l'ordinaire, il esmeut et rend plus frequent. Rendés-le bien utile a vostre advancemerit spirituel par vostre abnegation reelle des goustz, des suavités qu'il vous oste, non seulement quant au cors, mais encor quant a l'esprit. Vous faites bien de prattiquer mes advis, car ilz sont selon la volonté de Dieu; et si cette maladie vous y donne plus de repugnance, tant plus gaigneres vous en leur exercice.

            Je pensois vous envoyer plusieurs livres, mais l'imprimeur m'a manqué de parole de les m'envoyer; je crains que vous en aurés la plus tost que moy icy. Je vous envoye neanmoins celuy-ci, que j'ay emprunté d'une dame qui l'avoit, affin que, s'il est possible, vous ayes le [142] premier de ma part. Il faudra corriger les autres sur iceluy, car je l'ay corrigé par tout, tant que j'ay peu.

            Dieu soit a jamais nostre amour, ma chere Fille, et croyés que je suis en luy tout particulièrement vostre.

                                                                                                                      F.

                                                                                                                      Vive Jesus!

            Ne dites pas que je vous ay envoyé ce livre, jusques a ce que je puisse en envoyer davantage.

 

 

 

DXXI. A Monseigneur Pierre de Villars, Archevêque de Vienne. Une «petite opiniastreté» de saint François de Sales. — L'Archevêque ayant refusé le titre de Monseigneur, le Bienheureux s'excuse de le lui donner encore et lui expose les raisons de sa respectueuse obstination.

 

Annecy, mars-avril 1609.

 

                        Monseigneur,

            Permettés moy, je vous supplie tres humblement, cette petite opiniastreté; car vrayement, tout aussi tost que vous aves voulu que je bannisse des lettres que je vous envoye le tiltre de Monseigneur, mon opinion s'est soudainement deslogee de ma volonté, laquelle est irrevocablement sousmise a la vostre; mais elle s'est sauvee dans mon entendement, ou elle s'est tellement retranchee que je suis en peyne d'entreprendre sa sortie. Ce n'est pourtant pas que mon entendement ne veuille ceder a vostre jugement, duquel il revere extremement l'authorité et la reconnoist pour souveraine en son endroit; mais c'est qu'il luy est advis que vous n'aves pas bien conceu la bonté et sincerité de ses intentions pour ce regard. Oseray-je bien disputer avec vous, Monseigneur? Vostre [143] douceur, je pense, m'excusera; c'est simplement pour m'expliquer.

            Je dis donq, avec vostre congé: premierement, que je vous puis appeller Monseigneur, et que ce tiltre n'est pas trop grand pour vous, ni de moy ni d'aucun autre Evesque. Cela est clair par l'authorité de tous les plus dignes Evesques de l'Eglise de Dieu, qui ont appellé de tiltres bien plus relevés non seulement les Patriarches et Archevesques, mais les autres Evesques mesmes. Et a cet argument ne satisfait pas la response, que tous les prestres estoyent censés saintz, heureux, peres, et que par consequent il failloit qualifier les Evesques sur iceux: non, Monseigneur, car tous ces tiltres regardoyent leur estat, leur dignité, leur Ordre.

            Je dis secondement, que non seulement je puis vous appeller Monseigneur, mais il est expedient que je le fasse, et seroit bon que cela se fist par tous les Evesques. Car, quelle rayson y a-il que j'appelle les princes du siecle Messeigneurs, et non pas ceux quos constituit Dominus principes populi sui? Et ne sert a rien de dire: Non dominantes in cleris; car, comme non debetis dominari, sic nostrum subjici. Je vous supplie, pesés bien, Monseigneur, cette rayson d'estat. Puisque nous ne pouvons refuser aux princes mondains ce tiltre d'honneur, ne ferions-nous pas bien de nous esgaler, tant qu'en nous est, a eux pour ce regard, desquelz on peut dire que derident nos juniores [hoc] tempore, quorum non audebant patres cum sacerdotibus minoribus incedere.

            Je dis, troysiesmement, qu'il est bien seant; car encor que l'Italie et la France sont separees et qu'il ne faut pas porter le langage de l'Italie en France, si est ce que [144] l'Eglise n'est pas separee; et le langage, non pas de la cour, mais de l'Eglise de Romme, est bon par tout en la bouche des ecclesiastiques. C'est pourquoy, puisque le Pape mesme vous appelleroit Monseigneur, il est seant que j'en face de mesme.

            Il ne reste a resoudre que l'argument fondamental de vostre volonté, mais il ne se peut resoudre; car ce n'est que vostre humilité: ut qui major est dignitate, sit potior humilitate. J'y respons néanmoins, et dis que j'appelle ainsy tous les Evesques a qui j'escris en esprit de liberté, et les rends esgaux quant a cet honneur exterieur, laissant a mon interieur de donner diverses mesures de respect, sous un mesme mot, selon la diversité de mes devoirs; comme a vous, Monseigneur, c'est, je vous asseure, avec une reverence toute cordiale, toute particuliere.

            Voyla ce que je vous puis dire, allant, comme je vay dans une heure, monter en chaire. J'attendray vos commàndemens pour y obeir, car en somme, je suis prest a deposer toute sorte d'opinions que vous n'appreuveres pas, et suivre en tout et par tout vos volontés; mais je vous demande pardon pour ce coup. Vostre dilection, qui souffre tout et qui est non seulement patiente, mais debonnaire, me rendra excusable, vous asseurant que je suis

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [145]

 

DXXII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Faire le bien joyeusement, sans s'attrister de ses défauts. — Tenir la clôture. — Les confesseurs extraordinaires: manière d'observer la prescription du Concile de Trente. — L'administration des pensions et les avis que doit donner l'Abbesse dans ses Chapitres. — Rappeler au monastère une Religieuse absente et par quels procédés. — Conseils variés sur l'oraison, la lecture spirituelle, etc. — Acquérir un grand courage au service de Notre-Seigneur.

 

Annecy, commencement d'avril 1609.

 

            Ouy, ma Fille, je vous dis par escrit aussi bien que de bouche: res-jouisses vous tant que vous pourres en bien faysant, car c'est une double grace au bon œuvre, d'estre bien fait et d'estre fait joyeusement. Et quand je dis en bien faysant, je ne veux pas dire que s'il vous arrive quelque defaut, vous vous addonnies a la tristesse pour cela. Non, de par Dieu, car ce seroit joindre defaut a defaut; mais je veux dire que vous perseveries a vouloir bien faire, et que vous retournies tous-jours au bien, soudain que vous connoistres de vous en estre esloignee, et moyennant cette fidelité, que vous viviés tous-jours bien joyeuse.

            Pour le general, j'ay a vous dire, outre l'ancien escrit que je vous renvoye, que vous deves tenir le cloistre et le dortoir fermé aux hommes: ainsy la closture s'en fera doucement.

            Le Concile de Trente ordonne a tous les Superieurs et Superieures des Monasteres qu'au moins trois fois l'annee ilz fassent confesser ceux qui sont sous leurs charges a des confesseurs extraordinaires; ce qui est grandement [146] requis pour mille bonnes raysons. C'est pourquoy vous l'observeres, faysant venir ou quelque bon Pere Minime, ou quelque bien devot prestre, auquel toutes ayent a se confesser cette fois-la. Je vous ay dit la rayson pourquoy toutes s'y doivent confesser, ce qui ne sera point grief a aucune; car celles qui voudront ne se confesseront que d'un jour ou de deux, s'estans prealablement confessees, et celles qui voudront pourront en user autrement.

            Il faut que ce soit vous, ma Fille bienaymee, qui ayés l'administration des pensions; mais deputés une des Dames, qui, sous vostre authorité, ayt soin de tenir le conte de ce qui s'en employe.

Il sera a propos, en ces petitz Chapitres, de recommander souvent la mutuelle et tendre dilection des unes aux autres, et de tesmoigner que vous l'aves en leur endroit, mais particulierement envers celle de laquelle vous m'escrives, laquelle il faut, par charité, revoquer a une bonne et douce intelligence et confiance avec les autres. Je luy escris un petit mot.

            Vous treuveres bien, ce croy-je, les premiers advis que je vous escrivis il y a cinq ans, de la façon avec laquelle vous devies doucement reduire tous ces espritz a vostre bon dessein. Vous y verres beaucoup de choses que, pour briefveté, je ne diray pas maintenant.

            Quant a celle qui est absente, il faut escrire et a elle et a son frere, que, pour la plus grande gloire de Dieu, salut de vos ames, edification du prochain et honneur de vostre Monastere, vous aves pris resolution avec toutes vos Seurs Religieuses de vivre plus retirees dans vostre Mayson qu'on n'a pas fait ci devant; et que la chose estant si raysonnable et honneste, vous ne doutes point qu'elle ne s'y veuille ranger: dont vous la conjurés et sommés, par l'obeyssance qu'elle vous a vouee et hors laquelle elle ne peut faire son salut, luy promettant qu'elle ne treuvera, ni en vous ni es autres, sinon une douce et tres amiable conversation, laquelle seule, outre [147] son devoir, peut la semondre a une sainte retraitte; et choses semblables. Si pour cela elle ne revient, il faudra l'arraysonner deux autres fois, avec des intervalles de trois semaines. Que si en fin elle ne revient, vous luy envoyeres qu'elle se determine donques de n'estre plus receuë, et d'estre forclose de sa place. Mais je croy que ses parens la feront revenir; et, estant revenue, vous la traitteres doucement et avec grande patience.

            Si j'oublie quelque chose, je le diray a nostre seur, qui vous ira voir infalliblement, et elle vous chérit bien fort. Pour vostre particulier, ne faites point faute de faire l'orayson mentale tous les jours, a la mesme heure qu'elle se fait au choeur, si vous ne pouves pas y aller; et ce pour demie heure. Ne vous tourmentes point encor que vous ne puissies pas avoir vos sentimens si fortz que vous desireries, car c'est la bonne volonté que Dieu requiert. Lisés tous les jours un quart d'heure dans les livres spirituelz, et ce, devant qu'aller a Vespres ou que les dire, quand vous n'y pourres pas aller.

            Vous vous coucheres tous les jours a dix heures, et vous leveres a six. Quand vous seres contrainte d'estre au lit, faites lire quelqu'une de tems en tems, selon vostre commodité. Baysés souvent vostre croix que vous portes; renouvellés les bons propos que vous aves faitz d'estre toute a Dieu, immediatement devant le coucher, ou y allant, ou en vostre oratoire, ou ailleurs; et faites un plus grand renouvellement par demie douzaine d'aspirations et d'humiliations devant Dieu.

            Je vous ordonne pour vostre special Patron de cette annee le tres glorieux saint Joseph, et pour vostre Patronne, sainte Scholastique, seur de saint Benoist, de laquelle vous treuveres beaucoup d'actions en sa Vie et en celle de saint Benoist, dignes d'estre imitees.

            Voyés-vous, ma tres chere et bonne Fille, entreprenés de vous acquerir un grand courage au service de Nostre Seigneur; car, pour asseuré, sa Bonté vous a choisie pour se servir de vous, pourveu que vous le veuillies, pour [148] le restablissement de sa gloire et salut des ames en vostre Mayson. Vous ne sçauries tenir un chemin plus asseuré que celuy de la sainte obeyssance: c'est pourquoy je me resjouis grandement que vous y soyés affectionnee, pour l'intention que me marqués. Mais resouvenés-vous donq bien de ce que je vous ay commandé de la part de Nostre Seigneur, auquel je vous recommande, le suppliant, par sa Mort et Passion, qu'il vous comble de son saint amour et vous rende de plus en plus toute sienne.

            Pour moy, ma tres chere Seur, ma Fille bienaymee, j'ay une volonté fort entiere a vous cherir, honnorer et servir; et jamais rien ne m'ostera cette affection, puisque c'est en ce mesme Sauveur et pour luy que je l'ay prise, estant a jamais,

                                                                       Vostre humble frere et serviteur,

                                                                                                          tout entierement vostre,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

DXXIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. Le destinataire ayant écrit au Saint une lettre d'affectueuse courtoisie, celui-ci lui envoie l'expression de son respect et de sa confiance.

 

Annecy, avril 1609.

 

                        Monseigneur,

            C'est de tout mon cœur que je vous escris esgalement avec respect et confiance. Celle ci procede de la connoissance que j'ay de la sincerité de vostre bienveuillance en mon endroit, et celuy la de la multitude des riches qualités qui decorent le rang que vous tenes en l'Eglise de Dieu; auquel, bien que je vous aye devancé quant au [149] tems, je vous voy neanmoins si loin devant moy en toute autre façon, que c'est le moins que je veuille et doive faire que d'user exactement d'une reciproque reverence en vostre endroit. Et si vous ne vous esties pas mis a l'extremité du plus haut point d'honneur envers moy, je me fusse essayé de vous en rendre plus que vous ne m'en donnes; mais il faut que je demeure vaincu, tant parce que vous sçaves tout mieux faire que moy, que d'autant que le lieu d'ou sort l'honneur que vous me faites luy donne un poidz si excessif que je n'ay rien qui le puisse esgaler. Mais c'est assés.

            Continués, je vous supplie, Monseigneur, d'aymer celuy qui vous souhaitte toute sorte de bonheur en la graCe de Dieu, et qui est, d'une affection inviolable,

                                               Vostre tres humble frere

                                                                       et tres obeissant serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Avril 1609.

 

 

 

DXXIV. A Mademoiselle de Traves. Le monde «n'est qu'un vray trompeur.» — Considérations proposées à une personne qui songeait à se marier. — L'amour du Sauveur, de Notre-Dame et des Saints à la très sainte unité de Dieu.

 

Annecy, 18 avril 1609.

 

                        Madamoyselle,

            Vous voulant honnorer, cherir et servir toute ma vie, je me suis enquis de madame vostre chere cousine, ma seur, de l'estat de vostre cœur, duquel elle m'a dit [150] chose qui m'a consolé. Que vous seres heureuse, ma chere Fille, si vous perseveres a mespriser les promesses que le monde vous voudra faire, car en vray (sic) verité ce n'est qu'un vray trompeur. Ne regardons jamais tant ce quil propose que nous ne considerions ce qu'il cele.

            Il est vray, sans doute, c'est une grande assistence que celle d'un bon mari; mais il en est peu, et pour bon qu'on l'ayt, on en reçoit plus de sujettion que d'assistence. Vous aves un grand soin pour la famille qui est sur vos bras, mais il n'amoindriroit pas quand vous entreprendries la charge d'un'autre peut estre aussi grande. Demeures ainsy, je vous prie, et croyes-moy, faites en une resolution si forte et si sensible que nul n'en doute plus.

            L'exercice auquel vous estes maintenant vous servira d'un petit martire, si vous continues a joindre les travaux que vous y aurés avec ceux du Sauveur, de Nostre Dame et des Saintz et Saintes qui, emmi la variété et multiplicité des importunités que leur soin leur donnoit, ont conservé inviolablement l'amour et la vraye devotion a la tressainte unité de Dieu, en qui, pour qui et par qui ilz ont conduit leurs vies a une fin tres heureuse. Que puissies vous donq comm'eux conserver et sacrer a Dieu vostre cœur, vostre cors, vostr'amour et toute vostre vie.

            Je suis en toute sincerité,

                                   Madamoyselle,

                        Vostre bien humble serviteur en ce mesme Sauveur,

                                                                                              FRANÇS E. de Geneve.

            Ce 18 avril 1609.

            A Madamoyselle,

Madamoyselle de Traves.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Boulogne-sur-Mer. [151]

 

 

 

DXXV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Annonce de nouvelles. Messages. — Le nouvel Evêque de Belley. — Jean-Pierre Camus songe à faire une visite à saint François de Sales. — «Une lettre toute d'amour

 

Annecy, 20 avril 1609.

 

                        Monseigneur,

            Ces quattre lignes vous asseureront que je continue de toute mon affection au desir de vous rendre toute ma vie tres humble service, car, quant au reste des nouvelles, le porteur vous les dira suffisamment, sinon que monsieur Valladier m'a escrit n'a guere une lettre toute pleyne de lhonneur et respect quil vous porte, ne m'obligeant pas peu de m'en parler comm'a un homme tout uny et conjoint a vous.

            Nous avons depuis peu monsieur l'Evesque de Belley en ces quartiers, qui me fait la faveur de me venir voir la semaine prochaine. On m'en dit tant de bien, qu'avant lhonneur de sa connoissance, je suis forcé de luy porter une singuliere reverence.

            Nostre monsieur des Hayes m'escrivit l'autre jour par monsieur de Charmoysi une lettre toute d'amour. Il faut que je m'en glorifie au pres de vous qui, avec moy, estimés si praetieusement son amitié. Faites moy cette faveur que de me conserver en la vostre, a laquelle je correspondray fidellement par autant de tres humble affection [152] que vous en pouves desirer de celuy qui vous souhaite toute prosperité et benediction, demeurant,

Monseigneur,

Vostre tres humble frere et tres obeissant serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 2e jour de Pasques 1609, a Neci.

                        A Monseigneur

            Monseigneur le Rme Evesque

                        de Monpelier.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montpellier.

 

 

 

DXXVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Une cure difficile; le charitable Saint prend l'avis d'un gentilhomme et d'un «viel cyrurgien» et députe à la malade le fils de celui-ci. — Conseil donné à l'Abbesse de renoncer au voyage de Savoie. — Comment Dieu lui témoigne son amour paternel.

 

Annecy, 27 avril 1609.

 

                        Ma chere Fille,

            Desirant sçavoir avant le depart de Mme de Chantal que c'est que je pouvois esperer du gentilhomme qui croyoit de pouvoir guerir vostre jambe, je luy fis dire par Mme de Chantal mesme toute l'origine et le progres de vostre mal, car je ne le sçavois pas. Ce qu'ayant ouy, il perdit sa premiere opinion et son courage, m'addressant neanmoins a un viel cyrurgien auquel il estime beaucoup de choses estr'aysees qui sont difficiles aux autres, et lequel, comm' on dit, fait des petitz miracles; et pour cela, je l'envoyay querir, affin quil oüyt [153] tout le recit de vostre fait et quil en dit son opinion. Il vint donques, et ayant encor ouy Mme de Chantal, il respondit que non obstant toutes les difficultés quil y avoit a la cure de ce mal, il espereroit de vous guerir, mais que pour cela il faudroit du loysir.

            Et de peur que nous n'ayons oublié quelque chose en la qualité de ce mal, qui fit la chose plus aysee qu'elle n'est, le filz de cet homme la allant a Dijon pour autre chose, c'est a dire a la suite d'un gentilhomme qui est fort de mes amis, j'ay fait quil ira au Puis d'Orbe mesme, affin d'apprendre par monsieur du May toutes les particularités plus exactement, et apporter une bonne et veritable description de toute l'affaire. Ce quil fera mieux qu'un autre, par ce qu'encor quil ne soit pas cyrurgien, il y entend neanmoins quelque chose a force d'en avoir ouy parler a son pere. Je vous prie donq, ma chere Fille, de vouloir le faire bien instruire et de luy faire donner par escrit tout le fait; car sur cela, si son pere espere de pouvoir faire cette cure, nous vous l'envoyerions sur le lieu, affin qu'avec toute commodité et loysir il fit ses operations.

            J'ay creu que je ferois bien d'user de cette methode, affin de ne point vous engager au voyage de deça mal a propos; duquel, si le succes n'estoit pas selon mon desir, je serois extremement marri. Il est vray quil seroit tous-jours a mon grand contentement en ce que j'aurois le bien de vous voir et entretenir; mais si aussi vostre santé corporelle en soufFroit, ce me seroit bien du desplaysir. Or, le tracas d'un si long chemin pourroit sans doute vous beaucoup apporter de peril, et, comme que ce soit, j'ay esperance de vous revoir dans quelque tems, sans tant d'incommodité pour vous. Que si Dieu nous estoit [154] si misericordieux que vous puissies guerir par l'operation de ce viel homme, alhors non seulement je ne craindrois pas de vous donner la peyne le faire le voyage, mais je vous y provoquerois pour vous gouverner un peu a souhait en vostre esprit.

            Cette lettre n'a point d'autre sujet que celuy ci, esperant de vous escrire de rechef par a itre voye dans peu de jours. J'attendray donq la response par le mesme porteur, qui, partant ce jourdhuy, ne me donne pas le loysir d'escrire a vos cheres Seurs et filles, vers lesquelles je desire estre excusé sil vous plait. Et tandis, resouvenes vous, ma chere Fille, que Dieu vous invitant au chemin des peynes et travaux, vous tesmoigne un doux amour paternel et quil veut rendre vostre ame purement sienne, comm'il fera si vous vous encouragés souvent a souffrir pour l'amour de luy, auquel soit a jamais gloire et louange.

            Je suis en luy tout vostre.

                                                                                                                                             F.

            Le XXVII avril 1609.

 

                        A Madame

Madame l'Abbesse du Puys d'Orbe.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

DXXVII. A la même. Offre de services spirituels. — Visite annoncée. — Nécessité de donner suite à de bonnes résolutions. Exhortation à faire «beaucoup d'eslancemens de cœur sur Jesus crucifié.»

 

Annecy, 29 avril 1609.

                        Ma tres chere Fille,

            Je vous escrivis avant hier sur le sujet de vostre jambe; maintenant je vous escris sur celuy de mon cœur qui vous cherit d'un amour extreme, et pour cela, pense [155] continuellement comment, en quoy et quand il pourra tellement servir le vostre, que celuy de vostre Espoux, nostre tres doux Sauveur, en soit satisfait et content. C'est mon deir tres ardent, principalement lhors que je repasse en ma memoyre l'affection, la confiance et le zele avec lequel vous reposastes un jour vostr'ame (d'autant mienne) et vostre volonté sur ma direction.

            Or sus, Dieu me fera la grace qu'il ne se passera pas beaucoup de tems que je ne vous revoye; et lhors, certes, il faudra voir une conclusion de tous nos bons desseins, affin que si nous ne faysons pas tant de chemin que la chaleur de nostre premiere devotion nous faysoit entreprendre, nous en fassions pour le moins autant que, tout boiteux que nous sommes, nous en pourrons faire. Continués ce pendant vos exercices, excités en vous vostre courage, et sur tout parforces vous de faire beaucoup d'eslancemens de cœur sur Jesus Christ crucifié.

            C'est en luy que je suis, ma chere Fille, tout entierement vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

 

DXXVIII. A Madame de la Fléchère. Après un premier «choppement,» que faire? — Comment apaiser son cœur quand il est prévenu contre le prochain. — Il faut avoir de la compassion pour celui-ci et suivre pour nous-même l'humilité.

 

Annecy, [mai 1609.]

 

            J'ay veu, ma tres chere Fille, cette petite infirmité qui vous estarrivee ces jours passés sur les divers mouvemens de vostre cœur, entre l'affection de renoncer a vostre [156] propre inclination, et l'inclination de suivre vostre goust particulier. Et bien, ma chere Fille, vous verres que le plus grand mal que vous ayes fait c'est de vous estre troublee de vostre imbecillité; car si vous ne vous fussies point inquietee apres le premier choppement, mais que tout bellement vous eussies repris vostre cœur en vos mains, vous ne fussies pas tumbee au second. Or, au bout de tout cela, il faut reprendre courage et vous affermir de plus fort en nos saintes resolutions, sur tout en celle de nous point inquieter, ou au moins de nous appayser a la premiere veiie et reflexion que nous ferons sur nostr'inquietude.

            Ce mot la: «Je suis bien toute deschiree, moy,» ne fut pas bon au sujet sur lequel il fut dit; car, ma chere Fille, il nous faut bien suivre la compassion au prochain et l'humilité pour nous mesme, ne pensans pas aysement que le prochain ayt jamais trop d'ayse, ni que nous en ayons trop peu. Helas! nous aurons tous-jours quelque chose a faire, tous-jours quelqu'ennemi a combatre. Ne vous estonnes point, mais quand ces mauvaises inclinations vous voudront inquieter, jettes l'œil interieur sur le Sauveur crucifié. Ah! Seigneur, vous estes mon miel et mon sucre; addoucises ce cœur par la douceur du vostre. Divertisses vous pour un peu, et alles vous praeparer au combat; puis representes vous y l'autrefois, et sentant la seconde emotion, faites tout de mesme: Dieu vous assistera.

            Je suis bien ayse de la venue de la bonne seur, a laquelle je doy une longue response, que je feray, Dieu aydant, avec un peu de loysir. La bonne madame la Baronne de Chantal vous saluoit l'autre jour par une lettre.

            Vive Jesus, en qui je suis tout vostre.

F. E. de G.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Toulouse. [157]

 

DXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Recommandation en faveur d'un officier sans ressources.

 

Annecy, 9 mai 1609.

 

                        Monseigneur,

            Le capitaine La Rose recourt a la bonté de Vostre Altesse pour obtenir d'elle quelqu'ayde a l'entretenement de sa pauvre famille. Et parce qu'il est l'un des plus apparens convertis qui soyent sortis de Geneve, je supplie tres humblement Vostre Altesse de luy estre secourable, comm'elle l'est a tous ceux qui ont leur refuge en sa debonnaireté, tandis que je continueray tous-jours a luy souhaitter le comble des graces celestes, demeurant,

            Monseigneur,

                        Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                               orateur et serviteur,

                                                                                   FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, 9 may 1609.

 

 

 

DXXX. A Madame de Cornillon, sa sœur. Les sentiments que doit exciter la perte des parents. — Mort de Mme de la Thuille. — Le meilleur des souhaits. — Comment il faut supporter les ennuis que donnent les affaires temporelles.

 

Annecy, 15 mai 1609.

 

            Mon Dieu, ma chere Fille, ma Seur, soyés joyeusement devote. Que vous seres heureuse si vous embrasses [158] constamment ce dessein! La pauvre petite seur [de la Thuille], qui s'en est allee si chrestiennement et si soudainement, a bien resveillé mon esprit a l'amour de ce souverain Bien auquel toute cette courte vie doit estre rapportee. Aymons-nous bien, chere Seur, et nous tenons bien ensemblement a ce Sauveur de nos ames, en qui seul nous pouvons avoir nostre bonheur. Je suis tout plein d'esperance que Nostre Seigneur sera de plus en plus fidellement servi, obei et honnoré de vous, qui est le plus grand bien que je vous puisse souhaitter.

            La multitude des ennuis que vous aves es affaires de vostre mayson (desquelz mon bon frere me parla l'autre jour) vous serviront infiniment pour rendre vostre ame vertueuse, si vous vous exerces a supporter le tout en esprit de douceur, de patience et de debonnaireté. Tenes tous-jours bien vostre cœur bandé a cela, et considerés souvent que Dieu vous regarde de son œil d'amour parmi toutes ces petites incommodités et brouilleries, pour voir comme vous vous y comportes selon son gré. Faites donq bien joliment la prattique de son amour en ces occasions, et s'il vous arrive quelquefois de vous impatienter, ne vous troubles point pour cela, mais vous remettes soudainement en douceur. Benisses ceux qui vous affligent, et Dieu, ma chere Fille, vous benira.

            Je l'en supplie de tout mon cœur, comme pour ma Seur bienaymee et ma Fille tres chere, a laquelle je suis tout dedié.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 15 may 1609.

 

 

 

DXXXI. A Mademoiselle de Bréchard. Dieu le Père et ses images vivantes sur la terre. — Que l'on ne puisse pas communier sans ouïr la Messe, c'est une opinion nullement fondée. — Les Communions que nul ne peut refuser. — La plus solide des nourritures au Ciel et sur la terre.

 

Annecy, [mi-mai 1609.]

 

            Or sus, ma chere Niece, ma Fille, vous voyla donq aupres de monsieur vostre pere que vous regardes comme une image vivante du Pere eternel; car c'est en cette qualité que nous devons honneur et service a ceux desquelz il s'est servi pour nous produiré. Tenés bien vostre ame en vos mains affin qu'elle ne vous eschappe ni a gauche ni a droitte; je veux dire, ni qu'elle s'amollisse entre les affections des parens, ni qu'elle s'attriste parmi leurs passions et les diversités des humeurs avec lesquelles il vous faut vivre.

            Vrayement, je croy fort bien que vous fustes vivement touchee en vous separant de vostre chere mere, car elle m'escrit que, de son costé, elle fut extremement pressee; mais un jour cette societé durera eternellement [160] s'il plaist a l'Eternel, et en attendant, demeurons tous bien unis en son saint amour.

            J'admire que monsieur N. se soit persuadé cette opinion, que l'on ne puisse pas communier sans ouyr la Messe, car non seulement elle est sans rayson, mais elle est sans apparence de rayson. Puisque toutefois il faut que vous passies par la, multiplies tant plus les communions spirituelles, que nul ne vous peut refuser. Dieu vous veut aussi sevrer, ma chere Niece, et vous faire manger des viandes solides, c'est a dire des viandes dures, car de plus solides il n'y en a point au Ciel ni en la terre que la sainte Communion; mais son refus, qui est plus dur a vostre ame qui aspire a son saint amour, requiert aussi des desirs plus fortz.

            Je vous escris sans loysir, ma chere Niece, ma Fille, et prie Nostre Seigneur qu'il soit tous-jours vostre cœur. Je suis en luy entierement,

                                                                                              Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                                                 F. E.

 

 

 

DXXXII. A Madame de la Fléchère. La réponse de La Faye au livre de la Croix ne vaut pas la peine d'une réplique. — Zèle de Mme de Mieudry pour la foi catholique. — Messages. — Quel est le vrai esprit de Jésus.

 

Annecy, 23 mai 1609.

 

            J'escrivis avant hier a cette bonne fille qui est a Geneve et luy donnay la permission qui luy est requise pour l'usage des viandes. Quant au livre de la Croix, il est vray que le ministre La Faye s'est essayé d'y respondre; mays il l'a fait d'une telle sorte que mes amis n'ont jamais voulu que je prisse seulement la peyne de penser a repliquer, tant la response leur a semblé indigne, et ont creu que mon livre fournissoit asses de defenses [161] contre ceux qui l'attaquent, sans que j'y adjoustasse chose du monde. Mais il n'est pas besoin d'escrire tout cela a Mme de Mioudry, que je loue beaucoup du bon zele qu'elle a a la reduction de ces pauvres ames. J'ay sceu, il y a quelque tems, le desir que celuy qu'elle nomme a de me rencontrer; et certes, je ne l'ay pas moindre en cela, esperant que s'il prestoit une fois l'oreille a la sainte parole, avec le bon jugement qu'il a et moyennant la grace de Dieu, il pourroit voir la lumiere celeste.

            Je croy bien que vous aves le cœur sujet aux secousses, ainsy que vous m'escrives; mais vous verres que, moyennant la grace de Dieu, il s'affermira petit a petit.

            Ce porteur m'a dit que monsieur vostre mary viendra demain icy et j'auray le bien de le voir. Ma bonne cousine et la vostre seroit, ce me semble, bien accompaignee de cette vertueuse damoyselle que je luy ay souhaittee, apres qu'elle mesme m'eut dit que vous luy en avies parlé; car, connoissant cette ame-la, j'ay esperé que la réncontre seroit bonne. Je crois neanmoins que malaysement pourra-elle sortir du lieu ou elle est.

            Madame de Chantal se recommande bien fort a vous, ainsy qu'elle l'escrit par celle qui l'avoit accompagnee.

            Tenes vostre cœur au large, et tous-jours tout remis a la Providence divine, soit pour les grandes choses ou pour les petites, et procurés de plus en plus dans vostre cœur l'esprit de douceur et de tranquillité, qui est le vray esprit de Jesus, qui veuille a jamais regner en nos cœurs.

                                                                                                                                 F.

            XXIII may 1609.

            A Madame

                        Madame de la Flechere.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [162]

 

 

 

DXXXIII. A la Baronne de Chantal. L'âme humaine et les afflictions de cette vie. — Une réflexion de saint Grégoire. — Une vraie chimère. — L'esprit de foi et la douleur. — Les progrès d'un Saint dans l'oraison.

 

Annecy, 27 mai 1609.

 

            Voyci la troisiesme fois que je vous escris depuis vostre despart, ma chere Seur, ma Fille. N. m'a bien dit de vos nouvelles et de celles de M., laquelle il m'a depeinte pour fort affligee; mais je crois bien, c'estoit sa fille celle qui est morte. Helas! il faut avoir compassion a nos miserables ames, lesquelles, tandis qu'elles sont en l'imbecillité de nos cors, sont si tres fort sujettes a la vanité. Comment est-il possible, disoit saint Gregoire a un Evesque, que les orages de la terre esbranslent si fort ceux qui sont au Ciel? S'ilz sont au Ciel, comme sont-ilz agités de ce qui se passe en la terre? O Dieu, que cette leçon de la sainte constance est requise a ceux qui veulent serieusement embrasser leur salut!

            Il est vray que cette imaginaire insensibilité de ceux qui ne veulent pas souffrir qu'on soit homme, m'a tous-jours semblé une vraye chimere; mais aussi, apres qu'on a rendu le tribut a cette partie inferieure, il faut rendre [163] le devoir a la superieure, en laquelle sied, comme en son throsne, l'esprit de la foy qui doit nous consoler en nos afflictions, ains nous consoler par nos afflictions. Que bienheureux sont ceux lesquelz se res-jouissent d'estre affligés et qui convertissent l'absynthe en miel!

            Il ne faut pas que je vous die, ma chere Fille, combien affectionnement je vous recommande a Nostre Seigneur, car c'est avec un cœur tout nouveau et qui va tous-jours s'aggrandissant de ce costé-la. Je suys un peu plus a l'orayson qu'a l'ordinaire; car ne vous faut-il pas un peu parler de mon ame qui est tant vostre? Graces a Dieu, j'ay un extreme desir d'estre tout a luy et de bien servir son peuple.

            A Dieu, ma chere Fille, que mon ame ayme et cherit incomparablement, absolument, uniquement en Celuy qui, pour nous aymer et se rendre nostre amour, s'est rendu a la mort. Vive Jesus! vive Marie! Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            La veille de l'….. 1609.

 

DXXXIV. A Mademoiselle de Bréchard. L'art de cheminer sur la corde et «le baston de contrepoidz» pour marcher assurément parmi les périls du monde. — On ne peut jamais atteindre le souverain degré de l'amour divin. — Pourquoi Dieu nous a donné notre cœur.

 

Annecy, [fin mai 1609.]

 

                        Ma chere Niece,

            Je vous escrivis l'autre jour, mais mon cœur qui vous cherit tendrement, ne se peut assouvir de vous en rendre [164] au moins ce foible tesmoignage de vous escrire le plus souvent que je puis. Vivés toute en Nostre Seigneur, ma chere Fille; que ce soit l'eau dans laquelle vostre cœur nage. Et comme ceux qui cheminent sur la corde tiennent tous-jours en leurs mains le baston de contrepoidz, pour balancer leurs cors justement en la varieté des mouvemens qu'ilz ont a faire sur un si dangereux plancher, vous deves aussi fermement tenir la sainte Croix de Nostre Seigneur, affin de marcher asseurement parmi les perilz que la varieté des rencontres et conversations pourront apporter a vos affections; en sorte que tous vos mouvemens soyent balancés au contrepoidz de l'unique et tres aymable volonté de Celuy auquel vous aves voué tout vostre cors et tout vostre cœur....

            Et allés, chere Niece, je veux dire, chemines tous-jours courageusement de vertu en vertu, jusqu'à ce que vous ayes atteint le souverain degré de l'amour divin. Mais jamais vous ne l'atteindres, puisque cet amour sacré n'est nomplus fini que son object, qui est la souveraine Bonté.

            A Dieu, tres chere Niece, aymés-moy tous-jours constamment, en qualité de l'homme du monde qui vous desire le plus de vrayes et solides consolations. Ouy, ma Fille, je vous souhaite l'abondance de l'amour divin, qui est et sera eternellement l'unique bien de nos cœurs, qui ne nous ont esté donnés que pour Celuy qui nous a donné tout le sien.

            Je suys tres sincerement tout vostre, ma chere Niece, ma Fille.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [165]

 

DXXXV. A la Présidente Brulart. L'Abbesse du Puits-d'Orbe désire venir en Savoie; réserves que fait le Saint à propos de ce projet de voyage. — Il se dispose à sacrer l'Evêque de Belley. — Comment réparer «le manquement» de la méditation. — Pourquoi Dieu quelquefois empêche la méditation. — Les «vrayes continuelles oraysons» et «la pins dign' offrande.» La sainte Communion en dehors de la sainte Messe. — Faisons le bien avant de mourir, mais toujours avec discrétion. — Le bon plaisir de Dieu meilleur que le nôtre.

 

Annecy, 30 mai 1609.

 

            Je respons briefvement mais exactement a vostre lettre que le curé de Sessel m'a rendue. Je voy l'esprit de nostre chere seur, qui desire de venir faire un voyage et «s'en promet un grand alegement. Encor faut-il un peu condescendre a cette pauvre fille, qui est vrayement bonne, quoy qu'infirme; et pour cela je luy dirois volontier qu'elle vint, si je ne craignois l'inquietude et la diversité de sentimens que messieurs vos parens en prendront. Il se peut neanmoins faire qu'ilz l'auront aggreable; et si vous connoisses que ce soit tout a la bonne foy et simplement qu'ilz l'auront aggreable, vous pourres fort librement luy donner courage de venir, et venir vous mesme, dans les mesmes conditions. Je vay ainsy reservé en ce dessein, parce que je doute que les congés qu'ilz accordent ne soyent pas donnés de bon cœur, et la dessus se disent mille choses.

            Or, quand elle se resoudra de venir, il faut que ce soit sans bruit et tout simplement, comme pour venir a Saint Trivier et a Saint Claude, et vous aussi, et la bonne madamoyselle de Puligni aussi, si ell'est de la trouppe, [166] affin d'eviter les curiosités de ceux qui voudront tout enquerir. Et si, il ne faut pas que ce soit si tost, par ce que nous avons un peu de soupçon de guerre, qui s'evacuera, et que Monsieur le Duc de Nemours doit passer icy pour quelques jours, pendant lesquelz je ne pourray pas l'abandonner. Si que, si vous prenes resolution, il faudra prendre le tems un peu bien avant, vers le moys d'aoust, sur la fin, ou sur le commencement de septembre; car quant au moys de julliet, je seray hors d'ici, et si, il me faudra aller consacrer un digne Evesque que nous avons a Beley, action laquelle, bien qu'elle soit courte, si est ce qu'elle me tient en suspens par ce que je ne sçai pas le tems precisement.

            Au demeurant, croyes que j'auray bien de la consolation si je vous puis voir entre nos montaignes, qui sont toutes en fort bon air, et nous vous gouvernerons toutes avec du loysir, Dieu aydant. En un mot, prenes garde que vos congés soyent donnés franchement, et cela estant, ce me sera un grand contentement de vous voir un peu parmi nous, quoy que vous n'y seres nullement bien traittees... encor que nous voulussions; mais vous seres receues par certaine sorte de cœur (sic) qui ne sont pas vulgaires.

            Quant a la meditation, les medecins ont rayson: tandis que vous estes infirme, il s'en faut sevrer. Et pour reparer ce manquement, il faut que vous facies au double des oraysons jaculatoires, et que vous appliquies le tout a Dieu par un acquiescement entier a son bon playsir qui [167] vous separe aucunement de luy, vous donnant cet empeschement la a la meditation; mais cet (sic) pour, vous unir plus solidement a luy par l'exercice, de la sainte et tranquille resignation. Que nous importe-il que nous soyons avec Dieu ou d'une façon ou d'autre? En verité, puisque nous ne cherchons que luy et que nous ne le treuvons pas moins en la mortification qu'en l'orayson, sur tout quand il nous touche de maladie, il nous doit estre aussi bon de l'un que de l'autre; outre que les oraysons jaculatoires, les eslancemens de nostr'esprit sont des vrayes continuelles oraysons, et la souffrance des maux est la plus dign'offrande que nous puissions faire a Celuy qui nous a sauvés en souffrant. Faites vous lire quelque bon livre parfois, car encor cela supplee.

            Quant a la Communion, continues tous-jours, et il est vray que je vous ay dit quil n'estoit nul besoin d'ouir la Messe pour se communier les jours ouvriers, ni mesme les jours de feste, quand on en a ouy une devant ou qu'on en peut ouir un'apres, quoy qu'entre deux on face beaucoup d'autres choses: cela est vray.

            Pour le legat, sur l'apprehension de vostre mort, vous le pourres bien faire, mais il faut que ce soit avec moderation, en telle sorte que cela ne soit pas a trop grande charge aux vostres, car vous leur donneries sujet de refuser, ou de murmurer et se troubler. Je vous dis comme saint Paul: Faysons bien tandis que nous en avons le tems, mais tous-jours avec moderation. Ne vous inquietes point de ne pouvoir pas servir Dieu selon vostre goust, car en bien vous accommodant a vos incommodités vous le servires selon le sien, qui est bien meilleur que le vostre. Qu'a jamais soit il beni et glorifié.

            Vive Jesus! et je suis en luy, d'un cœur tres fidelle, tout entierement vostre.

                                                                                                                                             F.

            XXX may 1609.

            Je salue bien humblement le bon P. Gentil.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims.

 

 

 

DXXXVI. A la Baronne de Chantal. Quelques-unes des «mille douces pensees» du saint Evêque pendant qu'il portait le Saint-Sacrement. — Le pectoral de l'ancienne Loi et l'ostensoir eucharistique. — Effusions de piété. — Nouvelles et messages.

 

Annecy, 18 juin 1609.

 

            Mon Dieu, que mon cœur est plein de choses pour vous dire, ma Fille tres uniquement chere, car c'est aujourdhuy le jour de la grande feste de l'Eglise, en laquelle portant le Sauveur a la procession, il m'a, de sa grace, donné mille douces pensees emmi lesquelles j'ay eu peyne de reprimer les larmes. O Dieu, je mettois en comparayson le grand Prestre de l'ancienne Loy avec moy, et considerois que ce grand Prestre portoit un riche pectoral sur sa poitrine, orné de douze pierres pretieuses, et en iceluy se voyoyent les noms des douze tribus des enfans d'Israel. Mais je treuvois mon pectoral bien plus riche, encor quil ne fut composé que d'une seule pierre, qui est la perle orientale que la Mere perle conceut en ses entrailles chastes, de la benite rosee du ciel; car voyes vous, je tenois ce divin Sacrement bien serré sur ma poitrine, et m'estoit advis que les noms des enfans d'Israel estoit (sic) tous marqués en iceluy. Ouy, et le nom des filles specialement, et le nom de l'une encor plus.

            L'espervier et le passereau de saint Joseph me revenoyent en l'esprit; et me sembloit que j'estois chevalier de l'ordre de Dieu, portant sur ma poitrine le mesme Filz qui vit eternellement en la sienne. Ah! que j'eusse bien voulu que mon cœur se fut ouvert pour recevoir ce pretieux Sauveur, comme fit celuy du gentilhomme duquel je vous fis le conte; mais helas! je n'avois pas le couteau quil failloit pour le fendre, car il ne se fendit que par [169] l'amour. Si ay-je bien pourtant eu des grans desirs de cet amour, mais je dis pour nostre cœur indivisible.

            Voyla ce que je vous puis dire maintenant, a ce retour de vostre cher et brave neveu, qui a esté si courtoys que d'arrester volontier ces quattr'ou cinq jours avec nous. Il a, a mon advis, beaucoup de l'air de Monsieur l'Archevesque son oncle, non seulement au visage mais encor en l'esprit. Je n'ay pas reveu vos lettres pour faire celleci, car j'attens au depart de vostre filz, quil espere faire mardi prochain.

            Bonsoir, ma tres chere Fille, vives toute en Dieu et pour Dieu. Je suis en luy infiniment tout vostre. La chere seur fait tous-jours bien, et Te reste aussi. Vive Jesus! Amen.

            Je salue bien humblement monsieur de Chantal et luy souhaite tout bonheur et felicité. Et ma petite fille, encor faut-il que je luy envoie un petit bayser d'amourette, puis qu'elle se fie en moy; que sil estoit mal fait, je le luy donnerois pas. Je luy escriray, Dieu aydant, quand son [170] futur l'ira voir, et a ma chere niece aussi. J'escris sans loysir et tout empressement, car en ces grans jours vous sçaves comme je suis. O ma Fille, mon cœur est plus vostre que mien; a jamais Nostre Seigneur y regne. Amen.

                        A Madame

            Madame la Baronne de Chantal, m. f. (ma fille.)

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le vicomte Le Rebours, à Paris.

 

DXXXVII. A Madame de Cornillon, sa sœur. L'amitié d'un Saint pour sa sœur. — Ecercice recommandé pour s'avancer en l'amour de Dieu. — Quand les affaires réussissent-elles plus à souhait. — Pourquoi Mme de Cornillon paraît à son frère plus digne d'affection.

 

Annecy, 30 juin 1609.

                        Ma chere Seur, ma Fille,

            Je suis marry que je n'ay plus tost receu la salutation que maistre Constantin m'avoit apporté de vostre part; car j'eusse eu plus de loysir de vous escrire selon mon cœur, qui est si plein d'affection pour vous et vous cherit si fort qu'il ne peut se contenter de vous entretenir pour un peu.

            Je vis avec beaucoup de contentement de sçavoir que vostre ame est toute dediee a l'amour de Dieu, auquel vous pretendes de vous avancer petit a petit, par toutes sortes de saintz exercices. Mais je vous recommande tous-jours plus que tout, celuy de la sainte douceur et suavité [171] es rencontres que cette vie vous presente sans doute souventesfois. Demeurés tranquille et toute amiable avec Nostre Seigneur sur vostre cœur. Que vous seres heureuse, tres chere Seur, ma Fille, si vous continues a vous tenir a la main de sa divine Majesté, entre le soin et le train de vos affaires, lesquelles reussiront bien plus a souhait quand Dieu vous y assistera; et la moindre consolation que vous en aures sera meilleure que les plus grandes de celles que vous pourries avoir de la terre.

            Ouy, ma chere Fille, ma Seur, que je vous ayme, et plus que vous ne sçauries croire; mais principalement des que j'ay veu en vostre ame ce digne et honnorable desir de vouloir aymer Nostre Seigneur avec toute fidelité et sincerité; a quoy je vous conjure de perseverer constamment, et de m'aymer tous-jours bien entierement, puisque je suis, d'un cœur tout entier et fidelle,

            Vostre humble frere et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 30 juin.

 

DXXXVIII. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, Prieur du Monastère de Talloires. La réforme dans un monastère demande une grande longanimité dans l'exécution et un cœur généreux. — L'exemple de Notre-Seigneur. — Les exercices de piété; l'habit, le mobilier, etc.; la «composition exterieure» et son importance dans une Communauté. — Conditions du succès.

 

Annecy, 10 juillet 1609.

 

                        Monsieur,

            Puisque Dieu a choisi un nombre de personnes fort petit, et encor des moindres de la Mayson en aage et [172] en credit, il faut que le tout s'entreprenne avec une tres grande humilité et simplicité, sans que ce petit nombre face semblant de vouloir reprendre ou censurer les autres par paroles ni par gestes exterieurs; ains que simplement il les edifie par bon exemple et conversation.

            Le commencement estant si petit, il faut avoir une grande longanimité a la poursuitte, et se resouvenir que [173] Nostre Seigneur, apres trente-trois ans, ne laissa que six vingtz disciples bien assemblés, entre lesquelz il y en eut encores beaucoup de discoles. La palme, reyne des arbres, ne produit son fruit que cent ans apres qu'elle est plantee. Il convient donq estre doué d'un cœur genereux et de longue haleyne en un œuvre de si grande importance. Dieu a fait des reformations par des moindres commencemens, et ne faut rien moins pretendre qu'a la perfection.

            Et pour venir au particulier, mon advis est que toute vostre sainte brigade soit soigneuse de se communier devotement, a tout le moins une fois chaque semaine. Qu'on luy apprenne de bien et deuement examiner sa conscience tous les soirs; qu'on luy monstre a faire convenablement l'orayson mentale, selon la disposition des sujetz; sur tout qu'on luy enseigne a obeir au directeur tres volontairement, tres fermement et tres continuellement.

            Quant a l'habit, je ne pense pas qu'il soit a propos de le changer qu'apres que l'annee sera expiree; bien desirerois-je qu'il fust en tout le plus uniforme que faire se pourra, tant en sa forme qu'en sa matiere, et que le froc fust large, a la façon des Benedictins reformés. Il me semble qu'on doit garder la chemise pour l'honnesteté, pourveu toutefois que le collet ne soit pas immoderement estendu, ains fort sobrement et d'une mesme maniere. Chacun aussi portera la ceinture et le bonnet de mesme façon, et le tout bien proprement.

            Pour le regard des litz, plus ilz seront simples, plus aussi seront ilz a propos. Que chacun ayt le sien, et qu'ilz soyent tellement disposés, qu'en se couchant ou levant on ne se voye point les uns les autres, affin que les yeux mesmes soyent mondes et netz.

            J'appreuverois fort que ceux qui portent barbe fussent bien rasés a la teste et au menton, selon les anciennes coustumes des Benedictins; et que, tant qu'il sera possible, on n'allast plus seul a seul, ains tous-jours avec un compaignon.

            Il sera expedient qu'aux divins Offices le petit troupeau entre, demeure et sorte ensemblement, avec mesme [174] contenance et ceremonie, d'autant que la composition exterieure, soit aux Offices, soit a table, soit en public, est un puissant motif pour beaucoup de bien.

            A ce commencement, il n'est pas necessaire d'adjouster aucune abstinence a celle des vendredis et des samedis, sinon celle des mercredis, selon la vielle coustume et mitigation observee au Monastere.

            Voyla mon petit advis pour ce commencement. La fin pretenduë sera bien autre chose, Dieu aydant: car, comme vous sçaves, primum in intentione est ultimum in executione. Mais pour bien servir en cette besoigne, il faut avoir un courage inexpugnable et attendre fructum in patientia. Je sçay et voy vostre Regle qui dit merveilles; il n'est pas pourtant expedient de passer d'une extremité a l'autre sans milieu.

            Plantés bien avant, Monsieur, cette affection dans vostre cœur, de restablir muros Hierusalem: Dieu vous assistera de sa main. Sur tout prenes garde d'user de lait et de miel, parce que les viandes solides ne pourroyent pas encor estre maschees par les foibles dens des invités.

            A Dieu, et ayés bon courage d'estre l'un de ceux per quos salus fiet in Israel.

                                   Vostre confrere et serviteur affectionné

                                                           en Nostre Seigneur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessy, ce 10 julliet 1609. [175]

 

DXXXIX. A M. Claude de Charmoisy. M. de Charmoisy s'apprête à quitter Turin, — Un «ennemi juré des cours.» — Le Saint se réjouit à l'espoir de posséder son ami avec plus de loisir.

 

Annecy, [vers mi-juillet] 1609.

 

                        Monsieur mon Cousin,

            Pressé par le sieur Pergod de vous representer la priere qu'il vous a ci devant faitte, je n'ay sceu refuser, bien que, de vostre grace, monsieur de Vallon m'aye communiqué vos affaires, lesquelles, comme je croy, ne vous permettront pas d'embrasser pour le present celleci.

            Je n'ay encor point veu madame vostre digne compaigne et ma chere cousine despuis ses (sic) dernieres nouvelles; je croy neanmoins qu'ell'en est trop plus contente, pour l'espoir qu'ell' en aura de jouir plus pleynement et entierement de vostre douce presence. Pour moy, qui suis ennemi juré des cours, j'appreuve tout ce que Dieu dispose, comme le meilleur, et me res-jouis de l'honneur que nous aurons de vous posseder avec plus de loysir, et tirer les fruitz aggreables de vostre conversation et [176] de l'amitié sincere que vous portes a celuy qui vous cherit, respecte et honnore d'un cœur tres fidelle, et qui est,

            Monsieur mon Cousin,

                        Vostre humble cousin et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

                        A Monsieur mon Cousin,

Monsieur de Charmoysi, Seigr de Marclaz, Villi, etc.

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Vuÿ, à Carouge (Genève).

 

DXL. A la Baronne de Chantal. La quatrième chose tout à fait ignorée de Salomon. — L'ange gardien de Celse-Bénigne. — L'unique ambition d'un Saint. — L'Evêque de Genève trouve son âme «un peu plus a» son «gré que l'ordinaire,» et pourquoi. — Ce qu'il veut, d'une volonté inviolable. — Le gui et les imperfections involontaires.

 

Annecy, 14 juillet [1609].

 

            Cette fause estime de nous mesmes, ma chere Fille, est tellement favorisee par l'amour propre, que la rayson ne peut rien contre elle. Helas! c'est la quatriesme chose difficile a Salomon, et laquelle il dit luy avoir esté inconneuë, que le chemin de l'homme en sa jeunesse. Dieu donne a monsieur N. beaucoup de grace d'avoir monsieur son grand pere qui veille sur luy. Que longuement puisse il jouir de ce bonheur!

            O ma Fille, croyés que mon cœur attend le jour de vostre consolation avec autant d'ardeur que le vostre. Mais attendés, ma tres chere Seur, attendés, dis je, en [177] attendant, affin que j'insere des paroles de l'Escriture. Or, attendre en attendant, c'est de ne s'inquieter point en attendant; car il y en a plusieurs qui en attendant n'attendent pas, mais se troublent et s'empressent.

            Nous ferons prou, chere Fille, Dieu aydant. Et tout plein de petites traverses et secrettes contradictions qui sont survenues a ma tranquillité, me donnent une si douce et suave tranquillité que rien plus, et me presagent, ce me semble, le prochain establissement de mon ame en son Dieu, qui est certes, non seulement la grande, mais, a mon advis, l'unique ambition et passion de mon cœur. Et quand je dis de mon ame, je dis de toute mon ame, y comprenant celle que Dieu luy a conjointe inseparablement.

            Et puisque je suis sur le propos de mon ame, je vous en veux donner cette bonne nouvelle: c'est que je fay et feray ce que vous m'aves demandé pour elle, n'en doutes point; et vous remercie du zele que vous aves pour son bien, qui est indivis avec celuy de la vostre, si vostre et mien se peut dire entre nous pour ce regard. Je vous diray plus: c'est que je la treuve un peu plus a mon gré que l'ordinaire, pour n'y voir plus rien qui la tienne attachee a ce monde et plus sensible aux biens eternelz. Que si j'estois aussi vivement et fortement joint a Dieu comme je suis absolument disjoint et aliené du monde, mon cher Sauveur, que je serois heureux, et vous, ma Fille, que vous series contente! Mais je parle pour l'interieur et pour mon sentiment; car mon exterieur, et, ce qui est le pis, mes deportemens sont pleins d'une grande varieté d'imperfections contraires, et le bien que je veux, je ne le fay pas; mais je sçay pourtant bien qu'en verité et sans feintise je le veux, et d'une volonté inviolable. Mais, ma Fille, comment donques se peut il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections paroissent et naissent en moy? Non certes, ce n'est pas de ma volonté ni par ma volonté, quoy qu'en ma volonté et sur ma volonté. C'est, ce me semble, comme le guy, qui croist et paroist sur un [178] arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre ni par l'arbre. O Dieu, pourquoy vous dis-je tout ceci, sinon parce que mon cœur se met tous-jours au large et s'espanche sans borne quand il est avec le vostre?

            Si vous demeuries de dela, je serois bien ayse d'entreprendre le service que le Reverend Pere N. desire de moy pour cette dame; mais cela n'estant point, il me semble qu'un autre qu'elle aura moyen de voir plus souvent, se rendra plus utile a ce bon œuvre. Et moy, cependant, je prieray Nostre Seigneur pour elle, car sur les bonnes nouvelles que vous m'en donnes, je commence a l'aymer tendrement, la pauvre femme. Helas, quelle consolation de voir reverdir cette pauvre ame, apres un si dur, si long et si aspre hiver!

            Je vous suis ce que Dieu sçait. Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 14 julliet...

 

 

 

DXLI. A M. Antoine Bellot (Minute inédite). Les conditions de la conférence contradictoire proposée par les Genevois sont acceptées par le Saint. — Celui-ci désire y apporter non un esprit de contention, mais de bonne foi; entre les difficultés, il faut choisir les plus importantes et les éplucher. — Une dernière garantie à prendre.

 

Annecy, [juillet-août] 1609.

                        Monsieur,

            N'ayant eu nul advis de vous sur le sujet de la conference de laquelle vous m'escrives, despuis la premiere [179] fois que vous pristes la peyne de m'en venir parler, j'en avois laissé le soin, bien que non pas la memoire. Mais puisque, comme vous m'advertisses, ces Messieurs de l'autre costé ont fait choix de celuy qui parlera pour leur pretendue religion, nommé le lieu et marqué la Version qu'eux desirent employer a cet effect, il m'est advis que c'est a bon escient qu'ilz traittent; et en cette persuasion, je vous diray que j'accepte tres volontiers que ladite conference se fasse dedans la ville de Geneve et que ce soit a la Version de la Bible imprimee a Anvers, a laquelle nous nous arrestions.

            Mais quant a la modestie, outre ce qu'en tous lieux nous en voulons tous-jours observer estroittement les lois, la consideration du lieu ou nous serons nous y conviera asses, et nos parties, a ne se point desfier de nous. Il ne reste donq, ce me semble, sinon a nous bien entendre [180] sur la fin et le but de cette action. Et pour moy je proteste que je ne m'y porteray point avec esprit de contention, car je ne l'ay point, ni pour y faire paroistre aucune suffisance aux sciences, car je n'en fay nulle profession, mais simplement et tout a la bonne foy pour l'esclarcissement de la sainte verité.

            Et a cette intention, je desire que nous ne [nous] employons qu'a l'examen du fond des difficultés, et qu'on choisisse entre icelles les plus importantes pour les esplucher par les moyens desquelz auparavant il sera requis que nous convenions ensemble; a quoy, de mon costé, j'apporteray toute la franchise et facilité que je pourray, apres que vous m'aures adverti de la reciproque volonté de ces Messieurs pour ce particulier.

            Ce pendant, je supplie Nostre Seigneur qu'il soit luy mesme le commencement, l'advancement et la fin de ce dessein et de toutes nos actions, et je suis,

            Monsieur,

                        Vostre bien humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

A Monsieur l'Esleu Belot, a Belley,

                        Surintendant des tailles pour le Roy

                                   riere la province du Beugey.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [181]

 

 

 

DXLII. A M. Antoine des Hayes. Remerciements du Saint à son «arch'intime» qui voulait le faire venir à Paris. — Les obédiences qui entravent sa liberté. — Invitation pour l'année 1611 à prêcher dans la chaire de Saint-Gervais; hésitations de François de Sales pour accepter l'intervention de Henri IV. — Nouvelles de M. de Charmoisy et de sa rupture avec le duc de Nemours. — Le Saint désire rétablir le mari de Philothée. — Un projet de pèlerinage à la Sainte-Baume. — Mme de Maignelais. — La deuxième édition de l'Introduction.

 

Annecy, [commencement d'août] 1609.

 

                        Monsieur,

            Puisque je sçai que vous croyés la verité que je vous ay si souvent juree d'estre tres absolument et invariablement vostre par inclination, par election et par un extreme amour, je ne vous feray point d'excuse du long tems que j'ay mis a vous escrire, car je suis asseuré que vous ne l'interpreterés nullement en mauvaise part. Laissant donq en arriere toute sorte de praefaces, je vous remercie humblement du soin que vous avés d'acheminer le dessein de me faire jouir encor une bonne fois de vostre presence en vostre Paris. Je dis de vostre presence, qui m'est desirable sans fin, et en vostre Paris, ou elle me seroit concedee plus a souhait qu'ailleurs.

            Mais, Monsieur, dites donq la verité, je vous supplie: ces obediences et mortifications de n'oser pas estre libre quand on n'est pas serf, ne sont elles pas comparables a celles de ceux qui ne sont pas libres par ce qu'ilz sont serfz? Il faut neanmoins s'y accommoder, et tout doucement, qui est l'importance. Que j'estois ayse en cette petite ombre d'esperance que j'avois conceue de me treuver a Paris aupres de vous, comme je faysois souvent par l'imagination, avec laquelle je prenois le tems de cette jouissance desiree!

            Et puisque je suis sur ce sujet, je diray encor quil y a trois jours que je receu une lettre de monsieur de [182] Santeül, qui, de la part de monsieur Perrochel, me semont a la chaire de Saint Gervais pour l'an 1611, et me dit que l'on en a parlé avec monsieur des Hayes, mon arch'intime. Voyes vous, Monsieur, ce mot d'arch'intime ne m'avoit encor point esté devant les yeux; mais, sur une si grande verité, il a esté receu de mon cœur tres intimement, et le bon monsieur de Santeul ne me dit jamais un mot plus a mon gré.

            Or, je reviens a ce que je disois: c'est que je n'ose encor dire que non, tandis que j'espere que l'accommodement des Princes accommodera peut estre ces affaires; ni aussi je ne veux dire qu'ouy, ne pouvant avoir null'asseurance. Monsieur de Santeul dit que, si je veux, le Roy en escrira a Son Altesse; mais, comme vous sçavés, cest honneur seroit un petit trop chaud et pesant pour moy. C'est pourquoy j'attendray encor un peu, avant que d'en donner la derniere resolution audit sieur de Santeul, et ce pendant luy diray chose pour laquelle il devra conseiller a ce seigneur de ne point s'attendre a moy; car aussi bien, en tout evenement, si j'avois ma liberté pour ce tems-la, il me manqueroit pas de chaire en une ville ou il y en a tant.

            Au demeurant, voyant que Dieu le veut, je m'arreste de tres bon cœur icy, et prens, en eschange de la satisfaction que j'aurois de vous voir, l'ayse que j'ay a penser en vous, a parler de vous avec ceux qui vous honnorent, et sur tout a vous cherir d'un amour tendre et respectueux, autant qu'homme du monde.

            Encor faut il que je vous die que nous avons despuis peu nostre monsieur de Charmoysi, avec lequel je me suis entretenu ce matin trois grosses heures sur son depart de la mayson de Monsieur, et ay treuvé que certes il a [183] eu plusieurs bonnes raysons de le faire, qui seroyent trop longues a deduire; neanmoins il m'a dit que tous-jours il s'accommoderoit a ce que ses amis, et sur tout vous et moy luy conseillerions. Certes, Monsieur a perdu un tres bon, tres utile et tres digne serviteur, et Madamoyselle sa maistresse eüt eu en madame de Charmoysi une fort vertueuse servante. Je vay pensant comme je pourrois faire pour servir d'instrument a la reparation de tout cela, mais je voy la chose malaysee, car les oreilles de Monsieur se remplissent tous les jours de plus en plus de persuasions contraires, que ceux qui n'ayment pas monsieur de Charmoysi ont tout loysir et advantage de faire. Et apres une separation si entiere, il sera malaysé d'oster un peu d'aversion des cœurs de l'un a l'autre; et celuy de Monsieur, comme vous sçaves, ayme d'avoir ses coudees franches, et celuy de monsieur de Charmoysi est courageux, qui ne peut souffrir le desdain. Au passage de Monsieur, je me fourreray le plus avant que je pourray en cett'entreprise, et auray bon loysir d'y penser, puisque on ne l'attend que sur la fin du moys auquel nous sommes. Je ne crains sinon d'offencer ma conscience en cela, car je n'ay pas si bonn' opinion de la cour que je ne pense que Dieu soit mieux servi hors d'icelle qu'en icelle, et saint Augustin avoit cette solemnelle resolution de ne conseiller jamais a personne la suite des cours. Toutefois, la vertu de monsieur de Charmoysi est des-ja ferme pour n'estre pas esbranslee a ce vent-lâ.

            Mais si vous continues de vouloir faire le voyage a la Sainte Baume, ne doutes pas que vous ne m'ayes pour [184] associé a vostre pelerinage, car ce n'est pas sortir de Savoye d'aller a Marseille, pourveu que ce soit sur le Rosne, auquel nous contribuons tant d'eaux et tant de sable; et nostre cher petit Evesque, mais grand Praelat, sera bien ayse de nous faire l'hospitalité en passant, moyennant un sermon que je feray a son peuple, qui, oyant parler de Geneve, y viendra tout entier, huguenotz et Catholiques pesle mesle. Je m'en donne des-ja au cœur joye.

            Madame vostre chere partie me fait trop d'honneur de me vouloir du bien et se resouvenir de moy, mais en particulier estant avec madame la Marquise de Meneley, une des dames du monde de laquelle j'honnore le plus [185] la vertu et constance en la pieté. Et puis qu'elles favorisent ce chetif livret de l'Introduction a la Vie devote, je vous supplieray, dans trois semaynes, de leur en faire a chacune un present de ceux que je vous envoyeray de la seconde edition, et autant que la commodité le permettra; a laquelle j'ay adjousté beaucoup de petites chosettes, selon les desirs que plusieurs dignes juges m'ont tesmoigné d'en avoir, et tous-jours regardant les gens qui vivent en la presse du monde.

            J'escris cette lettre sans loysir et sans esprit, mais non pas sans cœur, car mon cœur est tous-jours ou il vous peut regarder. Nostre Seigneur vous conserve, prospéré et benisse, Monsieur; c'est le souhait de

                        Vostre tres humble et tres fidelle serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

                        A Monsieur

Monsieur des Hayes, Maistre d'hostel

            du Roy, Gouverneur et Baillif

                        de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au IER Monastère de la Visitation de Rouen. [186]

 

 

 

DXLIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Recommandation en faveur d'un gentilhomme, pour lui obtenir de succéder à son père dans la charge de juge-maje du Faucigny.

 

Annecy, 11 août 1609.

 

                        Monseigneur,

            Ayant esté prié par le sieur de Crans, juge maje de Foucigni, d'interceder vers Vostre Excellence affin d'obtenir la survivance de sa charge en faveur de son filz, je fay tres volontier cet office, parce qu'il regarde un gentilhomme bien nay, qui a bon esprit et bonne ame, qui a fort bien estudié et qui, en l'exercice de la lieutenance de son pere, quil fait il y a quelque tems, tesmoigne qu'ayant la charge en chef, il s'en acquiteroit dignement et se rendroit utile serviteur de Vostre Excellence; a laquelle je fay donq tres humble demande de ce bienfait pour ce viel pere qui, se preparant a la sortie de ce monde, a cette juste ambition d'y laisser son filz au mesme service de son Prince, qu'il a eu lhonneur d'y exercer.

            La bonté de Vostre Excellence, qui daigne me tenir en sa grace, m'a donné le cœur d'entreprendre cette intercession envers elle, pour laquelle j'en fay journellement [187] a l'autel envers Dieu, affin quil la comble de benedictions immortelles. C'est,

            Monseigneur,

                        Vostre tres humble et tres obeissant serviteur

                                               et orateur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XI aoust 1609.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, Bibliothèque Nationale

(Fonds français, 3650).

 

DXLIV. Au Père Jacques-Philibert de Bonivard de la Compagnie de Jésus (Minute inédite). Raisons et avantages d'offrir aux ministres de Genève une conférence publique. — Manière de la proposer. — En quel cas il serait à propos d'engager la controverse sur les Versions. — Comment; présenter la doctrine catholique, et de la prudence requise en la formulant. — Derniers avis.

 

Annecy, 17 août 1609.

 

                        Mon Reverend Pere,

            Je ne doute nullement que l'offre d'une douce et amiable conference avec ceux de Geneve ne soit tres utile [188] en ce tems, auquel ilz sont venus en quelque sorte de desir d'en avoir une, au moins a ce que j'apprens par les continuelz advis que j'ay de divers propos qu'ilz tiennent. Ilz sont, pour la plus part, en scrupule de leur religion, quoy que, quand on leur en parle directement, ilz fassent semblant d'estre bien asseurés, par rayson d'Estat. Si donques ilz acceptent l'offre, il y a de l'apparence d'un grand fruit; s'ilz le refusent, la gloire en demeurera pour l'Eglise, et le refus accroistra le soupçon que plusieurs ont de n'avoir pas la rayson de leur costé. Je loueray pour cela grandement que l'offre se face, puisqu'il ne peut nuire et peut grandement prouffiter.

            Une lettre a celuy que vous escrives, sera fort a propos; mais il faut qu'elle soit presentee par quelqu'un qui aye asses d'asseurance pour le presser de faire responce, en cas qu'il voulust la supprimer et faire le fin; a quoy quelque notable personne de la Franche Comté, qui fust des villes avec lesquelles ceux de Geneve ont commerce, seroit fort sortable. Et si, il faut adjouster a l'inscription, le titre de Conseiller du Conseil des Vingtz et cinq Seigneurs; car il y a un autre Sarrasin qui [189] n'en est pas, bien qu'il soit de grand credit dans cette ville la.

            Et puisque vous me sommés de vous dire franchement mon advis sur la lettre que vous luy escrives, je vous diray que je n'appreuve pas que vous luy proposies si distinctement le dessein de la façon de proceder que vous voules tenir, car il suffira bien de le faire quand ce viendra au joindre et au faire; et il n'est pas expedient que maintenant vous vous engagies en aucune sorte de controverse, d'autant qu'en traittant plus avant de la conference, vous treuveres peut estre qu'il sera mieux de prendre un autre biais. Il seroit donq mieux pour ce coup de demeurer en cette generale proposition, que vous monstreres que leur religion est manifestement contraire aux Saintes Escritures, sans venir a la particuliere declaration des [190] moyens que vous voules tenir pour ce faire; car ainsy vous ne vous obliges a rien qu'a la fin de vostre intention, et laisses les moyens en liberté, pour les choisir par apre a vostre gré. Et si, la proposition est beaucoup plus speieuse pour estre imposee entre des ignorans, comme sont la plus part des Conseillers de cette ville-la. Et si, je ne laisseray pas encor de dire mon opinion sur lès moyens que vous proposes, puisque je suis obligé a la naïfveté et franchise en l'amitié que nous avons ensemble et que je sçay que vostre esprit correspond au mien en cela.

            Cette generale controverse des Versions est grandement utile entre les gens doctes, et quand vous ne regarderies que les ministres, elle seroit sans doute extremement a propos. Mais s'il faut avoir soin d'esbransler le peuple, il faudra entreprendre quelque point auquel plusieurs puissent discerner de la rayson ou du tort; car en celuy des Versions, pour peu que les ministres tiennent contenance (comme ilz feront, estans des plus asseurés menteurs et des plus opiniastres mattois du monde), le peuple, des-ja incliné a leur suite, demeurera plus engagé en leur parti. Et quand je dis le peuple, je veux dire les Seigneurs des deux Conseilz, qui ne sont que marchans et certains gens de peu.

            Sur tout il m'est advis qu'il faut grandement estre attentifz a la façon de proposer la doctrine catholique, en sorte que, comme la rayson est de nostre costé, aussi l'apparence, le lustre et la speciosité ne nous defaillent point. Comme par exemple: sur ce que vous m'escrives, de convaincre l'insuffisance de l'Escriture seule pour le parfait gouvernement de l'Eglise, sur ce mot d'«insuffisance de l'Escriture,» ilz crieroyent tous blasphemant. J'aymerois donq mieux advouer que l'Escriture est tres suffisante pour nous instruire de tout, et dire que l'insuffisance est en nous, qui, sans la Tradition et sans le magistere de l'Eglise, ne sçaurions nous determiner du sens qu'elle doit avoir, ni des consequences qu'on en peut tirer pour la direction et gouvernement du peuple Chrestien; car en cette sorte, la chose demeurant la mesme, l'explication est plus specieuse et plausible a ceux aux oreilles [191] desquelz on ne fait que crier que nous mesprisons les saintes Lettres.

            Mais je m'espanche trop, mon cher Pere, et prens a l'adventure trop de carriere. Si je croyois que vous ne conneussies pas mon cœur, je ne traitterois pas si librement; mais je me confie en Nostre Seigneur que vous sçaves que je ne fay rien ni dis rien avec vous que sur les gages de vostre sincere amitié, et qu'en vous proposant mes petites pensees, vous les adjusteres a la rayson avec autant de franchise que je les vous presente.

            Je veux finir, en vous suppliant de continuer en ce bon dessein, lequel, de quel costé qu'on le tourne, ne peut que reuscir a la grande gloire de Dieu. Continués encor, je vous supplie, a m'aymer cordialement comme vous faites, et tandis, je prieray Nostre Seigneur qu'il vous fortifie et benisse de plus en plus en sa grace.

            Je suis tres sincerement,

                        Vostre humble serviteur et confrere

                                   en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII aoust 1609, a Neci.

 

            Hier je vous escrivis le billet ci-joint; et despuis, ayant derechef consideré l'advis du Pere Provincial, je le treuve entierement bon, car le retardement ne peut estre que prouffitable; car tandis, l'ouverture se fera, a mon advis, plus grande et raysonnable par divers moyens que j'y employeray soigneusement, Dieu aydant. En ceci, la dilation ne peut nuire, mon Reverend Pere; et je sçai tout maintenant par un advis, que si la conference se fait, il sera voirement bien requis que nous nous voyons, non pour autre chose, que parce que l'humeur de ce peuple la m'estant familiere, je vous pourray dire plusieurs [192] choses qui vous serviront en cette sainte et tres prouffitable entreprise.

            Je viens de recevoir [avis] que nous ferons mieux d'attendre, pour une certaine defiance en laquelle ilz sont, de l'armee de Flandre. Ne doutés point que [je] ne veille a cela, et vous en reposes sur moy.

                        Au Reverend Pere en N. S.,

Le P. Jacques Philibert de Bonnivard,

            Theologien de la Gompaignie de Jesus.

                        A Besançon.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

DXLV. A Madame de la Fléchère. L'attitude d'une âme chrétienne durant la maladie. — Douceur et tranquillité. Comment ne jamais trébucher.

Annecy, 20 août 1609.

 

            Selon la sainte et parfaitte amitié que Dieu m'a donnee pour vous, ma tres chere Fille, j'ay de la peyne de vostre maladie. Or sus, il faut pourtant s'accommoder a non seulement vouloir, mais a cherir, honnorer et caresser le mal, comme venant de la main de cette souveraine Bonté a laquelle et pour laquelle nous sommes. Que puissies-vous bien tost guerir, si c'est la plus grande gloire de Dieu, ma tres chere Fille; si moins, que puissies-vous amoureusement souffrir, tandis qu'ainsy le requerra la Providence celeste, affin que, guerissant ou souffrant, le bon playsir divin soit exercé. [193]

            Que vous puis-je plus dire, ma chere Fille, sinon ce que je vous ay si souvent dit, que vous allies tous-jours vostre train ordinaire le plus que vous pourres, pour l'amour de Dieu, faysant plus d'actions interieures de cet amour, et encor des exterieures, et sur tout contournant tant que vous pourres vostre cœur a la sainte douceur et tranquillité: a la douceur envers le prochain, quoy que fascheux et ennuyeux; a la tranquillité envers vous mesme, quoy que tentee ou affligee, quoy que miserable. J'espere en Nostre Seigneur que vous vous tiendres tous-jours en sa main, et que, par consequent, jamais vous ne trebuscheres du tout. Que si, a la rencontre de quelque pierre, vous choppes, ce ne sera que pour vous faire tant mieux tenir sur vos gardes, et pour vous faire de plus en plus reclamer l'ayde et le secours de ce doux Pere celeste, que je supplie vous avoir a jamais en sa sainte protection. Amen.

            Je suys en luy, tres fermement tout vostre,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 20 aoust 1609.

 

DXLVI. A Dom Michel Boudet, Prieur de Pommier. Prière au destinataire de s'entremettre auprès des sujets de sa Maison qui refusaient de payer les prémices à leur curé.

 

Annecy, 27 août 1609.

 

                        Mon Reverend Pere,

             [Ayant appris par] les remonstrances que me fait le sieur [194] curé de Beaumont, que plusieurs des sujetz de vostre Mayson refusent de luy payer les premices, lesquelles neanmoins ilz luy doivent comme estant ses parroissiens, avant que de prendre aucun autre expedient pour l'ayder en sa juste intention selon mon devoir, j'ay voulu vous supplier d'user de l'authorité que vous aves sur ces refusans, pour les reduire a la rayson, esperant que vostre sage entremise aura tout le pouvoir requis pour l'effect de mon equitable desir, comme la mienne aura le credit envers vostre bienveuillance d'en obtenir le secours que je souhaitte a cet honneste et bon curé, lequel, je m'asseure, vous est des-ja asses recommandable, comme aussi il m'a tesmoigné qu'il vous honnore et revere de tout son cœur.

            Je n'employeray pas davantage de paroles pour vous exprimer mon affection en ce point, non plus [que] pour vous offrir derechef mon humble service, que je vous supplie accepter et tenir tous-jours pour tout asseuré. Nostre Seigneur vous conserve, mon Reverend Pere, et je suis

                        Vostre humble serviteur et confrere

                                   en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            27 aoust 1609.

Au Reverend Pere en N. S.,

                        Le Pere Dom Prieur de Pomiers. [195]

 

DXLVII. Au Président Antoine Favre. Négociations du Saint dans le pays de Gex. — Une première Messe après soixante-treize ans d'interruption. — La traversée de Genève.

 

Cessy, 21 septembre 1609.

 

                        Monsieur mon Frere,

            Il me tarde extremement de vous revoir avec madame nostre Presidente, ma seur. Mais la varieté des affaires que M. de Lux a treuvés icy et les resistences des ministres nous ont porté sans rien faire jusques a ce jourdhuy de saint Mathieu, que j'ay dit la premiere Messe a Sessi despuis 73 ans. Demain nous passerons outre a faire le mesme es autres deux parroisses, et passé demain j'iray a Sessel, et le jour suivant je me rendray entre vos bras, Dieu aydant.

            Vous aures sceu comme je traversay Geneve sous la conduite de mon bon Ange, et cela seulement per non parer poltrone et pour verifier que qui ambulat simpliciter, ambulat confidenter, et avec la profession de ma qualité. Je ne m'en vante pas, non, car il [196] y eut peu de prudence en cette resolution-lâ; mais, comme vous sçaves, ce n'est pas ma vertu que celle la.

            Bon soir, Monsieur mon tres cher Frere; je suis, Monsieur,

                        Vostre humble frere et serviteur,

                                   et de madame ma chere Seur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            21 septembre 1609.

                                   A Monsieur

                        Monsieur le Baron de Peroges,

Conseiller de S. A. et Senateur au Souverain Senat,

                        President de Genevois.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Rennard,

à Mont-Saxonnex (Haute-Savoie). [197]

 

 

 

DXLVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. François de Sales offre au duc la deuxième édition de l'Introduction à la Vie devote. — Culte du bienheureux Amé en Savoie et en Bourgogne. — Supplique pour obtenir que le président Favre puisse transmettre à son fils René la charge de sénateur.

 

Annecy, 26 septembre 1609.

 

                        Monseigneur,

            Je supplie Vostre Altesse de regarder de son œil de faveur ce petit livret que je luy offre en toute humilité. La devotion est son sujet, la gloire de Dieu est sa fin, et son escrivain est, par toute sorte de devoirs, voué a l'obeyssance de Vostre Altesse. Il fut des-ja publié l'annee passee, mais si imparfait que je n'osay pas l'exposer a la veuë d'un si grand Prince; maintenant qu'il est un peu moins mal accommodé, j'en prens la hardiesse, porté par la seule consideration de cette douce bonté qui a tous-jours aggreablement receu les foibles tesmoignages de mon invariable fidelité. L'infinie varieté des occupations que ma charge me pousse incessamment sur le bras, adjouste beaucoup a mon insuffisance, pour m'empescher de bien faire de telz ouvrages; mais s'il plaist a Dieu de se servir de moy en cet exercice d'escrire, il m'en donnera des commodités.

            J'envoye a Vostre Altesse l'attestation de l'estat de deux images et de quelques autres particularités qui regardent l'estime que l'on a eu de la sainteté du serenissime et glorieux Amé. Dans peu de jours, j'en [198] envoyeray un'autre de l'image que j'ay treuvee a Sesse, revenant de Gex ou j'estois allé pour establir l'exercice catholique en quelques parroisses. J'ay aussi sceu qu'au duché de Bourgoigne, en la ville de Seurre, il y a une eglise de Sainte Clere, ou il se treuve une chapelle sous l'invocation de ce bienheureux Prince, avec son image et l'abbregé de toute sa vie escritte en un placard affigé. C'est pourquoy, devant aller bien tost en ce païs-la pour le mariage de l'un de mes freres avec la fille du baron de Chantal, selon la declaration que Vostre Altesse a faitte de l'avoir aggreable, j'envoyeray expres sur le lieu pour avoir de tout cela une attestation authentique, laquelle, s'il est vray ce qu'on m'a dit, sera une des plus belles marques de la sainteté de ce glorieux Prince que l'on ait recouvert jusques a present.

            Oseray-je bien, Monseigneur, présenter encor ce mien [199] souhait a Vostre Altesse? Le sieur president Favre a mis sur le front des beaux livres qu'il a composés et que les nations estrangeres admirent, les marques de sa fidelité envers Vostre Altesse et de l'honneur qu'il a receu d'elle. Or, maintenant il desire laisser les mesmes marques a son filz aisné, affin que l'une et l'autre production tesmoigne a la posterité le bonheur qu'il a eu d'avoir esté serviteur aggreable d'un si grand Prince. Il supplie donq Vostre Altesse de faire grace a son dit filz de la survivance en l'estat de senateur; ce qu'obtenant, il en aura une consolation nompareille, prevoyant qu'en la personne de son filz, il revivra apres sa mort au mesme genre de vie qu'il a suivi en vivant. Pour cela, Monseigneur, sachant que les affections et services hereditaires sont les plus fermes, je souhaitterois qu'il pleust a Vostre Altesse s'incliner a cette requeste, de l'enterinement de laquelle se respandra une bonn odeur qui fera connoistre a chacun que sa providence s'estend jusques a prendre soin des enfans de ceux qui l'ont fidellement servie, pourveu qu'imitateurs de leurs peres, ilz s'en rendent dignes.

            Je joindray donq ma tres humble supplication avec celle dudit sieur President, et faysant tres humblement la reverence a Vostre Altesse, je prie Dieu qu'il la prospere en toutes benedictions.

            Monseigneur,

                        de Vostre Altesse,

            Le tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                   serviteur et orateur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le... septembre 1609. [200]

 

DXLIX. Au Roi de France, Henri IV. Remerciements adressés à Henri IV à propos du rétablissement du culte catholique dans deux paroisses de Gex; «bien infini» qui en résultera. — Le digne héritier et imitateur de saint Louis et de Charlemagne. — Zèle et prudence du baron de Lux.

 

Annecy, fin septembre 1609.

 

            Sire,

            Apres avoir donné gloire a Dieu pour le nouveau restablissement de l'exercice catholique en deux parroisses du balliage de Gex, que monsieur le baron de Lux vient de faire, j'en rens graces a la providence royale de Vostre Majesté, de la pieté delaquelle ces pauvres peuples ont receu ce bien infini. Je dis infini, Sire, par ce qu'en effect, il regarde le salut des ames, qui s'estend jusques a l'eternité; et non seulement des ames qui ont esté maintenant favorisees de cet incomparable bonheur, mais de plusieurs autres qui, excitees par l'exemple de celles ci et par l'odeur de la sainte affection de Vostre Majesté, minutent des tres humbles requestes pour en obtenir une pareille grace. [201]

                        Quant a moy, Sire, je contemple en ces reparations de la sainte Eglise, une des rares qualités qui font connoistre et reconnoistre en Vostre Majesté, le sang et le cœur du grand saint Louys et de Charles Maigne, l'un et l'autre des plus grans restaurateurs du service de Dieu que les Chrestiens ayt (sic) jamais veu.

            Et puis que je dois ce tesmoignage a la verité, je vous diray, Sire, que celuy que jusques a present Vostre Majesté a employé comme son instrument pour l'execution de ses volontés en cet endroit, a un zele qui ne peut rien oublier et une prudence qui ne sçauroit jamais rien gaster, qui est tout ce qui se peut desirer en une si digne et importante affaire.

            Je supplie incessamment Dieu quil vous face la grace, Sire, d'exalter de plus en plus sa divine Majesté, affin que, reciproquement, il benisse et prospere de plus en plus la vostre royale, a laquelle faysant tres h[umble]…………………………………………………………………….

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

DL. A Madame de la Fléchère. Les suites d'une chute. — Annonce d'un deuxième voyage en Bourgogne. — Les Saints ne sont pas «despiteux.» — Les curiosités qu'il faut éviter.

 

Annecy, 2 octobre 1609.

 

                        Ma chere Fille,

            J'ay eu fort peu de mal de ma cheute, qui ne m’avoit apporté qu'une fouleure de nerfz et un os demis; mais [202] j'en ay l'incommodité de demeurer au lict, et par consequent, de ne point celebrer. J'espere neanmoins, Dimanche prochain, jour de mon saint François, recommencer mon petit train, et mardi prochain, partir pour aller achever le mariage de mon frere chez nostre bonne Mme de Chantal.

            Nostre seur a bien fait de m'advertir de ces petites tricheries de paroles que cette pauvre Religieuse va semant; car cela me peut servir et ne peut nuyre a personne, puisque je ne suis point despiteux, et pour cela ne laisseray pas de penser a quelque moyen d'ayder cette chetifve ame qui, a mon advis, est pleyne de legereté et inconstance, plus tost que de malice. Je fay response a l'autre conseil que nostre seur desiroit de moy.

            Pour vous, ma chere Fille, je loüe Dieu des sentimens de l'amour que vous aves envers luy, sur lesquelz il ne faut point faire ces curiosités, de penser que sa divine Majesté vous l'ostera pour vostre inutilité. Non, il ne faut point avoir ces craintes; mais, en vous humiliant et reconnoissant que vous estes toute inutile, esperes en la grandeur de la misericorde divine qu'elle vous sera propice de plus en plus. Il ne faut voyrement pas se haster de soy mesme; mais de recevoir les graces que Dieu nous donne, ce n'est pas se haster, pourveu qu'on se contienne en humilité et dedans les exercices auxquelz nostre vocation nous oblige.

            Vous faites bien pour ce qui regarde l'orayson et ces distractions et petites envies spirituelles. Ne vous amuses point a cela; mais, d'un cœur eslevé, travailles devant Dieu avec vostre volonté superieure, vous animant au saint amour. L'exercice que vous m'aves envoyé est bon, mais prenes garde qu'en l'execution vous n'abbandonnies point la resolution de vous mortifier es rencontres que vostre vocation vous fera faire.

            J'envoye le livre ci joint a nostre seur, et me reserve [203] a vous en envoyer un a mon retour, n'en ayant pas, pour le present, que ce quil me faut pour porter ou je vay. Je vous recommande Mme de Charmoysi qui est toute malade, a ce que me dit M. de Charmoysi, et un (sic) bonn' œuvre que nous allons entreprendre pour le bien de plusieurs ames.

            Je suis tout entierement tout vostre en Nostre Seigneur, qui vive et regne es siecles des siecles. Amen.

            A Neci, le 2 octobre, en haste.

                        A Madame

Madame de la Fleschere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de la Fléchère,

à Saint-Jeoire (Haute-Savoie).

 

DLI. A Madame de la Forest, Religieuse de l'Abbaye de Bons (Inédite). Les «ames revesches» et le Saint. — Pourquoi la patience est nécessaire à ceux qui veulent servir les âmes. — Une Religieuse qui avait besoin de changer d'air. — Les promenades dangereuses. — Envoi d'un exemplaire de l'Introduction.

 

Annecy, 2 octobre 1609.

 

            Vous aves bien fait, tres chere Fille, de m'advertir des mauvayses paroles de cette pauvrette, car cela m'est utile [204] et ne luy sera pas inutile a elle mesme pour l'advenir. Je suis certes fort libre a parler, mais je ne pense pas avoir rien dit de tout cela. Oüy bien, peut estre, que l'experience m'avoit apris de ne point estre dur aux ames revesches, tandis quil y avoit esperance de les gaigner par douceur.

            Je croy que quant a Monsieur de Belley, je n'en auray parlé qu'avec le compas de la sincere dilection avec laquelle je l'honnore, car je sens bien en mon ame que j'ay de l'affection a son estime. Mais, ma chere Fille, il faut estre patient a ceux qui veulent servir les ames, car tous-jours ainsy au commencement, elles sont volages, bigearres et inventrices de paroles. Qui se voudroit desgouster pour cela, ne feroit jamais rien. Cette la auroit grand besoin de changer d'air pour estre guerie, car en ce lieu-la il y a des aspicz et basilisques plus quil ne faut pour les tendres ames. Dieu y mette sa sainte main. Ell' a rayson de dire que je luy parlay a son advantage, car je ne luy parlay que pour son bien, mais sans flatterie et rondement, selon les sentimens que j'en avois.

            Mais vous, ma tres chere Fille, continues a tenir vostre cœur pur devant Dieu et compatissant envers le prochain. Vrayement je ne voudrois nullement que si les promenades tendent a la rencontre de ces galantz hommes, vous vous y treuvassies; mais si cette fois-la ce fut par hazart, il n'en faut pas pour cela se scabrer. Que si neanmoins on voyoit que la chose retumbast souvent a mesme rencontre, je vous aymerois mieux en vostre chambre. [205]

            Je vous envoye un livre de la nouvelle edition, et en envoyeray un autre a Mme vostre jeun' Abbesse quand j'auray le loysir de luy escrire a propos, sans faire semblant de rien, sinon de quelques bonnes paroles qu'elle me dit.

            Nostre Seigneur soit a jamais au milieu de nous, et je suis en luy tres entierement,

                                                                                                                      Vostre serviteur,

                                                                                                                                 F., E. de G.

                        A Madame

            Madame de la Forest, Religieuse

                        a [Bons].

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Marseille.

 

 

 

DLII. A la Baronne de Chantal. A une journée de Monthelon, le Saint prévient la Baronne qu'il va arriver. — Il demande «un petit bain de sauge» pour son pied à peine guéri d'une chute récente.

 

Vers le 10 octobre 1609.

 

                        Ma chere Seur,

            Nous allons a la Messe, pour disner par apres et partir. Mais qu'il me tarde que je sois vers vous! Je n'y seray neanmoins qu'un peu tard, car nos chevaux sont recreuz [206] des grandes journees que nous avons faites. Si nous treuvons monsieur de Chantal couché, nous ne laisserons pas de luy aller donner le bonsoir. Mais il faut que je prie ma bonne niece, si elle [est] aupres de vous, de me faire la charité d'un petit bain de sauge pour mon pied, que je vous porte un peu boiteux.

            Bon soir, ma chere Seur, ma Fille; vostre filz, vostre neveu et la Thuille vous baysentles mains. Nous avons pensé amener monsieur de Charmoysi, mais la venue de Monsieur de Nemours nous a osté cette bonne compaignie.

            Nostre Seigneur soit avec vous.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes.

 

DLIII. A M. Pierre de Berulle. Sympathie très effective de François de Sales pour le dessein de M. de Bérulle. — Il conseille une démarche auprès du Nonce.

 

29 octobre 1609.

 

            Je vous escrivis n'a gueres en response de la lettre que vous m'avies envoyee sur le sujet de la Congregation des prestres reformés, vous tesmoignant le desir que [207] j'avois de contribuer a une si utile entreprise tout ce qui depend de moy; et ne pouvant disposer de l'absence de mon diocese requise pour cette œuvre, je vous asseurois que, si tost que je serois arrivé a Neci, j'escrirois au Saint Pere pour avoir son commandement sur cela. Or, despuis j'ay pensé que si on pouvoit faire [que,] de dela, le Nonce du Saint Siege qui reside a Paris escrivist en faveur [208] de ce dessein la, il le rendroit fort aysé; qui m'a fait vous escrire encor des icy, pour ne rien oublier de mon costé, de tout ce que je croyois pouvoir estre utile a faire reuscir une chose de si grand poix pour le bien de l'Eglise. Ce sera a vous qui touchés la chose, d'en faire comme vous jugeres plus a propos………………………………………………………………………………………………

 

Revu sur une ancienne copie conservée à Paris, Archiv. Nat., M. 234.

 

DLIV. Aux Magistrats de la Ville de Salins. Acceptation d'une invitation à prêcher dans la ville de Salins.

 

Dole, 1er novembre 1609.

 

                        Messieurs,

            Vous m'obligés extremement par le desir que vous aves de mes preications, lesquelles seront utiles a vostre peuple, si Dieu me donne autant de force comm' il m'a donné [209] de courage et d'affection de vous rendre du service. Que s'il exauce mes prieres, vous vivres tous longuement, heureusement et saintement en ce monde, et eternellement, glorieusement et tres [heureusement] en l'autre; car ce sont les souhaitz continuelz que je feray meshuy devant sa divine Majesté, pour vous et pour vostre ville, estant,

            Messieurs,

                        Vostre tres humble serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Jour de Toussaintz 1609, a Dole.

 

            A Messieurs les Magistratz

                        de Salins.

 

DLV. A la Baronne de Chantal. Pourquoi nous sommes en ce monde. — Absoudre, c'est donner Jésus-Christ. Le traité du P. Arias. — Le corporal envoyé par la Baronne.

 

Baume-les-Dames, 16 novembre [1609.]

 

                        Ma chere Fille,

            Je reçois une particuliere consolation a vous parler en ce langage muet, apres que tout le jour j'ay tant parlé a tant d'autres en langage parlant. Or sus, si faut-il vous [210] dire ce que je fay, car je ne sçai presque rien autre, et encor ne sçai je gueres bien ce que je fay.

            Je viens de l'orayson, ou, m'enquerant de la cause pour laquelle nous sommes en ce monde, j'ay appris que nous n'y sommes que pour recevoir et porter le doux Jesus: sur la langue, en l'annonçant; sur les bras, en faysant des bonnes oeuvres; sur nos espaules, en supportant son joug, ses secheresses, ses sterilités, et ainsy en nos sens interieurs et exterieurs. O que bienheureux sont ceux qui le portent doucement et constamment! Je l'ay vrayement porté tous ces jours sur ma langue, et l'ay porté en Egypte, ce me semble, puisqu'au Sacrement de Confession j'ay ouy grande quantité de penitens qui, avec une extreme confiance, se sont addressés a moy pour le recevoir en leurs ames pecheresses. Oh! Dieu l'y veuille bien conserver.

            J'y ay encor appris une prattique de la presence de Dieu, laquelle, en passant, j'ay resserree en un coin de ma memoire pour vous la communiquer, si tost que j'auray leu le traitté qu'en a fait le Pere Arias.

            Ayés un grand cœur, ma chere Fille, et estendes-le fort sous la volonté de nostre Dieu. Sçaves vous que je dis estendant vostre corporal pour la consecration? Ainsy, dis je, puisse bien estre estendu le cœur de celle qui me l'a envoyé, sous les sacrees influences de la volonté du Sauveur. Courage, ma Fille, tenés vous bien serree aupres de vostre sainte Abbesse, et la suppliés sans fin que nous puissions vivre, mourir et revivre en l'amour de son cher Enfant.

            Vive Jesus qui m'a rendu tout vostre, et plus que je ne puis dire. La paix du doux Jesus regne en vostre cœur.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 16 novembre... [211]

 

DLVI. A Madame de Boisy, sa mere. Mme de Boisy est priée par son fils de consulter le médecin Marc Offredo. — Pourquoi elle doit se dégager de certaines «petites pensees.» — Le «petit advis» que le Saint donne clairement à sa «chere Dame et bonne Mere.»

 

Annecy, 29 novembre 1609.

                        Madame ma Mere,

            La nouvelle que mon jeune frere m'a donnee de vostre meilleure santé m'a fort consolé, et neanmoins je ne laisse pas d'appreuver l'advis de mon cosin Chaudens, que le sieur Marcofredo soit consulté sur vostre santé, ou le faysant venir a Sales, ou, si vous le pouvés, allant vous mesme a Geneve pour trois ou quattre jours; mais en ce dernier cas, il faudroit faire le voyage bien tost pour praevenir les grandes froideures.

            Si mon frere m'eut aussi bien sceu dire en quel estat estoit vostre esprit, ma consolation eut esté plus grande; mais il ne m'a sceu dire, sinon que par fois vous esties asses joyeuse et par fois triste, et que vous n'avies pas [212] voulu que l'on vous fit des souliers, estimant que vous ne vivrés pas asses pour les user. Or, en tout cela, il ny a pas grand mal; mais je desire pourtant bien que, petit a petit, vous vous desfacies et desengagies de ces petites pensees, lesquelles sont entierement inutiles et infructueuses, et outre cela, elles tiennent la place d'autres cogitations meilleures et aggreables a Nostre Seigneur. Il faut un petit plus mettre vostre esprit au large et a l'ayse avec Nostre Seigneur, et ne le point charger de ces menues affections ou pensees, et vivre librement, laissant a la providence de Nostre Seigneur ce quil luy plaira faire de vous.

            Mais, avec vostre permission, je vous parleray clairement. Il faut, ma chere Mere, ne plus vous amuser a certaines considerations qui ne servent a rien et sont de trop peu de valeur pour occuper l'esprit; et, ayant mis doucement l'ordre qui se peut mettre aux affaires, sil (sic) vont bien, en louer Dieu, sil (sic) ne vont pas si bien que vous desireriés, puisque vous ne pouves pas mieux faire de vostre costé, remettre le tout entre les bras de Dieu qui, en fin, conduit toutes choses selon quil voit expedient a nostre bien.

            Voyla mon petit advis, ma chere Dame et bonne Mere. Pour l'amour de Dieu, soyes un peu fort courageuse; dites cent fois le jour, mais dites le de cœur: Dieu nous aydera, et vous verres qu'il le fera. Commandes librement a vos enfans, car Dieu le veut.

            Je vous envoye deux lettres de Dijon, et vous souhaittant toutes les graces que Nostre Seigneur donne a ses loyales serventes, je demeure,

            Madame ma chere Mere,

                                                                                  Vostre filz tres humble,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Veille saint André.

 

A Madame ma Mere,

                        Madame de Boysi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives du prince Trivulzio. [213]

 

 

 

DLVII. A la Baronne de Chantal. Retour de François à Annecy; il en donne avis à la baronne de Chantal. — L'abandon de tout notre être au bon plaisir divin; bonheur qu'il procure. — Le sacré oreiller de saint Jean.

 

Annecy, [fin novembre] 1609.

 

            Vous croires bien mieux que nous sommes venus a bon port, ma chere Fille, quand vous en verres ce petit tesmoignage de ma main. Et bien, vous voyla donq toute resignee entre les mains de nostre Sauveur, par un abandonnement de tout vostre estre a son bon playsir et sainte providence. O Dieu, quel bonheur d'estre ainsy entre les bras et les mammelles de Celuy duquel l'Espouse sacree disoit: Vos tetins sont incomparablement meilleurs que le vin. Demeurés ainsy, chere Fille, et, comme un autre petit saint Jean, tandis que les autres mangent a la table du Sauveur diverses viandes, reposés et penchés, par une toute simple confiance, vostre teste, vostre ame, vostre esprit sur la poitrine amoureuse de ce cher Seigneur; car il est mieux de dormir sur ce sacré oreiller, que de veiller en toute autre posture   …………………………………………………[214]

 

DLVIII. A M. Antoine des Hayes. Nouvelles rétrospectives d'un voyage en Bourgogne. — Pèlerinage différé. — François de Sales accusé auprès du duc de Savoie d'avoir fait une tentative pour reprendre son autorité temporelle de prince-évêque de Genève; le fondement de cette calomnie. — Un mariage désiré. — Dévouement des amis de M. de Charmoisy pour le tirer de sa retraite. — Trois dames destinataires de l'Introduction a la Vie devote.

 

Annecy, 4 décembre 1609.

                        Monsieur,

            Ayant esté pres de deux mois entiers en Bourgoigne, partie au duché, pour assister aux noces de mon frere de Groysi, qui doit tant estre vostre serviteur, partie au comté, pour l'execution d'un commandement que le Pape avoit confié a Monsieur l'Evesque de Basle et a moy conjointement, j'ay treuvé a mon retour la lettre [215] que vous avies pris la peyne de m'escrire par le bon monsieur de Soulfour, qui passa a Chamberi tandis que j'estois sur mon voyage; lettre, comme toutes les autres, pleyne des marques de ce grand et fort amour que vous me portés, et duquel je suis reciproquement amoureux de toute l'estendue de mon cœur, et autant glorieux qu'homme du monde a qui vous le sceussies departir.

            Si vos affaires retardent nostre pelerinage a la Sainte Magdeleyne, il n'en sera que tant plus delicieux un'autre fois, quand vous les aures heureusement achevees comme je souhaite. Et tandis, je m'esclarciray aussi de mon costé d'un autre que j'ay treuvé a mon retour, fort inopinement, lequel (affin que je vous le die, Monsieur, a qui je voudrois estre tous-jours tout ouvert) consiste en un esclarcissement d'un ombrage que quelqu'insolent a fait par l'interposition de sa calomnie, entre l'esprit de Son Altesse et moy, comme si j'avois certaine intelligence sur ma miserable Geneve, pour y entrer et regner par autre moyen que celuy de sa grace. Le fondement du mesdisant a esté dix ou douze jours entiers que je fus a Gex ce mois de septembre passé, et ou allant, par une certaine imprudente hardiesse, je passay tout au travers de Geneve, apres avoir fait dire a la porte a celuy qui marchoit immediatement devant moy, que j'estois Monsieur l'Evesque, et escrire en la bullette: Franç. de Sales, Evesque de ce Diocaese (car il se faut un peu estendre a dire les particularités des saillies de ma vaillance). [216]

            Sur tout cela, donq, on a fait cet argument: Qu'a-il tant fait a Gex, et qui luy a donné cett'asseurance de passer en cette ville tant ennemie du nom quil porte et de sa qualité, et en laquelle ses praedecesseurs ne sont jamais entrés des la revolte, sans saufconduit, sans se desguiser, sans desadvouer sa qualité? Mais en vray (sic) verité, ilz ont peu de connoissance de mon ame, s'ilz me jugent si plein de consideration et d'apprehension que je ne puisse pas faire une petite temerité. Le tems, mon innocence, mais sur tout la providence de Dieu, accommodera tout cela: dequoy neanmoins j'ay escrit a Son Altesse tout ce quil m'en sembloit, ayant premierement sceu qu'elle s'estoit laissé porter a quelque sorte de desfiance de moy; de maniere que j'en demeure en tout bon repos. Voyla mes nouvelles d'Estat.

            Quant a celles de ce pais, nous nous res-jouissons grandement en l'esperance de voir un bon fruit du voyage de monsieur de Jacob et attendons que Monsieur vienne pour passer en France, achever ce mariage que nous desirons tant et qu'on differe tant. Nostre monsieur de Charmoysi, ce pendant, est tout joyeux en sa mayson des chams et tesmoigne d'aymer tant sa retraitte quil ne veut point qu'on traitte de l'en retirer; neanmoins, si Monsieur vient, je feray, si je puis, selon vostre conseil. Je desirerois bien y pouvoir beaucoup, comm'aussi de sçavoir, le tems estant venu, que Paris ayt un chef auquel mon cœur ayt tant d'alliance et de correspondance d'amitié comm'il a avec vous.

            J'envoye ces trois livres aucunement corrigés de tant de fautes que l'imprimeur y a laissé glisser. Je les [217] offre a madame vostre chere moytié et un, par son entremise, a madamoyselle de Touteville, sinon que vous en voulussies prendre la peyne vous mesme, et un autre a madame la Marquise de Menelay. J'auroys honte de tout cela, si vostre faveur ne devoit couvrir la nudité qui y est, comm' encor ce que j'ose vous addresser tant de lettres qui sont en ce pacquet.

            Nostre Seigneur vous conserve, Monsieur, et vous comble de tout bonheur; c'est le continuel souhait de

                        Vostre tres affectionné et tres fidelle serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            4 decembre 1609, a Neci.

            Monsieur, c'est a vous a qui j'escris ainsy librement de mes nouvelles.

 

                        A Monsieur

            Monsieur des Hayes,

                        Maistre d'hostel du Roy,

Gouverneur et Baillif de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au presbytère de Gex. [218]

 

DLIX. Au Père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Les fruits des Exercices de saint Ignace. — Progrès des conversions autour de Genève. — Une paysanne missionnaire. — Rétablissement du culte catholique à Gex. — Un grand nombre de genevois ébranlés; obstacles qui s'opposent à leur retour. — Le Saint raconte comment il a traversé Genève à cheval et l'émoi que son passage a suscité dans la ville. — Le mauvais vouloir des ministres à l'égard des propositions de François de Sales. — Comment l'Introduction a la Vie devote a vu le jour; cause de son succès. — Offrande d'un exemplaire au destinataire.

 

Annecy, 10 décembre 1609.

 

                        Mio Reverendo Padre,

            Il Padre Gioseffo Alamanni, Rettore del Collegio di Turino, mi ha mandato un aviso de i frutti i quali sono stati fatti in Salamanca per mezo degl'Esercitii spirituali, et questo per commissione la quale voi gli [219] havete data per farmi questa comunicatione. Io ve ne rendo gratie, mio Reverendo Padre, et mi rallegro di tutto mio core di sapere per questa occasione che non solamente la Providenza divina vi ha conservato in sanità insino al presente, ma parimente mi ha conservato nella vostra benevolenza, la quale io tengo per una ventura ben cara et pretiosa per me, il quale reciprocamente continuo in honorarvi nella mia anima con un rispetto et amore tutto particolare. Per conseguenza di questo, io vi dirò brievemente alcune nuove di questa mia diocese et come io fo, sentendomi obligato a darvene conto.

            Noi non habbiamo più alcun heretico nei balliaggi o signorie di Ternier e Gagliard, nè nel ducato di Chiablès, [220] dove erano quasi tutti, già sedici anni ch'io vi fu (sic) mandato. Una signora, la quale non si era giamai potuta ridurre, essendo morta questi giorni passati, doppo havere nondimeno fatto professione della fede catolica il giorno medesimo ch'ella morì, et havendo ricevuto i divini Sacramenti per le rimonstranze fattele da una paesana sua vicina, ha fatto grandemente maravigliare dei segreti della bontà di Dio, coloro i quali hanno saputo considerargli in questo fatto.

            Nel balliagio di Gex, il qual adesso è del Ré di Francia, la più parte sono anchora hughinoti (sic), sendo in loro continuata questa maledetta religione da settanta anni in qua che i Bernesi lì la piantarono. Con tuttociò, doppo nove anni in qua, noi habbiamo ristabilito l'essercitio catolico in cinque bande, et i due ultimi ristabilimenti furono fatti solamente nel mese di settembre passato; et doppo quel tempo, alcuni si sono ridotti, et specialmente questo mese passato, un gentilhuomo d'importanza. [221]

            Quanto alla città di Genevra, la consideratione dello Stato la ritiene nella sua infelicità; ma con tutto questo, mi pare che i primi crepusculi del giorno spirituale cominciano a spandere i raggi fra i suoi habitanti, poiché grande quantità di loro consentono che la religione catolica è migliore. Molti la desiderano e confessano che se la preferirebbono chiaramente, se ella fosse così salutare a loro Stato come essa sarebbe alle loro conscienze; e credo che se il loro edito, il quale chiamano fundamentale, nel quale è condennato a morte il primo che proporrà lamutatione della religione, fosse abolito, molti intraprenderebbono di parlare per havere l'essercitio catolico in una chiesa della città. [222]

            Io, l'altro giorno, andando a Gex, doppo havere celebrato la santa Messa in un villaggio vicino, mi venne al core di passar dentro la città di Genevra, il che era il mio camino più diritto; il che io feci senza alcuna apprehensione, per una certa confidanza più semplice che prudente. Et essendo arrivato alla porta, il sopraintendente di quella dimandando che io era, io feci rispondere pel mio Vicario generale che era Monsignor il Vescovo. Et sopra la dimanda che fu fatta: «Qual Vescovo?» io feci rispondere: «Monsignore il Vescovo di questa diocese;» et allora egli lo scrisse sopra il suo libro di consignatione, con queste parole: Monsre Francesco di Sales, [223] Vescovo di questa diocese. E non sò se egli intese il motto di diocese; almeno egli mi lasciò entrare, e così io passai a cavallo a traverso della città, salutato dalla più parte de gli huomini e donne molto honorevolmente.

            Dapoi, essendo io uscito et essendo sparso fra il popolo il romore della mia passata, fecero grande diversità di discorsi fra loro. I seditiosi dicevano che dovevo esser ritenuto per costringermi a rinegare il mio grado; i più honesti, pel contrario, dissero che bisognava ritenermi per carezzarmi in qualità di signore vicino et amico. Ma communemente, hanno preso per un malvagio presaggio ch'io habbia havuto l'assicuranza di passare freddamente fra loro con le mie insigni di Vescovo et di dire alla loro porta ch' io era il loro Vescovo, il che non è giamai avenuto dapoi che si ribellarono. Io mi sono spesso offerto di andare per convincere la loro dottrina di falsità, se mi dessero sicurezza della mia persona e di quei che verrebbono meco, et ho fatto portar loro la parola per gente di qualità, con uno scritto sottoscritto di mia mano et sigillato; ma giamai non hanno voluto, [224] essendo stati impediti da i ministri. Hor io ho voluto dirvi questa particolarità perciochè mi è stato scritto d'Italia che in Turino hanno raccontato il fatto altrimente circa la mia passata per Genevra et io sarò ben allegro che voi lo sappiate nel modo che veramente è passato.

            Nel restante, una virtuosissima et devota gentildonna di questa città dove io fo la residenza, essendo andata a Chiamberì e trattando delle cose spirituali col Padre Forerio, Rettore del Collegio, gli mostrò certi avisi i quali io le haveva dati. Et egli havendoli veduti, mi costrinse molto ch'io volessi fargli stampare, il che in nissun modo havevo deliberato; e finalmente io fui costretto di farlo l'anno passato. Sono poi stati ristampati la seconda volta e ben tosto gli ristamparanno la terza. Il libro è stato ben ricevuto in Francia, per rispetto della novità dell' argomento, il quale non ha la mira ad altro che ad aiutare i mondani.

            Io ho creduto che voi gradireste se io ve ne mandassi [225] un essemplare per modo di novità; questo è perchè io l'ho fatto con questa occasione, supplicandovi di riceverlo come cosa che viene da colui che vi honora, vi riverisce et ama di tutto il suo core, et prega Dio che vi empisca di ogni santa prosperità.

            Vostro humile et affettionatissimo servitore,

            FRANCESCO, Vescovo di Ginevra.

            A Neci, i dieci di Decembre 1609.

 

 

 

                        Mon Révérend Père,

            Le P. Joseph Alamanni, recteur du collège de Turin, m'a envoyé une relation des fruits qui se sont faits à Salamanque au moyen des Exercices spirituels; or, c'est vous qui l'avez chargé de me faire [219] cette communication. Je vous en remercie, mon Révérend Père, et de tout mon cœur je me réjouis d'apprendre ainsi que non seulement la divine Providence vous a conservé en santé-jusqu'à ce jour, mais que, pareillement, elle m'a conservé en votre bienveillance, faveur que je tiens pour bien chère et précieuse. En retour, je continue à vous honorer dans mon âme avec un respect et un amour tout particulier; c'est pourquoi je vous dirai brièvement quelques nouvelles de mon diocèse et ce que je fais moi-même, car je me sens obligé de vous en rendre compte.

            Nous n'avons plus aucun hérétique dans les bailliages ou seigneuries de Ternier et Gaillard, ni dans le duché de Chablais, où presque [220] tous l'étaient, lorsque j'y fus envoyé il y a seize ans. Une dame qu'on n'avait jamais pu convertir, est morte ces jours passés, après avoir, néanmoins, fait profession de la foi catholique le jour même de sa mort et reçu les divins Sacrements, grâce aux exhortations d'une paysanne sa voisine: grand sujet d'admirer les secrets de la bonté de Dieu pour ceux qui ont su les considérer dans cet événement.

            Dans le bailliage de Gex, qui appartient maintenant au roi de France, la plupart des habitants sont encore huguenots; car cette maudite religion a persisté parmi eux depuis soixante-dix ans que les Bernois l'y ont implantée. Cependant, après neuf ans, nous avons rétabli l'exercice du culte catholique en cinq endroits. Les deux derniers rétablissements furent seulement faits en septembre dernier, et depuis lors, quelques personnes se sont converties; notamment, ce mois passé, un gentilhomme de marque. [221]

            Quant à la ville de Genève, la raison d'Etat la retient dans son infortune; mais il me semble que, malgré tout, la première aurore du jour spirituel commence à répandre ses lueurs parmi ses habitants, puisqu'un grand nombre d'entre eux avouent que la religion catholique est la meilleure. Beaucoup la désirent et confessent qu'ils la préfereraient ouvertement à la leur, si elle était aussi salutaire à leur Etat comme elle le serait à leurs consciences. Et je crois que si leur édit (qu'ils appellent fondamental), suivant lequel le premier qui proposera le changement de religion doit être condamné a mort, si cet édit était aboli, plusieurs entreraient en pourparlers pour obtenir l'exercice du culte catholique dans une église de la cité. [222]

            Naguère, allant à Gex, il me vint au cœur, après avoir célébré la sainte Messe dans un village voisin, de passer par Genève: c'était mon chemin le plus direct. Je le fis sans aucune appréhension, par une certaine hardiesse où il entrait plus de simplicité que de prudence. Arrivé à la porte de la ville, le préposé demanda qui j'étais; je fis répondre par mon vicaire général que j'étais Monsieur l'Evêque. Et à cette question: «Quel Evêque?» je fis répondre: «Monsieur l'Evêque de ce diocèse.» L'homme alors l'écrivit dans son registre d'inscriptions, avec ces mots: Monsieur François de Sales, Evêque [223] de ce diocèse. Je ne sais s'il comprit le mot diocèse; du moins me laissa-t-il entrer, et ainsi je passai à cheval au milieu de la ville, salué par la plupart des hommes et des femmes avec un grand respect.

            Après ma sortie, le bruit de mon passage s'étant répandu parmi le peuple, on tint à ce sujet des propos très différents. Les séditieux disaient qu'on aurait dû me garder pour me contraindre à renier ma dignité; les plus honnêtes, au contraire, dirent qu'il aurait fallu me retenir pour me traiter avec courtoisie, en qualité de seigneur voisin et ami. Mais en général, ils ont regardé comme un mauvais présage l'assurance que j'ai eue de passer froidement parmi eux avec mes insignes d'Evêque, et de dire à leur porte que j'étais leur Evêque; jamais pareille chose n'était arrivée depuis leur révolte. Souvent je leur ai offert de me rendre auprès d'eux pour convaincre leur doctrine de fausseté, à la condition d'en recevoir quelque garantie pour ma personne et pour ceux qui viendraient avec moi; je leur ai meme fait porter la parole par des gens de qualité, avec un écrit signé de ma main et cacheté: jamais ils ne l'ont voulu; ils en ont été empêchés par les [224] ministres. J'ai voulu vous raconter cette aventure parce qu'on m'a écrit d'Italie qu'à Turin le fait de mon passage par Genève a été présenté autrement; je serai donc bien aise que vous sachiez comment la chose s'est réellement passée.

            Au demeurant, une très vertueuse et dévote dame de cette ville où je fais ma résidence, s'étant rendue à Chambéry et traitant de choses spirituelles avec le P. Fourier, recteur du collège, lui montra certains avis que je lui avais remis. Le Père les ayant vus, me pressa fort de les faire imprimer; ce à quoi je n'avais nullement pensé. Enfin je fus contraint de le faire l'année passée; depuis ils ont été réimprimés une seconde fois et bientôt ils le seront de nouveau pour la troisième. L'ouvrage a été bien accueilli en France à cause de la nouveauté de son contenu qui ne vise qu'à aider les gens du monde.

            J'ai cru que si je vous en envoyais un exemplaire, à titre de [225] publication nouvelle, vous l'auriez pour agréable; voilà pourquoi je vous l'adresse par cette occasion. Je vous supplie de le recevoir comme venant de quelqu'un qui vous honore, vous révère et vous aime de tout son cœur, et qui prie Dieu de vous combler de toute sainte prospérité.

            Votre humble et très affectionné serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 10 décembre 1609.

 

 

 

DLX. A la Baronne de Chantal. Promesses pour le recrutement de la future Congrégation. — Le passage par Genève et les calomniateurs. — Le dessein de François de Sales traversé. Occupations, affections pieuses, souvenirs évoqués au cours du voyage d'un apôtre. — Les grands désirs qui remplissent le cœur d'un Saint. — Une affection que les paroles du monde ne sauraient traduire.

 

Annecy, 11 décembre 1609.

 

            Et en fin je viens a vous, ma chere Seur, ma Fille, des-ja tout recreu d'avoir tant escrit, mais resolu neanmoins de vous escrire tant que je pourray, tout a l'abandon, selon quil me viendra.

            Oüy, [mon ame,] ma Fille, je vis la bonne M. David, [226] qui me plait fort. J'en vis un'autre a Dole, damoyselle de fort bon lieu et qui a extremement bonne mine, un peu ma parente (car ell'est de ce pais), et qui vous vit a Dijon ou ell' estoit allé conduire une Religieuse Carmeline. En fin, nous n'aurons que trop de gens, c'est a dire, plus que nous ne pourrons recevoir.

            Mais, ma chere Fille, c'est la Providence de nostre cher Seigneur qui vous retient un peu la, car voyci qu'a mon arrivee, j'ay treuvé des nouvelles qu'on m'avoit fait une grande calomnie en nostre court, propre a me mettre en la disgrace de ce Prince qui, des quelque tems en ça, tesmoignoit tant de m'aymer. Et moy, qui ay quelquefois du courage, je me suis fort plaint par une lettre, de laquelle la consequence peut estre diverse, mais tous-jours universellement a la gloire de Dieu et a ma consolation. Or, j'en attens l'evenement, et ne voudrois pas que vous fussies icy qu'apres que cette bourrasque sera passee, qui sera bien tost, Dieu aydant. Mais quand je l'appelle bourrasque, dame, ne penses pas que j'en sois agité, nomplus certes que de la moindre chose du monde; car il ny a en cela pour tout, aucun sujet de mon costé que ce beni passage que je fis a Geneve, que les calomniateurs ne peuvent s'imaginer que j'aye fait sans avoir quelqu'intelligence avec les habitans. Helas! ceux qui me connoissent sçavent que je ne pensay jamais a intelligence et que je fay mille traitz de courage par une vraye simplicité; non pas certes simplicité d'esprit (car je ne veux pas parler doublement avec vous), mais simplicité de confiance. Or tout cela n'est rien, et je ne le dis aussi [227] qu'a vous, a laquelle je ne puis rien celer de ce qui me regarde.

            Cependant, voyci pas une chose notable? A mon arrivee, j'ay treuvé que la moytié de nos esperances pour l'erection d'un monastere ou je croyois de pouvoir attirer nos bonnes Carmelines est abbatue, car l'une des filles que nous esperions y devoir contribuer ne s'est peu resoudre a quiter le monde. Sur cela, celuy qui manie toute la barque et duquel depend l'autre fondatrice, sans que je luy en eusse jamais parlé, sans quil en eut jamais rien apperceu, me va proposer que la mayson estant achettee et presque praeparee pour une douzaine de filles, il seroit bon de l'employer a la Congregation de quelques dames devotes, selon que jadis il avoit ouy discourir a un vieux Capucin italien. Je ne luy respondis rien, et maintenant il est revenu, et ayant parlé avec luy sur ce sujet, il ny a quasi moyen de le luy arracher de l'esprit. Pour moy j'attens, et si je voy de la conformité je ne [228] refuseray pas ce parti; mais Dieu sera avec nous, sil luy plait, pour tout cela. Je vous escriray dores en avant le succes de tout, affin que, selon cela, par apres nous traittions de vostre venue a Salins ou non.

            J'escris a nostre M. de Vaucroissant, qui'a tort, certes, sil croit que je ne l'ayme pas parfaittement, car certes, je le cheris tout entierement; mais voyes vous, quelques fois l'ardeur de l'amitié s'evapore en jalousie. Je vous envoye les lettres que j'oubliay a vous porter de Mme Vignod, qui est tres bonne fille. Escrives un mot a la bonne Mme la Presidente, car ell'a le cœur gros aussi bien que monsieur de Vaucroissant, et dit qu'elle ne le merite pas.

            Nous avons fait un fort heureux voyage au comté, et que j'y ay prié Dieu de bon cœur pour vous au saint Suaire, que l'on monstra publiquement, a ma contemplation; a la sainte Hostie et a nostre cher Saint Claude, ou je fus logé en vostre logis, et pris playsir a [229] voir le lieu ou je receu vostre confession, et fus consolé a representer ce cœur qu'en qualité de pere je presentay la premiere fois a l'autel de Saint Claude. J'ay presque presché par tout et a mon gré, c'est a dire utilement. La bonne Mme de Baume fut bien consolee, quoy qu'accablé de tant de gens qui me demandoyent confession je n'eu pas tout le loysir que je desirois pour l'entretenir, car outre cela, j'avois mon grand affaire sur les bras.

            Ouy, ma Fille tres chere, je dis tout incomparablement, je vous donneray un beau livre ou j'escriray, mais je veux attendre la troysiesme edition, a laquelle j'apporteray un soin tout particulier; mays ce pendant, je ne laisseray pas de vous en donner de cette seconde par la premiere commodité. Je n'ay nulles nouvelles de monsieur de Berulle.

            Ce n'est pas icy la grande lettre que je vous veux escrire, car vous voyes bien que je Cours a toutes brides. Vous ne sçauries croire combien je sens mon cœur plein de grans desirs de servir Nostre Seigneur. Certes, ma Fille, mes affections sont si grandes, ce me semble, que j'espere de le faire un jour, apres que je me seray bien humilié devant Dieu. Vive Dieu! ma chere Fille, il m'est advis que tout ne m'est plus rien qu'en Dieu, auquel neanmoins et pour lequel j'ayme plus tendrement que jamais ce que j'ayme, et sur tout nostr'ame. O il est vray, ma Fille, j'ay ce sentiment lâ. [230]

            Encor vous veux je dire que vostre filz a bien porté une si douce et aggreable humeur tout au long du voyage, que je l'ayme beaucoup plus que fraternellement, et sur tout quand il parle avec suavité de sa petite famme. Dieu est bon, ma Fille, soyons donq bons aussi.

            Bon soir, ma Fille, Dieu soit a jamais nostre tout. Je suis en luy plus vostre que je ne sçauray jamais dire en ce monde, car les paroles de cet amour ny sont pas.

            La pauvre petite seur, est toute grosse, a ce que son mari m'a dit, qui se plaint de quoy ell'est un peu melancolique; je pense que dans quatre jours elle viendra.

            Vive Jesus et Marie! Amen.

            XI decembre 1609, a Neci.

            Ne parles a personne de l'affaire de la cour.

                        A Madame

Madame la Baronne de Chantal.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Dijon.

 

 

 

DLXI. A la même. Ferveur d'une postulante. — Les austérités corporelles et les mortifications spirituelles; celles que le Saint désire pour les filles de sa future Congrégation.

 

Annecy, [vers mi-décembre] 1609.

 

            Vostre Anne Jacqueline me contente tous-jours plus. La derniere fois qu'elle se confessa, elle me demanda [231] licence, pour se preparer et accoustumer, dit elle, a estre Religieuse, de jeusner les Advens au pain et a l'eau, et d'aller nudz pieds tout l'hiver. O ma Fille, il vous faut dire ce que je luy respondis, car je l'estime aussi bon pour la maistresse que pour la servante: que je desirois que les filles de nostre Congregation eussent les pieds bien chaussés, mais le cœur bien deschaussé et bien nud des affections terrestres; qu'elles eussent la teste bien couverte et l'esprit bien descouvert, par une parfaitte simplicité et despouillement de la propre volonté.

 

 

 

DLXII. A Madame de la Fléchère. Une contemplation, source de profonde tranquillité. — Sentiments qui doivent animer un cœur grandement épris de Jésus-Christ crucifié. — Examen de prévoyance fort utile. — Une pauvreté qui n'en est pas une. L'appréhension de l'éternité et l'appréhension des accidents de cette vie mortelle. — La révérence envers Notre-Seigneur; en quoi surtout elle consiste.

 

Annecy, vers mi-décembre [1609].

 

            C'est la verité, ma tres chere Fille, que rien ne nous peut donner une plus profonde tranquillité en ce monde que de regarder souvent Nostre Seigneur en toutes les afflictions qui luy arriverent despuis sa naissance jusques a sa mort; car nous y verrons tant de mespris, de calomnies, de pauvreté et indigence, d'abjections, de peynes, de tourmens, de nudités, d'injures et de toutes sortes d'amertumes, qu'en comparayson de cela nous connoistrons que nous avons tort d'appeller afflictions et peynes et contradictions ces petitz accidens qui nous arrivent, et que nous avons tort de desirer de la patience pour si peu de chose, puisqu'une seule petite goutte de modestie suffit pour bien supporter ce qui nous arrive. [232]

            Je connois fort bien l'estat de vostre ame et m'est advis que je la voy tous-jours devant moy avec toutes ces petites esmotions de tristesse, d'estonnement et d'inquietude qui la vont troublant, parce qu'elle n'a pas jetté encor asses avant les fondemens de l'amour de la croix et de l'abjection dedans sa volonté. Ma tres chere Fille, un cœur qui estime et ayme grandement Jesus Christ crucifié, ayme sa mort, ses peynes, ses tourmens, ses crachatz, ses vituperes, ses disettes, ses faims, ses soifz, ses ignominies, et quand il luy en arrive quelque petite participation, il en jubile d'ayse et les embrasse amoureusement. Vous deves donques tous les jours, non pas en l'orayson, mais a part, en vous proumenant, faire une reveuë de Nostre Seigneur entre les peynes de nostre Redemption, et considerer quel bonheur vous sera d'y participer; voir en quelle occasion ce bien la vous peut arriver, c'est a dire les contradictions que vous pourres avoir en tous vos desirs, mais sur tout es desirs qui vous sembleront plus justes et legitimes, et puis, avec un grand amour de la Croix et Passion de Nostre Seigneur, vous vous deves escrier avec saint André: «O bonne croix,» tant aymee de mon Sauveur, quand me recevres-vous entre vos bras?

            Voyes vous, ma tres chere Fille, nous sommes trop delicatz d'appeller pauvreté un estat auquel nous n'avons ni faim, ni froid, ni ignominies, mais seulement quelques petites incommodités en nos desseins. Quand nous nous reverrons, resouvenes moy que je vous parle un peu de cette tendresse et delicatesse de vostre cher cœur, car vous aves sur tout besoin, pour vostre paix et repos, d'estre guerie de cela avant toutes choses, et de bien former en vous l'apprehension de l'eternité, en laquelle quicomque pense souvent, il se soucie fort peu de ce qui arrive en ces trois ou quatre momens de vie mortelle.

            Puisque vous estes apres a jeusner la moitié des Advens, vous pouves continuer jusques a la fin. Je veux bien que vous communiies, voire deux jours suivans, quand il y aura des festes. Alles bien devotement a la Messe apres disner: c'est a la vielle façon des Chrestiens. [233] Nostre Seigneur ne regarde pas a ces petites choses; la reverence consiste au cœur, il ne faut pas nourrir vostre esprit en ces petites considerations.

            A Dieu, ma tres chere Fille, tenes moy bien tous-jours pour tout vostre, car en vraye verité je le suis. Dieu vous benisse. Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DLXIII. A la Baronne de Chantal. La succession des années et l'éternité. — Souhaits de nouvel an. — Le temps de Dieu; récompense promise à ceux qui en usent bien. — Comment tenir son cœur solitaire au milieu de la foule.

 

Annecy, 29 décembre 1609.

 

            Voyci, ma tres chere Fille, cette annee qui se va abismer dans le gouffre ou toutes les autres se sont jusques a present aneanties. O que l'eternité est desirable au prix de ces miserables et perissables vicissitudes! Laissons couler le tems, avec lequel nous nous escoulons petit a petit pour estre transformés en la gloire des enfans de Dieu.

            C'est la derniere fois de cette annee que je vous escris, ma chere Fille. Hé, que je vous souhaitte de benedictions, et avec quelle ardeur, cela ne se peut dire. Helas! quand je pense comme j'ay employé le tems de Dieu, je suis bien en peyne qu'il ne me veuille point donner son eternité, puisqu'il ne la veut donner qu'a ceux qui useront bien de son tems.

            Il y a trois mois que je suis sans vos lettres, mais je croy que Dieu est avec vous, ce m'est asses. C'est luy que je vous desire uniquement. Je vous escris sans loysir, [234] car ma chambre est pleine de gens qui me tirent; mais mon cœur est solitaire toutefois, et plein de desir de vivre a jamais tout pour ce saint amour, qui est l'unique pretention de ce mesme cœur. Au moins, parmi ces jours sacrés, mille desirs m'ont saysi de vous donner le digne contentement que tant vous souhaittes de mon ame comme de la vostre mesme, en m'avançant soigneusement a cette sainte perfection a laquelle vous aspires et pour laquelle vous respires en la faveur de ce cœur, qui, reciproquement, vous souhaitte sans fin toute la plus haute union avec Dieu qui se peut treuver icy bas.

            C'est l'unique souhait de celuy que Dieu vous a donné.

                                                                                                          FRANÇS, H. de Geneve.

 

DLXIV. A Madame de la Fléchère. L'unique guérison de certaines épreuves spirituelles. — Le sang du Calvaire et la clarté du Thabor; de ces deux montagnes, quelle est la plus désirable et la plus fructueuse. — Le pain sans sucre et le sucre sans pain. — Pourquoi la connaissance de notre néant ne doit pas nous troubler.

 

[1609 ou 1610.]

 

            Certes, ma chere Fille, ce n'est pas que je n'aye un cœur tout tendre pour vous, mais je suis tellement tracassé d'encombriers, que je ne puis pas escrire quand je veux. Et puis, vostre mal, qui n'est d'autre chose que de secheresse et aridité, ne peut estre remedié par lettre; il faut en presence ouyr vos petitz accidens, et encor, apres tout, la patience et resignation en est l'unique guerison. Apres l'hiver de ces froidures, le saint esté arrivera et nous serons consolés. [235]

            Helas! ma Fille, nous sommes tous-jours affectionnés a la douceur, suavité et delicieuse consolation; mais toutefois, l'aspreté de la secheresse est plus fructueuse. Et quoy que saint Pierre aymast la montaigne de Thabor et fuist la montaigne de Calvaire, celle ci toutefois ne laisse pas d'estre plus utile que celle la, et le sang qui est respandu en l'une, est plus desirable que la clairté qui est respandue en l'autre. Nostre Seigneur vous traitte des-ja en brave fille; vivés aussi un peu comme cela. Mieux vaut manger le pain sans sucre que le sucre sans pain.

            L'inquietude et chagrin qui vous arrive de la connoissance de vostre neantise n'est pas aymable; car encor que la cause en est bonne, l'effect neanmoins ne l'est pas Non, ma Fille, car cette connoissance de nostre neantise ne nous doit pas troubler, ains adoucir, humilier et abbaisser; c'est l'amour propre qui fait que nous nous impatientons de nous voir vilz et abjectz. Or sus, je vous conjure par nostre commun amour, qui est Jesus Christ, que vous vivies toute consolee et toute tranquille en vos infirmités. Je me glorifie en mes infirmités, dit nostre grand saint Paul, affin que la vertu de mon Sauveur habite en moy. Ouy, car nostre misere sert de throsne pour faire reconnoistre la bonté souveraine de Nostre Seigneur.

            Je vous souhaitte mille benedictions. O Seigneur, benissés le cœur de ma tres chere Fille, faites-le brusler comme un holocauste de suavité a l'honneur de vostre divine dilection; qu'elle ne cherche aucun autre contentement que le vostre, ne requiere autre consolation que celle d'estre tres parfaittement consacree a vostre gloire. Jesus soit a jamais au milieu de ce cœur et que ce cœur soit a jamais au milieu de Jesus; Jesus vive en ce cœur et ce cœur en Jesus.

            Je suis en luy, plus vostre que vous ne sçauriés croire, ma chere Fille.

                                               Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [236]

 

Année 1610

 

 

 

DLXV. A une dame inconnue. Qu'il faut ravaler son courage et en même temps l'exalter. — L'unique leçon du divin Maître. — Une bonne condition pour faire des progrès spirituels. — Deux choses conseillées contre les assoupissements en l'oraison.

 

Annecy, 3 janvier 1610.

 

            Vous me dites trois bons motz, ma tres chere Fille, en la lettre que j'ay receue de vous: que vous faites une grande violence pour empescher l'eslevement de vostre courage et prattiquer l'amour de l'abjection (c'est a quoy vous vous estudies maintenant), et que vous [trouvez] vos desirs plus disposés au vouloir divin qu'auparavant. Il faut bien tous-jours faire ainsy, ma chere Fille; car, comme dit Nostre Seigneur, le Royaume des cieux souffre violence et les violens le ravissent. Plus la sainte humilité vous coustera de travaux, plus elle vous donnera de grace. Continues donq courageusement a bien ravaler vostre courage par humilité et a l'exalter par charité; car ainsy vous monteres et descendres, comme les Anges sur la sainte eschelle de Jacob. Estudies bien cette leçon, car c'est l'unique leçon de nostre souverain [237] Maistre: Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de cœur.

            Que vous seres heureuse, ma chere Fille, si vous vous resignes pleynement au vouloir de Nostre Seigneur. Ouy, car ce saint vouloir est tout bon et sa disposition toute bonne; mieux ne pouvons nous marcher que sous sa providence et conduite.

            Mais sçaves vous ce qui me plait? C'est que vous me dites que vous me parles a cœur ouvert; car, ma chere Fille, c'est une bonne condition pour avancer selon l'esprit que d'avoir le cœur ouvert pour la fidele et naifve communication que nous devons faire entre nous, d'autant que Nostre Seigneur, qui se plait tant a communiquer son esprit aux siens, se plait aussi beaucoup a voir que nous nous entrecommuniquions les nostres, pour nous entresoulager et ayder.

            Marches donq comme cela, ma chere Fille, et ne vous troubles point pour vos assoupissemens, contre lesquelz il faut faire deux choses: l'un' est de changer souvent de contenance en l'orayson, comme de tenir tantost les mains croisees sur l'estomach, tantost jointes, tantost bandees, tantost estre debout, tantost a genoux sur un genoux, tantost sur l'autre, a mesure que les assoupissemens vous arriveront. La seconde chose c'est d'eslancer souvent des paroles exterieures, de bouche, semees parmi vostr'orayson plus ou moins dru, selon que plus ou moins vous vous verres attaquee des assoupissemens.

            Dieu vous siot a jamais favorable, ma chere Fille, affin que vous cheminies bien avant en son saint amour, pour lequel je vous cheriray toute ma vie; et me recommandant de plus en plus a vos prieres, je suis

                                               Vostre bien humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            3 janvier 1610, a Neci.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, à l'Hôtel-Dieu. [238]

 

 

 

DLXVI. A la Baronne de Chantal (Fragment). La première tourière de la Visitation offre ses services.

 

Annecy, commencement de 1610.

 

            Cette bonne servante pretendue me demande souvent quand Madame viendra. Voyes vous, ma Fille, vostre venue luy est bien a cœur, parce qu'elle espere de servir bien Dieu en vostre personne et en celle des filles et femmes qui seront si heureuses que de vous suivre en la petite, mais sainte et aymable retraitte que nous meditons.

 

 

 

DLXVII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Sainteté du bienheureux Amédée. — Estime qu'on en fait en Savoie. — C'est un devoir pour le duc de désirer la canonisation d'un tel ancêtre et de s'employer à l'obtenir.

 

Annecy, [janvier 1610.]

 

                        Monseigneur,

            Il y a quelque tems que j'envoyay a Vostre Altesse Serenissime plusieurs memoires touchant l'stime et [239] veritable opinion que tout ce païs de deça avoit tous-jours eue de la sainteté du bienheureux Duc Amedee troisiesme; et je croyois que Vostre Altesse, considerant ces honnorables tesmoignages de l'eminente sainteté d'un Prince auquel elle appartient de si pres, seroit suffisamment incitee a en desirer la canonisation. Mais attendant de jour a autre qu'on fist quelque bon dessein pour cela et n'ayant point de telles nouvelles, je supplie tres humblement Vostre Altesse de me pardonner si, avec un peu de chaleur, je luy represente ma pensee sur ce sujet; car en une grande affection on ne se peut pas bien-retenir.

            Ce grand Saint et Vostre Altesse aves un devoir mutuel l'un a l'autre; car Vostre Altesse luy succedant, et selon le mesme sang et selon le mesme sceptre, elle luy appartient comme un filz a son pere, Vostre Altesse donq le doit honnorer en tout ce qu'elle peut, comme sa charité l'oblige de proteger, secourir et eslever Vostre Altesse. Ni ces liens reciproques ne sont point rompus par la mort, car ce sont des liens de l'amour sacré, qui est aussi fort pour les conserver que la mort pour les dissoudre.

            Or, les miracles que Dieu a faitz en faveur de ce grand Prince, la grande estime de la sainteté d'iceluy que sa divine Providence a nourrie dans le cœur des peuples qui ont le bonheur d'estre sous sa couronne et de plusieurs autres circonvoysins, les histoires qui celebrent si hautement la pieté de sa vie, ce sont, Monseigneur, tout autant de sommations que ce saint Prince vous fait de luy faire les honneurs qui sont dus a son [240] excellente sainteté. Nul ne luy a ce devoir en pareil degré avec Vostre Altesse, nul n'a le pouvoir si grand de le luy rendre, ni, par consequent, nul n'en doit avoir un vouloir si ardent.

            Je prie Dieu qu'il comble de celestes benedictions Vostre Altesse, de laquelle je suis infiniment,

            Monseigneur,

                        Tres humble, tres obeissant et tres fidelle

                                               orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DLXVIII. A un gentilhomme. Charité du Saint pour ses amis: au premier il propose une honorable alliance pour l'un des siens; il fait à l'autre de vives instances pour qu'il pardonne à son fils repentant.

 

Annecy, 8 janvier 1610.

 

                        Monsieur,

            Mais seray-je donq ainsy esconduit es prieres que je fay a ceux que je cheris et honnore tant, et pour choses si honnestes et si justes? Monsieur d'Avully me fait attendre plus longuement, a mon advis, que ne merite une bonne et favorable resolution du mariage que je luy ay proposé. Et vous, Monsieur, me refuseres-vous la grace que je vous ay requise, de voir et recevoir monsieur vostre filz, qui recourt a vostre sein paternel [241] pour y vivre meshuy avec toute humilité et obeissance qu'il vous doit rendre? Donnes-moy, je vous conjure, Monsieur, ce contentement, que ce soit par mon entremise que ce bonheur arrive a ce filz, affin qu'il sache que je tiens un rang en vostre bienveuillance aussi grand que celuy que vous tenes en mon honneur et respect.

            Encor faut-il, Monsieur, que j'adjouste a ma supplication ce mot de mon mestier. Tandis que les peres exercent leur severité a l'endroit de leurs enfans par necessité, ilz leur doivent preparer de la douceur en leur volonté, affin que la rigueur qui les a chastiés ne les accable pas, degenerant en dureté et fierté. Cet enfant se jette a vos pieds, et je vous supplie de le recevoir paternellement, ce pendant que je m'essayeray de vaincre aussi de l'autre costé monsieur d'Avully. Que si, tout en retour de mon attente, je suis par tout rejetté, je cesseray cet office d'interceder vers l'un et l'autre, mais non jamais d'estre,

                        Monsieur,

                                   Vostre serviteur bien humble,

                                                                                               FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 8 janvier 1610.

 

 

 

DLXIX. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe (Inédite). Un chirurgien espagnol est prié de s'employer à guérir l'Abbesse. — Encouragements. — Comment le Saint s'excuse de parler brièvement de Dieu.

 

Annecy, 16 janvier 1610.

 

            Je vous escrivis n'a gueres, ma chere Fille, et tous-jours hastivement, comme je fay encor maintenant, et vous envoyay l'advis que j'avois eu du cyrurgien [242] espaignol. Le gentilhomme a qui j'avois confié le soin de luy parler arrivera bientost icy, et j'apprendray plus particulierement ce quil aura dit touchant l'esperance de vous guerir, et tout au plus tard, je vous escriray des Salins.

            Au demeurant, ma chere Fille, tenes vous fort aupres de Nostre Seigneur, aggrandisses tous-jours vostre courage en son amour. Tenes vous ferme en l'enclos de vos resolutions, et vous souvienne que vous n'aures jamais bien que par lâ.

            Que dires vous dequoy je vous escris si peu? Mais je ne puis mieux faire, et puisque je ne puis vous parler davantage de Dieu, je m'en vay parler a Dieu de vous. Ce grand Dieu soit a jamais en nos cœurs. Je suis en luy, tout entierement et perpetuellement vostre.

                                                                                                                                 F.

            Le XVI janvier 1610.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Farghon, à Issoire (Puy-de-Dôme).

 

DLXX. A Madame de Cornillon, sa sœur. Que faire à mesure que les années s'en vont. — Les mères chrétiennes et Notre-Seigneur, qui se comporte au rebours des autres enfants.

 

Annecy, fin janvier 1610.

 

            Il ne faut pas que le premier mois de l'annee passe que je ne vous salue, ma tres chere Fille, ma Seur, en vous [243] asseurant tous-jours du parfait amour que mon cœur porte au vostre, auquel je ne cesse point de desirer toutes sortes de benedictions. Mais aussi, ma chere Seur, je le vous recommande, vostre pauvre cœur: ayés bien soin de le rendre de plus en plus aggreable a son Sauveur, et de faire que cette annee soit plus fertile que l'autre en toute sorte de saintes actions; car a mesure que les annees s'en vont et que l'eternité s'approche, il nous faut aussi redoubler le courage et relever nostre esprit en Dieu, le servant plus attentivement en tout ce que nos vocations et professions nous obligent.

            Je voudrois bien pouvoir vous envoyer les livres que je vous ay promis et a madame de Cornillon ma commere; mais je ne m'en suis pas treuvé un seul. Il faut donq avoir un peu de patience avec moy, comme avec un mauvais payeur.

            Ce pendant, chere Seur, prenés bien courage a faire vostre enfant; je dis celuy du cors et celuy du cœur, mais sur tout celuy du cœur, qui est Nostre Seigneur, lequel vous voules, je m'asseure, produire en vostre vie et en vous mesme beaucoup mieux d'ores en avant. Mais c'est un enfant lequel, au rebours des autres, soulage, nourrit et maintient sa mere; aussi faut il bien, ma Fille, que vous metties toute vostre esperance, vostre amour et vostre confiance en luy, car en cette sorte vous vivres toute joyeuse, contente.            ……………………………………………… [244]

 

 

 

DLXXI. Aux Echevins de Salins. Les predications qu'il avait promises à Salins étant empêchées, le Saint les veut «contreschanger en autant d'oraysons» pour la ville.

 

Annecy, 3 février 1610.

 

                        Messieurs,

            Ayant appris par messieurs les coeschevins de vostre ville qui ont pris la peyne de venir icy, ce que vous leur aves confié pour me dire, il ne me reste que de vous prier de croire que je conserveray cherement en mon ame l'affection avec laquelle je vous avoys dedié les predications que vous aviés desirees de moy pour ce Caresme, lesquelles je veux contreschanger en autant d'oraysons que je feray pour le bonheur de vostre ville. [245]

            Dieu donques soit a jamais vostre protecteur, et je suis en luy de tout mon cœur,

                                   Messieurs,

                                                           Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            3 febvrier 1610, a Neci.

 

A Messieurs les Capitaines

            et Eschevins de la ville de Salins.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Dole.

 

 

 

DLXXII. A la Baronne de Chantal. Pourquoi l'Evêque de Genève n'alla pas à Salins en 1610. — Une âme dont il espérait faire quelque chose de bon. — Les souhaits, le cœur et la plume d'un Saint.

 

Annecy, 5 février 1610.

 

            Cette lettre sera courte, tres chere Fille, car je n'ay nul loysir. Elle vous dira donq seulement qu'avanthier j'ay sceu que je n'irois pas a Salins ce Caresme, parce que Monsieur l'Archevesque de Besançon a resolu a [246] ceux de cette ville-la, qu'il ne vouloit pas que j'y allasse; et il est leur Prelat. Le pourquoy de cela, je ne le sçay pas bien; mais, a le dire entre nous, il ne sera pas grandement pris en bonne part de tous. Quant a moy, j'en suis bien ayse, quoy que je fusse resolu d'y aller de bon cœur.

            Mon frere vous envoyera son laquay dans peu de jours, en attendant d'y aller luy mesme, apres qu'il aura demeslé quelques affaires de deça. Madamoyselle Favre s'est enfin resoluë, avec le bon congé de son pere, d'estre toute a Nostre Seigneur et de demeurer ma fille plus que jamais, et je croy que nous en ferons quelque chose de bon.

            J'escoute de toute part ce que Dieu demande de moy; priés le, ma chere Fille, qu'il en dise ce bon mot, que je suis sien. Ouy certes, je le suis de tout mon cœur, quoy que miserable et chetif. Je ne manque point a la promesse faite de l'orayson; car il faut que de tems en tems je vous en rende conte.

            La pauvre chere seur est toute grosse, et vrayement fort bonne, ainsy que j'ay veu par la reveuë annuelle qu'elle a faite ces jours passés avec grande devotion. Je vay mettre la main au livre de l'Amour de Dieu, et m'essayeray d'en escrire autant sur mon cœur comme je feray sur le papier. [247]

            Bon jour, mon unique, ma tres chere, mon incomparable chere Fille. Soyés toute a Dieu. J'espere tous les jours plus en luy que nous ferons prou en nostre dessein de vie. Mon Dieu, j'escris a perte d'haleyne.

            Le 5 février 1610.

 

 

 

DLXXIII. A M. Claude de Blonay (Fragment). La nouvelle Congrégation étant sur le point de s'établir, François de Sales demande au destinataire qu'il veuille bien lui amener sa fille après Pâques.

 

Annecy, 8 février 1610.

 

            Monsieur mon cher Frere,

            Je vous donne advis que, par la divine misericorde, le tems de la Visitation s'approche; je veux dire qu'en fin nos conclusions sont prises et que nous attendons a ce primtems madame de Chantal pour commencer nostre petite Congregation, a laquelle vous sçaves que le Saint Esprit a destiné vostre fille, que je tiens pour mienne. Il m'est tombé ce matin dans l'esprit, pensant a elle, que c'est singulierement a son ame que s'addressent les paroles de l'Espoux sacré: Debout, hastés-vous, mon amie; car en fin, Amie c'est son nom, et l'Espoux l'appelle par son nom propre.

            Dites donq a cette chere fille Amie qu'elle vienne de bon cœur nous treuver. Mais, mon cher Frere, soyés genereux; dites luy vous mesme qu'il faut qu'elle oublie [248] son peuple et la mayson de son pere; mais non pas son pere, car elle s'en souviendra tous-jours devant Dieu, qui est nostre Pere commun. Tenes donq nostre chere fille preste pour nous l'amener aussi tost apres Pasques, car nous esperons commencer environ ce tems la.

 

            A Neci, 8 fevrier 1610.

 

 

 

DLXXIV. A M. Jacques de Bay. Recommandation en faveur d'un jeune étudiant savoyard.

 

Annecy, 12 février 1610.

 

            Quod a me petiit vir clarissimus Dominus Ludovicus Bonierius, ut filium suum Laurentium, optimae indolis adolescentem, tibi pro tua in me benevolentia commendarem, non debui neque potui praetermittere; tum quia is mihi amicissimus semper extitit, tum etiam quia hac data occasione mei apud te recordationem excitabo, et [249] simul obtestabor ut quem hactenus non solum dilexisti, sed dilectionis etiam perenni signo cohonestasti, deinceps impense diligere ne desinas.

            Vale in Christo Domino, vir clarissime, et mihi Sabaudisque tuis diu fœliciter que vive.   Reverentiae tuae,

                        Frater in Christo et servus,

                                   FRANÇS, Episcopus Gebennensis.

            Annessii Allobrogum, XII Februarii 1610.

            Reverdo et Clarisso viro, D. Jacobo Baio, sacrae Theologiae Doctori sapientissimo, et Collegii Sabaudorum Moderatori prudentissimo.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Bruxelles, Bibliothèque des PP. Bollandistes. [250]

 

 

 

            Le sieur Louis Bonier, personnage de grande distinction, m'a prié de vous recommander, connaissant votre bienveillance à mon égard, son fils Laurent, jeune homme d'un naturel parfait. Je ne devais pas lui refuser cela et je ne le pouvais pas non plus, étant l'ami très cher qu'il a toujours été pour moi. Et puis, c'était une occasion de raviver auprès de vous mon souvenir. J'en profite aussi pour vous [249] conjurer, après m'avoir jusqu'ici non seulement affectionné mais honoré d'un gage éternel d'amitié, de continuer à m'aimer bien fort.

            Salut, illustre Monsieur, dans le Christ Notre-Seigneur. Pour ma joie et celle de vos Savoyards, vivez longtemps, vivez heureux.     De Votre Révérence,

                        Frère dans le Christ et serviteur,

                                   FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Savoie, 12 février 1610.

            Au Révérend et très illustre M. Jacques de Bay, très savant Docteur en théologie et très sage Président du Collège de Savoie. [250]

 

 

DLXXV. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. François de Sales intercède auprès du duc pour obtenir un secours au chanoine-poète Nouvellet.

 

Annecy, 18 février 1610.

 

                        Monseigneur,

            Le bon monsieur Nouvelet, partie par vraye indigence, partie par une legitime ambition, demande quelque bienfait a Son Altesse. J'appelle son ambition legitime, parce quand il pourroit avoir du secours d'ailleurs, je ne sçai sil le prendroit, au moins n'en auroit-il jamais tel contentement, tant il a a cœur l'honneur de dependre de Son Altesse, a laquelle, comme Vostre Excellence sçait, il est esperduement affectionné. Or, il m'a rendu pour cela intercesseur vers Son Altesse; et sachant bien que sans vostr' intercession, Monseigneur, la mienne sera vayne, il desire que, comme je demande le bienfait a Son Altesse, je supplie aussi Vostre Excellence de le luy impetrer par une favorable recommandation; et pour marque de sa perseverance au zele quil a a Vostre Grandeur, il vous offre une devise academique.

            Je vous supplie donq, Monseigneur, de luy departir [251] vostre faveur, et a moy lhonneur d'estre par tout et tous-jours advoué par

            Vostre Excellence,

                        Son tres humble et tres obeissant

                                   orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIII febvrier 1610, a Neci.

                        A Son Excellence.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, chez les Prêtres de la Mission.

 

DLXXVI. A la Baronne de Chantal. Un cœur plus que paternel, dégagé et fervent au milieu des tracas. — Les petites fleurs et les arbres en Savoie, quand souffle la tempête. — Petite pluie abat grand vent. — La rosée de la Croix. — Rendez-vous pendant le Carême: l'aimable et saint domicile du Cœur de Jésus Notre-Seigneur. — Ce qui «contenta fort» le Saint. — Il n'était point dur aux chrétiennes d'Annecy, et pourquoi. — Sermon tout de flammes.

 

Annecy, vers le 25 février 1610.

 

            Non, ma chere Fille, je n'ay nulles nouvelles de vous il y a trois moys bien entiers; et si, je ne puis croire que vous ne m'en ayes envoyé. Plus elles arrestent, plus je les souhaitte bonnes. Je le confesse, mon cœur m'importune un peu pour ce regard, mays je luy pardonne ces petites ardeurs, car il est paternel et plus que paternel.

            Croires-vous bien ce que je vous vay dire? J'ay, il y a quelque tems, le petit livre de la Presence de Dieu; c'est un petit ouvrage, mais je n'ay encor sceu le lire [252] entierement, pour vous en dire ce que je pense pour vostre service. Il n'est pas croyable comme je suis tracassé deça et dela par les affaires; mais, ma chere Fille, vous vous troubleres si je n'adjouste que neanmoins, graces a mon Dieu, mon pauvre et chetif cœur n'eut jamais plus de repos ni de volonté d'aymer sa divine Majesté, de laquelle je sens une speciale assistance pour ce regard.

            O ma chere Fille, que vous me fistes un jour grand playsir de me recommander la sainte humilité! car sçavés-vous, quand le vent s'enferme dedans nos vallees, entre nos montaignes, il ternit les petites fleurs et desracine les arbres; et moy, qui suis logé un peu bien haut en cette charge d'Evesque, j'en reçois plus d'incommodités. O Seigneur, sauves-nous; commandés a ces vens de vanité, et une grande tranquillité se fera. Tenés-vous bien ferme, et serrés bien estroittement ce pied de la sacree Croix de Nostre Seigneur; la pluye qui y tombe de toutes pars abat bien le vent, pour grand qu'il soit. Quand j'y suis quelquefois, mon Dieu, que mon ame est a recoy, et que cette rosee, rosine et vermeille, luy donne de suavités! Mais je n'en suis pas esloigné d'un pas, que le vent recommence.

            Je ne sçay ou vous seres ce Caresme selon le cors; selon l'esprit, j'espere que vous seres dans la caverne de la tourterelle et au costé percé de nostre cher Sauveur. Je veux bien m'essayer d'y estre souvent avec vous; Dieu, par sa souveraine bonté, nous en face la grace. Hier je vous vis, ce me semble, que, voyant le costé de Nostre Seigneur ouvert, vous voulies prendre son cœur pour le mettre dans le vostre, comme un roy dans un petit royaume; et, bien que le sien soit plus grand que le vostre, si est-ce qu'il le raccourciroit pour s'y accommoder. Que ce Seigneur est bon, ma chere Fille! que son cœur est amiable! Demeurons la, en ce saint domicile; que ce cœur vive tous-jours dans nos cœurs, que ce sang bouillonne tous-jours dans les veines de nos ames.

            Que je suis content que nous avons retranché les aisles a Caresme prenant en cette ville et qu'on ne le connoist presque plus! Quelles congratulations en fis-je [253] Dimanche a mon cher peuple, qui estoit venu en nombre extraordinaire pour ouyr le sermon sur le soir et qui avoit rompu toutes conversations pour venir a moy! Cela me contenta fort, et que toutes nos dames avoyent communié le matin, et qu'elles n'osoyent entreprendre de faire des balz sans demander licence. Et je ne leur suis (sic) point dur, car il ne le failloit pas, puisqu'elles sont si bonnes, avec grande devotion.        ………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………………………………...

            Mon Dieu, ma tres chere Fille, que je sens tendrement et ardemment le bien et le lien sacré de nostre sainte unité! J'ay fait un sermon ce matin tout de flammes, car je l'ay bien conneu; il le vous faut dire a vous. Mon Dieu, que je vous souhaitte de benedictions! Mais vous ne sçauries pas croire comme je suis pressé a l'autel de vous recommander plus que jamais a Nostre Seigneur.

            Qu'ay je a vous dire davantage, sinon que nous vivions d'une vie toute morte, et que nous mourions d'une mort toute vive et vivifiante en la vie et en la mort de nostre Roy, de nostre Seigneur et de nostre Sauveur, en qui je suis

                                                                       Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DLXXVII. A Madame de Cornillon, sa sœur. Heureuse fin de Mme de Boisy. — Une promesse mutuelle. — Les regrets dans les séparations. — Paix joyeuse de la mère du Saint.

 

Sales, 4 mars 1610.

 

                        Ma tres chere Seur, ma Fille,

            Consolons nous le plus que nous pourrons en ce tres-pas de nostre bonne mere, car les graces que Dieu a [254] exercees en son endroit pour la disposer a une heureuse fin, sont des marques fort certaines que son ame est doucement receuë entre les bras de sa divine misericorde; si que elle est bienheureuse d'estre desprise et demeslee des travaux de ce monde. Et nous aussi, chere Seur, serons bienheureux a nostre tour si, comme elle, nous vivons le reste de nos jours en la crainte et amour de Nostre Seigneur, ainsy que nous le nous sommes promis l'un a l'autre, l'autre jour a Neci. Sa divine Majesté nous attire en cette sorte au desir du Ciel, y retirant petit a petit tout ce qui nous estoit plus cher icy bas.

            Soyés donq bien consolee, ma chere Fille, et si vostre cœur ne peut s'empescher d'avoir du ressentiment en cette separation, faites au moins qu'il soit tellement moderé par l'acquiescement que nous devons au bon playsir de nostre Sauveur, que sa Bonté n'en soit point offensee, ni le fruit qu'il a mis en vostre ventre, malmené.

            Encor faut-il que je vous die ce mot pour vostre contentement: c'est que cette pauvre bonne mere, avant que de partir de Neci, revit tout l'estat de sa conscience, renouvella toutes les bonnes resolutions qu'elle avoit faites de servir Dieu et vint si contente de moy que rien plus; car Dieu ne voulut pas qu'elle fust en estât de melancholie quand il la prendroit a soy.

            Or sus, ma chere Seur, ma Fille, aymés moy tous-jours bien, car je suis plus vostre que jamais. Et pleust a Dieu que vous peussies venir faire la sainte Semaine avec nous! je m'en sentirois fort consolé. Bon jour, ma Fille; je suis

                                               Vostre frere et serviteur tres affectionné,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 4 mars 1610. [255]

 

 

 

DLXXVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Lettre d'introduction auprès de Charles-Emmanuel, en faveur d'un ami.

 

Annecy, 6 mars 1610.

 

            Monseigneur,

            Je supplie tres humblement Vostre Altesse de prester vostre oreille favorable au sieur de Blonnay, present porteur, qui ne desire luy parler que des choses qui luy sont aggreables, puisqu'elle prend tous-jours playsir a l'advancement de la gloire de Dieu, de l'exaltation de la foy et du salut des ames.

            Ce mesme Dieu tout puissant face de plus en plus abonder Vostre Altesse en benedictions et consolations celestes, qui sont les continuelz et ardans desirs que fait pour elle,

                        Monseigneur,

                        Son tres humble, tres obeissant, tres fidelle

                                               orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VI mars 1610, a Neci.

            A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte J. de Fleurieu,

au château de Sassangy (Saône-et-Loire).

 

 

 

DLXXIX. A M. Antoine des Hayes. Une douloureuse satisfaction. — Mme de Boisy assistée par son fils; rapide éloge de la défunte. — Pourquoi le Saint n'a pas de particulières nouvelles à communiquer.

 

Annecy, vers le 10 mars 1610.

 

                        Monsieur,

            Je ne sçaurois laisser partir le bon monsieur Bovard sans luy donner quelque marque de la continuelle souvenance que j'ay de vostre douce bienveuillance, en laquelle, certes, mon esprit s'esjouit grandement et plus que je ne sçaurois dire.

            Je pensois estre [ce] Caresme a Salins, au comté de Bourgoigne, puisque ceux de Cette ville-lâ m'en ayant fort conjuré, m'avoyent obtenu de Son Altesse. Mais a mesme presque que je voulois partir, ilz m'envoyerent deux des leurs, qui m'annoncerent que Monsieur leur Archevesque leur avoit absolument refusé permission de me donner leur chaire. Je ne sçai pas le pourquoy selon les hommes, mais je croy que Dieu en a ainsy disposé pour une douloureuse satisfaction que j'ay eu ces jours passés, de donner l'extreme benediction et de fermer les yeux a ma bonne mere mourante. Car, puisqu'ainsy il playsoit a Dieu de la retirer, ce m'est du contentement de l'avoir servie et assistee en ces derniers travaux, et mesme dautant que c'estoit une des plus douces et [257] innocentes ames quil estoit possible de treuver, et a laquelle la providence de Dieu a esté fort propice en trespas, l'ayant fort heureusement disposee a cela.

            Voyes vous, Monsieur, je m'allege a vous dire cecy, car c'est grand cas comme c'est un' heureuse et souefve rencontre a un cœur aucunement blessé, de pouvoir se communiquer, quoy que par lettres seulement, a un cœur si doux, si gratieux, si cher, si pretieux et tant amy comme le vostre m'est par vostre bonté, en laquelle je vous conjure tous-jours de me continuer fermement, avec asseurance que je suis sans fin ni reserve,

                        Monsieur,

                                               Vostre humble et tres asseuré serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

            Nous attendons tous-jours que Monsieur vienne, et n'en avons neanmoins point de particulieres nouvelles. Il est vray que je ne les sçaurois apprendre de mon breviaire duquel seul je me mesle, et de prier Nostre Seigneur pour vous. J'excepte M. de Charmoysi, que je voy fort souvent.

                        A Monsieur

Monsieur des Haÿe,

            Maistre d'hostel de S. M.,

Baillif et Gouverneur de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

 

 

 

DLXXX. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. François de Sales apprend à son ami la mort de Mme de Boisy.

 

Annecy, mars 1610.

 

                        Monseigneur,

            Je n'ay garde de vous vouloir beaucoup entretenir maintenant, qu'au milieu de cette grande et noble ville, chacun est autour de vous pour puyser les eaux des consolations spirituelles de la vive source que Dieu a mise en vous. Ce n'est justement que pour vous bayser humblement les mains et vous supplier de me conserver lhonneur de vostre bienveuillance, que cette lettre se presente a vous en mon nom.

            Que si vous luy permettes de vous dire quelque chose de plus, ce sera que je viens d'apprendre pourquoy Nostre Seigneur n'a pas voulu permettre que j'allasse a Salins; car ça esté, comme je pense, affin que j'assistasse a la mort de ma tres bonne mere, qu'il appella a soy le premier de ce moys, l'ayant, par sa misericorde, premierement disposee a bien et heureusement faire ce passage.

            Voyes vous, Monseigneur, j'allege, ce me semble, de beaucoup mon coeur, en le vous communiquant comm' a un ami auquel je porte tant d'amour, d'honneur, de respect, de reverence, et en la bienveuillance duquel j'ay [259] tant de confiance; bref, auquel je suis d'un'affection absolue,

                        Tres humble, tres obeissant et tres affectionné

                                               frere et serviteur,

                                                                                              FRANCS, E. de Geneve.

                        A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque

            de Montpelier.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

DLXXXI. A la Baronne de Chantal. Les sentiments du Saint à la mort de sa mère. — François de Sales raconte à Mme de Chantal comment Mme de Boisy a fini ses jours et combien il pleura sur «cette bonne mere.» — Invitation à venir en Savoie pour le dimanche des Rameaux. — Dispositions à prendre pour le séjour de la Baronne. — Mort de la petite Charlotte. — Il faut pleurer un peu sur nos trépassés. — L'Abbesse du Puits-d'Orbe, Mme de Saint-Jean, le P. de Monchy, Mlle Favre, le monastère de Sainte-Catherine, — Le «train des saintz devanciers et des simples.» — Prendre pour méthode de ne point se préparer à l'oraison, le Saint déclare le trouver «un peu dur.»

 

Annecy, 11 mars 1610.

 

            Mais, o Dieu, ma tres chere Fille, ne faut il pas en tout et par tout adorer cette supreme Providence, delaquelle les conseilz sont saintz, bons et tres aymables? Et voyla qu'il luy a pleu retirer de ce miserable monde nostre tres bonne et tres chere mere, pour l'avoir, comme j'espere fort asseurement, au pres de soy et en sa main droitte. Confessons, ma Fille bien aymee, confessons que Dieu est bon et que sa misericorde est a l'eternité. Toutes ses volontés sont justes et tous ses decretz equitables, son bon playsir est tous-jours saint et ses ordonnances tres aymables. [260]

            Et pour moy, je confesse, ma Fille, que j'ay eu un grand ressentiment de cette separation (car c'est la confession que je doy faire de ma foiblesse, apres que j'ay fait celle de la bonté divine); mais neanmoins, ma Fille, ça esté un ressentiment tranquille, quoy que vif, car j'ay dit comme David: Je me tais, o Seigneur, et n'ouvre point ma bouche, parce que c'est vous [qui] l'aves fait. Sans doute, si ce n'eut esté cela, j'eusse crié hola! sous ce coup; mais il ne m'est pas advis que j'osasse crier ni tesmoigner du mescontentement sous les coups de cette main paternelle, qu'en verité, graces a sa Bonté, j'ay appris d'aymer tendrement des ma jeunesse.

            Mais vous voudries peut estre sçavoir comme cette bonne femme a fini ses jours. En voyci une petite histoire, car c'est a vous a qui je parle; a vous, dis-je, a qui j'ay donné la place de cette mere en mon memorial de la Messe, sans vous oster celle que vous avies, car je n'ay sceu le faire, tant vous tenes ferme ce que vous tenes en mon cœur; et par ainsy, vous y estes la premiere et la derniere. Cette mere, donq, vint icy cet hiver, et, en un mois qu'ell' y demeura, elle fit la revëue generale de son ame et renouvela ses desirs de bien faire avec certes beaucoup d'affection; et s'en alla la plus contente du monde d'avec moy, duquel, comm'elle disoit, ell'avoit retiré plus de consolation que jamais elle n'avoit fait. Elle continua en cette bonne joÿe jusques au jour des Cendres, qu'ell' alla a la parroisse de Thorens, ou elle se confessa et communia avec tres grande devotion, ouyt troys Messes et Vespres; et le soir, estant au lit et ne pouvant dormir, se fit lire a sa fille de chambre trois chapitres de [l'] Introduction pour s'entretenir en des bonnes pensees, et fit marquer la Protestation, pour la faire au matin suivant. Mais Dieu, se contentant de sa bonne volonté, disposa d'autre sorte; car, le matin estant venu, cette bonne femme se levant et pignant (sic) elle tumbe soudainement d'un catharre, comme toute morte. [261] Mon pauvre frere vostre filz, qui dormoit encor, estant adverti accourt en chemise, et la fait relever et promener et ayder par des essences, eaux imperiales et autres choses qu'on juge propres en ces accidens, en sorte qu'elle se reveille et commence a parler, mais presqu'inintelligiblement, dautant que le gosier et la langue estoyent saysis.

            On me vient appeller icy, et j'y vay soudain avec le medecin et apoticaire, qui la treuvent letargique et paralitique de la moytié du cors; mais lethargique en telle sorte, que neanmoins ell'estoit fort aysee a reveiller, et en ces momens de reveil elle tesmoignoit le jugement entier, soit par ces (sic) paroles, qu'elle s'efforçoit de dire, soit par le mouvement de sa main saine, c'est a dire delaquelle l'usage luy estoit demeuré. Car elle parloit fort a propos de Dieu et de son ame, et prenoit la croix elle mesme a tastons (dautant que soudain elle devint aveugle) et la baysoit. Jamais ne prenoit rien qu'elle n'eut fait le saint signe dessus, et receut ainsy le saint Huyle. A mon arrivee, toute aveugle et tout'endormie qu'ell'estoit, elle me caressa fort et dit: «Cet (sic) mon filz et mon pere cettuyci;» et me baisa en m'acolant de son bras, et me baysa la main avant toutes choses. Elle continua en mesm'estat presque deux jours et demi, apres lesquelz on ne la peut plus guere bonnement resveiller, et le premier de mars, elle rendit l'ame a Nostre Seigneur, doucement, paysiblement et avec une contenance et beauté plus grande que peut estre elle n'avoit jamais eu, demeurant une des belles mortes que j'aye jamais veu.

            Au demeurant, encor vous faut-il dire que j'eu le courage de luy donner la derniere benediction, luy fermer les yeux et la bouche et luy donner le dernier bayser de paix a l'instant de son trespas. Apres quoy, le cœur m'enfla fort et pleuray sur cette bonne mere plus que je n'avois fait des que je suis d'Eglise; mais ce fut sans amertume spirituelle, graces a Dieu. Voyla tout ce qui se passa.

            Au demeurant, je ne me puis taire du grand bon naturel de vostre filz, qui m'a si extremement obligé au soin et travail quil a pris pour cette mere, mais je dis avec tant de cœur, que sil eut esté quelque estranger, je serois forcé de le tenir et jurer mon frere. Je ne sçai si je me trompe, mais je le treuve extremement bien changé en mieux, soit pour le monde, soit principalement pour l'ame.

            Or sus, ma chere Fille, si faut il se resoudre sur cela, et louer tous-jours Dieu, quand il luy plairoit nous visiter encor plus fortement. Si donq vous le treuves a propos, vous pourrés venir pour estr'icy le jour des Rameaux. Je dis icy, car il ni auroit point de proportion que vous fissies les bons jours aux chams. Vostre petite chambre vous attendroit, nostre petite table, et nostre simple et petit traittement vous sera fait et offert de bon cœur, je veux dire de mon cœur qui est grandement vostre. Les festes passees, vous ordonneries ainsy quil vous plairoit, pour conduire nostre petite chez elle.

            Voyla, si cela se peut aysement. Je le desire, mais je dis, sil se peut aysement; dequoy vous m'advertirés par le retour de ce garçon, et encor de ceux que vous amenerés, si vous amenes quelque compaignie extraordinaire, car quant a nostre bon Baron, je croy quil ne viendra pas nous voir sur ce nouveau dueil, parmi lequel nous ne pourrons nous res-jouir que devotement, et totalement en Nostre Seigneur. Je pense quil ne seroit pas a propos quil vinst maintenant: il faut que je die ainsy avec vous. J'attendray ce que vous me marquerés.

            Mon frere vous escrit pour le sujet du reste de la dote de ma seur. Si cela se peut, je ny voy nul inconvenient, car enfin vous auries vostre argent icy, outre [263] tout celuy qui depend de moy, qui est autant vostre que nul autre, et cette dote seroit payee, quil faut aussi bien payer une foys. Mais je laisse cela a vostre providence.

            J'ay voulu sçavoir sil seroit a propos que vous prissies la une femme pour estr'aupres de ma seur; mais mon frere m'a dit que vous ne vous missies nullement en peyne, quil accommodera si bien tout ce quil faudra pour ma seur, que vous aurés tout sujet de contentement de luy, de maniere quil n'est point besoin de cela. Pour vray, j'espere que ce filz la sera grandement beni pour le service quil a rendu a ses pere et mere en leur trespas.

            Maintenant je vay courant sur les chefz de vostre lettre. Nostre pauvre petite Charlotte est bienheureuse d'estre sortie de la terre avant qu'elle l'eut bonnement touchee. Helas! il la failloit neanmoins bien un peu pleurer, car n'avons nous pas un cœur humain et un naturel sensible? Pourquoy non pleurer un peu sur nos trespassés, puisque l'Esprit de Dieu non seulement le nous permet, mais nous y semont. Je l'ay regrettee, la pauvre petite fille, mais d'un regret moins sensible, dautant que le grand sentiment de la separation de ma mere osta presque toute prise au sentiment de ce second desplaysir, duquel la nouvelle m'arriva tandis que nous avions encor le cors de ma mere en la mayson. Dieu soit encor loué en cet endroit. Dieu nous donne, Dieu nous oste, son saint nom soit beni.

            Helas! nostre pauvre Mme du Puis d'Orbe auroit un grand besoin d'estre assistee de pres, car elle [est] si bonne et si cordiale que rien plus, mais si melancolique, si douillette et si delicate de courage que rien plus. Vous voyes: je luy avoys tant tesmoigné la necessité de s'assujettir elle mesme a la stabilité en son Monastere, et neanmoins, contre le souhait des siens, elle medite tous les [264] jours des sorties pour ceci et pour cela. Ce n'estoit pas sortir d'aller avec vous a Bourbilly; non, ma Fille, ce n'est pas sortir quand on sort pour mieux s'arrester et rentrer. Mais ces autres sorties sont hors de rayson; aussi on les desseigne et delibere-on sans moy. Dieu scait, ma Fille, si j'ayme tendrement cett'ame et si je nuis plein de desir de son bien, et que jamais je ne la veux ni puis abandonner, je dis quoy qu'elle fit; mais je n'ose pas la presser de loin, car cet (sic) un esprit qui ne peut estre conduit qu'avec amour et confiance; confiance, dis-je, tous-jours nourrie de nouvelles et continuelles demonstrations d'affection, ce qui ne se peut faire de loin. Mais bien, quand vous seres icy, nous aviserons.

            Je regrette l'accident de Mme de Saint Jean, qui devoit arriver ou plus tost, ou plus tard, ou jamais. Si ell'a bien jetté son esperance en Nostre Seigneur, il la tirera de ce mauvais passage pour la faire marcher tant plus vistement vers luy. J'escriray au P. de Monchi quil souffre beaucoup, car nous ne sommes point deshonnorables a l'Eglise, quand nous imitons Nostre Seigneur, qui a tant souffert d'ignominies pour nostre salut. Ou il y va du proufit spirituel, il ne faut pas craindre les opprobres.

            Ouy, ma Fille, nostre bon Dieu nous aydera, et pour la bonne commere aussi, bien quil faille tascher d'avoir tout ce qu'on pourra. Quand vous seres icy, nous prendrons les resolutions convenables pour commencer nostre dessein, et verrons ce que diront nos filles de deça. [265] Nostre Favre a fait merveilles et est maintenant toute a Dieu.

            Ne dites mot de Sainte Catherine, car c'est le secret qui doit tout faire reuscir. Je n'ay nulles nouvelles de Paris, non pas mesme si M. de Berulle est en vie.

            Quant a ces preceptes de l'orayson que vous aves receuz de la bonne Mere Prieure, je ne vous en diray rien pour le present; seulement je vous prie d'apprendre le plus que vous pourres les fondemens de tout cela, car, a parler clair avec vous, quoyque deux ou trois fois l'esté passé m'estant mis en la presence de Dieu sans praeparation et sans dessein, je me treuvasse extremement bien aupres de sa Majesté, avec une seule tres simple et continuelle affection d'un amour presque imperceptible mais tres doux, si est ce que je n'osay jamais demarcher du grand chemin pour reduire cela en un ordinaire. Je ne sçai, j'ayme le train des saintz devanciers et des simples. Je ne dis pas que quand on a fait sa praeparation, et qu'en l'orayson on est attiré a cette sorte d'orayson, il ny faille aller; mais prendre pour methode de ne se point præparer, cela m'est un peu dur, comm'encor de sortir tout a fait de devant Dieu sans action de grace, sans offrande, sans priere expresse. Tout cela peut estre utilement fait, mais que cela soit une regle, je confesse que j'ay un peu de repugnance. Neanmoins (je parle simplement devant Nostre Seigneur, et a vous a qui je ne puis parler que purement et candidement) je ne pense pas tant sçavoir que je ne sois tres ayse, je dis extremement tres ayse, de me demettre de mon sentiment et suivre celuy de ceux qui en doivent par toute rayson plus sçavoir que moy; je ne dis pas seulement de cette bonne Mere, mais je dis d'une beaucoup moindre. Apprenes donq bien tout son sentiment en cela et tous ses fondemens, mais tout bellement pourtant et sans empressement, et en sorte qu'elle ne cuyde pas que vous la veuillies examiner. [266] J'honnore cett'ame la de tout mon cœur, et tout son Monastere.

            A Dieu, ma chere Fille, jusques a se revoir bien tost, moyennant Jesus, qui vive et regne a jamais en nos espris. Amen.

            XI mars 1610.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

DLXXXII. A Madame de Dérée. Tout fait espérer que l'âme de Mme de Boisy a été reçue «en la main dextre de son Dieu.»

 

Annecy, 16 mars 1610.

 

                        Madame ma tres chere Cousine,

            J'aurois tort d'avoir tant attendu a vous rendre les actions de graces que je vous dois, pour la souvenance que vous aves a moy tesmoignee par le petit poulet que mon frere m'apporta, si je n'avois esté distrait par le trespas de ma pauvre bonne mere, qui m'obligea d'estre a Sales quelque tems, pour rendre cette derniere assistance a cette chere personne. Mon excuse est fascheuse, je m'asseure, a vostre cœur qui, de sa grace, aymoit fort cette amie defuncte, laquelle, de son costé, vous honnoroit d'une affection toute dediee a vostre service. Mais, ma chere Cousine, vous seres toute consolee quand vous sçaures qu'elle nous a laissé toutes sortes d'argumens d'esperer que son ame est receue en la main dextre de son Dieu, qui est en fin l'unique bonheur auquel nous aspirions en toute [occurrence] de cette basse et miserable vie mortelle. [267]

            Or, il faut bien, ma chere Cousine, que vous m'aymies un peu plus maintenant, pour reparer le manquement que j'auray en terre de l'amour que cette mere me portoit. Faites-le, je vous supplie, chere Cousine, et soyés bien devote, tandis que je m'attens de vous revoir bien tost icy, selon l'asseurance que vous en donnastes a mon frere, et tous-jours et par tout je seray,

                        Madame ma Cousine,

                                   Vostre humble et plus affectionné cousin

                                                           et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

            Oserois-je bien demander par vostre entremise, ma chere Cousine, le pardon requis a la faute que je fay de ne point escrire a monsieur le Baron mon cousin? Certes, c'est que je suis fort pressé d'escrire. Mais je ne finiray jamais d'estre son serviteur bien humble.

 

 

 

DLXXXIII. A la Baronne de Chantal (Fragment). Souhaits de bienvenue. — Les postulantes de Dijon. Engagement avec un imprimeur.

 

Annecy, vers le 25 mars 1610.

……………………………………………………………………………………………………...

de nostre bonne mere. Je voy que nous sommes a la veille de vostre arrivee: qu'heureuse puisse-elle estre! C'est pourquoy je n'adjouste rien. [268]

            Si ces bonnes dames vefves vous parlent, dites leur qu'ayant esté icy, vous les advertires de tout, bien particulierement; car il ne les faut esmouvoir qu'extremement bien a propos, et apres un peu d'ageancement de nostre dessein, pour lequel je viens de bien prier nostre chere Dame et son saint Joseph.

            Pour le premier livre que je produiray, je suis tant engagé vers Rigaud, que je ne sçai si je le pourray donner a Dijon; car j'ay des-ja fort lié ma liberté par ma promesse.

            Or bien, venés, chere Fille, venés es montaignes; Dieu vous y face voir l'Espoux sacré qui tressaille es mons et outrepasse les collines, qui regarde par les fenestres et a travers la treille, les ames qu'il ayme. Ah, que cela fut bien chanté hier en nostre eglise et dans mon cœur!

            Dieu soit a jamais nostre tout. Je suis en luy uniquement………………………………….

 

 

 

DLXXXIV. A Madame de la Fléchère. Ne pas donner créance aux vains présages. — Satan abuse des âmes crédules; comment se garder de ses pièges. — Avis variés pour les œuvres de sanctification. — Moyen de soulager le prochain et de louer la Vierge Marie.

 

Annecy, 27 mars 1610.

 

            Ma tres chere Fille, Voyci comme je respons. Il n'y eut nulle offence en [269] tout ce qui se passa touchant les presages du peril de monsieur vostre filz; bien qu'il ne faille pas attendrir son esprit a donner creance a ces preoccupations, mais aller doucement remettant tout ce qui nous touche entre les mains de la divine Providence. Et mesme, quand quelque violent presage nous arrive, tel qu'estoit celuy duquel vous m'escrives, il faut renoncer aux apprehensions qui nous en reviennent, tant qu'il nous est possible, de peur que nostre ennemy, nous treuvant faciles a croire telz ressentimens, n'abuse de nostre facilité. Maïs la verité est que jamais il n'abusera de chose quelconque en vostre endroit, tandis que, comme vous faites, vous tiendres vostre cœur naifvement et humblement ouvert a vostre guide.

            Il faut bien tous-jours faire pour toutes occurrences comme vous faites pour le proces perdu; c'est a dire, il faut tous-jours bien s'accommoder a doucement supporter ces rencontres.

            Faites comme le Pere François vous a dit touchant le jeusne, et faites hardiment un peu bonne collation. Pour l'orayson, vous faites bien de vous laisser aller a la mentale, quand Nostre Seigneur vous y semond Ihors que vous dites les vocales.

            Dites donq ce reste de Caresme, cinq Pater noster et cinq Ave les genoux nudz et les mains nuës, par obeissance et pour vous conformer a Celuy qui va nud sur la croix pour nous, c'est a dire duquel nous allons rememorer la mort.

            Il est mieux de choisir quelque pauvre prestre et luy faire dire une Messe le samedy, que de donner tous les jours un liard: ainsy vous soulageres le prochain et louëres la Vierge Marie par une plus excellente action. Que s'il ne se treuve point de prestre qui ayt besoin de cette assistance, je pense que Sainte Claire en pourra [270] estre aydee. Il est vray qu'en cas qu'il y eust d'autres pauvres en necessité, il le leur faudroit appliquer, parce qu'alhors le soulagement du prochain est commandé en ce que l'on peut bonnement.

            Bon soir, ma tres chere Fille, demeurés toute en Nostre Seigneur. Je suis en luy tout vostre.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 27 mars 1610.

 

 

 

DLXXXV. A une dame inconnue. Parmi les délais imposés à nos désirs, il faut garder la sainte patience.

 

Annecy, 29 mars 1610.

 

                        Madame,

            Je suis extremement desplaysant du retardement que je voy pour l'arrivee du depesche que ce porteur et vous attendes, et s'il estoit en mon pouvoir, vous auries une prompte satisfaction pour ce regard. Or, esperant que la chose, ne peut pas aller beaucoup plus au long, je vous exhorte de vous consoler et conserver la sainte patience, en vivant tous-jours en la crainte de Nostre Seigneur, que je prie vous donner les graces de son Saint Esprit, et suis

            Vostre humble serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            29 mars 1610. [271]

 

DLXXXVI. Au Cardinal Antoine-Marie Gallo (Inédite). Le Saint s'excuse de ne pouvoir obliger le protégé d'un Cardinal.

 

Annecy, 30 mars 1610.

 

                        Illustrissimo et Reverendissimo

                        Signor Padron colendissimo,

            Vorrei poter con efficacia servir il Reverendo Bresa, già che così da V. S. Illma et Rma mi viene commandato; ma la causa sua non è stata decisa dal mio Vicario, anzi dal Senato secolare, il quale, secondo l'usanza di queste bande, cognosce de possessorio. Et de l'altro canto, quantumque le provisioni della Santa Sede devano esser da tutti riverite, tuttavia, già che Sua Santità non intende pregiudicare all'alternativa de' Vescovi, [272] se espressamente non lo dichiara, quelli che impetrano li beneficii han torto di pretendere, con provisioni Apostoliche, levare il jus delli Ordinarii. Ma in effetto, la cosa non sta in man mia di privare il competitore del Bresa del canonicato del quale egli è possessore; et così credo che V. S. Illma et Rma mi scusarà facilmente.

            Et glie bascio humilissimamente le mani, augurandole dal Signor ogni vera prosperità. Di V. S. Illma et Rma,

            Divotissimo servitore,

                        FRANCO, Vescovo di Geneva.

 

            In Annessi, alli XXX Marzo 1610.

All' Illmo et Rmo Sigr Padron colendissimo,                Monsigr il Cardinale Gallo.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Chancellerie des Evèques et Réguliers. [273]

 

 

 

                        Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

Je voudrais pouvoir obliger efficacement le Révérend Bresa, puisque Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me le commande; or, sa cause n'a pas été jugée par mon Vicaire, mais par le Sénat séculier, lequel, selon l'usage de ces pays, connaît du possessoire. D'autre part, quoique les provisions du Saint-Siège doivent être respectées de tous, Sa Sainteté n'entend pas, cependant, porter préjudice à l'alternative des Evêques, à moins qu'elle [272] ne le déclare expressément; ceux-là donc qui demandent les bénéfices, ont tort de prétendre enlever, par des provisions Apostoliques le droit des Ordinaires. Et de fait, il ne m'appartient pas de priver le compétiteur de M. Bresa du canonicat dont il est possesseur; aussi, je crois que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'aura pas de peine à m'excuser.

            Je vous baise très humblement les mains, en vous souhaitant du Seigneur toute vraie prospérité. De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

                        Le très dévoué serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

 

            Annecy, le 30 mars 1610.

A l'Illustrissime, Révérendissime et très honoré Seigneur,

            Monseigneur le Cardinal Gallo. [273]

 

 

 

DLXXXVII. Au Pére Alexandre Ceva, de l'Ordre des Camaldules. Détresse d'un gentilhomme genevois. La Congrégation des convertis. — Charité de François de Salès.

 

Annecy, 31 mars 1610.

 

            Molto Reverendo Padre in Christo                                       osservandissimo,

            Questo gentilhuomo Genevrino, Alessandro di Montecrescenti, havendo perso quanto haveva per essersi [274] convertito alla santa fede catholica, è stato qui un pezzo in refugio; ma non trovando modo di stabilire in queste misere valli alcun modo di vivere, con quel poco aiuto che io gli ho potuto dare, ecco che se ne va in Roma, ove credo che sarà ricapitato dalla sacra Congregatione de' convertiti, poiché egli è di costumi et maniere molto honorate, et assai anco qualificato nelle buone lettere et scientie matematiche.

            Ma perchè havendo ad ajutare molti altri convertiti non gli ho potuto dare se non dieci ducatoni alla sua [275] partenza, V. Pta molto Rda farebbe cosa gratissima al Signore Iddio se glie procurasse qualche sorte di ajuto, per via di limosina, da Sua Altezza Serenissima, chè così potrebbe fare il restante del suo viaggio. Onde, di questo supplico V. Pta molto Rda, la quale non potrebbe fare maggior carità appresso Nostro Signor Giesù Christo, il quale io prego di darglie ogni santa consolatione et prosperità.

            Di V. Pta molto Rda,

            Affettionatissimo servitore in Christo,

                        FRANCo, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 31 di Marzo 1610.

            Al Ven. Padre D. Alessandro Ceva, Fondatore del sacro Eremo di Torino.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation d'Annecy. [276]

 

 

 

                        Très Révérend et très honoré Père dans le Christ,

            Ce gentilhomme genevois, Alexandre de Montcroissant, a perdu tout ce qu'il possédait, pour s'être converti à la sainte foi [274] catholique. Il est demeuré assez longtemps ici, où il s'était réfugié. Mais ne trouvant aucun moyen d'assurer son existence en ces pauvres vallées, voici qu'il s'en va à Rome avec le peu de secours que j'ai pu lui donner. Je crois qu'il y sera accueilli par la sacrée Congrégation des convertis, car ses mœurs et ses manières sont très honorables, et même il s'est rendu assez remarquable dans les belles-lettres et les sciences mathématiques.

            Mais ayant encore à secourir plusieurs autres convertis, je n'ai [275] pu lui donner à son départ que dix ducatons. Aussi, Votre Révérende Paternité ferait-elle chose très agréable à Dieu notre Seigneur, si elle obtenait pour lui de Son Altesse Sérénissime, quelque sorte d'assistance à titre d'aumône. Par ce moyen, il pourrait achever son voyage. Je supplie donc Votre Paternité de lui faire cette charité; il n'en saurait être une plus grande aux yeux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que je prie de vous accorder toute sainte consolation et prospérité.

            Je suis, de Votre très Révérende Paternité,

                        Le très affectionné serviteur dans le Christ,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 31 mars 1610.

            Au Vénéré Père D. Alexandre Ceva,

Fondateur du sacré Ermitage de Turin. [276]

 

 

DLXXXVIII. A la Présidente Brulart. Par plusieurs voies on va au Ciel, si l'on a pour guide la crainte de Dieu. — Contre l'amour-propre, il faut faire bon guet. — C'est tenter Dieu de confier l'âme d'une jeune fille à un jeune homme de mauvais naturel, avec l'espoir qu'il s'amendera. — Consultation particulière sur les divertissements pour Mlle Brûlart. — Comment porter à la vertu une enfant vigoureuse et de naturel un peu ardent. — Un magistrat chrétien au XVIIe siècle. — Un bien grand voyage pour des femmes. — Le plus grand appui pour s'avancer dans la piété. — Les aumônes fructifient comme le froment jeté en terre.

 

Sales, vers le 20 avril 1610.

 

            Ce m'a esté un extreme contentement d'apprendre un peu plus amplement que de coustume de vos nouvelles, ma tres chere Seur, ma Fille, bien que je n'aye pas encor tant eu de loysir pour parler avec madame de Chantal que j'aye peu m'enquerir si particulierement, comme je desirois, de toutes vos affaires, desquelles je pense que vous aures communiqué avec elle comme avec une parfaitte amie. Or, pour le moins m'a-elle dit que vous chemines fidellement en la crainte de Nostre Seigneur, qui est le grand mot de ma consolation, puisque mon ame desire tant de bien a la vostre tres chere.

            Au reste, pour respondre briefvement a la vostre, N. fit tres bien d'entrer aux Carmelines, car il y avoit apparence que Dieu en seroit glorifié. Mais puisqu'elle en sort par ordre des Superieures, elle doit estimer que Dieu, se contentant de son essay, veut qu'elle le serve ailleurs; si bien qu'elle fera mal, si, apres les premiers [277] ressentimens de sa sortie, elle n'appaise son esprit et ne prend ferme resolution de vivre toute en Dieu, en quelqu'autre condition; car par plusieurs voyes on va au Ciel. Pourveu qu'on ayt la crainte de Dieu pour guide, il importe peu quelle l'on tienne, bien qu'en elles mesmes, les unes soyent plus desirables que les autres a ceux qui ont la liberté de choysir.

            Mais quant a vous, ma chere Fille, dequoy vous mettes vous en peyne pour ce regard? Vous aves fait charité de procurer une si sainte retraitte a cette pauvre fille; s'il ne plait pas a Dieu qu'elle y persevere, vous n'en pouves mais. Il faut acquiescer a cette Providence souveraine, laquelle n'est pas obligee de suivre nos eslections et persuasions, mais son infinie sagesse. Si N. est sage et humble, Dieu luy treuvera bien une place en laquelle elle pourra bien servir sa divine Majesté, ou par consolations ou par tribulations. Cependant, les bonnes Meres Çarmelines font bien d'observer exactement leurs Constitutions et rejetier les espritz qui ne sont pas propres pour leur maniere de vivre.

            Ma chere Fille, ce petit esbranslement de cœur que vous aves en cette occasion, vous doit servir d'advertissement que l'amour propre est grand et gros dedans vostre cœur, et qu'il faut faire bon guet, de peur qu'il ne s'en rende le maistre. Ah! Dieu, par sa bonté, ne le veuille jamais permettre, ains face regner sans fin en nous, sur nous et contre nous et pour nous son tres saint amour celeste.

            Touchant le mariage de cette chere fille que j'ayme bien fort, je ne puis bonnement vous donner conseil, ne sachant de quelle nature est ce chevalier qui la recherche. Car, ce que monsieur vostre mary dit est veritable, qu'il pourroit, a l'adventure, changer toutes ces mauvaises humeurs que vous me marqués; mais acela [278] s'entend s'il est de bon naturel et que ce ne soit que la jeunesse ou la mauvaise compaignie qui le gaste. Mais, si c'est un esprit de nature mal qualifié, comme il ne s'en void que trop, certes, c'est tenter Dieu de hazarder une fille en ses mains, sous l'incertaine et douteuse presomption d'amendement, et sur tout si la fille est jeune et qui ayt besoin de conduitte elle mesme; auquel cas, ne pouvant rien contribuer a l'amendement du jeune homme, ains estant plust.ost a craindre que l'un ne serve de sujet de perte a l'autre, qu'y a-il en tout cela qu'un evident danger? Or, monsieur vostre mary est grandement sage, et m'asseure qu'il fera toute bonne consideration, a quoy vous le servirés; et moy je prieray, selon vostre desir, qu'il playse a Dieu de bien addresser cette chere fille, affin qu'elle vive et viellisse en sa crainte.

            De mener au bal cette fille fort souvent ou rarement, puisque c'est avec vous qu'elle ira, il importe peu; vostre prudence doit juger de cela a l'œil et selon les occurrences. Mais la voulant dedier au mariage, et elle ayant cette inclination, il n'y a pas du mal de l'y conduire tant souvent que ce soit asses, et non pas trop. Si je ne me trompe, cette fille est vive, vigoureuse et de naturel un peu ardent: or, maintenant que son entendement commence a se desployer, il faut y fourrer doucement et suavement les premices et premieres semences de la vraye gloire et vertu, non pas en la tançant de paroles aigres, mais en ne cessant point de l'advertir avec des paroles sages et amiables a tous propos, et les luy faisant redire, et luy procurant des bonnes amitiés de filles bien nees et sages.

            Madame de [Chantal] m'a dit que, pour vostre exterieur et la bienseance de vostre mayson, vous marchies fort sagement; et tant elle que mon frere de Thorens m'ont dit une chose qui m'a rempli d'ayse: c'est que monsieur vostre mary acqueroit de plus en plus grande bonne reputation d'estre bon justicier, ferme, equitable, laborieux au devoir de sa charge, et qui en tout vivoit et se comportoit en grand homme de bien et bon Chrestien. [279] Je vous prometz, ma chere Fille, que j'ay tressailli de joye a ce recit, car voyla une grande et belle benediction. Entr'autres choses, ilz m'ont dit que tous-jours il commencoit sa journee par l'assistance de la sainte Messe, et qu'es occasions il tesmoigne un zele solide et digne de sa qualité, a la sainte religion catholique. Dieu soit tous-jours a sa dextre, affin qu'il ne change jamais que de mieux en mieux. Vous estes donq bien heureuse, ma chere Fille, d'avoir chez vous les benedictions temporelles et spirituelles.

            Le voyage de Lorette est un grand voyage pour des femmes: je vous conseille de le faire souvent en esprit, joignant par intention vos prieres a cette grande multitude de personnes devotes qui y vont honnorer la Mere de Dieu, comme au lieu ou premierement l'honneur incomparable de cette maternité luy arriva. Mais puisque vous n'aves point de vceu qui vous oblige d'y aller en presence corporelle, je ne vous conseille pas de l'entreprendre; ouy bien d'estre de plus en plus zelee a la devotion de cette sainte Dame, de laquelle l'intercession est si forte et favorable aux ames, que pour moy, je l'estime le plus grand appuy que nous puissions avoir envers Dieu pour nostre advancement en la vraye pieté; et puis parler de cela, pour en sçavoir plusieurs particularités remarquables. Qu'a jamais le nom de cette tres sainte Vierge soit beni et exalté! Amen.

            Pour vos aumosnes, ma chere Fille, faites-les tous-jours un peu bien largement et a bonne mesure, neanmoins avec la discretion qu'autrefois je vous ay dit ou escrit; car si ce que vous jettes dans le sein de la terre vous est rendu avec usure par sa fertilité, sçachés que ce que vous jetteres dans le sein de Dieu vous sera infiniment plus fructueux, ou d'une façon ou d'une autre; c'est a dire, Dieu vous en recompensera en ce monde, ou en vous donnant plus de richesses, ou plus de santé, ou plus de contentement. [280]

 

 

 

DLXXXIX. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Une heureuse rencontre. — A quelles conditions la faiblesse n'est pas un grand mal. — Ce que Notre-Seigneur ne requiert pas de nous. — Comment se mettre «sur le solide.» — Le moyen de n'avoir rien à craindre. — Combien de bons médecins maladifs et d'habiles peintres bien laids. — Un «pauvre chetif pere» et la seule chose qui pouvait le contrister. — Plutôt mourir que de démordre. — Les Supérieures et l'observance.

 

Sales, 20 avril 1610.

 

            Or sus, ma chere Seur, ma Fille, je m'en vay vous escrire tant que je pourray sur le sujet de vostre lettre, qui m'a esté rendue par la seur que vous aymés tant et qui vous cherit reciproquement de tout son cœur.

            Il est vray, nous l'avons en fin cette chere seur, mais ce n'est pas moy pourtant qui vous l'ay ostee; c'est Dieu qui nous l'a donnee, ainsy que, Dieu aydant, la suite le tesmoignera. Je ne doute nullement que cette petite conversation que vous eustes ensemble a Bourbilly ne vous fust bien douce, car c'est une heureuse rencontre que de deux espritz qui ne s'ayment que pour mieux aymer Dieu; mais il ne se pouvoit pas faire que cette sensible presence durast long tems, puisque nostre commun Maistre vous demandoit l'une la, l'autre icy, pour son service. Nous ne laissons pourtant pas d'estre tous-jours jointz et unis, nous entretenans les uns aux autres par la commune pretention et entreprise que nous avons.

            Je suis bien ayse dequoy vous manques peu aux exercices que je vous ay marqués, car cela monstre que les fautes que vous y faites ne proviennent pas d'infidelité, mais de foiblesse; et la foiblesse n'est pas un grand mal, [281] pourveu qu'un fidele courage la redresse petit a petit, ainsy que je vous conjure de faire, ma chere Fille, pour la vostre, sans vous affliger nullement de ce que vous n'aves ni sentiment ni goust ordinairement en tous vos exercices, car Nostre Seigneur ne requiert pas cela de nous: aussi ne depend-il pas de nous de l'avoir ou de ne l'avoir pas. C'est pourquoy il nous faut mettre sur le solide, et considerer si nostre volonté est bien affranchie de toutes mauvaises affections, comme seroit dureté de cœur envers le prochain, impatience, mespris d'autruy, amitiés trop ardentes envers les creatures et semblables choses. Que si nous n'avons point de reserve d'estre tout a Dieu, si nous avons le courage de plustost mourir que de l'offenser, et moyennant que telles soyent les resolutions de nos cœurs et que nous les sentions tous-jours plus fortes en nous, il n'y a rien a craindre, ni a prendre de la peyne pour n'en sentir pas lés goustz et les sentimens. Or, voyci une bonne preuve de la fortification de ces cheres resolutions, que par la grace de Dieu vous aves perseveré a conserver ce que je vous dis en confession, ainsy que vous m'asseures; car cela vaut mieux que cent mille goustz spirituelz. Faites donq tous-jours ainsy.

            Je diray la Messe que vous me demandes, bien que jamais je n'en die point qui ne soit tres expressement vostre; mais je n'ay peu me remettre en memoire le sujet que vous dites que je sçai; aussi n'en est-il pas besoin.

            Si madame Thenissey persevere a ne vouloir pas se ranger, vous n'aures point de part a sa coulpe; cependant je me res-jouis dequoy le reste de nos articles s'observent. Et pour la particuliere qui ne veut pas s'accommoder a la Communauté, il faut user de support et de benignité envers elle, et Dieu la reduira au train des autres.

            Hé bien, ma chere Fille, la multitude des difficultés vous fit peur et vous eustes des pensees de tout quitter; [282] cependant vous aves veu que tout est fait. Il en sera de mesme en tout le reste: la perseverance vaincra tout.

            Pour les pensions, elles sont bien entre vos mains, puis que nul autre ne s'en veut charger; mais vous pourres bien faire tenir conte d'icelles a une des filles. Vous m'aves bien fait rire quand vous m'aves escrit que vous eussies remis lesdites pensions a chacune desdites Religieuses la sienne, si vous n'eussies eu peur que je ne me faschasse a vous. Da, ma chere Fille, quand m'aves vous veu fascher a vous? Je suis pourtant bien ayse que l'on craigne un peu de desplaire au pauvre chetif pere; car vrayement vous ne me desplaires jamais, ma chere Fille, que quand vous desplaires a Nostre Seigneur et que vous vous esloigneres de son pur et saint amour.

            Il faut vrayement aller au Chapitre, malgré toute la repugnance que vous y aves; et, apres la lecture de la Regle, il faut dire quelque chose, quand ce ne seroit que: «Dieu nous face la grace de bien observer ce qui a esté leu.»

            En la Feste Dieu, je ne voy nul inconvenient que l'on face le tour du cloistre; car cela ne tire point a consequence, a cause de la grandeur de la solemnité.

Helas! ma Fille, si personne ne servoit aux ames que ceux qui n'ont point de difficultés es exercices et qui sont parfaitz, vous n'auriés point de pere en moy; et il ne faut pas laisser de soulager les autres, encor que l'on soit soy mesme en perplexités. Combien y a-il de bons medecins qui ne sont gueres sains? et combien se fait-il de belles peintures par des peintres bien laidz? Quand donq vos filles viennent a vous, dites leur tout bellement en charité ce que Dieu vous inspirera, et ne les renvoyés point vuides d'aupres de vous.

            Vous faites bien de faire venir ainsy des Peres Minimes de tems en tems, car cela eslargira le cœur aux filles et soulagera leurs ames. Je suis marry avec vous [283] du desgoust qu'elles ont de vostre chapelain ordinaire; mais l'entremise des Minimes peut suppleer a tout cela, puisque, comme vous dites, il est certes malaysé de treuver des prestres bien conditionnés et que celuy-ci est asses capable. En fin, ma tres chere Seur, ma Fille tres chere, il faut reprendre nostre premier courage et plustost mourir que de demordre.

            Tenés-vous le plus que vous pourrés aupres de vos filles, car vos absences ne leur peuvent donner que des sujetz de murmurer; et rien ne leur peut tant adoucir leur sujettion que la vostre, rien ne les peut tant retenir dans l'enclos de l'observance que de vous y voir avec elles: et c'est en cela qu'il faut se crucifier pour Celuy qui a esté crucifié pour nous. Que vous seres heureuse si vous aymes bien vostre petit troupeau! car apres l'amour de Dieu, celuy-la tient le premier rang.

            Je vous escriray tous-jours quand je pourray et tant que je pourray, et, sans varier, je persevereray a jamais en l'affection que je vous ay une fois de si bon coeur dediee. Demeurés ferme en cette creance, car elle est, Dieu aydant, infallible. Non, ni la mort, ni les choses presentes, ni celles qui sont a venir, ne me separeront jamais de cette dilection que je vous porte en Jesus Nostre Seigneur, auquel soit honneur et gloire.

            Je suis

                        Vostre tres affectionné, tres asseuré et tres fidelle,

                                                                                                          FRANÇS DE SALES.

            A Sales, le 20 avril…..

 

            Mais voyés-vous, ma tres chere Fille, ce que je vous dis, je vous le recommande bien estroittement, car la seur m'a dit que vous voulés que je parle ainsy.

            Ma chere Seur, asseurés toutes vos bonnes et bien-aymees Seurs et filles que je les honnore et cheris tres [284] intimement, et specialement Madame vostre tres chere seu, marry de ne leur pouvoir escrire maintenant. Et pour vous humilier encor un peu, salués de ma part monsieur Lafon et ces bonnes filles qui servent Dieu en la personne de ses servantes; car tout cela m'est cher.

 

 

 

DXC. A Madame de la Fléchère. «Il est dangereux de marcher au chemin des proces.» — Par quelles pratiques les âmes chrétiennes témoignent-elles de la fidélité à Notre-Seigneur.

 

Annecy, 21 avril 1610.

 

            Il y a long tems, ma tres chere Fille, que j'ay la lettre ci jointe pour vous, mays je n'ay treuvé les commodités de l'envoyer. Celle qui vous l'envoye me la donna avec des grans signes de sincere affection en vostre endroit. Je ne desirerois pas que vous fissies aucun vœu, ains seulement quelques devotions particulieres destinees a cette particuliere intention.

            Tenes vous bien debout et gardés de broncher, car il est dangereux de marcher au chemin des proces. [285] Renouvellés tous les matins la bonn'intention que vous aves en cette poursuite et pries specialement pour cela.

            O Dieu, ma chere Fille, qu'ell'est heureuse cette chere niece qui s'en est allee de ce monde avant que d'y avoir souillé ses affections! Je prie le Saint Esprit quil donne sa sainte consolation au pere. Je salue la chere seur, la conversation de laquelle vous recreera.

            Tenes bien vostre ame en vos mains; voyla que vous alles en une bonn'occasion de tesmoigner de la fidelité a Nostre Seigneur en la vraye prattique de la douceur, debonnaireté, humilité, resignation et charité.

            Je suis plus vostre que vous ne sçaures croire. Vive Jesus! Amen.

            XXI avril.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

 

 

DXCI. A la Baronne de Cusy. Derniers préparatifs dans le «petit bastiment» destiné aux premières recrues de la Visitation. — Le Saint compte les y introduire à la Pentecôte. — Quel sera le costume la première année. — Réponse à des objections que présentait la destinataire. — Un petit Isaac.

 

Annecy, 23 avril 1610.

 

                        Madame,

            Je vous remercie de la commodité que vous m'aves donnee de vous escrire par ce porteur sur le sujet que [286] vous desires. Il y a encor quelqu'accommodement a faire dans nostre petit nouveau bastiment; mais ce n'est pourtant pas chose qui puisse retarder le commencement de nostre dessein, lequel je propose devoir estre a ces prochaines festes de Pentecoste, Dieu aydant.

            Vous treuverés des-ja. icy bonne compaignie, qui n'attend que le jour heureux auquel elle se consacrera pour une bonne fois a l'unique object de leur cœur. Je suis donq d'advis que vous vous disposies a venir pour ce tems-lâ, et cependant nous irons, de deça, ordonnant les choses en sorte que vous treuvies en ce nouveau genre de vie la douceur et consolation que vous sçauries desirer.

            Pour cette premiere annee, nous vous laisserons en habit noir, avec le voyle de toyles noyres deliees et avec le plus de simplicité quil se pourra. Mais pour ce particulier, il suffira d'y prouvoir quand vous seres arrivee, affin que tout soit conforme. [287]

            Ne vous mettes nullement en peyne de tout ce que le monde dit, car il est ennemi de la gloire de Dieu et du bien des ames; et le Pape ne veut voyrement pas qu'on fonde des nouvelles Religions sans congé, et a rayson, mais il n'empesche pas, ains a aggreable que l'on face ce que nous ferons, Dieu aydant.

            Je me res-jouis avec vous de la constance avec laquelle vous aves consacré et sacrifié vostre petit Isaac, et prie Nostre Seigneur quil vous comble des benedictions quil donna au bon Abraham pour un semblable sacrifice. Je suis,

            Madame,

                        Vostre serviteur tres affectionné et bien humble,

                                                                                                          FRANÇS E. de Geneve.

            XXIII avril 1610.

                        A Madame

Madame la Baronne de Cusy.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Troyes, à l'Aumônerie des Dames

des SS. Cœurs, dites de Picpus. [288]

 

 

 

DXCII. A la Baronne de Chantal. L'Institut de la Visitation, «havre de grace et de consolation.» — Méditation sur l'Evangile: Je suis la vigne. — Notre-Seigneur Jésus-Christ, le tout de François de Sales.

 

Annecy, 24 avril 1610.

 

            Il faut bien prendre courage, ma chere Fille, et se tenir en santé, puisque nous voyci a la veille de nostre embarquement pour aller au havre de grace et de consolation.

            J'ay bien pensé je ne sçai quoy de bon ce matin sur l'Evangile courant, en ces paroles: Qui demeure en moy et moy en luy, il porte beaucoup de fruit; car sans moy, vous ne pouvés rien faire.    Il m'est bien advis que nous ne demeurerons plus en nous mesmes, et que, de cœur, d'intention et de confiance, nous nous logerons pour jamais dans le costé percé du Sauveur; car sans luy, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire.

            Tout «en luy,» tout «par luy,» tout «avec luy,» tout pour luy, tout luy.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 24 avril 1610. [289]

 

 

 

DXCIII. A M. Jacques de Bay. Jacques de Bay et son zèle pour la formation chrétienne des jeunes Savoyards. — Recommandation en faveur de Jean-Antoine Rolland et de Bernardin du Nant. — Le Saint offre au destinataire deux de ses ouvrages; son humilité.

 

Annecy, 26 avril 1610.

 

                        Monsieur,

            J'ay receu a beaucoup d'honneur la salutation que le sieur Ramus m'a faitte de vostre part, m'estimant fort heureux de vivre en vostre amitié, comm'en eschange je vous supplie de croire que je vous respecte et revere de tout mon cœur, me sentant extremement redevable a la constante inclination que vous avés au bien de cette mienne evesché, pour laquelle vous vous estes tous-jours affectionné a eslever les jeunes gens qui vous sont envoyés d'icy a toutes sortes de solide vertu, et sur tout au zele de la sainte foy catholique.

            Or, en voyla encor quelques uns qui se vont rendre sous vos aisles pour ce mesme sujet, lesquelz je suis obligé de vous recommander tous generalement, puis que tous ilz sont mes tres chers enfans en Nostre Seigneur. Mais il y en a deux pourtant que je doys preferer en ce mien desir, dont le premier est Jean Anthoyne Rolland, [290] duquel la mere est de la mesme mayson de feu monsieur le fondateur du College et ma proche parente, laquelle ayant plusieurs enfans, a destiné celluy ci a l'estude, comme celuy qui a plus d'apparence de bon esprit; qui me fait vous supplier de le prendre particulierement en protection. Et si mesme, pour quelque sienne necessité, es occasions qui se peuvent presenter, il avoit besoin de secours pecuniaire et a ma consideration il vous playsoit l'assister, je ne manquerois nullement au remboursement, bien que sa mere et ses freres ayent une fort bonn'intention de ne point luy defaillir en ce qui sera requis.

            L'autre est Bernardin du Nant, filz d'un fort honneste [291] pere, et qui a longuement et fidellement servi feu Monsieur le Reverendissime mon praedecesseur, et duquel, pour cela, je doys affectionner le bien; dautant plus que sa pauvreté et toutes les autres conditions pour lesquelles il a esté nommé, le rendent fort recommandable. J'intercede donq pour ces deux la plus particulierement et implore pour eux vostre bonté et charité, laquelle je me prometz me devoir estre autant favorable comme je suis plein de desir de vous honnorer et servir.

            Au demeurant, Monsieur, je vous envoye et presente deux petites pieces de mes besoignes, de different stile et de divers sujet. La premiere fut faitte, il y a plusieurs annees, avant que je fusse Evesque, et ce, pour l'occasion declairee en la Prefacé, lhors que l'œuvre de Jaques Gretserus n'estoit encor point parvenue jusques icy.

            La seconde est plus nouvelle, de l'edition delaquelle la Preface aussi rend fidellement la rayson. On l'a reimprimé six foys en deux ans et en divers endroitz, mais je n'ay encor peu avoir que des editions de Lyon, qui est en nostre voysinage; non plus que de la traduction que quelques Peres Jesuites en ont fait faire en Italie. L'un' et l'autre sont pleynes de grandes fautes en l'impression et de grands defautz en la composition, car un tel ouvrier que je suis, distrait et embarassé de tant d'affaires, ne sçauroit produire chose que fort imparfaitte; mais il m'a fallu ceder a la volonté et authorité des amis. Et ce pendant, je me confie en vostre douceur que vous aggreeres l'offrande que je vous en fay, en contemplation de la sincerité du cœur qui vous l'offre. [292]

            Dieu multiplie vos annees et, en icelles, la grace et consolation de son Saint Esprit sur vostre personne, a laquelle je suis fort affectionnement,

            Monsieur,

                        Bien humble confrere et fidelle serviteur

                                   en Nostre Seigneur

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVI avril 1610, a Annessi.

 

                        A Monsieur

            Monsieur de Baye,

Doyen de St Pierre de Louvain

                        et President du College de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Bruxelles, Bibliothèque des PP. Bollandistes.

 

DXCIV. A la Baronne de Cusy. Une postulante que le monde dispute à la vie religieuse. — Qu'elle sonde son cœur avant d'embrasser Jésus-Christ crucifié; ce dessein demande une âme vaillante et généreuse. — Encouragements à prendre un parti décisif. — Le Saint promet de s'employer avec joie et constance à la «sainte besoigne» de la future Congrégation.

 

Annecy, 2 mai 1610.

 

                        Madame,

            A ce passage de M. le Baron vostre mari, j'ay sceu avec combien d'artifices le monde s'estoit essayé d'esbransler vostre resolution touchant vostre retraitte, et ay loué Nostre Seigneur dequoy vous aves conservé vostre fermeté jusques a present. Neanmoins, maintenant que nous sommes, ce me semble, a la veille de l'execution d'une si sainte entreprise, il faut que je vous parle un peu ouvertement, et que je vous conjure [293] de bien espreuver vostre cœur pour reconnoistre si vous aures asses d'affection, de force et de courage pour embrasser ainsy absolument Jesus Christ crucifié et donner les derniers adieux a ce miserable monde. Car voyes vous, Madame, il est requis que vous ayes une ame vaillante et genereuse pour entrer en ce dessein, affin que vous resisties aux suggestions que la folle sagesse du monde vous fera.

            Il est vray que si vous entreprenés cette œuvre simplement pour Dieu et vostre salut, vous y aures tant de consolations que rien ne vous sçauroit destourner, et la bonne compaignie en laquelle vous seres ne vous servira pas de peu a vous bien establir; mais il ne faut pour cela que vous laissies de bien examiner vostre courage avant que de venir. Que si vous le treuvés bon et ferme, venés donq hardiment au nom de Dieu, lequel, s'estant rendu autheur et protecteur de ce projet, le favorisera de plus en plus de ses benedictions et vous y donnera mille consolations que le monde ne peut sçavoir.

            Si, au contraire (ce que Dieu ne veuille), vous ne vous senties pas asses forte pour entrer en ce chemin, il seroit bien bon de nous en advertir, affin que les autres commençassent selon leur inviolable desir, et vous, Madame, pensassies a prendre quelque autre sorte de vie plus a vostre gré.

            Pour moy, j'ay tellement cette sainte besoigne en recommandation, que je me sentiray bien heureux de pouvoir m'employer a son advancement, et y serviray constamment, joyeusement et, Dieu aydant, utilement; mais avec tant d'affection, que rien ne m'en sçauroit destourner sinon la seule volonté de Dieu, lequel peut [294] estre, pour mes pechés ne me treuvera pas digne de faire ce service a sa gloire.

            J'espere en luy que vostre esprit accroistra de bien en mieux, et le suppliant qu'il vous console et prepare, je demeureray,

                        Madame,

                                   Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, ce 2 may 1610.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire manuscrite de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy.

 

 

 

DXCV. A Madame de Charmoisy (Billet inédit). Prière de donner l'hospitalité à une postulante de la Visitation.

 

Annecy, [mars-mai 1610.]

 

                        Ma chere Fille,

            Praesupposant que cela ne vous incommode pas, je seray bien ayse que vous logies en vostre logis de la ville Mlle d'Escrilles; et pour les meubles, ce qui sera [295] requis je le feray prendre ceans, ou mesme je la logerois, si cela vous estoit beaucoup incommode, parce qu'ell' est icy comm' estrangere.

            Je vous donneray simplement le bon jour ce matin.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nantes.

 

 

 

DXCVI. A la Baronne de Chantal. Une idée que le Saint trouve à son réveil. — La fête du Saint-Suaire et les paroles «extatiques» d'Isaïe. — Espoir joyeux que Dieu plantera et fera fructifier la plante du futur Institut.

 

Annecy, 5 mai 1610.

 

                        Ma chere Fille,

            Il faut bien dire que nostre Congregation me soit a cœur, puisque j'y songe, contre ma coustume, et la treuve comme une idee a mon resveil. Dieu y veuille mettre sa bonne et puissante main.

            O ma Fille, que je fus consolé hier sur le sujet de la mort et sepulture du Sauveur! car les paroles d'Isaie, qu'on lisoit a la Messe pour la feste du Saint Suaire, estoyent extatiques. O. Dieu, si ce Sauveur a tant fait pour nous, que ne ferons-nous pas pour luy? S'il a exhalé sa vie pour nous, pourquoy ne reduirons-nous pas toute la nostre a son service et plus pur amour? En fin, je m'imagine que Nostre Seigneur plantera cette plante, l'arrousera de ses benedictions et la fera fructifier en sanctification. [296]

            Certes, l'autre jour, en recommandant ce projet a sa divine Majesté, je me confondois extremement dequoy elle se servoit pour cela de mon cœur et du vostre, je veux dire de nostre cœur; car, bien que la rayson ne le veuille pas, si est-ce que je ne sçai separer ce cœur en deux, ni en me resjouissant, ni en me confondant. Nous serons trop heureux de rendre ce service a sa Bonté celeste.

            Dieu soit vostre Dieu, ma chere Fille, Dieu soit vostre Dieu; et vostre cœur, que vous luy aves dressé, soit sa mayson et son autel, sur lequel nuit et jour il fasse ardre et luire le feu de son saint amour. O Dieu, qui nous fera la grace de nous combler de charité? Recommandés-moy a vostre Abbesse.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 5 may 1610.

 

 

 

DXCVII. A M. Jean-François Ranzo. Zèle de François de Sales pour la Canonisation du bienheureux Amédée. — Il propose de lui faire dédier l'oratoire de sa future Congrégation.

 

Annecy, 6 mai 1610.

 

                        Molto Illustre Signor mio,

            La lettera che V. S. molto Illustre mi scrisse per far dar principio a qualche sorte di solennità per il giorno [297] del transito del Beato Amedeo, capitò nelle mie mani il giorno dopo la festa; onde non si fece quel che io havrei sommamente desiderato, ma si farà, piacendo al Signore, l'anno seguente.

            Da Nantua non si ha altro, nè de Borghi, perchè le fondationi ivi fatte sono del Conte Verde et non del nostro Beato. Ringratio V. S. molto Illustre della [298] imagine, et desidero sommamente di veder la Vita et che le cose della Canonizatione vadano inanzi.

            Mi è venuto in pensiero una cosa, la qual se V. S. molto Illustre trova a proposito, potrà molto ben riuscire ad honor di detto Beato. Si darà principio a questa festa prossima di Pentecoste, ad una Congregatione di gentildonne, di gran spirito et qualità, nella quale si adopraranno molto [in] opere di carità verso li poveri et ammalati, al servitio de quali quelle benedette anime si vogliono in parte dedicare, secondo che in queste [299] parti ultramontane quel essercitio si suol fare fra le donne et elle havranno una casa nella quale viveranno insieme, et un oratorio di gran devotione. Hora, sta in man mia di far dedicare quell' oratorio et quella casa al Santo che mi parerà più a proposito. Et vedendo che la divotione di quelle gentildonne è circa li poveri et ammalati, alli quali il nostro Beato fu tanto affettionato che l'essempio suo è pubblicato in tutti li pulpiti, vorrei volontieri che detta Casa al suo beato nome fosse dedicata; et sarebbe convenevole che essendo egli nato in questa diocesi, in questa havesse la sua prima casa et oratorio.

            Ma acciò io potessi far questo, sarebbe conveniente che Sua Altezza ne fosse contenta, et facesse che Sua Santità ciò havesse grato; il che, secondo che io penso, sarebbe cosa facilissima a Sua Altezza se commandasse che in Roma se ne facesse instantia, atteso che già anticamente è stato tanto venerato questo Beato in questa diocesi. V. S molto Illustre vi pensarà, et se me avvisarà dell'intentione di Sua Altezza, io non [300] mancarò di far quanto dal canto mio sarà convenevole; ma la supplico bene che sia quanto prima, per mia consolatione.

            In tanto supplico Nostro Signore che a V. S. molto Illustre dia ogni vero contento.

            Di V. S. molto Illustre,

                        Affettionatissimo servitore,

                        FRANCo, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 6 di Maggio 1610.

 

            Al molto Illre Sigr mio,

                        Il Sigr Francesco Ranzo,

Gentilhuomo et Consigliere di S. A. Serma.

                        Turino.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [301]

 

 

 

                        Mon très Illustre Seigneur,

            La lettre que Votre très Illustre Seigneurie m'écrivit pour me prier d'inaugurer une manière de solennité au jour du trépas du [297] bienheureux Amédée, me parvint le lendemain de sa fête; ainsi l'on ne put faire ce que j'aurais vivement souhaité, mais, s'il plaît à Dieu, on le fera l'année prochaine.

            De Nantua, on n'a pas autre chose, ni de Bourg non plus, parce que les fondations de ces pays sont du Comte-Vert et non de notre Bienheureux. Je remercie Votre très Illustre Seigneurie de [298] l'image, et j'ai un extrême désir de voir la Vie et l'avancement des affaires de la Canonisation.

            J'ai pensé à une chose qui pourrait, si Votre Seigneurie l'approuve, contribuer grandement à la gloire du Bienheureux. En la prochaine fête de Pentecôte, on doit donner commencement à une Congrégation de dames, de grande vertu et qualité. Elles s'emploieront à plusieurs œuvres de charité en faveur des pauvres et des malades; c'est à leur service que ces bénites âmes veulent en partie se consacrer, en suivant l'usage d'après lequel, en ces [299] pays ultramontains, ce ministère se pratique ordinairement parmi les femmes. Elles auront une maison où elles vivront ensemble, et un oratoire fort dévot. Or, il dépend de moi de faire dédier cet oratoire et cette maison au Saint que je jugerai plus à propos. Voyant donc que la piété de ces dames les porte vers les pauvres et les malades si chéris de notre Bienheureux, comme le proclament toutes les chaires, j'aimerais bien que cette Maison fût érigée sous son vocable. Et ne conviendrait-il pas qu'étant né dans ce diocèse, il eût ici même sa première maison et son premier oratoire?

            Mais, pour réaliser ce projet, il faudrait que Son Altesse l'agréât et qu'elle le fît agréer à Sa Sainteté; ce qui, à mon avis, sera très facile à Son Altesse, si elle ordonne qu'on fasse à Rome des instances à ce sujet, d'autant plus qu'anciennement déjà, le Bienheureux était très vénéré dans ce diocèse. Votre très Illustre Seigneurie voudra bien penser à cette affaire. Si, ensuite, elle daigne m'informer des intentions de Son Altesse, je ne manquerai pas de faire, de [300] mon côté, tout ce qui sera convenable; mais je vous prie que ce soit au plus tôt, pour ma consolation.

            En attendant, je supplie Notre-Seigneur d'accorder à Votre Seigneurie tout vrai contentement.

            De Votre très Illustre Seigneurie,

                        Le très affectionné serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 6 mai 1610.

 

            A mon très Illustre Seigneur,

                        M. François Ranzo,

Gentilhomme et Conseiller de Son Altesse Sérénissime.

                                   Turin. [301]

 

 

DXCVIII. A M. Roch Calcagni. Titres et aptitudes de M. de la Thuille, frère du Saint, à remplir la charge de chevalier pour laquelle il est proposé. — Le destinataire est prié de remettre des lettres pour faire aboutir la nomination.

 

Annecy, 18 mai 1610.

 

                        Monsieur,

            Estant icy de retour, j'ay treuvé le bon monsieur de Monthou mort, et mon frere, le sieur de la Thuille, nommé par le Conseil a Monseigneur pour estre prouveu de l'estat de chevallier, nomination a laquelle ni mondit frere ni moy n'avions seulement pas pensé. [302] Mais la voyant faitte, j'ay creu que je devois au bien de mondit frere une très humble supplication a Son Excellence, affin quil luy playse de nous gratifier de cet honneur, lequel est certes plus grand que nous ne meritons, mais qui ne peut tumber en une personne plus fidelle au service de Son Excellence que mondit frere sera; a quoy j'adjouste que l'estude quil a fait asses fructueusement en droit, pourra encor le rendre moins inutile en cette place, si Dieu et Monseigneur l'y conduisent.

            La lettre donq ci jointe est pour ce sujet, et celle qui est addressee a monsieur Desfrenes aussi, qui me fait vous supplier de la rendre le plus tost quil vous sera possible, et comme pour l'amy; car encor que nous ne vous ayons jamais rendu aucun service qui nous puisse acquerir cette qualité, si avons nous bien eu ce desir, et moy particulierement, qui, priant Nostre Seigneur quil vous conserve et accompaigne, suis,

            Monsieur,

                                                                       Vostre serviteur tres affectionné,

                                                                                              FRANÇS, Evesque de Geneve.

            XVIII may 1610, Annessi.

 

                        A Monsieur

Monsieur Roc Calcanie,

            Escuyer de la grande escurie de S. E.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Morandi, à Plaisance. [303]

 

DXCIX. Au Père Nicolas Polliens, de la Compagnie de Jesus. A un Jésuite qui s'intéressait à l'œuvre du Saint, celui-ci raconte les circonstances qui ont donné jour aux commencements de la Visitation. — Sommaire et premier crayon de la vie religieuse proposée par manière d'essai. — La clôture, l'habit, l'Office, l'union intérieure. — La pierre fondamentale. — Pourquoi le Saint ne se soucie pas des critiques. — L'Institut de la Visitation et le voyage de François de Sales à Dijon en 1604.

 

Annecy, 24 mai 1610.

 

                        Mon Reverend Pere,

            L'inviolable affection que j'ay vouee a vostre sainte Compaignie et l'honneur particulier que je dois a vostre personne, me fera acquiescer a vostre pieux, saint et [304] curieux desir, non seulement sans peyne, ains avec suavité.

            Sachés donq, mon cher Pere, que quelques ames devotes me proposerent, il y a un an, l'establissement d'une Religion de filles, avec offre d'une bonne somme d'argent pour faire le bastiment et fondement. Et moy, sçachant combien de filles desiroyent la retraitte du monde, qui ne la pouvoyent treuver es Religions ja establies, j'acceptay l'offre et promis toute mon assistance pour ce projet.

            Monsieur le Baron de [Cusy,] qui m'avoit apporté l'ambassade, acheta une petite mayson au faubourg, en lieu extremement propre pour bastir et commencer a dresser ce petit edifice; en sorte qu'en peu de tems il le rendit commode pour loger une douzaine de personnes, avec l'ornement d'un petit oratoire, affin que celles qui seroyent si heureuses que de vouloir servir d'exemple aux autres, s'y puissent retirer et commencer a faire essay du dessein. Tost apres, voyci que l'on me fit entendre qu'il n'y avoit que la moitié des moyens que l'on avoit proposé, et despuis l'on mit en doute de beaucoup de commodités temporelles qui devoyent arriver avec une personne, laquelle avoit premierement chaudement entrepris de venir, et puis s'estoit tout a coup rafroidie.

            Parmi tout cela, il me fallut surseoir le dessein d'eriger [305] un Monastere reformé; et neanmoins, pour donner lieu a une tres honneste retraitte a quelqu'ame bien resolue et saintement impatiente de se retirer du tracas du monde, je leur ouvre la porte d'une petite assemblee ou Congregation de femmes et filles vivant ensemble par maniere d'essay, sous des petites Constitutions pieuses. Nous commencerons avec la pauvreté, parce que nostre Congregation ne pretendra de s'enrichir que de bonnes œuvres.

            Leur clausure sera telle pour le commencement: aucun homme n'entrera chez elles que pour les occurrences qu'ilz peuvent entrer es monasteres reformés. Les femmes aussi n'y entreront point sans licence du Superieur, j'entens de l'Evesque ou de son commis. Quant aux Seurs, elles sortirons pour le service des malades apres l'annee de leur Noviciat, pendant lequel elles ne porteront point d'habit different de celuy des femmes du monde; mais sera noir, et elles le ravaleront a l'extremité de l'humilité et modestie chrestienne.

            Elles chanteront le petit Office de Nostre Dame, pour avoir en cela une sainte et divine recreation. Au surplus, elles vacqueront a toute sorte de bons exercices, notamment a celuy de la sainte et cordiale union interieure. J'espere que Dieu sera glorifié en ce petit dessein, et, comme vous a dit le Pere Recteur, la pierre [306] fondamentale que Dieu nous donne pour iceluy est une ame d'excellente vertu et pieté, ce qui me fait tant plus croire que la chose reuscira heureusement.

            Mon cher Pere, vous estes capable des humeurs, facultés et moyens de ce païs, et jugeres bien, comme je pense, que ne pouvant pas mieux faire, il est bon de faire cela. Je sçai que je m'attireray des contrerollemens sur moy, mais je ne m'en soucie pas; car, qui fit jamais bien sans cela? Ce pendant, plusieurs ames se retireront aupres de Nostre Seigneur, treuveront un peu de refrigere et glorifieront le saint nom du Sauveur, qui, sans cela, demeureroyent avec les autres grenouilles es marais.

            Voyla, mon cher Pere, le sommaire et premier crayon de l'ouvrage, que Dieu conduira a la perfection que luy seul sçait, et pour lequel mon courage est incomparablement animé, croyant que Dieu l'aura aggreable. Vostre candeur et sainte bonne foy m'oblige a vous dire naïfvement tout cecy, et encor adjouster que je suis filz et serviteur bien humble du Pere Recteur, qui sçait bien que nostre Congregation, qui se commencera dans peu de jours, est le fruit du voyage de Dijon, pour [307] lequel je ne peus jamais regarder les choses en leur face naturelle; et mon ame estoit secrettement forcee a penetrer un autre succes qui tumboit si directement sur le service des ames, que j'aymois mieux m'exposer a l'opinion et a la mercy des bons qu'a la cruauté de la. calomnie des mauvais. Or, j'espere que les jours suivans jugeront les precedens de ma vie, et le dernier les jugera tous.

……………………………………………………………………………………………………...

            D'Annessi, 24 may 1610. [308]

 

 

 

DC. Au Président Bénigne Frémyot. Mort de Henri IV. — Vanité des grandeurs du monde. — «Un contemptible coup de petit couteau.» — Le Roi immortel. — Pourquoi le Saint espère que Dieu aura été pitoyable au prince. — Les faveurs de Henri IV pour François de Sales. — Aveu du Saint; sa gratitude.

 

Annecy, 27 mai 1610.

 

            Ah! Monsieur mon amy, il est vray, l'Europe ne pouvoit voir aucune mort plus lamentable que celle du grand Henri IV. Mais qui n'admireroit avec vous l'inconstance, la vanité et la perfidie des grandeurs de ce monde? Ce Prince, ayant esté si grand en son extraction, si grand en la valeur guerriere, si grand en victoires, si grand en triomphes, si grand en bonheur, si grand en paix, si grand en reputation, si grand en toutes sortes de grandeurs: hé, qui n'eust dit, a proprement parler, que la grandeur estoit inseparablement liee et collee a sa vie, et que, luy ayant juré une inviolable fidelité, elle esclatteroit un feu d'applaudissement a tout le monde par son dernier moment, qui la termineroit en une glorieuse mort? Non certes, Monsieur, il sembloit bien qu'une si grande vie ne devoit finir que sur les despouilles du Levant, apres une finale ruine et de l'heresie et du Turcisme. Ces quinze ou dix huit ans que sa forte complexion et santé, et que tous les vœux de la France et de plusieurs gens de bien hors de la France luy promettoyent encor de vie vigoureuse, eussent esté suffisans pour cela: et voyla qu'une si grande suite de grandeurs aboutit en une mort qui n'a rien de grand que d'avoir esté grandement funeste, lamentable, miserable et deplorable; et celuy que l'on eust jugé [309] presque immortel, puisqu'il n'avoit peu mourir parmi tant de hasars, desquelz il avoit si longuement fendu la presse pour arriver a l'heureuse paix de laquelle il avoit esté jouissant ces dix annees dernieres, le voyla mort d'un contemptible coup de petit couteau et par la main, d'un jeune homme inconneu, au milieu d'une ruë!

            Enfans des hommes, jusques a quand seres-vous si pesans de cœur? Pourquoy cherissés-vous la vanité et pourquoy pourchassés-vous le mensonge? Tout ce que ce monde nous fait voir de grand, ce n'est que fantosme, illusion et mensonge. Qui eust dit, je vous supplie, Monsieur mon cher amy, qu'un fleuve d'une vie royale, grossi de l'affluence de tant de rivieres d'honneurs, de victoires, de triomphes, et sur les eaux duquel tant de gens estoyent embarqués, eust deu perir et s'esvanouir de la sorte, laissant sur la greve et a sec tant de navigans? N'eust-on pas plustost jugé qu'il devoit aller fondre dans la mort, comme dans une mer et un ocean, par plus de triomphes que le Nil n'a d'emboucheures? Et neanmoins, les enfans des hommes ont esté trompés et deceuz en leurs balances et leurs presages ont esté vains.

            Mon Dieu, Monsieur, que ne sommes-nous sages par tant d'experiences! Que ne mesprisons-nous ce monde, lequel en tout est si fresle et si imbecille! Que ne nous tenons-nous aux pieds de ce Roy immortel qui a triomphé de la mort par sa mort, et duquel la mort est plus aymable que la vie de tous les rois de la terre? Vous estes bien heureux, Monsieur, de faire ces considerations; mais vous seres tres heureux, si, a la suite d'icelles, vous entres es resolutions convenables, exhalant le reste de vos vieux jours comme un encens, par le feu de l'amour unique du Roy de l'eternité. L'affection que j'ay a vostre chere et belle ame me fait dire cela sans necessité.

            Au demeurant, le plus grand bonheur de ce grand Roy defunct, fut celuy par lequel, se rendant enfant de l'Eglise, il se rendit pere de la France; se rendant brebis du grand Pasteur, il se rendit pasteur de tant de [310] peuples, et convertissant son cœur a Dieu, il convertit celuy de tous les bons Catholiques a soy. C'est ce seul bonheur qui me fait esperer que la douce et misericordieuse providence du Pere celeste aura insensiblement mis dans ce grand cœur royal, en ce dernier article de sa vie, la contrition necessaire pour une heureuse mort. Ainsy prié-je cette souveraine Bonté qu'elle soit pitoyable a celuy qui le fut a tant de gens; qu'elle pardonne a celuy qui pardonna a tant d'ennemis, et qu'elle reçoive cette ame reconciliee a sa gloire, qui en receut tant en sa grace apres leurs reconciliations.

            Pour moy, je le confesse, les faveurs de ce grand Roy en mon endroit me sembloyent infinies, mettant en consideration ce que j'estois, lhors qu'en l'annee 1602 il me fit des semonces d'arrester en son royaume, qui estoyent capables d'y retenir, non un pauvre prestre tel que j'estois, mais un bien grand Prelat. Or, Dieu disposoit autrement. Et j'ay esté extremement consolé que ce royal courage m'ayant une fois departi sa bienveuillance, ayt si longuement et gracieusement perseveré a m'en gratifier, comme mille tesmoignages qu'il en a faitz a diverses occasions m'en asseurent; et bien que je n'aye jamais receu de sa bonté que la douceur d'estre en ses bonnes graces, si m'estimé-je extremement redevable a continuer mes foibles prieres pour son ame et pour le bonheur de sa posterité.

            Je ne finirois pas aysement de parler d'un Prince digne de tant de memoire, mais me voyci pressé de donner ma lettre. Dieu soit vostre tout, Monsieur; je suis en luy,

                                                                                  Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 27 may 1610. [311]

 

 

 

DCI. A la Baronne de Chantal. Les soucis du saint Fondateur. — Ses désirs d'union à Jésus-Christ. — Pourquoi Mme de Chantal doit se «mettre sur la grandeur de courage.»

 

Annecy, 28 mai 1610.

 

            Ce sera donq demain que vous aures des pensees et des soucis; car je commence d'en avoir de bien particulieres sur nostre future Mayson, pour les choses temporelles. Et quant aux spirituelles, il me semble que Nostre Seigneur en aura le soin sans souci, et qu'il y respandra mille benedictions.

            Ma Fille, il faut que je vous die que je ne vis jamais si clairement combien vous estes ma fille que je le voy maintenant, mais je dis que je le voy dans le cœur de Nostre Seigneur; c'est pourquoy n'interpretés pas a [312] desfiance ces petitz motz que je vous escrivis l'autre jour: mais nous en parlerons une autre fois.

            O ma Fille, que j'ay de desirs que nous soyons un jour tout aneantis en nous mesmes pour vivre tout a Dieu, et que nostre vie soit cachee avec Jesus Christ en Dieu! Oh! quand vivrons-nous nous mesmes, mais non pas nous mesmes, et quand sera-ce que Jesus Christ vivra tout en nous? Je m'en vay un peu faire d'orayson sur cela, ou je prieray le cœur royal du Sauveur pour le nostre. Je suis, en Jesus Christ, plus vostre, et admire ses accroissemens. Ouy, je le dis tout de bon, je ne pensois pouvoir ce que je puis en cela, et treuve une source qui me fournit des eaux tous-jours plus abondantes. Ah! c'est Dieu, sans doute.

            Il nous faut bien mettre sur la grandeur de courage, pour servir Dieu le plus hautement et vaillamment que nous pourrons; car, pourquoy pensons-nous qu'il ayt voulu faire un seul cœur de deux, sinon affin que ce cœur soit extraordinairement hardi, brave, courageux, constant et amoureux en son Createur et son Sauveur, par lequel et auquel je suis tout vostre.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

DCII. A la meme. Pourquoi le Saint se trouvait un peu las, mais de corps seulement. — De quelles vertus Notre-Seigneur est surtout amoureux. — Un Psaume dont le chant attendrissait le cœur de l'Evêque pendant la procession.

 

Annecy, 10 juin 1610.

 

            Or il est vray, chere Seur, ma Fille, j'ay esté un peu las de cors; mais d'esprit et de cœur, comme le pourrois-je [313] estre, apres avoir tenu sur ma poitrine et tout joignant mon cœur un si divin epitheme, comme j'ay fait ce matin tout au long de la procession? Helas! si j'eusse eu mon cœur bien creux par humilité et bien abbaissé par abjection, j'eusse sans doute attiré ce sacré gage en moy, il se fut caché dedans moy; car il est si amoureux de ces vertus, qu'il s'eslance a force ou il les void.

            Le passereau treuve un repaire et la tourterelle un nid ou elle met ses poussins, dit David. Mon Dieu, que cela m'a attendri quand on a chanté ce Psalme! car je disois: O chere Reyne du Ciel, chaste tourterelle, est-il possible que vostre poussin ayt maintenant pour son nid ma poitrine? Cette parole de l'Espouse m'a bien encor touché: Mon Bienaymé est mien, et moy je suis toute sienne; il demeure entre mes mammelles; car je le tenois la. Et celles-ci de l'Espoux: Metz-moy comme un cachet sur ton cœur. Helas! ouy, ma Fille; mais ayant osté le cachet, je ne voy point l'impression des traitz d'iceluy en mon cœur. Y a-il une douceur comparable?

            Quant a l'affaire, je ne sçaurois que dire, sinon qu'en une heure on se peut resoudre au moins mal; et la resolution prise, on se doit donner du contentement sur ce que, de quel costé que l'on retourne les affaires de ce monde, il se treuvera tous-jours beaucoup de choses a desirer et redire. En sorte qu'apres qu'on s'est determiné, il ne faut plus s'amuser a souspirer apres les imaginations des choses meilleures, mais a bien passer les difficultés presentes, lesquelles aussi bien ne sçaurions [314] nous eschapper sans en rencontrer d'autres aussi fortes, puisque tout en est plein.

            Bon soir, ma tres chere Fille; le divin Sauveur, unique amour de nostre cœur, soit nostre eternel repos. Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

DCIII. A M. Roch Calcagni. Gratitude pour la courtoise intervention du destinataire en faveur de Louis de Sales, frère du Saint.

 

Annecy, 15 juin 1610.

 

                        Monsieur,

            Nous nous sentons extremement obligés, mon frere et moy, a vostre courtoysie, du soin que vous aves eu de faire reussir le desir que nous avions quil fut mis au service de Son Excellence. Si jamais nous sommes capables de vous tesmoigner nostre gratitude par nos services, vous pourres, Monsieur, les exiger comme chose que nous vous devons et que, de bon cœur, nous reconnoissons vous devoir rendre.

            Et ce pendant, en vous en rendant graces, je prie Nostre Seigneur quil vous conserve et prospere, et suis,

                        Monsieur,

                                   Vostre humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XV juin 1610, a Neci.

            Monsieur, je vous supplie d'impetrer, sil se peut, une copie de la façon de recevoir ceux qui se presentent a la Confrairie de Nostre Dame des Carmes, car j'ay [315] esgaré celle que j'avois, et neanmoins je suis requis de recevoir quelques dames.

            A Monsieur

Monsieur Roch Calcagne,

            Escuyer de S. E.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Morandi, à Plaisance.

 

DCIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Remerciements et actions de grâces de la Savoie et de son Evêque pour la promotion d'Antoine Favre «a l'estat de premier President.» — Ce qui donne le plus de douceur à la vie humaine. — Description imagée de la justice. — Responsabilité et devoir des princes dans le choix de ceux qui l'exercent en leur nom.

 

Annecy, 15 juin 1610

 

                        Monseigneur,

            La promotion de monsieur Favre a l'estat de premier President de Savoye a donné une joye si universelle aux peuples de deça, que s'il se pouvoit bonnement faire, [316] ilz en iroyent, je pense, porter mille et mille actions de graces aux pieds de Vostre Altesse. Mays ne pouvans faire cette si juste demonstration de l'obligation qu'ilz en ont a la providence de Vostre Altesse, il m'a semblé, Monseigneur, qu'en qualité de pasteur de la plus part d'iceux, joignant leurs tres humbles affections a la mienne, je devoys, pour eux et pour moy en commun, rendre ce tesmoignage de la grande redevance que nous en avons a la bonté de Vostre Altesse, a laquelle nous sommes bien glorieux d'en devoir tout le remerciment, puisqu'elle seule, sans aucun'autre consideration que de nostre bien et de son service, a fait cette digne election.

            Certes, Monseigneur, rien ne donne tant de douceur a la vie humaine que la droitte administration de la justice, et la justice, quoy que tous-jours une en elle mesme, ayant sa source, comm'une belle eau, en la poitrine des Princes souverains en terre, coulant par les espritz des magistratz rudes, malpolis et raboteux, elle se rend autant nuysible qu'elle devoit estre utile, et mesmes jusques la que, comme parle un sacré Prophete, ell'est convertie en absinte. Mais passant entre les peuples par les mains de gens doctes, bien affectionnés et equitables, elle remplit les provinces de bon heur et de suavité; estant es uns, comm'un torrent impetueux qui ravage tous les bords qu'il accoste, et es autres, comm'une douce riviere qui rend amenes les rivages qu'elle detrempe. C'est aussi le plus grand garend que les Princes puissent avoir (lhors qu'a leur tour ilz seront censurés a l'heure de leur mort), d'avoir commis leur authorité a des gens capables de la bien manier; car n'ayans peu faire comme Dieu, qui, quand il luy plait, donne la suffisance a ceux auquelz il a remis l'authorité, ilz l'auront jointe au plus pres qu'ilz auront sceu, donnant l'authorité a ceux quilz auront reconneu avoir la suffisance.

            Les magistratz, Monseigneur, representent la souveraine majesté des Princes sur les biens et vies des sujetz; c'est pourquoy les Princes, par une sainte jalousie, doivent avancer es offices, des personnes qui les sachent bien [317] representer. Et comm' Alexandre ne vouloit estre peint que par la main de l'unique Apelles, aussi les Princes ne devroyent jamais permettre que leur souveraineté fut exprimee que par les plus rares et dignes espritz du monde, ne pouvans jamais mieux faire connoistre la grandeur de leurs ames qu'au choix de celles qu'elles employent et eslevent.

            Vostre Altesse, donq, recevra mille louanges des nations estrangeres en la promotion de ce grand personnage duquel elles connoissent la doctrine avec admiration, comme les voysines font la probité par experience; et nous la supplions tres humblement d'aggreer ce ressentiment que nous en faysons, plein de souhaitz qu'il playse a Dieu d'aggrandir et prosperer vostre couronne, de laquelle je suis,

            Monseigneur,

                        Tres humble et tres obeissant serviteur et orateur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XV juin 1610.

A Son Altesse.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Boarelli di Verznolo, à Saluces.

 

 

 

DCV. A M. François de Saint-Sixt. Affaire d'argent qui sépare deux frères; intervention du Saint pour les accommoder.

 

Annecy, 22 juin 1610.

 

                        Monsieur,

            Bien que jusques a present je ne vous aye peu accommoder, monsieur vostre frere et vous, au different [318] que vous aves ensemble, si veux-je esperer qu'un jour je le pourray faire. Mais ayant entendu que monsieur vostre dit frere a consigné es mains de M. Bonod certaine quantité qu'il praetend seulement vous estre deue, j'ay pensé que, en attendant une plus entiere resolution, vous deviés pour cette fois et sans consequence, vous contenter de prendre cela. Je vous en prie donq de tout mon cœur, en quoy vous tesmoigneres combien vous m'aymes; car desirant cela avec affection comme je le desire, si vous m'aymes, vous le feres sans difficulté et sans replique.

            Atant, je prie Nostre Seigneur quil vous accroisse en ses graces et benedictions, et suis,

                        Monsieur,

                                   Vostre confrere tres affectionné,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXII juin 1610, a Neci.

                        A Monsieur

            Monsieur de St Sixt,

                        Archidiacre de l'eglise de La Roche.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Collonges,

aumônier de la Visitation de Chambéry. [319]

 

 

 

DCVI. A la Mère de Chantal. Elévation sur la vie de saint Jean-Baptiste: sa nourriture, le miel, les locustes représentent les deux vies, contemplative et active. — Applications. — Signification de ses vêtements. — Un habit propre à conserver la sainteté. — Obéissance du Précurseur. — Ce qu'annonçait «ce beau rossignol du bois

 

Annecy, 23 ou 24 juin [1610.]

 

            Ne faut il pas, ma chere Seur, que ne pouvant vous voir, je vous aille au moins donner la bonne feste en esprit? O Dieu, que voyci un grand Saint qui se presente aux yeux de nostre ame! Quand je le considere dans ces desertz, je ne sçai si c'est un Ange qui fait semblant d'estre homme, ou un homme qui pretend de devenir Ange. Quelles contemplations! quelles eslevations d'esprit fait-il la dedans!

            Sa viande est admirable; car le miel represente la suavité de la vie contemplative, toute ramassee sur les fleurs des mysteres sacrés. Les locustes representent la vie active, car la locuste ne chemine jamais sur terre, ni ne vole jamais en l'air, mays, par un mysterieux meslange, tantost on la voit sautante et tantost touchante la terre pour reprendre son air; car ceux qui font la vie active sautent et touchent terre alternativement. Elle vit de la rosee et n'a point d'exercice que de chanter. Ma chere Fille, bien que, selon nostre condition mortelle, il nous faut toucher terre pour donner ordre aux necessités de cette vie, si est-ce que nostre cœur ne doit savourer que la rosee du bon playsir de Dieu en tout cela et doit tout rapporter a la louange de Dieu.

            Mais ce que cet ange terrestre est habillé de poil de chameaux, que signifie-il? Le chameau, bossu et [320] proprement fait a porter les fardeaux, represente le pecheur. Helas! pour gens de bien que soyent les Chrestiens, ilz doivent neanmoins se resouvenir qu'ilz sont environnés du peché; et si le peché ne les touche pas, au moins y a-il tous-jours du poil des cogitations, des tentations et des dangers. Ah, que c'est un habit propre a conserver la sainteté, que la robbe de l'humilité!

            Hé, voyés, je vous prie, ce saint jeune homme enfoncé dans la solitude: il y est par obeissance, attendant qu'on l'appelle pour venir au peuple. Il se tient esloigné du Sauveur, qu'il connoissoit et baysoit par affection des le ventre de sa mere, affin de ne point s'esloigner de l'obeissance, sçachant bien que de treuver le Sauveur hors de l'obeissance, c'est le perdre tout a fait.

            Au demeurant, il naist d'une vielle sterile, pour nous apprendre que les secheresses et sterilités ne laissent pas de produire en nous la sainte grace; car Jean veut dire grace.

            Mais sur tout, ma chere Fille, voyés que tout aussi tost que son pere Zacharie eut escrit le nom de ce glorieux enfant sur ses tablettes, il commence a prophetizer et chanter le beau cantique Benedictus Dominus Deus Israël. Certes, ce nom bien gravé dans nos cœurs, je veux dire, l'honneur et l'imitation de ce Saint, nous fera prophetizer et benir Dieu abondamment.

            J'ayme ce beau rossignol du bois, qui, estant tout voix et tout chant, sortant sur les advenuës de Judee, annonce le premier la venue du Soleil. Je le prie qu'il vous donne de son miel, de ses locustes et qu'il vous communique son manteau.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [321]

 

 

 

DCVII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Le trépas du «grand Roy.» — Regrets. — «Le jeune et nouveau Roy.» — Le vrai rendez-vous de nos «cogitations.» — Une charge obtenue «sans brigue, sans cour et sans argent

 

Annecy, 24 juin 1610.

 

                        Monseigneur,

            Entre plusieurs considerations qui m'ont rendu de l'ennuy sur le trespas du grand Roy que la France, avec le monde, vient de perdre, j'ay receu celle de la perte que vous y aves faite; car il vous aymoit et avoit une grande connoissance des raysons pour lesquelles il vous pouvoit encor aymer davantage. Mais il faut adorer la Providence souveraine et benir ses decretz. C'est a elle que je recommande de tout mon cœur le jeune et nouveau Roy et tout ce grand royaume.

            Je me prometz de vos nouvelles de rechef, au passage que vous feres a Lion, allant a la cour. Mon Dieu, que nostre grand amy aura esté touché rudement de ce coup! car son merite ne treuvera peut estre pas des yeux qui le regardent clairement, comme faisoyent les yeux de ce digne Monarque. Mays revenons tous-jours a cette Providence, car c'est le vray rendes vous de nos cogitations.

            Nous sommes icy sans nouvelles. M. nostre cher President s'en va pour presider a toute la justice de Savoye, plus glorieusement qu'on n'a pas fait il y a quelque tems; car il a cet honneur sans brigue, sans cour et [322] sans argent, n'ayant point eu d'autre intercession que ses merites, quoy que Monseigneur de Nemours ayt contribué sa recommandation a l'inclination de Son Altesse.

            Dieu vous prospere de plus en plus, Monseigneur, et je suis sans fin,

                                                           Vostre tres humble frere

                                                                                              et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Jour de saint Jean 1610, Annessy.

 

Revu sur une copia déclarée authentique, conservée à la Visitation de Montpellier.

 

DCVIII. A la Mère de Chantal. Comment remplacer le jeune. — Les «petites brebis» de la Mère de Chantal. — Visite de Marie à Elisabeth; amabilité de la très Sainte Vierge. — Contemplation du mystère. — Un beau pèlerinage en compagnie du Sauveur.

 

Annecy, 30 juin 1610.

 

            Mais que je suis ayse, ma chere Fille, que ces deux filles de nostre cœur ne puissent pas jeusner demain, et qu'en eschange elles ayent des petites mortifications involontaires; car j'ayme singulierement le mal que la seule election du Pere celeste nous donne, au pris de celuy que nous choysissons. Mais vous, qui estes robuste, jeusneres donq en pain et eau. Cela s'entend, ma chere Fille (car vous ne l'entendres pas, si je ne le vous dis), cela s'entend l'annee qui vient, sil y escheoit; car pour [323] celleci, vrayement, il faut estre Juifve aux Juifz et Grentile aux Gentilz, manger avec les mangeans et rire avec les rians, dit le grand Apostre de ce jourdhuy. Or, paisses donq vos petites brebis, ma chere Fille.

            Mais demain, vous verres la pauvre petite jeune Dame, enceinte du Filz de Dieu, qui vient doucement occuper l'esprit de son cher et saint mari pour avoir le congé de faire la sainte visite de sa vielle cousine Elizabeth; vous verres comme elle dit a Dieu a ses cheres voysines pour trois moys qu'elle pense estre aux chams et es montaignes; car ce mot est bon. Je pense que toutes la laissent avec tendreté, car elle estoit si aymable et amiable qu'on ne pou voit estre avec elle sans amour, ny la laisser sans douleur.

            Elle entreprend son voyage avec un peu d'empressement; car l'Evangeliste le dit, que ce fut hastivement. Ah! les primices des mouvemens de Celuy qu'ell'a en ses entrailles ne se peuvent faire qu'avec de la ferveur. O saint empressement qui ne trouble point et qui nous haste sans nous præcipiter! Les Anges se disposent a l'accompaigner, et saint Joseph a la conduire cordialement. Je voudrois bien sçavoir quelque chose des entretiens de ces deux grandes ames, car vous prendries bien playsir que je vous le dise. Mais penses que la Vierge ne sent que ce de quoy ell'est pleyne et qu'elle ne respire que le Sauveur; saint Joseph, reciproquement, n'aspire qu'au Sauveur qui, par des rayons secretz, luy touche le cœur de mille extraordinaires sentimens. Et comme les vins enfermés dans les caves ressentent sans la sentir l'odeur des vignes florissantes, ainsy le cœur de ce saint Patriarche ressent, sans la sentir, l'odeur, la vigueur et la force du petit Enfant qui fleurit en sa belle vigne. O Dieu, quel beau pelerinage! Le Sauveur leur sert de bordon, de mante et de petite bouteille a vin, a vin dis je, qui res-jouit les Anges et les hommes, et qui enivre Dieu le Pere d'un amour demesuré. [324]

            Bonsoir, chere Seur, ma Fille; bonsoir encor, mes cheres Filles, recommandes moy a cette chere Maistresse de nos vies.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Marseille.

 

DCIX. A Mademoiselle de Chapot. Les parents et les directeurs spirituels; l'autorité des uns et des autres et la confiance qu'ils méritent dans l'affaire d'une vocation religieuse. — S'il fallait ouïr l'avis des premiers, qu'arriverait-il? — Comment reconnaître la volonté de Dieu, parmi les empêchements. — Quand on a pris une bonne résolution, il faut la rectifier, si elle est excessive, mais non la rompre.

 

Annecy, 3 juillet 1610.

 

                        Madamoyselle,

            Vous aves opinion que vostre desir de vous retirer du monde ne soit pas selon la volonté de Dieu, puisqu'il [325] ne se treuve pas conforme a celuy de ceux qui, de sa part, ont le pouvoir de vous commander et le devoir de vous conduire. Si c'est de ceux a qui Dieu a donné le pouvoir et imposé le devoir de conduire vostre ame et vous commander es choses spirituelles, certes vous aves rayson; car en obeissant a ceux-la, vous ne pouves pas faillir, bien qu'eux se peuvent tromper et vous mal conseiller, s'ilz le font, principalement, regardant ailleurs qu'a vostre seul salut et advancement spirituel. Mais si ce sont ceux que Nostre Seigneur vous a donnés pour directeurs es choses domestiques et temporelles, vous vous decevres vous mesme de les croire es choses esquelles ilz n'ont point d'authorité sur vous. Que s'il failloit ouyr les advis des parens, la chair et le sang sur des telles occurrences, il se treuveroit peu de gens qui embrassassent la perfection de la vie chrestienne. Voyla le premier point.

            Le second est que, puisque non seulement vous aves desiré de vous retirer, mais vous le desireries encor s'il vous estoit permis de ceux qui vous ont retenue, c'est un signe manifeste que Dieu veut vostre retraitte, puisqu'il continue son inspiration parmi tant de contradictions, et vostre cœur, touché de l'aymant, a tous-jours son mouvement du costé de la belle estoille, quoy que rapidement destpurné par les empeschemens terrestres. Car en fin, vostre cœur, que diroit-il s'il n'estoit empesché? Vous diroit-il pas: Retirons-nous d'entre les mondains? Il a donq encor cette inspiration; mais parce qu'il est empesché, il ne la peut ou ne l'ose pas dire. Rendés-luy sa liberté affin qu'il la die, car il ne vous sçauroit mieux dire; et cette parole secrette qu'il dit tout bellement en soy mesme: Je voudrois bien, je desirerois bien sortir d'entre les mondains, c'est la vraye volonté de Dieu. En quoy vous aves tort (et pardonnés a ma naïfve liberté de langage), vous aves tort, dis-je, d'appeller les [326] empeschemens qui vous sont donnés a l'execution de cette inspiration, volonté de Dieu, et le pouvoir de ceux qui vous empeschent, pouvoir de Dieu.

            Le troisiesme point de mon advis est que vous n'estes nullement en indifference devant Dieu, puisque le desir de la retraitte qu'il vous a donné, est tous-jours dedans vostre cœur, quoy qu'il soit empesché de faire son effect; car la balance de vostre esprit tend de ce costé la, bien qu'on donne du doigt de l'autre costé pour empescher le juste poids.

            Le quatriesme, c'est que si vostre premier desir a esté excessif en quelque chose, il le faut corriger, et non point le rompre. Je me fais entendre, que vous avies offert la moitié de vos biens, ou bien le payement de cette mayson, qui est maintenant dediee a Dieu. Peut estre fut-ce trop, eu esgard que vous avies une seur chargee de grosse famille, a laquelle, selon l'ordre de charité, vous eussies plustost deu appliquer vos biens. Or sus, il faut corriger cet exces, et venir en cette mayson avec une portion de vostre revenu, autant qu'il est requis pour vivre sobrement, en laissant tout le reste a qui vous voudres, et mesme reservant la portion susdite, apres vostre mort, pour ceux a qui vous en voudres faire du bien. En cette sorte, vous corrigeres l'exces et conserveres vostre dessein, et n'y aura rien en cela qui n'aille gayement, doucement et saintement.

            En fin, prenés courage a faire une bonne resolution absolue; et bien que ce ne soit pas peché de demeurer ainsy en ces foiblesses, si est-ce que sans doute on perd beaucoup de commodité de bien advancer et recueillir des consolations grandement desirables.

            Je vous ay voulu familierement esclarcir de mon opinion, estimant que vous me feres le bien de ne point le treuver mauvais. Dieu vous donne les saintes benedictions que je vous souhaitte et la douce correspondance [327] qu'il desire de vostre cœur; et je suis en luy, avec toute sincerité,

            Madamoyselle,

                                                                       Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 3 julliet...., a Neci.

 

DCX. A M. Philippe de Quoex. Pension ou dot requise pour les postulantes de la Visitation. — «Il est vray que l'on regarde encor aux facultés.» — Le Chablais au XVIIe siècle. — Une Congrégation qui ne veut être «ni mendiante ni playdante.» — Sommaire des Règles. — Les commencements de l'Institut donnent beaucoup d'édification; à quelles âmes offrait-il un refuge.

 

Annecy, vers le 20 juillet 1610.

 

                        Monsieur,

            J'ay conferé sur vostre lettre avec les Dames qui sont desja congregees et avec ceux qui les conseillent, et ont esté d'advis de mettre en condition aux filles et femmes qui entreront en leur Congregation, que, passé la premiere annee, elles apporteront un fons d'argent ou de terre, sur lequel elles puissent estre entretenues; et cela pour autant que, comme vous sçaves, en ce païs on ne fait jamais bien les payemens des pensions, ains tout se revoque en proces.

            Or, ce fons peut estre donné en deux façons: car ou il est reversible aux parens apres le trespas de celle pour laquelle il est donné, et lhors on le demande plus gras et tel qu'il egale en revenu la nourriture de la fille; ou bien on le donne simplement pour demeurer par apres a la Congregation, et lhors on se contente de moins. Comme par exemple: jeudi on reçoit une fille d'une fort [328] honnorable famille de cette ville: pour la premiere annee du Noviciat, elle donne 200 florins; au bout de l'annee, sa mere donne absolument 4000 florins en fons. Monsieur le premier Praesident en fera de mesme, hormis en la quantité, car il donnera davantage; et ainsy de toutes les autres. Il est vray que l'on regarde encor aux facultés, car une damoyselle qui seroit de bonne volonté et n'auroit pas moyen de tant faire, on se contente de moins.

            Or, il faut parler avec vous a cœur clair. En Chablaix, on est un peu mauvais payeur. C'est pourquoy, si cette bonne damoyselle peut, il faut qu'ell'ayt une somme de trois ou quatre mille florins pour un coup, ou un fond qui les vaille, ou en fin une piece a jouir par elle mesme, qui porte 200 florins annuelz, reversible a ses parens quand elle mourra. Il seroit mieux que ce fut un fond un peu moindre et quil fut absolument a elle. Tout cela se fait ainsy, dautant que cette Congregation n'est encor point rentee, ni ne veut estre ni mendiante ni playdante.

            Quant aux Regles, voyci le sommaire, en attendant de vous faire avoir un double de toutes. Ceste Congregation reçoit femmes vefves et filles indifferemment, mais non pas les filles qu'elles n'ayt (sic) 17 ans. Elles font un'annee de probation et, quand il est expedient, deux et trois; et c'est lhors qu'en la premiere annee, elles n'ont pas encor donné tesmoignage asseuré de leur amendement. Apres leur Noviciat, on les reçoit solemnellement, non point aux vœux, car on n'en fait point de [329] solemnel, mais a l'establissement ou dedicace, a la forme que le bienheureux Cardinal Borrhomee a dressee pour les Urselines, peu de choses changees, paucis mutatis. Neanmoins elles font le vœu de chasteté simple, par l'advis du confesseur et de la Superieure. En leur establissement, elles offrent leur ame, leur cors et l'usage de leurs biens a Dieu et a Nostre Dame, pour estre le tout employé a son honneur, selon les Regles de la Congregation; mais cela se fait par une belle ceremonie.

            Les hommes n'entrent point en leur mayson en façon que ce soit, ni les femmes aussi qu'avec licence in scriptis. Les jeunes ne sortent point qu'en certains cas fort rares; les anciennes sortent pour servir les pauvres, mais avec une belle police, a la forme des Dames de la Torre di Specchi.

            Elles disent les Heures de Nostre Dame seulement, en un chant fort devot. Elles se levent l'esté a cinq heures et couchent a dix; l'hiver a six, et se couchent a dix et demi. Elles ont de un'heure le mattin et une le soir d'orayson mentale, et pour le demeurant, une police de travail, silence, obeissance, humilité, denuement de proprieté extremement stricte et autant qu'en monastere du monde. Elles communient toutes les festes et Dimanches. Si quelqu'une ne veut pas suivre l'esprit de la Congregation, [330] sa punition est d'estre mise dehors, en luy rendant neanmoins ce qu'ell'a apporté; mais cela seulement apres tout essay de les corriger. Il ny a point de jeusne que l'ordinaire de l'Eglise, sinon le vendredi et vigiles de Nostre Dame.

            Ell'est instituee sous le tiltre de la Visitation de Nostre Dame. Le commencement est fort plausible et rend beaucoup d'edification; il y vient des filles de Chamberi, Grenoble et Bourgoigne. Or en fin, c'est une Congregation simple, instituee pour les femmes et filles qui, pour leur infirmité corporelle ou pour n'avoir pas l'inspiration d'entreprendre des grandes rigueurs, ne peuvent entrer es Religions formees et reformees; car la elles auront une (sic) refuge doux et gracieux, avec la prattique des vertus essentielles de la devotion.

            Je remercie M. d'Alemand. La reformation de vostre Talloyres, que j'ay sur les bras, m'empeschera [331] d'aller si tost vers [vous], et quand j'y iray, nous prendrons le logis ou de Mme du Foug, ma tante, mon ancienne hostesse, ou de Mme d'Allemand, ma comere.

            Nostre Seigneur soit tous-jours au milieu de nos cœurs, et je suis tout en luy,

                        Vostre confrere plus humble et tres affectionné,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Monsieur

Monsieur de Quoex,

            Recteur de Ste Catherine.

                        Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Collège des PP. Jésuites de Grand-Côteau

(Louisiane, Etats-Unis).

 

 

DCXI. A Madame de Travernay. Quand on souffre, il est malaisé de prier. — Quels sont les malades capables de faire oraison. — Comment remplacer cet exercice, si nous sommes trop douillets. — Il faut reprendre, quand on est guéri, ses habitudes de prière. — Un «rare bien:» parler cœur à cœur avec son Dieu.

 

Annecy, 21 juillet 1610.

 

                        Madame ma tres chere Fille,

            Je vous escrivis avant hier seulement pour accompaigner une lettre que la bonne madamoyselle d'Escrilles [332] envoyoit a monsieur vostre mari, son frere; mays j'ayme bien mieux vous escrire maintenant sur le sujet de vostre lettre.

            Tandis que nos cors sont en douleur, il est malaysé d'eslever nos cœurs a la consideration parfaitte de la bonté de Nostre Seigneur; cela n'appartient qu'a ceux qui, par des longues habitudes, ont leur esprit entierement contourné du costé du Ciel. Mays nous, qui sommes encor tous tendres, nous avons des ames qui se divertissent aysement au sentiment des travaux et douleurs du cors; c'est pourquoy, ce n'est pas merveille si durant vos maladies vous aves intermis l'usage de l'orayson interieure. Aussi, en ce tems-lâ, il suffit d'employer les prieres jaculatoyres et saerees aspirations; car puisque le mal nous fait souvent souspirer, il ne couste rien de souspirer en Dieu et a Dieu et pour Dieu, de plus que de souspirer pour fayre des plaintz inutiles.

            Mais maintenant que Dieu vous a rendu vostre santé, il faut bien, ma chere Fille, reprendre vostre orayson, au moins pour demi heure le matin et un quart d'heure le soir avant souper; car despuis qu'une fois Nostre Seigneur vous a donné le goust de ce miel celeste, ce vous Sera un grand reproche si vous vous en degoustés, et mesmement puisque il vous l'a fait gouster avec beaucoup de facilité et de consolation, ainsy que je me resouviens fort bien que vous me l'aves advoué. Il faut donq bien prendre courage, et ne point permettre que les conversations et cette vayne sujettion que nous rendons a ceux que nous hantons, vous prive d'un si rare bien comm'est celuy de parler cœur a cœur avec son Dieu.

            Vous m'obliges certes beaucoup de me donner un peu des nouvelles de vostre ame, car la mienne l'ayme cherement et ne se peut empescher de desirer de sçavoir en quel estat elle se treuve; mais la varieté des desseins que monsieur vostre mari a eu de vous faire revenir icy [333] et de vous faire demeurer aux chams m'a retenu de vous en demander. Faites moy donq ce bien, je vous supplie, de m'escrire quelquefois, avec asseurance que je vous donne de tous-jours vous respondre, comm'aussi de correspondre fidelement a lhonneur que vous me faites de me vouloir du bien, par une tres sincere affection a vostre service.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur pour le remplir et fayre abonder en son saint amour: ce sont les souhaitz journaliers, Madame ma chere Fille, de

                                               Vostre plus humble compere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXI julliet 1610.

            Je suis fort affectionné serviteur de madame vostre chere seur et de Mlle la petite niece, ma fille, que j'honnore de tout mon cœur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'Hôtel-Dieu de Québec (Canada).

 

DCXII. A la Mère de Chantal (Inédite). Les premiers jours de la Visitation. — Les «douces amours en Jesus Christ» de l'Evêque de Genève; où se portait nuit et jour sa sollicitude.

 

Annecy, [juillet-août] 1610.

 

            Je vous remercie, ma chere Seur, ma Fille, de vos deux billetz. Ce sera bien fait de faire remedier au mal de [334] la bonne niece, duquel elle m'avoit voyrement parlé, mais avec tel mespris, que je pensois estre fort peu de chose. Dieu soit loué!

            Hier monsieur de Lux me fit sçavoir que monsieur vostre [père] se portoit fort bien. Dormés jusques a six, voire jusques a sept, si vous en aves besoin.

            Aujourdhuy je n'ay encor fait qu'un peu d'orayson, mais j'en feray, Dieu aydant; car je vous veux bien rendre rayson de ce que si justement et charitablement vous desires pour nostr'ame. La seur se porte mieux, et moy fort bien.

            Je salue ces cheres filles qui sont autour de vous: ce sont mes douces amours en Jesus Christ, et vous, ma chere Fille, vous estes mon propre cœur en Celuy qui, pour avoir le nostre, nous presente le sien tout a descouvert. Je salue bien ma chere petite et ma seur Françoise; mais a present je regarde si [fort] nostre Congregation, que j'y suis nuit et jour. C'est pourquoy je resalue ces………………………………………………………………………………………

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Autun. [335]

 

DCXIII. A Madame de la Forest, Religieuse de l'Abbaye de Bons. Subtilité de Satan. — Le Saint cherche à détruire le résultat d'une calomnie. — Bonnes nouvelles de la Maison de la Galerie.

 

Annecy, 2 août 1610.

 

                        Ma chere Fille,

            Je respons a vostre lettre du 23 julliet. Si je pouvo.is parler a celuy duquel tant de gens parlent, certes, je luy dirois fort franchement tout ce que je croirois estre propre a le retirer a soy, a Dieu, a son Eglise; mais je ne pense pas qu'il fut a propos de traitter cela par lettres. Helas, que nostr'ennemi est subtil et comme il nous conduit insensiblement aux precipices! Or, ne pouvant donq autre chose, je prieray pour ce personnage, que je cheris tendrement et de tout mon cœur.

            Je suis marri que l'on ayt poussé aux oreilles de Madame de Bons la calomnie delaquelle vous m'advertisses. C'est pour luy oster la creance qu'elle pourroit prendre en mes advis, lesquelz, a l'aventure, luy seroyent utiles; mais je ne sçaurois empescher sa credulité, ni la malice des calomniateurs. Je sçai bien, pourtant, que vrayment je n'ay parlé ni en vert ni en gri d'elle a monsieur de Lux. Seulement, me parlant d'oster les [scandales qui esto]yent a Belley, je luy dis simplement......me............................................................................................................................. il luy ostera du cœur tous ces empeschemens du peché. [336]

            Ma tres chere Fille, soyes tous-jours bien douce et suave, aymant amoureusement les creatures pour lesquelles Nostre Seigneur est mort d'amour. Mme Vignod, de Sainte Catherine, ira de dela, et je croy qu'ell'edifiera sa seur, car c'est vrayement une fille tout absolument remise en Dieu. Nostre petite mayson de ces Dames devotes se confirme fort au bien et s'accroist en nombre de personnes toutes bonnes.

            Je prie sa divine Majesté qu'a jamais elle vive et regne dedans nos cœurs, et je suis, en elle, tout fidellement vostre.

                                                                                                                                 F.

            2 Aoust 1610.

            [A Madame]

[Madame de] la Forest,

            Religieuse a Bons.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Noviciat de la Compagnie de Jésus

d'Arlon (Belgique). [337]

 

DCXIV. A Madame de Cornillon, sa sœur. La transfiguration en Notre-Seigneur. — Le séjour des vaines beautés et belles vanités. — Encouragements à monter à la céleste vision du Sauveur. Ce qui est pire que la mort pour une âme de Saint. — Partout il faut avoir bon courage, et pourquoi.

 

Annecy, [6 août 1610.]

 

                        Ma tres chere Seur,

            Ce n'est que justement pour vous donner le bon soir que je vous escris, et vous tenir asseuree que je ne cesse point de vous souhaiter mille et mille benedictions du Ciel, et a monsieur mon frere, mais particulierement celle d'estre tous-jours transfiguree en Nostre Seigneur. O que sa face est belle et que ses yeux sont doux et esmerveillables en suavité, et que c'est chose bonne d'estre aupres de luy en la montaigne de la gloire! C'est la, ma chere Seur, ma Fille, ou nous devons loger nos desirs et affections, non en cette terre, ou il n'y a que des vaines beautés et belles vanités.

            Or sus, graces a ce Sauveur, nous sommes a la montee du mont Thabor, puisque nous avons des fermes resolutions de bien servir et aymer sa divine Bonté: il nous faut donq encourager a une sainte esperance. Montons tous-jours, ma chere Seur, montons sans nous lasser, a cette celeste vision du Sauveur; esloignons-nous petit a [338] petit des affections terrestres et basses, et aspirons au bonheur qui nous est preparé.

            Je vous conjure, ma chere Fille, de bien prier Nostre Seigneur pour moy et qu'il me tienne dores en avant dans les sentiers de sa volonté, affin que je le serve en sincerité et fidelité. Voyes vous, ma tres chere Fille, je desire ou de mourir ou d'aymer Dieu; ou la mort ou l'amour, car la vie qui est sans cet amour est tout a fait pire que la mort. Mon Dieu, ma chere Fille, que nous serons heureux si nous aymons bien cette souveraine Bonté qui nous prepare tant de faveurs et benedictions! Soyons bien tous a elle, ma Fille, parmi tant de tracas que la diversité des choses mondaines nous presente. Comme voulons-nous mieux tesmoigner nostre fidelité qu'entre les contrarietés? Helas, ma tres chere Fille, ma Seur, la solitude a ses assautz, le monde a ses tracas; par tout il faut avoir bon courage, puisque par tout le secours du Ciel est prest a ceux qui ont confiance en Dieu, et qui, avec humilité et douceur, implorent sa paternelle assistance.

            Vous marches tous-jours entre nos saintes resolutions, je m'en asseure; ne vous fasches donques point de ces petitz assautz d'inquietudes et chagrins que la multiplicité des affaires domestiques vous donne. Non, ma chere Fille, car cela vous sert d'exercice a prattiquer les plus cheres et aymables vertus que Nostre Seigneur nous ayt recommandé. Croyés-moy, la vraye vertu ne se nourrit pas dans le repos exterieur, non plus que les bons poissons dans les eaux croupissantes des marais. [339]

DCXV. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Recommandation en faveur du sieur Bouvard pour la charge d'avocat fiscal.

 

Annecy, 18 août 1610.

 

                        Monseigneur,

            Puysque le sieur de la Valbonne est actuellement receu au Senat et que Vostre Excellence a gratifié le sieur Arpeaud de la judicature de Genevois, je la supplie tres humblement de favoriser le sieur Bouvard de l'estat de son advocat fiscal, l'asseurant en toute verité que la recommandation que ci devant j'ay faitte de la personne et merites d'iceluy, se treuvera moindre que le sujet ne requeroit, et qu'.................................de Vostre Excellence........ne sçauroit faire un choix plus utile a son service que celuy de cet homme lâ, vertueux, sçavant, laborieux et nourri es lettres par la grace de Vostre Excellence.

            Je prie Nostre Seigneur quil vous prospere, Monseigneur, et comble Vostre Grandeur de ses benedictions. Ce pendant, je vivray heureux d'estre,

                        De Vostre Excellence,

                                   Tres humble et tres-obeissant orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIII aoust 1610, a Neci.

                        A Son Excellence.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à la famille Berthet, à Annecy. [340]

 

 

 

DCXVI. A M. Antoine des Hayes. Un trépas vraiment pitoyable. — Le Saint relève le courage de son ami, dont la mort de Henri IV semblait avoir compromis la fortune. — Comment se ménager la protection de la Providence. — Souhaits pour la France et la famille royale.

 

Annecy, 30 août 1610.

 

            Ce papier vous portera simplement des paroles qui sortent du fond de mon cœur sur la derniere lettre que j'ay receüe de vostre part, il y a pres de six semaines.

            Certes, le trespas de ce grand Roy m'a touché de compassion en cent façons et par cent motifz, car vrayement il a esté pitoyable. Mais vostre consideration a tenu l'un des premiers rangs a m'assaillir de desplaysir; car, mon Dieu, cet excellent esprit de Prince avoit seulement commencé a vous çonnoistre, et voyla qu'il est ravi a vostre fortune affin qu'elle ne vive plus si heureuse. Mais faites, mon cher Monsieur, que je cheris a l'esgal de mon cœur, faites tous-jours vivre courageusement vos vertus qui, aussi bien, sont immortelles, et je me prometz ce contentement de voir qu'un peu d'interruption que la perte de ce grand Roy fait a vostre bonheur, ne servira que de reprise d'haleine a vostre fortune; car en fin, c'est Dieu qui manie les resnes du cours de nostre vie, et nous n'avons point d'autre fortune que sa providence, laquelle sera tous-jours specialement sur vous quand vostre amour sera special en son endroit. Je la supplie de tout mon cœur qu'elle soit speciale a la France et a son petit Roy et a sa grande Reyne.

            Je vous avois escrit sur ce sujet bien tost apres le coup; mais, a ce que je voy, mes lettres ne vous sont point venues en main. Oh bien, vous aves la Monsieur [341] de Montpellier, et m'asseure que vostre mutuelle prudence aura apporté tout le soulagement a vos espritz qui se peut recevoir. Pour moy, Monsieur, je; vous conjure de croire que vous n'aves point de cœur au monde qui soit plus absolument en la pensee du bien qu'il a d'estre si parfaittement aymé de vous.

            Dieu vous benisse et prospere de plus en plus en ses graces et consolations, et suis irrevocablement,

                        Monsieur,

            Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            30 aoust 1610.

 

 

 

DCXVII. A la Mère de Chantal. Hésitations à faire venir en Savoie le P. de Monchy. — Souhait du Saint pour Mme de Chantal.

 

Annecy, 4 ou 5 septembre 1610.

                        Ma tres chere Seur, ma Fille,

            Ce bon hermite, venu de la part du P. de Monchi, me dit hier au soir que si ledit P. de Monchi venoit, il reviendroit aussi avec luy, par ce qu'il s'estoit mis sous son obeissance et l'avoit pris pour Superieur. Cela, ma [342] chere Fille, me tient encor plus en opinion de differer encor un peu a le faire venir, en luy parlant neanmoins en sorte que s'il vouloit venir, il n'en fut pas du tout forclos; car, pour parler entre nous deux, sil vient sur ma parole, il me sommera de le si bien accommoder que j'en auray bien de la peyne, ce quil ne feroit pas sil venoit d'autre façon; car le bonhomme va selon son esprit, et je ne desire point de luy donner aucun sujet de plainte.

            Mais dites moy vostre advis sur cela, ma tres chere Fille, a laquelle je souhaite incessamment un parfait engloutissement en l'amour tres pur de Nostre Seigneur, auquel soit honneur et gloire.

            Bonjour, ma tres chere Fille, ma Seur. Nostre Baron a peyne de penser au retour, mais il me semble tous-jours qu'il l'y faut disposer.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de San Remo (Italie).

 

 

 

DCXVIII. A la même. La méthode de Mme de Chantal. — La confession de Françon. — Doux pressentiments intimes à l'approche de la fête de la Nativité de la très sainte Vierge. — La céleste Pouponne.

 

Annecy, 7 septembre 1610.

 

            Je treuve certes encor meilleur (sic) la methode que vous dites, d'escrire au P. de Monchi tout nuement vostre pensee, ma tres chere Fille, car apres cela il ny aura rien a dire. Ce bon Frere qui est icy, ne partira que jeudi, car tout aujourdhuy j'ay esté tant tracassé quil n'est pas possible de plus. [343]

            Ne jeusnes pas, ma tres chere Fille, ni nostre fille de Brechard; car, quant a vous, je me souviendray bien, apres que vous seres bravement guerie, de vous faire jeusner un samedi en eschange.

            Envoyes moy nostre Françon, que nous confesserons ce soir. Parles amiablement, mais gravement, au bon enfant M. de Grenier, lequel j'espere fera quelque chose de bon.

            Nostre cher neveu a certain desir de ne retourner pas vers le pere, mais je n'y vois point d'apparence. Il faut bien tout cet hiver pour la digestion de nostre resolution.

            Au demeurant, je me suis treuvé ce matin, avec une certaine douceur et tranquillité d'esprit, sans aucun ressentiment de l'estonnement que mon cœur avoit eu, que j'ay conneu clairement que la venue de Nostre Dame s'approchoit, par un presentiment de sa douce lumiere. J'ay envie de vous parler un peu bien a loysir de cela.

            Cependant, bon soir, ma tres chere Fille, ma Seur; faites bien la cour a cette celeste Pouponne qui nous arrive, et luy demandes sa grace pour impetrer celle de son Filz. Jamais je n'eu tant de sainte affection que j'en ay pour nostre ame et nostre tres unique cœur.

            A Madame

Madame de Chantal,

                        ma tres chere Fille.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Metz. [344]

 

 

 

DCXIX. A Madame de Travernay. Une âme docile. — L'exercice de l'amour sacré et les tribulations. Un spectacle encourageant.

 

Annecy, 11 septembre 1610.

 

                        Madame,

            Mais moy, j'ay bien de la consolation de vous voir recevoir si doucement les essais que je fay au service de vostre chere ame, laquelle voyant marquee de plusieurs graces celestes, je ne puis que je n'ayme tendrement et puissamment. C'est pourquoy je luy souhaitte de plus en plus beaucoup d'avancement au saint amour de Dieu, qui est la benediction des benedictions.

            Or, vous sçavés, ma tres chere Fille, que le feu que Moyse vit sur la montaigne representoit ce saint amour, et que, comme ces flammes se nourrissoyent entre les espines, aussi l'exercice de l'amour sacré se maintient bien plus heureusement parmi les tribulations qu'emmi les contentemens. Vous aves donq bien occasion de connoistre que Nostre Seigneur desire que vous proffities en sa dilection, puisqu'il vous donne une santé presque tous-jours incertaine et plusieurs autres exercices.

            Mon Dieu, ma tres chere Fille, que c'est chose douce de voir Nostre Seigneur couronné d'espines sur la croix et de gloire au Ciel! car cela nous encourage a recevoir les contradictions amoureusement, sçachans bien que, par la couronne d'espines, nous arriverons a la couronne de felicité. Tenés vous tous-jours bien serree et jointe a [345] Nostre Seigneur, et vous ne sçauries avoir aucun mal qui ne se convertisse en bien.

                        Madame,

                                   Vostre humble et tres affectionné serviteur

                                                                       et compere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 11 septembre 1610,

 

DCXX. A Madame de la Fléchère. Parmi les afflictions, les unes sont plus affligeantes, les autres plus dangereuses pour l'âme. — Pourquoi le tracas des procès, plus que tout autre, ôte la paix intérieure. — La seule perte que nous devons craindre en cette vie. — Comment les procès peuvent servir à l'avancement spirituel, — Exemple de Notre-Seigneur. — Le moyen d'être toujours assez riche.

 

Annecy, 19 septembre 1610.

 

                        Ma tres chere Fille,

            J'ay sceu la multitude de vos peynes et je les ay recommandees a Nostre Seigneur, affin qu'il luy pleust de les benir de la sacree benediction de laquelle il a beni celles de ses plus chers serviteurs, affin qu'elles soyent employees a la sanctification de son saint nom en vostre ame.

            Et faut que je confesse qu'encor qu'a mon advis les afflictions qui regardent les personnes propres et celles des proches soyent plus affligeantes, neanmoins celles des proces me donnent plus de compassion, parce qu'elles sont plus dangereuses pour l'ame. Combien de gens avons-nous veu, en paix dans les espines des maladies et perte des amis, perdre la paix interieure dans les tracas [346] des proces exterieurs? Et voyci la rayson, ou plustost la cause sans rayson: nous avons peyne de croire que le mal des proces soit employé de Dieu pour nostre exercice, parce que nous voyons que ce sont les hommes qui font les poursuittes; et, n'osans pas nous remuer contre cette Providence toute bonne, toute sage, nous nous remuons contre les personnes qui nous affligent et nous en prenons a eux, non sans grand peril de perdre la charité, la seule perte delaquelle nous devons craindre en cette vie.

            Or sus, ma tres chere Fille, quand voulons nous tesmoigner nostre fidelité a nostre Sauveur, sinon en ces occasions? Quand voulons nous tenir en bride nostre cœur, nostre jugement et nostre langue, sinon en ces pas si raboteux et proches des precipices? Pour Dieu, ma tres chere Fille, ne laissés pas passer une sayson si favorable a vostre avancement spirituel, sans bien recueillir les fruitz de la patience, de l'humilité, de la douceur et de l'amour de l'abjection. Souvenés-vous que jamais Nostre Seigneur ne dit un seul mot contre ceux qui le condamnerent, il ne les jugea point; il fut jugé et condamne a tort, et il demeura en paix et mourut en paix, et ne se revengea qu'a prier pour eux. Et nous, ma tres chere Fille, nous jugeons nos juges et nos parties, nous nous armons de plaintes et de reproches. Croyés-moy, ma tres chere Fille, il faut estre forte et constante en l'amour du prochain; et je dis cecy de tout mon cœur, et sans avoir esgard ni a vos parties, ni a ce qu'ilz me sont, et m'est advis que rien ne me touche en ces rencontres que la jalousie de vostre perfection.

            Mais il faut que je cesse, et je ne pensois mesme en tant dire. Vous aures Dieu tous-jours quand il vous plaira: et n'est-ce pas asses estre riche? Je le supplie que sa volonté soit vostre repos, et sa Croix vostre gloire, et je suis sans fin,

                                                           Vostre tres humble et invariable

                                                                       serviteur en luy,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve,

            Le 19 septembre 1610. [347]

DCXXI. A M. Jean-Francois Ranzo (Inédite). Les débuts de la Congrégation. — La Patronne qu'elle a choisie. — Attestation du culte rendu au bienheureux Amédée dans le monastère de Talloires et à Chambéry; à son passage dans cette ville, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie refoit les hommages de François de Sales.

 

Annecy, 29 septembre 1610

 

            Molto Illustre Signor osservandissimo,

            All' ultima di V. S. molto Illustre rispondo con queste quatro righe, lasciando poi al signor Collaterale de Quoex, latore, di dire anco il restante secondo che insieme n'habbiamo ragionato.

            La Congregatione di queste gentildonne è eretta con molta sodisfattone de' buoni che le vedono; et dovendo mandare a Roma per havere la benedittione et qualche Indulgenze da Sua Santità, tentaremo anco se l'oratorio potrà dedicarsi all' onor del beato Amedeo, [348] se bene la Congregatione ha desiderato per Patrona la Beata Vergine della Visitatione per molti rispetti.

            Et quanto alla Messa celebrata nel monasterio di Talloyres al honor di detto beato Principe, non ho potuto cavar altro se non che il signor Claudio Nicolò de Quoex, fratello del signor latore, il quale è Priore claustrale di detto Talloyres, essendo giovine Novitio rispondeva le Messe, e si ricorda molto bene di haver veduto detta Messa in antiquo messale et di haver spesse volte risposto alla Messa medesima del beato Amedeo, celebrata da un suo zio che pur era Priore claustrale et si chiamava [349] Amedeo. Ma del messale non ci n' è più cosa alcuna, essendo detto Priore stato un pezzo absente alli studii.

            Bisogna anco ch'io dica che essendo andato a far riverentia all' Altezza del Signor Principe, che passo l'altro giorno in Ciamberi, egli fu, et io con lui, nella capella di Santo Amedeo nella chiesa di San Francesco; et è una capella tanto authentica et l'imagine posta sopra l'altare in tal modo, che altrimenti non si potrebbe fare, nè con maggior decoro se fosse per San Pietro. [350]

            Et con questo, pregho nostro Signor Iddio che a V. S. molto Illustre dia ogni vero contento.

                        Di V. S. molto Illustre,

            Affettionatissimo servitore in Christo,

                        FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Neci, alli XXIX di Settembre 1610.

            Al molto Illustre Sigr osservandissimo,

Il Sigr Giovan Francesco Ranzo,

            Gentilhuomo della Camera di S. A. Serma.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Gaspard Cassinis, à Turin.

 

 

 

            Très Illustre et très honoré Seigneur,

            Je réponds par ces quatre lignes à la dernière lettre de Votre très Illustre Seigneurie, en laissant au porteur, M. le collatéral de Quoex le soin de dire le restant, d'après les entretiens que nous en avons eus ensemble.

            La Congrégation de ces dames est érigée à la grande satisfaction des gens de bien qui la voient. Aussi, comme je dois faire demander à Rome la bénédiction de Sa Sainteté avec quelques Indulgences, je verrai si l'oratoire peut être dédié à l'honneur du bienheureux Amédée. Cependant, pour plus d'un motif, la Congrégation [348] a désiré comme Patronne la Bienheureuse Vierge de la Visitation.

            Quant à la Messe célébrée en l'honneur du bienheureux Prince au monastère de Talloires, je n'ai pu recueillir que ceci: M. Claude-Nicolas de Quoex, frère du porteur et prieur claustral de Talloires, étant jeune Novice, servait les Messes. Or, il se rappelle très bien avoir vu dans un ancien missel cet office, et d'avoir servi ladite Messe du bienheureux Amédée, célébrée par un de ses oncles qui [349] était aussi prieur claustral et se nommait Amédée. Mais du missel, il ne reste aucune trace, parce que ledit prieur est resté longtemps absent pour cause d'études.

Je dois ajouter que j'allai présenter mes hommages à Son Altesse Mgr le Prince, qui passa l'autre jour à Chambéry. Il se rendit, et je l'accompagnai, dans la chapelle de Saint-Amédée, à l'église Saint-François. C'est une chapelle tellement authentique et l'image est placée sur l'autel de telle façon, qu'on ne saurait, s'il s'agissait de saint Pierre, disposer les choses autrement, ni avec plus d'apparat. [350]

            Sur ce, je prie Dieu notre Seigneur d'accorder à Votre très Illustre Seigneurie tout vrai contentement.

            De Votre très Illustre Seigneurie,

                        Le très affectionné serviteur dans le Christ,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 29 septembre 1610.

Au très Illustre et très honoré Seigneur,

            M. Jean-François Ranzo,

Gentilhomme de la Chambre de Son Altesse Sérénissime.

 

 

DCXXII. A Madame de la Fléchère. Condoléances sur la mort de M. d'Avully, père de la destinataire. — Raisons d'espérer que Dieu l'aura reçu dans l'Eglise triomphante.

 

Septembre-octobre 1610.

 

                        Madame,

            Je regrette avec vous la perte que nous avons faite de la presence de monsieur vostre pere, et loüe neanmoins [351] Nostre Seigneur avec vous du gain qu'il a fait, en eschange de cette miserable vie mortelle, avec la tres heureuse vie celeste a laquelle il a esté appellé. Cette grace si signalee par laquelle il fut retiré d'entre les bras de l'erreur pour estre remis au giron de la sainte Eglise militante, me fait croire que sa divine Majesté ne l'aura pas retiré du giron de la militante que pour le loger en celuy de la triomphante, puisque mesme, quoy qu'il soit mort au milieu de l'heresie, il est neanmoins trespassé en la foy et union de cette sainte Eglise militante, sa mere et mere de tous les enfans de Dieu.

            Soyés donq toute consolee en cette veritable confiance, ma chere Seur, et continues avec fermeté a servir sa divine Majesté en pureté et sincerité. Je la supplie qu'elle regne par son saint amour au milieu de nos cœurs, et suis,

                        Madame,

                                   Vostre tres humble serviteur et frere

                                               en Nostre Seigneur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Madame

Madame de la Flechere. [352]

 

 

DCXXIII. A la Mère de Chantal. Pourquoi François de Sales travaille avec zèle au Traitté de l'Amour de Dieu. — «Petites lanterneries» et «petites clartés.» — La parfaite résignation. — Une lettre où il est parlé mignardement de Celse-Bénigne.

 

Annecy, 9 octobre 1610.

 

            Je n'ay garde, ma tres chere Fille, de me rendre negligent en la besoigne que Dieu m'a mise en main pour la gloire de son saint amour, car c'est la verité que je n'en sçaùrois chevir qu'avec un grand effort, dautant que cet amour est un abisme des cœurs et des espritz. Je desire fort de vous entretenir tout un' apres disner, mais tenes un peu bien prest ce que vous aves a me dire, et vos petites lanterneries, dans lesquelles, si je puis, je mettray aussi des petites clartés, affin que vos lanternes ne soyent pas du tout inutiles.

            J'avois dit a M. Michel que vous communieries; et ce grand Saint merite bien qu'on face soigneusement sa feste, quand ce ne seroit que pour apprendre a porter nos testes et que nos testes ne nous portent pas, qui est la perfaite resignation.

            Je vis des hyer la lettre du bon Pere, et pour ce qui me regarde, je vous en entretiendray la centiesme partie d'un quart d'heure, car il ny a pas pour davantage. Mais quant a vostre Celse Benigne, gardes bien que vous savouriés delicieusement tout ce qui est dit si joliment de luy, car c'est vostr'enfant. Dieu luy donnera beaucoup de grandes perfections et solides, sil exauce mes [353] prieres. Je verray voir si je pourray gaigner l'esprit de nostre Seur Jaqueline, et seray bien discret a la persuader. Voyla donq la chere lettre que je vous renvoye, car je ne voudrois estre plus longuement depositaire d'un escrit qui parle de Celse Benine si mignardement.

            Bon soir, ma tres chere Seur, ma Fille; soyes bien toute a Nostre Seigneur. Je le supplie quil vous face abonder en son tressaint amour et toutes nos cheres filles. Je vay escrire a la petite seur par monsieur son mari qui s'en reva. Lundi, Dieu aydant, nous dirons le reste. Sa divine Majesté remplisse et occupe a jamais tout nostre cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Lyon, paroisse de Saint-Joseph.

 

DCXXIV. A Mademoiselle de Vallon (Inédite). Une nouvelle postulante pour la Maison de la Galerie. — Par quelles vertus s'entretient le désir de la vie religieuse.

 

Annecy, 28 octobre 1610

 

            Madamoyselle, Vostre desir de vivre toute a Nostre Seigneur m'est extremement aggreable, et vous tesmoigneray combien [354] j'en [ai de mon] costé pour vous en faire reuscir heureusement, quand monsieur vostre pere apportera ce qui est requis de sa part. Et ce pendant, nourrisses cherement la sacree inspiration que Dieu vous a donnee, par tous les bons exercices qui peuvent establir vostre cœur en l'humilité, douceur et pureté; car si vous jettes ainsy vostre fiance en cette souveraine Bonté, ell'abbregera les jours pour vous faire plus tost jouir de la retraitte a laquelle elle vous appelle.

            Donnes moy part a vos prieres, puisque je suis,

                        Madamoyselle,

                                   Vostre tres affectionné et bien humble

                                               en Nostre Seigneur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII octobre 1610.

                        Madamoyselle

            Madamoyselle de Vallon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montpellier. [355]

 

DCXXV. A M. Philippe de Villers. Différend avec le Chapitre de Belley, à propos des cures et églises des paroisses vacantes. — Affaire de M. de Sauzéa. — La vérité est toujours la plus forte.

 

Annecy, 4 novembre 1610.

 

                        Monsieur mon bon Pere,

            A ce renouvellement des entrees de la cour, me voyci a vostre porte, requerant quil vous playse avoir le soin et de l'affaire de ce porteur et de celle que j'ay pour la cure des Abergemens contre le Chapitre de Belley, qui a le tort principalement en ce quil me veut priver de la garde des cures et eglises parrochiales vacantes, contre toute rayson, contre toute coustume et contre les [356] articles que nous avions signés et arrestés par composition amiable, mais articles lesquelz ayans esté rompuz de leur part, je ne restabliray pas si aysement; puysque mesme je reconnois tous les jours plus clairement que leurs provisions du doyenné de Seyserieu sont foibles et imbecilles, au pris de celles de monsieur de Vitré, et que d'ailleurs ces messieurs ne songent qu'a s'avancer sur l'authorité de l'Evesque, qu'a pervertir la discipline ecclesiastique et qu'a nous introduire des methodes contraires aux Conciles. Je vous supplie donq de me bien favoriser pour ce regard.

            Et quant a l'affaire de M. de Sauzea, j'ay appris chose qui m'a despieu; et c'est que sa partie a remis son droit a M. Gontier, homme puissant et de grand credit, comm'on me dit. Neanmoins, la verité est tous-jours la plus forte.

            Je n'escriray point pour ce coup a madamoyselle ma chere mere, par ce que ce porteur me presse et m'a treuvé entre mille embarassemens; mais il ne passera beaucoup de jours que je ne repare ce defaut. Ce pendant je prieray Nostre Seigneur pour vous, Monsieur, et pour [357] elle, comm'estant inviolablement de tous deux, avec un cœur tout filial,

                        Bien humble et tres asseuré serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            4 novembre 1610.

            A Monsieur

Monsieur de Vilers,

            Advocat au Parlement.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Valence.

 

 

 

DCXXVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Le profit qu'on peut retirer d'un mal incurable. — En quels cas le monde juge sévèrement les âmes qui l'ont quitté pour le cloître; celles-ci perdent toujours quelque chose aux sorties. — Il faut avoir quelque égard à l'opinion publique. — Une ancienne coutume du monde; son pharisaïsme. — Contrairement à l'esprit du siècle, c'est aux supérieurs à gagner les inférieurs. — Une abbesse et une prieure un peu refroidies; exhortation du Saint pour ramener entre les deux sœurs l'amitié fraternelle.

 

Annecy, 6 novembre 1610.

 

            Certes, j'ay bien eu du contentement de sçavoir de vos nouvelles apres tant de tems que j'avois demeuré sans en recevoir, ma tres chere Fille, par vous mesme; car, que me peuvent dire de certain, de vous ni de vos affaires, tous les autres?

            Mays, ma tres chere Fille, en fin tous les remedes humains se sont treuvés inutiles pour la guerison de cette pauvre jambe, qui vous donne une peine qu'il faut sagement convertir en pœnitence perpetuelle. A la verité, j'ay tous-jours eu cette cogitation, que toutes ces applications reusciroyent tres mal, et que c'estoit un coup que la Providence celeste vous avoit donné, affin de vous donner sujet de patience et mortification. O quelz tresors pouvies vous assembler par ce moyen! Il le faut faire dores en avant, et vivre comm'une veritable rose entre les espines.

            Mays on m'a escrit que vous esties au Puy d'Orbe avec de vos Filles, et le reste estoit demeuré a Chatillon. Cela est vray, car l'eusse [on pas dit, je l'eusse deviné. Mais ça esté pour peu, ce me dites-vous,] et pour un bon et legitime sujet. Je le croy; mays croyes moy aussi, ma tres chere Fille, que comme les filles qui ont quitté le monde devroyent ne le jamais vouloir voir, aussi le monde qui a quitté les filles ne le (sic) voudroit jamais voir, et pour peu qu'il les voye, il s'en fasche et murmure. C'est la verité aussi que l'on perd tous-jours quelque chose aux sorties qui peuvent, voire mesme avec quelque perte temporelle, estre evitees. Pour cela, si vous escoutes mes advis, vous sortires le moins quil vous sera possible, et mesme pour ouyr les sermons, puisque vous aures bien le credit d'avoir quelquefois le praedicateur en vostre oratoire, qui dira des choses toutes propres pour vostre assemblee.

            Certes, il faut avoir quelque egard a la voix commune, et faut beaucoup faire de choses pour eviter les bruitz des enfans du monde. Certes, si je sçavois, disoit ce grand spectacle de religion et de devotion, saint Paul, si je sçavois qu'en mangeant de la chair je donnasse du scandale au prochain, je n'en mangerois jamais a l'aeternité. Contentes en cela messieurs vos parens, et je croy qu'apres vous pourres confidemment leur demander du secours pour vous bien loger, car il me semble que je les [voy qui disent: Pourquoy loger a] commodité des filles…..qui sortent [359] et vont parmi le monde? Et le desplaysir qu'ilz ont de ces sorties fait qu'ilz en exagerent la quantité et qualité. C'est l'ancienne coustume du monde de treuver qu'il luy est loysible de parler des ecclesiastiques a toute main, et croit que pourveu qu'il ayt quelque chose a dire sur iceux, il ni aura plus rien a dire sur ses partisans.

            Or sus, ni auroit pas moyen que vous sçeussies treuver le biays par lequel il faut prendre et garder le cœur et l'affection de madame la Prieure nostre seur? car encor que selon le monde c'est aux inferieurs a rechercher la bienveuillance des superieurs, si est ce que selon Dieu et les Apostres c'est aux superieurs a rechercher les inferieurs et les gaigner; car ainsy fait nostre Redempteur, ainsy ont fait les Apostres, ainsy ont fait, font et feront a jamais tous les Praelatz zelés en l'amour de leur Maistre. Je confesse que je n'admire nullement que vos proches se scandalizent de voir la froideur de l'amitié qui est entre deux seurs naturelles, deux seurs spirituelles, deux seurs Religieuses. Il faut remedier a cela, ma tres chere Fille, et ne permettre pas que cette tentation dure. Il se peut faire qu'ell'ayt le tort, mais du moins aures vous celuy la, de ne la pas ramener a vostre amour par le tesmoignage continuel et incessable de celuy que vous luy deves selon Dieu et le monde.

            Vous voyes de quelle liberté j'use a vous [dire mes sentimens, ma chere Fille, car vous estes] une fille que je desire estre tous-jours victorieuse de la victoire que l'Apostre annonce: Ne soyes point vancu (sic) par le mal, mais vainques le mal par le bien. Si je vous parlois autrement, je vous trahirois; et je ne puis ni ne veux vous aymer que tout a fait paternellement, ma tres chere Fille, que je prie Nostre Seigneur vouloir combler de graces [360] et [de] ses consolations, saluant tres humblement toute vostre chere compaignie.

                        Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          F. E. de Geneve.

            VI novembre 1610.

                        A Madame

            Madame l'Abbesse [du] Puys d'Orbe.

                        Chatillon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Saint-Loup-sur-Aujon (Haute-Marne),

au Pensionnat du Coeur Immaculé de Marie.

 

 

 

DCXXVII. A M. Pioton. Prière de retirer un legs en faveur d'une œuvre pieuse.

 

Sales, 9 novembre 1610.

 

                        Monsieur,

            Je vous prie de prendre la peyne de retirer le legz fait a la Sainte Mayson, duquel ou vous ou l'hoir aves adverti M. de Blonnay, affin qu'il soit employé, selon l'intention du legataire, en une œuvre grandement pieuse [361] qui se praesente maintenant. Et puysque le sieur de Blonnay vous en escrit encor, je n'employeray rien de plus pour ce sujet, qui suis tous-jours de tout mon cœur,

                        Monsieur,

            Vostre plus humble, tres affectionné serviteur

                        en Nostre Seigneur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Sales, 9 novembre 1610.

A Monsieur Piotton,

            Advocat au Souverain Senat.

 

DCXXVIII. Au Président Antoine Favre. Les curés de Valromey et le Parlement de Dijon. — Le Saint réclame l'intervention de son ami pour obtenir du Sénat une pièce utile au procès.

 

Annecy, 20 novembre 1610.

 

                        Monsieur mon Frere,

            Quelques curés de Valromey ont des proces a Dijon ausquelz j'ay deu intervenir pour les droitz de l'evesché. Or, nous sommes reduitz a devoir preuver que nous avons ci devant conferé les cures par le concours, et que, quand il est arrivé quelque proces devant le Senat pour ce regard le Senat a jugé selon ce concours et en faveur d'iceluy. C'est pourquoy ce porteur [362] recourt a vous affin quil vous playse favoriser la supplication quil presentera, pour obtenir une declaration propre pour fayre foy au Parlement de Digeon de ce que nous avons allegué, ainsy que je viens de dire.

            J'en parlay l'autre jour a monsieur l'advocat general, qui me dit que malaysement obtiendrions-nous une telle declaration, mais que le Senat feroit bien faire un'information par un commissaire deputé de sa part, qui pourroit servir autant que l'attestation mesme; ce qui suffiroit, car je ne suis point attaché a la maniere. Je vous supplie donq, Monsieur mon Frere, de nous gratifier en cett'occasion, laquelle nous est importante et qui regarde une grande suite.

            Je prieray ce pendant Nostre Seigneur quil vous conserve et prospere de plus en plus, demeurant,

                        Monsieur mon Frere,

                                               Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XX novembre 1610.

                        A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges,

            Conseiller d'Estat de S. A.,

                        Premier President de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [363]

 

DCXXIX. A Madame de Cornillon, sa sœur (Fragment). Les croix domestiques; il faut savoir les bien prendre.

 

Sales, 23 ou 24 novembre 1610.

 

            J'ay appris que mon frere et vous, estes tous-jours, et de plus en plus, exercés par les volontés de monsieur vostre pere. Ma Fille, si vous sçaves bien prendre cette croix, vous seres bien heureuse, car Dieu vous donnera en eschange mille benedictions, non seulement en l'autre vie, mais mesme en celle cy; mais il faut estre courageuse et perseverante en douceur et patience.

Madame de Chantal se recommande mille fois tres affectionnement a vous et vous souhaitte continuellement accroissement de l'amour de Dieu.

            Bon jour, ma chere Fille, ma Seur; je suis

                                                                                  Vostre frere tout vostre,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Sales, d'ou je pars vendredy pour aller a mon devoir en ces Advens. [364]

 

 

 

DCXXX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Une tranquillité fainéante et trompeuse. — Quand faut-il augmenter les Communions, au lieu de les diminuer. — Le Saint, ennemi, dans ses visites, des cérémonies, compliments et perte de temps.

 

Sales, 24 novembre 1610.

 

            Or sus, il faut donq bien tous-jours perseverer, ma tres chere Fille, a colloquer vivement toute vostre confiance en Nostre Seigneur parmi ce grand embarras d'affaires qui sont dessus vos bras, qui vous servira de juste sujet pour vous bien fonder en la resignation et tranquillité; car la tranquillité qui n'est pas exercee par la tempeste est une tranquillité faineante et trompeuse.

            Mais pourquoy dites-vous, ma chere Fille, que s'il vous faut aller a Chambery vous craignes d'interrompre vos exercices, et particulierement celuy de la Communion? O Dieu, ma Fille, un peu de diligence de plus vous conservera vos exercices sains et sauves entre tous ces tracas. Il s'en faut bien garder de quitter le manger quand il faut travailler; au contraire, il le faut accroistre. Ayés bon courage, ma chere Fille, il faut bien tenir nostre cœur a l'espreuve de toutes rencontres.

            Vrayement je desire fort de vous aller voir, mais je voudrois, s'il se pouvoit, que ce fust sans avoir occasion de m'engager en ceremonies, complimens et perte de tems ailleurs, comme je crois la chere seur vous devoir avoir dit; car si ce n'eust esté cette consideration, puisque j'avois le pied a l'estrier, je fusse retourné de Chambery par devers vous. Or bien, comme que ce soit, [365] nous demeurerons tous-jours bien unis, Dieu aydant, au desir de servir et aymer parfaitement nostre Sauveur.

            Je vous escris sans loysir. A Dieu, ma tres chere Fille, a Dieu soyons nous a jamais. Amen. Je suis en luy, tres entierement tout vostre et

                                               Vostre plus humble compere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            24 novembre 1610.

A Madame de la Flechere.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

DCXXXI. A la Mère de Chantal. Quelques bonnes pensées pour passer l'Avent avec dévotion: trois objets capables de ravir les cœurs en la sainte dilection.

 

Annecy, 28 novembre 1610.

 

            Vous voules, ma tres chere Fille, quelques bonnes pensees qui aydent a nos Seurs a passer les Advens avec autant de devotion qu'elles en ont le desir. Que vous diray je, ma Fille, sinon que la sainte Eglise Romaine, nostre mere, conduit aujourd'huy ses enfans a Sainte Marie la Majeure pour y faire la station et y commencer les Advens. Faysons en de mesme, ma tres chere Fille; entrons en esprit dans l'intention de la sainte Eglise, et dans cette unité, retirons nous aupres de la sacree Vierge, nostre bonne Mere et Maistresse.

            Nous verrons dans ce mois trois objetz, non seulement capables d'occuper nos ames, mays qui doivent [366] ravir nos cœurs en la sainte dilection. Le premier objet, c'est Marie conçeùe sans peché; le second, saint Jean, l'enfant de la grace, criant au desert pour faire aplanir les chemins pour FEspoux qui doit arriver; le troisiesme, ce mesme Espoux et Sauveur arrivant par sa sainte naissance, qui nous fait chanter joyeusement a Noël l'EmmanuelDieu avec nous.

            Voyla asses dequoy mediter, ma Fille, jusques a ce que je vous voye avec la chere petite trouppe, que Dieu veuille benir.

 

Revu sur un ancien Manuscrit de l'Année Sainte de la Visitation,

conservé au 1er Monastère d'Annecy.

 

 

 

DCXXXII. A Monseigneur Vespasien Gribaldi, ancien Archevêque de Vienne. Le Prélat destinataire est prié de vouloir bien réconcilier un cimetière profané par un assassinat.

 

Annecy, 1er décembre 1610.

 

                        Monseigneur,

            Je reçois un extreme desplaysir du malheur arrivé ces jours passés a Saint Paul; malheur environné de cent deplorables circonstances. Mays celle du violement du cimetiere me regardant, affin d'y donner le plus digne et [367] prompt remede que je puis, je vous supplie tres humblement, Monseigneur de vouloir, en quelque journee aggreable, prendre la peyne de faire la reconciliation requise; en quoy vous favoriseres infiniment ce pauvre peuple qui, ne pouvant mais du crime, ne laysse pas de souffrir la privation de cette commodité spirituelle, et m'obligeres de rechef a vostr'obeissance, a laquelle pour tant d'autres raysons je suis tout voué et dedié.

            Cependant je prieray Nostre Seigneur quil vous prospere et multiplie vos ans en sa benediction, qui est le souhait ordinaire de celuy qui, vous baysant tres humblement les mains, se tient glorieux d'estre,

                        Monseigneur,

                                   Vostre tres humble et tres obeissant

                                   filz et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            1 decembre 1610.

                        A Monseigneur

Monseigneur le Rme Archevesque de Vienne.

                        A Evian.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais),

Archives de Blonay. [368]

 

 

 

DCXXXIII. A la Mère de Chantal. Pratique conseillée à la Mère de Chantal pour s'attirer la spéciale protection de Notre-Dame.

 

Annecy, 3 décembre 1610.

 

            Sur ces nouveaux courages que nous prenons, je voy arriver la feste de la Conception de Nostre Dame, feste de tres particuliere devotion a ceux qui sont voués et dediés a son service. Affin donques qu'elle prene en sa speciale protection nostr'ame et nostre Congregation, nous commencerons ce jour la a communier quotidiennement; et je vous en advertis a l'avantage, affin que ces jours d'entredeux soyent employés a la preparation de la reception d'un si excellent benefice. Ces grans Saintz qu on celebre ces jours, viennent a propos pour nous ayder: saint Nicolas, saint Ambroyse, et demain sainte Barbe. Dimanche, c'est le jour des louanges de saint Jean Baptiste prononcees magnifiquement par le Sauveur de nos ames.

            C'est le bon jour que je vous donne, ma tres chere Fille, sans pour cela vouloir dire que je ne vous aille voir quand je pourray.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Versailles, dans la Maison de Notre-Dame

de la Retraite au Cénacle. [369]

 

 

 

DCXXXIV. Au Président Antoine Favre. Le grand tracas d'un premier Président. — Le prieuré de Contamine, les Chevaliers de Saint-Lazare et la Sainte-Maison de Thonon. — Les Pères Feuillants. — L'hôtesse du Chablais.

 

Annecy, 5 décembre 1610.

 

                        Monsieur mon Frere,

            Avec mille actions de graces des deux dernieres lettres [que] vous aves pris l'incommodité de m'escrire emmi ce grand tracas qui vous accable, je vous supplie de ne jamais faire aucune sorte d'effort pour me donner ce contentement; car encor que je confesse quil soit grand, si est ce que celuy de vostre conservation et repos m'est incomparablement plus grand.

            Je me res-jouis de la bonne volonté du sieur chevalier Buccio; je doute pourtant que Son Altesse n'apporte quelqu'excuse a la nomination, a cause de la praetention que messieurs de Saint Lazare ont d'employer le nom de la Sainte Mayson pour accroistre la leur [de ce bien]; mays les essays ne peuvent point nuyre et peuvent reuscir. O Dieu, j'ay le coeur a demi gasté des alarmes qu'on [370] me donne d'une rude guerre pour nostre Prince, bien que j'espere en cette souveraine Providence qu'elle reduira le tout a nostre profit.

            Les bons Peres Feuillans escrivent aux leurs de Thurin pour l'affaire de Talloyres, et moy encor avec eux. Je vous supplie de commander a du Pont de les remettre au premier qui passe en Piemont. Ces Peres sont revenuz tous pleins de respect et d'amour cordial pour vous et toute vostre mayson.

            La fille se porte bien et tous-jours bonne fille, je veux dire tous-jours meilleure. Madame du Foug, ma tante, et, comme je crois, vostre hostesse de Thonon, me prie par une lettre, que je vous recommande l'affaire qu'ell'a au Senat. Je ne sçai quel il est; mays elle, ell'est certes digne de faveur pour mille raysons, entre lesquelles celle-ci me presse, qu'ell'a esté nostre Rahab en Chablaix. Hormis que toute sa vie ell'a esté de bonne reputation, la comparayson est bonne. [371]

            Je prie Nostre Seigneur quil vous renforce de plus en plus pour porter le [faix] quil a imposé sur vos espaules, et que ce soit par apres [tres] longuement, car ce sera tres heureusement. Je suis, Monsieur [mon Frere],

                                   Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, [E. de] Geneve.

            5 decembre 1610.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Carmel de la rue Denfert-Rochereau.

 

 

 

DCXXXV. A la Présidente Favre. Une lettre écrite après dix heures du soir. — Les additions à une nouvelle édition de l'Introduction à la Vie devote. — Notre guide, notre nocher pendant notre navigation. — Le moyen de ne rien craindre.

 

Annecy, 5 décembre 1610.

 

            Ne penses pas, ma Seur tres chere, que je n'aye de la peyne a demeurer tant sans vous escrire, et principalement [372] maintenant qu'au rapport des bons Peres Feuillans vous estes encor un peu tendre en santé. Certes, je voudrois bien tous les jours vous envoyer quelque petite marque de la souvenance que j'ay de vostre dilection; mais je suis quelquefois sans loysir et d'autres fois sans commodité. Or bien, encor vous escris-je maintenant apres dix heures du soir, pour accompaigner le livre ci joint qui me semble un peu plus correct que ceux des autres editions, bien que je ne l'aye pas veu que par ci par la; et, outre ce, il y a trois chapitres: Des habitz, Des desirs et Quil faut avoir l'esprit juste. Tel quil est, il part de l'homme du monde qui vous souhaite plus de benedictions cælestes.

            Je n'eu pas le loysir de me resouvenir, quand je fus a Chamberi, de vous dire que je vous avois envoyé une copie des principaux statutz de la Visitation; et si, je ne me souviens pas par qui je les envoyay. Oseray-je bien vous prier de faire tenir la lettre ci jointe a la petite Chatel? C'est sa bonne seur qui la m'a envoyee; et je puis bien dire sa bonne seur, car vrayement elle l'est. Mais et nostre fille et tout, est bien la vrayment bonne fille. Toute leur Mayson vous salue, notamment Mme de Chantal qui vous honnore et cherit ardemment.

             Gardes bien de laysser convertir vostre soin en troublement et inquietude, et toute embarquee que vous estes sur les vagues et parmi les vens de plusieurs tracas, regardes tous-jours au Ciel et dites a Nostre Seigneur: O Dieu, c'est pour vous que je vogue et navige, soyes ma guide et mon nocher. Et puis consoles vous, que quand nous serons au port, les douceurs que nous y [373] aurons, effaceront les travaux pris pour y aller. Or, nous y allons parmi tous ces orages, pourveu que nous ayons le cœur droit, l'intention bonne, le courage ferme, l'œil en Dieu et en luy toute nostre fiance. Que si la force de la tempeste nous esmeut quelquefois un peu l'estomach et nous fait un petit tourner la teste, ne nous estonnons point, mays soudain que nous pourrons, reprenons haleyne et nous animons a mieux faire.

            Bonsoir, ma tres chere Seur, ma Fille. Craignons [Dieu] et nous ne craindrons point autre chose; aymons Dieu et nous aymerons tout'autre chose. Je suis en luy tout vostre et

                                                           Vostre humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            5 decembre 1610.

                        A Madame

Madame la premiere Presidente de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Dietramszell (Bavière).

 

DCXXXVI. A la Mère de Chantal. Les désirs d'un Saint à propos de la manducation quotienne du «Pain vivant et suressentiel.» — Les vertus dont il embaume les âmes qui le reçoivent.

 

Annecy, 5 décembre 1610.

 

            Mon Dieu, ma chere Fille, certes il me tarde que je vous voye. Au reste, je me porte fort bien, et vostre cœur, tout autant que je le puis connoistre. J'ay prié avec une ardeur tres particuliere ce matin pour nostre advancement au saint amour de Dieu, et me sens des plus grans desirs que jamais au bien de nostre ame. Ah! Ce [374] dis-je, o Sauveur de nostre cœur, puisque meshuy nous serons tous les jours a vostre table pour manger non seulement vostre pain, mays vous mesme, qui estes nostre pain vivant et sur essentiel, faites que tous les jours nous facions une bonne et parfaite digestion de cette viande tres parfaitte, et que nous vivions perpetuellement embausmés de vostre sacree douceur, bonté et amour.

            Je vay au sermon du Pere François; ce soir j'en fay un a Sainte Claire. Mais l'autre soir, ce sera vers demain, il faut escrire a Dijon, car mardy nous envoyerons; mais si je puis, je vous verray.

            Bon soir, unique et tres chere Seur, ma Fille. Je ne veux pas que vous jeusnies cette annee. [375]

 

DCXXXVII. A M. Celse-Benigne de Chantal. Conseils à un jeune homme qui allait à la cour de France; à quelles âmes cette fréquentation est-elle moins dangereuse. — Ses écueils, leurs pernicieux effets. — Remèdes: les «viandes spirituelles et divines.» — Eviter les mauvaises lectures, Rabelais, «cet infâme,» et les sceptiques. — La vraie courtoisie. — Ne pas s'embarrasser parmi les amourettes. — Faire profession ouverte de vouloir vivre vertueusement, judicieusement, constamment et chrétiennement. — Les vertueux à la philosophique. — En quoi il ne faut pas marchander. — Se choisir des amis de même intention. — Recourir à la direction d'un prêtre, Religieux ou séculier. — Un exercice de fainéant. — Avoir un cœur vigoureux, et pourquoi. — L'idéal d'un courtisan, d'après saint Louis; portrait de ce prince. — La bravoure et la piété. —Une méditation à faire souvent. — Le patron, la voile, l'ancre, le vent qu'il faut choisir pour voguer sur la haute mer du monde.

 

Annecy, 8 décembre 1610.

 

                        Monsieur,

            En fin donq vous alles faire voyle et prendre la haute mer du monde en la cour. Dieu vous veuille estre propice, et que sa sainte main soit tous-jours avec vous.

            Je ne suis pas si paoureux que plusieurs autres, et n'estime pas cette profession-la des plus dangereuses pour les ames bien nees et pour les courages masles, car il n'y a que deux principaux escueilz en ce gouffre: la vanité, qui ruine les espritz molz, faineans, feminins et flouetz, et l'ambition, qui perd les cœurs audacieux et presomptueux. Et comme la vanité est un manquement de courage, qui, n'ayant pas la force d'entreprendre l'acquisition de la vraye et solide louange, en veut et se contente d'en avoir de la fause et vuide, aussi l'ambition [376] est un exces de courage qui nous porte a pourchasser des gloires et honneurs sans et contre la regle de la rayson. Ainsy, la vanité fait qu'on s'amuse a ces folastres galanteries qui sont a louange devant les femmes et autres espritz minces, et qui sont a mespris devant les grans courages et espritz relevés, et l'ambition fait que l'on veut avoir les honneurs avant que les avoir merités. C'est elle qui nous fait mettre en conte pour nous, et a trop haut prix, le bien de nos predecesseurs, et voudrions volontier tirer nostre estime de la leur.

            Or, Monsieur, contre tout cela, puisqu'il vous plaist que je vous parle ainsy, continués a nourrir vostre esprit des viandes spirituelles et divines, car elles le rendront lort contre la vanité et juste contre l'ambition. Tenes bon a la frequente Communion, et croyés-moy, vous ne sçauries faire chose qui vous affermisse tant en la vertu, lit pour bien vous asseurer en cet exercice, ranges-vous sous le conseil de quelque bon confesseur, et le priés qu'il prenne authorité de vous demander conte en confession des retardemens que vous feres en cet exercice, si par fortune vous en faisies. Confesses-vous tous-jours humblement, et avec un vray et expres propos de vous amender. N'oubliés jamais (mais de cela je vous en conjure) de demander a genoux le secours de Nostre Seigneur avant que de sortir de vostre logis, et de demander le pardon de vos fautes avant que d'aller coucher.

            Sur tout, gardés vous des mauvais livres, et pour rien du monde ne laissés point emporter vostre esprit apres certains escritz que les cervelles foibles admirent, a cause de certaines vaines subtilités qu'ilz y hument, comme cet infame Rabelais et certains autres de nostre aage, qui font profession de revoquer tout en doute, de mespriser tout et se mocquer de toutes les maximes de l'antiquité. Au contraire, ayés des livres de solide doctrine, et sur tout des chrestiens et spirituelz, pour vous y recreer de tems en tems.

            Je vous recommande la douce et sincere courtoysie qui n'offense personne et oblige tout le monde, qui cherche plus l'amour que l'honneur, qui ne raille jamais aux [377] despens de personne, ni piquamment, qui ne recule personne et aussi n'est jamais reculee, et si elle l'est, ce n'est que rarement; en eschange dequoy, elle est tres souvent honnorablement avancee.

            Prenés garde, je vous supplie, a ne vous point embarrasser parmi les amourettes, et a ne point permettre a vos affections de prevenir vostre jugement et rayson au choix des sujetz aymables; car, quand une fois l'affection a pris sa course, elle traisne le jugement comme un esclave, a des choix fort impertinens et dignes du repentir qui les suit par apres bien tost.

            Je voudrois que d'abord, en devis et maintien et en conversation, vous fissies profession ouverte et expresse de vouloir vivre vertueusement, judicieusement, constamment et chrestiennement. Je dis vertueusement, affin qu'aucun ne pretende de vous engager aux desbauches. Judicieusement, affin que vous ne fassies pas des signes extremes, en l'exterieur, de vostre intention, mais telz seulement que, selon vostre condition, ilz ne puissent estre censurés des sages. Constamment, parce que, si vous ne tesmoignes pas avec perseverance une volonté esgale et inviolable, vous exposeres vos resolutions aux desseins et attaques de plusieurs miserables ames qui attaquent les autres pour les reduire a leur train. Et je dis en fin chrestiennement, pour ce que plusieurs font profession de vouloir estre vertueux a la philosophique, qui neanmoins ne le sont ni ne le peuvent estre en façon quelconque, et ne sont autre chose que certains fantosmes de vertu, couvrant a ceux qui ne les hantent pas leurs mauvaise vie et humeurs par des ceremonieuses contenances et paroles. Mais nous, qui sçavons bien que nous, ne sçaurions avoir un seul brin de vertu que par la grace de Nostre Seigneur, nous devons employer la pieté et la sainte devotion pour vivre vertueusement; autrement, nous n'aurons des vertus qu'en imagination et en ombre. Or, il importe infiniment de se faire connoistre de bonne heure tel qu'on veut estre tous-jours; et en cela, il ne faut pas marchander.

            Il vous importera aussi infiniment de faire quelques [378] amis de mesme intention, avec lesquelz vous puissies vous entreporter et fortifier; car c'est chose toute vraye que le commerce de ceux qui ont l'ame bien dressee, nous sert infiniment a bien dresser ou a bien tenir dressee la nostre. Je pense que vous treuveres bien aux Jesuites, ou aux Capucins, ou aux Feuillans, ou mesme hors des monasteres, quelque esprit courtois qui se res-jouira si quelquefois vous l'alles voir pour vous recreer et prendre haleyne spirituelle.

            Mais il faut que vous me permetties de vous dire quelque chose en particulier. Voyés-vous, Monsieur, je crains que vous ne retournies au jeu, et je le crains parce que ce vous sera un tres grand mal: cela, en peu de jours, dissiperoit vostre cœur et feroit flestrir toutes les fleurs de vos bons desirs. C'est un exercice de faineant; et ceux qui se veulent donner du bruit et de l'accueil jouant avec les grans, disans que c'est le plus court moyen de se faire connoistre, tesmoignent qu'ilz n'ont point de bonne marque de merite, puisqu'ilz ont recours a ces moyens propres a ceux qui, ayans de l'argent, le veulent hazarder; et ne leur est pas grande la louange d'estre connus pour joueurs, mais s'il leur arrive de grandes pertes, chacun les connoist pour folz. Je laisse a part les suites des choleres, des espoirs et forceneries, desquelz pas un joueur n'a aucune exemption.

            Je vous souhaitte encor un cœur vigoureux pour ne point trop flatter vostre cors en delicatesse au manger, au dormir et telles autres mollesses; car en fin, un cœur genereux a tous-jours un peu de mespris des mignardises et delices corporelles. Neanmoins Nostre Seigneur dit que ceux qui s'habillent mollement sont es maysons des rois; c'est pourquoy je vous en parle. Et Nostre Seigneur ne veut pas dire qu'il faille que tous ceux qui sont es cours s'habillent mollement; mais il dit seulement que, coustumierement, ceux qui s'habillent mollement se treuvent la. Or, je ne parle pas de l'exterieur de l'habit, mais de l'interieur; car pour l'exterieur, vous sçavés trop mieux la bienseance, il ne m'appartient pas d'en parler. [379]

            Je veux donq dire que je voudrois que parfois vous gourmandassies vostre cors a luy faire sentir quelques aspretés et duretés, par le mespris des delicatesses et le renoncement frequent des choses aggreables aux sens; car encor faut-il quelquefois que la rayson fasse l'exercice de sa superiorité et de l'authorité qu'elle a de ranger les appetitz sensuelz.

            Mon Dieu, je suis trop long, et si, je ne sçai ce que j'escris, car c'est sans loysir et a diverses reprises. Vous connoisses mon cœur et treuveres tout bon.

            Encor faut-il pourtant que je vous die ceci. Imaginés-vous que vous fussies courtisan de saint Louys: il aymoit, ce Roy saint (et le Roy est maintenant saint par innocence), qu'on fust brave, courageux, genereux, de bonne humeur, courtois, civil, franc, poly; et neanmoins, il aymoit sur tout qu'on fust bon Chrestien. Et si vous eussies esté aupres de luy, vous l'eussies veu rire amiablement aux occasions, parler hardiment quand il en estoit tems, avoir soin que tout fust en lustre autour de luy, comme un autre Salomon, pour maintenir la dignité royale; et un moment apres, servir les pauvres aux hospitaux, et en fin marier la vertu civile avec la chrestienne, et la majesté avec l'humilité. C'est, en un mot, ce qu'il faut entreprendre, de n'estre pas moins brave pour estre Chrestien, ni moins Chrestien pour estre brave. Et pour faire cela, il faut estre tres bon Chrestien, c'est a dire fort devot, pieux et, s'il se peut, spirituel; car, comme dit saint Paul, l'homme spirituel discerne tout: il connoist en quel tems, en quel rang, par quelle methode il faut mettre en œuvre chaque vertu.

            Faites souvent cette bonne pensee, que nous cheminons en ce monde entre le Paradis et l'enfer, que le dernier pas sera celuy qui nous mettra au logis eternel et que nous ne sçavons lequel sera le dernier, et que, pour bien faire le dernier, il faut s'essayer de bien faire tous les autres. O sainte et interminable eternité, bienheureux qui vous considere! Ouy, car qu'est-ce que [ce] [380] desduit de petitz enfans que nous faysons en ce monde pour je ne sçai combien de jours? Rien du tout, si ce n'estoit que c'est le passage a l'eternité. Pour cela donq il nous faut avoir soin du tems que nous avons a demeurer ça bas, et de toutes nos occupations, affin que nous les employons a la conqueste du bien permanent.

            Aymés-moy tous-jours comme chose vostre, car je le suis en Nostre Seigneur, vous souhaittant tout bonheur pour ce monde et sur tout pour l'autre. Dieu vous benisse et vous tienne de sa sainte main. Et pour finir par ou j'ay commencé: vous alles prendre la haute mer du monde, ne changés pas pour cela de patron, ni de mat, ni de voyle, ni d'ancre, ni de vent. Ayés tous-jours Jesus Christ pour patron, sa Croix pour arbre, sur lequel vous estendies vos resolutions en guise de voyle; vostre ancre soit une profonde confiance en luy, et allés a la bonne heure. Veuille a jamais le vent propice des inspirations celestes enfler de plus en plus les voyles de vostre vaysseau et vous faire heureusement surgir au port de la sainte eternité, que de si bon cœur vous souhaite sans cesse,

                        Monsieur,

                                   Vostre plus humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 8 decembre 1610.

DCXXXVIII. A la Mère de Chantal. Pourquoi ne pas se tourmenter des fâcheuses pensées qui sont autour, du cœur. A quelle condition rien ne nous offensera.

 

Annecy, [8 décembre 1610.]

 

            En fin ce beau jour, si propre pour aller vers vous, ma tres chere Fille, s'escoule ainsy sans que j'aye ce [381] contentement; au moins faut que je supplee en quelque sorte par ce petit mot, que je sauve d'entre les affaires que certains Religieux m'apportent.

            Bon soir donq, ma tres chere Fille. Ayés bien soin de soulager doucement vostre pauvre cœur; gardés-vous bien de luy sçavoir mauvais gré de ces fascheuses pensees qui luy sont autour. Non, ma Fille, car le pauvret n'en peut mais, et Dieu mesme ne luy en sçait aucun mauvais gré pour cela; au contraire, sa divine sagesse se plaist a voir que ce petit cœur va tremblotant a l'ombre du mal, comme un foible petit poussin a l'ombre du milan qui va voltigeant au dessus de luy; car c'est signe qu'il est bon, ce cœur, et qu'il abhorre les mauvaises fantasies.

            Mais, ma tres chere Fille, nous avons nostre Mere, sous les aisles de laquelle nous faut fourrer. Recourons a la Croix, et l'embrassons de cœur; demeurons en paix a l'ombre de ce saint arbre. Mon Dieu! il est impossible que rien nous offense, tandis qu'avec une vraye resolution nous voulons estre tout a Dieu; et neanmoins nous sçavons bien que nous le voulons.

            Bon soir de rechef, ma tres chere Fille; ne vous inquietés point, mocqués-vous de l'ennemy, car vous estes entre les bras du Tout Puissant. Dieu soit a jamais nostre force et nostre amour! Demain, moyennant sa grace, nous vous irons voir, ma tres cherement unique Fille de mon cœur. [382]

 

DCXXXIX. A M. Pierre Rigaud (Inédite). Le Saint et son éditeur lyonnais. — Celui-ci le presse «de rendre fait» le Traitté de l'Amour de Dieu. — Commande de livres.

 

Annecy, 14 décembre 1610.

 

                        Monsieur Rigaud,

            Je suis marri que vous ayes eu l'incommodité d'envoyer expres ce porteur qui m'a rendu les livres que vous luy avies confiés. Il est, au demeurant, hors de mon pouvoir de rendre fait le Traitté de l'Amour de Dieu de quelque tems, pour le peu de loysir que mes continuelles occupations me laissent, quoy que je sois soigneux de n'en perdre pas un seul moment. Mais quand il sera en estat d'estre envoyé, je vous avertiray quelques semaines devant, affin que vous ayes ce qui sera [383] convenable pour l'edition, en suite de ce que ci devant je vous en ay dit et escrit a monsieur le Suffragant.

            Je vous prie de m'envoyer par la premiere commodité le livre de La Venerie, de Jaques du Fouilloux, et celuy d'Esperron, et un petit livret du Combat spirituel, de ceux qui sont nagueres traduitz.

            Dieu vous conserve et prospere, et je suis,

                        Monsieur Rigaud,

                                   Vostre bien humble et affectionné a vous

                                               faire service,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII decembre 1610, a Neci.

                        A Monsr

Monsr Rigaud, marchand libraire.

                                    A Lion.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse. [384]

 

 

 

DCXL. A M. Jacques de Bay. Le Saint s'intéresse aux études d'un jeune annécien et demande que le collège de Savoie de Louvain lui soit rouvert.

 

Annecy, 16 décembre 1610.

 

                        Monsieur,

            La bonté d'Anthoyne Gard, bourgeois de cette ville, me rend fort desireux du bien de son filz Jean Baptiste, lequel ayant esté receu ci devant en vostre college, est decheu de cette grace quil tenoit de vostre faveur. Je vous supplie donq de tout mon cœur, Monsieur, qu'il vous playse le restablir en ce bonheur, sans lequel il est a craindre qu'il ne perde tout celuy du reste de sa vie. Et outre le contentement que vous aures d'avoir exercé une telle charité a l'endroit de toute un' honnorable famille, faysant revivre l'enfant qui sembloit perdu, vous me rendres de plus en plus obligé de [385] vous honnorer avec le respect que, pour plusieurs autres raysons, je veux et dois rendre a vos merites.

            Et me promettant cette gratification de vostre bienveuillance, je demeureray a vous souhaitter toute sainte consolation caeleste, et seray tous-jours,

                        Monsieur,

                                   Vostre humble confrere et serviteur

                                               en Nostre Seigneur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI decembre 1610, a Neci.

                        A Monsieur

                                   Monsieur de Bay,

Docteur et Lecteur en la sainte Theologie, Doyen de St Pierre,

            President du College de Savoye a

                                   Louvain.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Bruxelles, Bibliothèque des PP. Bollandistes.

 

 

 

DCXLI. A M. Philippe de Quoex. Dans les appointements, le Saint n'est pour personne. — Pas de particularités dans sa Congrégation; il faut que tout y «aille d'un train.»

 

Annecy, 17 décembre 1610.

 

                        Monsieur,

            Voyla vostre porteur que nous vous renvoyons despéché. Je serviray madame d'Avully en tout ce qu'il [386] me sera possible, notamment en l'un et en l'autre des articles que vous me marques.

            Et quant au premier, bien que je n'aye pas accoustumé d'estre pour personne es appointemens, attendu que ma qualité m'invite tous-jours a la neutralité pour penser la paix, si est-ce que, si elle le veut ainsy, je me dispenseray de lettre pour ce coup, et M. de la Roche, qui est dehors, estant venu, je luy parleray a mesme effect.

            Quant au second, je pense qu'il faudra attendre qu'elle vienne icy pour voir le train de cette Congregation, affin que, selon le jour qu'elle prendra, on regarde de luy donner satisfaction, s'il se peut. Neanmoins, je veux bien dire que malaysement pourroit-on luy permettre d'avoir une fille de chambre qui ne fust pas de la mayson, mais ouy bien qu'elle fust specialement servie par mie de celles qui seront en la mayson. C'est affin que tout, la dedans, aille d'un train. Certes, pour moy, je souhaitterois fort de la voir bien consolee en cette vocation la.

            Ne me faites point d'excuses a m'escrire bien ou mal, car ne me faut nulle sorte d'autre ceremonie que de m'aymer en Nostre Seigneur, selon lequel je suis

                                                           Vostre plus humble confrere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 17 decembre 1610. [387]

DCXLII. Au Président Antoine Favre. Les «bonnes coustumes» de Savoie. — Rendez-vous pour les âmes chrétiennes unies d'affection. — Une amitié sans limites.

 

Annecy, 17 décembre 1610.

 

                        Monsieur mon Frere,

            Ce n'est que simplement pour contenter mon cœur que je vous escris maintenant, car il faut, quand je puis, suppleer au bonheur que j'avois d'estre aupres de vous par ce petit allegement. Et puis, encor faut-il garder les bonnes coustumes a vous souhaiter les bonnes festes; car, de m'attendre au bien que nous avions presque esperé, de vous voir a nos beaux Offices en ces si dignes solemnités, c'est chose que le tems et les affaires ne me peuvent permettre, si ce n'est en cette façon ordinaire par laquelle vous estes tous-jours present a mon ame, et principalement a l'autel et le jour de Nouel, environ lequel j'eu cette si chere grace de vous voir. Mais combien y a-il? Certes, je n'y pense point, car il me semble que nostr'amitié est sans limites, et qu'estant si fort naturalisee en mon cœur, ell'est aussi ancienne que luy. Ce pendant, continuons, Monsieur mon Frere, en cette si digne et si rar'affection, affin que non seulement Monsieur le Rme de Saint Paul, mais tout le monde l'admire et loue desormais.

            Je suis tous-jours un peu en peyne de la santé de madame nostre chere Presidente, bien qu'on m'asseure [388] que son mal n'est pas plus grand quil faut pour seulement luy faire prendre les præservatifz d'un plus grand. Dieu vous donn'a tous deux les bonnes et belles festes, et vous conserve longuement et heureusement.

            Je suis, Monsieur mon Frere,

                                   Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII decembre 1610, a Neci.

            Monsieur mon Frere, ce porteur m'a dit comm'il a sceu, ou plus tost comm'il n'a pas sceu, la supplication que mon frere de Thorens vous fait; et ça bien esté asses pour y faire adjouster la mienne, que je sousmetz neanmoins a vostre jugement.

                        A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges,

            Conseiller d'Estat de S. A., premier President dé Savoye.

                                   A Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

 

CDXLIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Une galerie où le Saint parlait «plus a commodité» à la Mère de Chantal.

 

Annecy, 18 décembre 1610.

            Demain, ma tres chere Fille, je ne sçaurois voir cette grande Seur, sinon quil y eut chose qui pressast; car [389] ne ferons-nous pas l'exhortation? et apres cela, il sera nuit. Or, quand je l'iray voir, je veux gaigner une bonne heure pour me promener avec vous en la galerie, car on y parle plus a commodité.

            Marcelle desire de se confesser avant ces festes, et je luy avois dit que ce fut mercredi; mais je voy qu'il faudra remettre a jeudy, ou plustost a vendredy matin.

            mon unique Fille, que j'ay de tendre et forte affection pour nostre cœur, et que je suis pressé de le recommander incessamment a Nostre Seigneur!

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

 

 

 

DCXLIV. Au Président Antoine Favre (Inédite). Recommandation en faveur d'une pauvre veuve.

 

Annecy, [vers le 22 décembre 1610.]

 

                        Monsieur mon Frere,

            Ce n'est pas pour faire les remercimens que je doy a vostre perseverance au desir du bien des nostres, que je vous escris maintenant; ce n'est que pour vous supplier humblement de favoriser de vostre juste protection cette [390] pauvre vefve, que monsieur de Conflens, a mon advis tant de vos serviteurs et de mes amis, m'a instamment recommandee. Je vous en fay donq supplication, et vous souhaite et a madame vostre chere Praesidente, ma tres chere seur, Monsieur mon Frere, ce que vous pouves imaginer du cœur de

                        Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Nous attendons mon frere de Thorens pour vous faire la response que vostre lettre pleyne de faveur requiert.

                        A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges,

            Conseiller d'Estat de S. A.

                        et son premier President.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Saint-Marcellin. [391]

 

 

 

DCXLV. A la Mère de Chantal. Tableau de la Nativité. — Où se trouvaient en la nuit de Noël, les bons Anges des deux Saints. — Les pasteurs et la mélodie sacrée qu'ils entendent durant leur sommeil. — Le cadeau du Bienheureux au «petit Roy.»

 

Annecy, 25 décembre [1610.]

 

            Hé, vray Jesus! que cette nuit est douce, ma tres chere Fille! «Les cieux,» chante l'Eglise, «distillent de toutes pars le miel;» et moy je pense que ces divins Anges qui resonnent en l'air leur admirable cantique, viennent pour recueillir ce miel celeste sur les lys ou il se treuve, sur la poitrine de la tres douce Vierge et de saint Joseph. J'ay peur, ma chere Fille, que ces divins Espritz ne se mesprennent entre le lait qui sort des mammelles virginales, et le miel du Ciel qui est abouché sur ces mammelles. Quelle douceur de voir le miel succer le lait!

            Mais je vous prie, ma chere Fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons Anges de vous et de moy se treuverent en la chere trouppe des musiciens celestes qui chanterent en cette nuit? O Dieu, s'il leur playsoit d'entonner de rechef aux oreilles de nostre cœur cette mesme celeste chanson, quelle joye, quelle jubilation! Je les en supplie, affin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux cœurs de bonne volonté.

            Revenant donq d'entre les sacrés mysteres, je donne ainsy le bon jour a ma chere Fille; car je croy que les pasteurs encor, apres avoir adoré le celeste Poupon que le Ciel mesme leur avoit annoncé, se reposerent un peu. Mais, o Dieu, que de suavités, comme je pense, a leur sommeil! Il leur estoit advis qu'ilz oyoyent tous-jours la sacree melodie des Anges qui les avoyent salués si [392] excellemment de leur cantique, et qu'ilz voyoyent tous-jours le cher Enfant et la Mere qu'ilz avoyent visité.

            Que donnerions-nous a nostre petit Roy que nous n'ayons receu de luy et de sa divine liberalité? Or sus, je luy donneray donques a la sainte grand'Messe la tres uniquement fille bienaymee qu'il m'a donnee. Hé, Sauveur de nos ames, rendés-la toute d'or en charité, toute de myrrhe en mortification, toute d'encens en orayson, et puis recevés-la entre les bras de vostre sainte protection, et que vostre cœur die au sien: Je suis ton salut aux siecles des siecles. Amen.

                        Vostre tres affectionné pere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

DCXLVI. A Madame d'Aiguebelette. Les présents du Sauveur aux gens de bonne volonté. — Ce que fait la «petite trouppe» de la Visitation.

 

Annecy, 30 décembre 1610.

 

            Or bien, ma tres chere Fille, nous finissons cett' annee en un jour. A la suite de la bonne dame defuncte, [393] nous finirons nos annees pour commencer nostre eternité. Ah! ma Fille, c'est cett'eternité que sur tout je vous souhaitte tres heureuse, et a cause d'elle vous vivés tous-jours presente a mon cœur, qui se res-jouit de voir que vous perseveres a vouloir de tout le vostre servir sa divine Majesté en sainteté et pureté. Faites bien cela, ma chere Fille, et parmi les orages des affaires importuns de ce miserable siecle, affermisses-vous souvent aupres de ce Sauveur qui est venu apporter la paix, la douceur, la tranquillité aux gens de bonne volonté.

            Nostre pauvre Mme de Chantal a eu un' attaque pareille a celle du moy s d'aoust dernier, mais maintenant elle est presque guerie, et toute cette petite trouppe fait bien devant Dieu et devant les hommes, nostre Chastel particulierement. La chere cousine fait de mesme, et je né manqueray pas a luy faire vos recommandations.

            Bon jour et tres bon an, ma tres chere Fille; je Vous escris sans haleyne et loysir, et suis entierement tout vostre……….. [394]

 

DCXLVII. Au Président Antoine Favre. Ce qui rend notre durée périssable, et partant plus aimable. — La pensée de l'éternité pour le Saint. — L'espérance de l'éternité, et les motifs philosophiques qui la légitiment. — L'échelle qui nous conduit aux années éternelles. — Souhaits de nouvel an.

 

Annecy, 31 décembre 1610.

 

                        Monsieur mon Frere,

 

            Je finis cette annee avec le contentement de vous pouvoir presenter le souhait que je fay sur vous pour la suivante. Elles passent donq, ces annees temporelles, Monsieur mon Frere; leurs mois se reduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures et les heures en momens, qui sont ceux-la seulz que nous possedons, mais que nous ne possedons qu'a mesure qu'ilz perissent et rendent nostre duree perissable, laquelle pourtant nous en doit estre plus aymable; puisque cette vie estant pleine de miseres, nous ne sçaurions y avoir aucune plus solide consolation que celle d'estre asseurés qu'elle se va dissipant, pour faire place a cette sainte eternité qui nous est preparee en l'abondance de la misericorde de Dieu, et a laquelle nostre ame aspire incessamment par les continuelles pensees que sa propre nature luy suggere, bien qu'elle ne la puisse esperer que par des autres pensees plus relevees que l'Autheur de la nature respand sur elle.

            Certes, Monsieur mon Frere, je ne suis jamais attentif a l'eternité qu'avec beaucoup de suavités; car, dis-je, comme est-ce que mon ame pourroit estendre sa cogitation [395] a cette infinité, si elle n'avoit quelque sorte de proportion avec elle? Certes, tous-jours faut-il que la faculté qui atteint un object ayt quelque sorte de convenance avec iceluy. Mais quand je sens que mon desir court apres ma cogitation sur cette mesme eternité, mon ayse prend un accroissement nompareil; car je sçay que nous ne desirons jamais d'un vray desir que les choses possibles. Mon desir donq m'asseure que je puis avoir l'eternité: que me reste-il plus que d'esperer que je l'auray? Et cela m'est donné par la connoissance de l'infinie bonté de Celuy qui n'auroit pas creé une ame capable de penser et de tendre a l'eternité, s'il n'eust voulu luy donner les moyens d'y atteindre. Ainsy, Monsieur mon Frere, nous nous treuvons au pied du Crucifix, qui est l'eschelle par laquelle, de ces annees temporelles, nous passons aux annees eternelles.

            Or, je souhaitte donq sur vostre chere ame que cette annee prochaine soit suivie de plusieurs autres, et que toutes soyent utilement employees pour la conqueste de l'eternité. Vives longuement, saintement et heureusement entre les vostres icy bas parmi ces momens perissables, pour revivre eternellement en cette immuable felicité pour laquelle nous respirons.

            Voyla comme mon cœur s'espanche devant le vostre, et fait des saillies qu'il ne feroit pas sans cette confiance que luy donne l'affection qui me rend

                                               Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [396]

 

DCXLVIII. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Les Filles de saint Bernard chez les Filles du saint Evêque de Genève. Promesse d'un bonsoir ou d'un bonjour.

 

Annecy, juillet-décembre 1610.

 

            Voyla cette petite trouppe de Sainte Catherine qui vous va voir, m. Vous ne connoisses que ma cousine de Ballon, mais les autres ne laissent pas d'estre bonnes filles; je les vous recommande, m. La chere fille de la haut m'a escrit avec beaucoup de salutation pour vous.

            Sil se peut, pour chose du monde je vous iray donner le bon soir, ou ce sera lundi matin pour le bon jour.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [397]

 

 

 

DCXLIX. A M. Antoine des Hayes (Inédite). Une amitié constante. — Mariage princier et les menaces d'une guerre.

 

Vanchy, 8 mai 1610.

 

                        Monsieur,

            Ce gentilhomme, qui est fort de mes amis, partant d'aupres de monsieur le baron de Lux pour aller droit a la court, je luy donne ces quatre ou cinq motz qui vous asseureront de la continuelle passion avec laquelle mon cœur vous honnore, respecte et cherit.

            Et pour dire quelque chose sur le sujet de la derniere lettre que vous me fistes lhonneur de m'escrire, je croy bien que meshuy cett' heureuse alliance delaquelle nous nous res-jouissons tant, me mettra en autant de liberté quil m'en faut pour pouvoir jouir un bon jour de la douceur de vostre conversation, si toutefois la guerre a laquelle il semble que tant d'inclinations conspirent, ne [398] me sert de nouvel empeschement. Dieu en face selon sa plus grande gloire et vous veuille de plus en plus prosperer, avec madame vostre chere partie et toute vostre famille, jusques a vostre petit nouveau né Anthoyne, au nom duquel je porte des-ja bien de l'affection pour estre le nom du pere, auquel je suis si absolument,

                        Monsieur,

                                   Tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Avanchy, le 8 may 1610.

            Monsieur de Charmoysi triomphe tous-jours au mespris de la cour et m'est advis que nous aurons de la peyne de luy en faire reprendre le goust.

                        A Monsieur

Monsieur des Hayes, Maistre d'hostel de S. M.,

                        Gouverneur et Baillif de

                                   Montargis.

 

Revu sur l'Autographe communiqué par M. Robert de Courcel, Archives du Port Courcel,

à Vigneux (Seine-et-Oise). [399]

 

DCL. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Sollicitude pour la santé de la Mère de Chantal.

 

Annecy, [fin 1610-1611.]

 

            Je vous souhaite une bonne, douce et salutaire purgation, ma tres chere Fille, et prie Nostre Seigneur quil vous comble de benedictions. Ce soir, Dieu aydant, j'iray voir comme vous vous seres portee, et ce pendant, bon jour, ma tres chere Fille.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy.

 

 

 

DCLI. A la même. — Souci charitable que prend le Saint pour la santé de la Fondatrice.

 

Annecy, [fin 1610-1611.]

 

            Je vous souhaite infiniment le bon soir, ma tres chere Fille toute mienne, et sur tout craignant que l'evacuation ne vous laisse quelqu'incommodité de lassitude, alteration et chaleur. Mais je sçai bien pourtant que vous souffriries tout cela bien doucement, car vous estes bien sage, ma chere Fille, et ne treuveres jamais rien de trop dur de ce que Nostre Seigneur vous envoyera. [400]

            O je supplie ce Sauveur qu'il rende nostre cœur tout sien par effect, comm'il l'est, il y a long tems, par affection! Ouy certes, ma toute mienne tres chere Fille, nous n'avons point d'affection en nostre cœur que pour sa divine Bonté et ne voudrions pas en souffrir aucune, pour petite qu'elle fut.

            Bonsoir, ma toute mienne chere Fille. Demeures en paix, et vive Jesus! La chere niece me dira comme vous aves fait.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, chez les PP. Capucins.

 

DCLII. A Mademoiselle de Blonay (Fragment). La grâce d evangéliser n'est pas le privilège de tout le monde.

 

[1610-1611.]

 

            Ma chere Fille, je vous sçay bon gré de cette remarque; mais voyes vous, tout le monde n'a pas receu de Dieu la grace d'evangeliser comme son Filz, le doux [401] Jesus, avec le miel et le lait sous la langue. Il faudra pourtant que le cher pere soit adverti de ce defaut tout doucement; Dieu nous en fera naistre les occasions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Appendice

 

 

 

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice avec le texte des Lettres de saint François de Sales.

 

I. Lettres adressees a Saint François de Sales par quelques correspondants

 

 

A. Facultés accordées par la Congrégation du Saint-Offic

 

 

            DOMINICUS, Episcopus Ostiensis, Pinellus; FR. HIERONIMUS BERNERIUS, Episcopus Portuensis, Asculanus; FR. ANNAS DE CARS, tituli Sanctae Susannae, de Givry; LAURENTIUS, tituli Sancti Laurentii in Pane et Perna, Blanchettus; POMPEIUS, tituli Sanctae Balbinae, Arigonius; ROBERTUS, tituli Sanctae Mariae in Via, Bellarminus; ANTONIUS, tituli Sancta Crucis in Hierusalem, Zapata, et FERDINANDUS TABERNA, tituli Sancti Eusebii, nuncupati Presbyteri, miseratione Divina, Sanctae Romanae Ecclesiae Cardinales, in [405] universa Republica Christiana adversus haereticam pravitatem generales Inquisitores a Sancta Sede Apostolica specialiter deputati: Reverendo in Christo Patri Domino Francisco, Episcopo Gebennensi, salutem in Domino sempiternam.

            Cum in generali Congregatione sanctae Romanae et universalis Inquisitionis habita in Palatio Apostolico montis Quirinalis, coram Sanctissimo Domino nostro Domino Paulo, divina Providentia Papa Quinto, ac nobis, die infrascripta, nomine Reverendae Paternitatis tuae supplicatum fuerit, quatenus ad animarum salutem, ac haeresum et errorum confutationem eidem Paternitati tuae infrascriptas facultates concedere dignaremur, ut haereticos quoscumque, etiam relapsos, reconciliandi; cum haereticis jam conversis, qui matrimonia in quarto consanguinitatis gradu nulliter contraxerunt, ut de novo contrahere possint dispensandi; diaecesanorum vota commutandi; pugnantes in duello ab excommunicatione absolvendi; Regulares extra claustra degentes coercendi; quoscunque haereticorum libros legendi et retinendi, eosque etiam aliis permittendi; deputandi nonnullos confessarios idoneos in suadiaecesi, qui haereticos redeuntes in foro conscientiae absolvere, ac etiam aliquas personas ecclesiasticas quas per eandem diaecesim vestes sacras et alia ad divinum cultum necessaria benedicere possint.

            Nos, quibus in primis cordi est, ut omnis haeretica pravitas e mentibus hominum tollatur et oves aberrantes ad caulam Dominici gregis sedulo reducantur, cunctorum Christi fidelium saluti provide consulatur, ac summopere cupientes, ut sancta Catholica et orthodoxa fides ubique floreat et augeatur, auctoritate Apostolica nobis in hac parte commissa, Paternitati tuae ac aliis octo viris ei benevisis, doctis, piis et zelo Catholicae fidei praestantibus, quique ex librorum haereticorum lectione perverti nequeant, ut omnes, et quoscunque prohibitos libros etiam in Indice Romano librorum prohibitorum damnatos, ad effectum haereses et errores redarguendi et confutandi, secreto et per vos ipsos tantum et sine aliorum scandalo aut periculo Iegere et retinere libere et licite absque censurarum et poenarum incursu possitis et valeatis, injuncto tamen vobis: Venerabili Paternitati tuae, ut tam praesentium literarum exemplum, quam librorum prohibitorum praedictorum, quos hujusmodi nostrae facultatis vigore leget aut retinebit, notam quam primum exhibeat Reverendo admodum in Christo Palri Domino Archiepiscopo Viennae, uttempore hujus facultatis elapso, vel post obitum Paternitatis tuae, si ea [406] interim forte ex hac vita migrare contigerit, libri praedicti ei consignentur, ut provideat diligenter ne ad aliorum manus perveniant, sed per eum tradantur igni comburendi; dictis autem octo viris ab ea deputandis, ut librorum prohibitorum quos legent aut retinebunt Paternitati tua notam quamprimum ad eundem effectum exhibeant.

            Praeterea Paternitati tuae, ut omnes et quoscunque suos diaecesanos ad eam in aliquo suae diaecesis loco constitutam, seu residentem sponte venientes utriusque sexus, ac tam laycos quam clericos saeculares et cujusvis Ordinis Regulares, haereticos, schismaticos et a sancta Catholica fide aberrantes, illorumque credentes, etiam in haereses et errores semel relapsos, non tamen Italos, Hispanos, aut alios ex partibus in quibus Sanctum Inquisitionis Officium exerceretur, nec eos qui in judicio de haeresibus accusati vel condemnati fuerunt, aut pluries in eas relapsi, in eadem Paternitatis tuae diaecesi commorantes, de quibus nihilominus Sanctissimus Dominus noster Papa aut hoc sacrum Inquisitionis Officium consulatur, poenitentes quidem ab excommunicationis, suspensionis et interdicti, aliisque ecclesiasticis sententiis, censuris et poenis, quas propter haereses et excessus hujusmodi quomodolibet incurrerint, dummodo corde sincero et fide non ficta coram notario et testibus publice vel privatim, prout casus exegerint et Paternitati tuae magis expedire videbitur, haereses, schisma et errores suos ac alios quoscunque detestati fuerint, anathematizaverint et abjuraverint, ac in gremium sanctae matris Ecclesiae recipi et admitti humiliter postulaverint, atque praestito per eos jurejurando promiserint de caetero ab hujusmodi haeresibus, schismate eterroribus, ac aliis similibus excessibus poenitus abstinere, in forma Ecclesiae consueta, injuncta inde eis et eorum cuilibet, pro modo culpae, poenitentia salutari, et aliis injungendis, prout eorum saluti Paternitas tua expedire cognoverit, per se ipsam in utroque foro absolvere, et in gremium sanctae matris Ecclesiae recipere et reconciiiare [licebit]; nec non ut universos et singulos suos diaecesanos, qui libros haereticorum seu alias prohibitos, etiam in Indice Romano librorum prohibitorum damnatos, scienter legerint vel retinuerint, haereticorum quoque et schismaticorum receptatores, fautores et defensores qui in illorum haeresibus non adhaeserunt, et in futurum ab hujusmodi perniciosa lectione, vel retentione et excessibus praedictis abstinere firmiter proposuerint, similiter ab excommunicationis et aliis ecclesiasticis sententiis, censuris et poenis, quibus propterea fuerint innodati, in eadem forma Ecclesiae consueta, injunctis eisdem poenitentiis salutaribus et aliis injungendis, in utroque foro pariter absolvere et liberare.

            Et insuper, ut cum eisdem poenitentibus qui clerici saeculares, vel [407] cujusvis Ordinis Regulares fuerint, super irregularitate per eos, tum haeresum, schismatis et errorum, quam lectionis vel retentionis librorum haereticorum, seu alias prohibitorum, ac excessuum hujusmodi, aut alias praemissorum duntaxat occasione contracta; quoad executionem Ordinum tantum, non autem quoad habilitationem obtinendi vel retinendi beneficia ecclesiastica, dignitates et officia, iis tamen, qui haeretici fuerint, et in sacris Ordinibus constituti ab altaris ministerio, et omnium Sacramentorum administratione perpetuo vel ad tempus arbitrio Paternitatis tuae suspensis, si aliud canonicum impedimentum non obsistat, poenitentia vel ejus parte peracta, et suffragantibus meritis in utroque foro dispensare.

            Ac praeterea, ut cum singulares casus occurrerint, vel alias Paternitati tuae expedire videbitur, aliquos sacerdotes saeculares vel cujusvis Ordinis Regulares idoneos, et ad sanctum Poenitentiae Sacramentum ministrandum praevio examine a Paternitate tua approbatos, et in dicta diaecesi Gebennensi constitutos seu residentes, qui haereticos, schismaticos et delinquentes praedictae diaecesis Gebennensis ad eos sponte venientes, et ad sanctae matris Ecclesiae gremium recipi et admitti humiliter postulantes, abjuratis per eosdem verbo in ipso Sacramento Pcenitentias, haeresibus, schismate et erroribus suis, ac aliis quibuscunque praestitoque jurejurando, quod talia deinceps non committent, si in haereses et errores relapsi non sint, aut de eis in judicio inditiis praeventi vel condemnati, in forma Ecclesiae consueta, impositis eisdem pcenitentiis salutaribus et aliis injungendis, in foro conscientiae duntaxat, citra ullam habilitationem aut dispensationem, absolvere praedicti sacerdotes possint, et quilibet eorum possit, eligere et deputare Paternitas tua possit et valeat.

            Insuper, de speciali mandato praedicti Sanctissimi Domini nostri Papae vivae vocis oraculo nobis facto, eidem Paternitati tuae, ut cum haereticis suae diaecesis ad fidem Catholicam conversis et reconciliatis, qui matrimonia in quarto consanguinitatis vel affinitatis gradu nulliter contraxerunt, ut denuo non obstante hujusmodi impedimento, matrimonia in facie Ecclesiae, servata forma Concilii Tridentini, contrahere possint, dispensare, prolem susceptam et suscipiendam legitimam nuntiando. Vota etiam eorundem diaecesanorum (castitatis et Religionis duntaxat exceptis), in alia pietatis opera commutare; eos qui in singulari certamine seu duello hactenus pugnaverunt, a sententia excommunicationis et aliis poenis hac de causa per ipsos incursis, absolvere et liberare; Regulares quoscunque sine licentia et obedientia suorum Superiorum in diaecesi Paternitatis tuae extra claustra degentes coercere; ac tandem sacerdotes aliquos Paternitati tuae benevisos, qui in dicta diaecesi existentes corporalia, pallas, vestes [408] sacras et alia ornamenta ad divinum cultum necessaria, in quorum benedictione non intervenit sacra unctio, benedicere; ecclesias, oratoria et caemeteria pollutas et polluta, cum aqua a Paternitate tua, vel alio Catholico Antistite, gratiam et communionem Sanctae Sedis Apostolicae habente, [benedicta,] reconciliare possint, et quilibet eorum possit, Paternitas tua eligere et deputare valeat: licentiam, facultatem et auctoritatem ad quinquennium proxime futurum, a data praesentium duntaxat duraturam, harum serie ac tenore damus, concedimus et impartimur, non obstantibus in contrarium facientibus quibuscunque; volumus autem ut praedictis facultatibus cum suis diaecesanis duntaxat et non cum aliis Paternitas tua uti valeat.

            In quorum omnium et singulorum praemissorum fidem et testimonium presentes literas gratis expeditas, per infrascriptum nostrum et praedictae sanctae universalis Inquisitionis Notarium fieri et manibus nostris subscriptas, sigilli ejusdem sanctae Inquisitionis quo in talibus utimur, jussimus et fecimus appensione muniri.

            Datum Romae, in generali Congregationi dictae sanctae Inquisitionis, decimo sexto kalendas Augusti, anno a Nativitate Domini Nostri Jesu Christi millesimo sexcentesimo octavo, Pontificatus praedicti Sanctissimi Domini nostri Papae anno quarto.

DOMcus, Eps Ostiensis, Card. PINELLUS.

Fr. HIER., Epus Portuensis, Carlis.

Fr. ANNAS, Carlis, DE GIVRY.

L. Carlis BLANCHETTUS.

P. CarIis ARIGONIUS.

R. CarIis BELLARMINUS.

FERDs, Carlis Sti Eusebii.

                                                           ANDREAS DE PETTINIS, Sanctae Romanæ

                                                                                              et nostrae Inquisitionis Notarius.

 

Revu sur l'original inédit, appartenant à M. le comte de Roussy de Sales,

au château de Thorens-Sales. [409]

B. Lettres de Mgr de Villars, Archevêque de Vienne. (Fragments)

 

I

 

………………………………………………………………………………………

            Le livre spirituel que vous venez de mettre sur la presse de l'imprimeur, me ravit, m'eschauffe, m'extase tellement, que je n'ay ny langue, ny plume dont je puisse vous exprimer l'affection qui me transporte en vostre endroict, pour l'amour de ce grand et signalé service que vous en rendez à la divine bonté et l'inestimable fruict qui en reviendra à tous ceux qui seront si heureux que de le lire ainsi qu'il faut.

            Mais, que falloit-il attendre d'un Evesque de Geneve tel que vous, sinon quelqu'œuvre entre autres, qui mist fin à l'infamie de Geneve, dont toute l'Europe a esté infectée d'heresie? Je ne nie pas que les livres si doctement escrits par tant de Docteurs excellans, dont le Cardinal Bellarmin est le souverain, n'ayent grandement servy contre les heresies de ce siecle; mais je veux bien aussi dire et sous-tenir que ceux qui ont escrit sur la morale et de la devotion n'y ont pas apporté moins de remede. Et je pourrois, je voudrois, je devrois passer outre, et les preferer en ce cas, s'il estoit question de la debattre sur le champ; car l'erreur n'estant que la matiere des heresies et l'obstination la forme, la doctrine qui illumine l'entendement remedie à la matiere; mais la vertu, la devotion, l'ardeur de la pieté qui fleschist la volonté et en desloge l'opiniastreté, domine sur la forme qui tient le preciput en l'essence: de maniere qu'à ce compte, il faut, ou que la doctrine des controverses cede à celle de la pieté et devotion, ou au moins qu'elle se l'associe tellement, qu'en luy concedant sa necessité, elle recognoisse que, sans elle, on n'advance rien, car tout pecheur est ignorant. Et, quoy qu'au syllogisme speculatif il puisse dire: «Je vois le bien et l'appreuve,» parce que l'entendement est vaincu par la verité, si est-ce qu'au syllogisme practic, il confessera qu'il suit le mal, d'autant que la [410] passion mal reiglée l'emporte, de façon que, quand le feu de la concupiscence est tombé sur les ames passionnées, elles ne voyent point le soleil. Il faut donc bonifier la volonté pour empescher qu'elle ne nuyse a l'illumination efficace de l'entendement, attendu mesmes que les livres spirituels commencent par la doctrine purgative, pour despouiller les ames de toutes les mauvaises habitudes incompatibles au vray Christianisme.

            Or, Monsieur, continuez de servir d'instrument à la divine Sapience, r'embarrant l'erreur des heretiques par la doctrine des controverses, et conduisant les volontez depravées au chemin de la vertu par vos traictez de pieté et de devotion. C'est sans doute que la reformation des mœurs esteindra les heresies avec le temps, comme la depravation les a causées, puis que l'heresie n'est jamais le premier peché.

            Excusez, s'il vous plaist, ma prolixité; il a fallu que j'aye contenté mon ame, de vous signifier son aise et contentement sur vostre beau et bon livre que je ne puis assez loüer.

………………………………………………………………………………………

            25 janvier 1609.

 

II

 

………………………………………………………………………………………

            Vostre dessein des deux Traictez sur les deux Tables, disposera des eschelles et degrez aux cœurs de ceux qui seront si heureux que de les lire, relire et retenir; car ils arriveront par ce moyen au supreme faiste de la charité qui accomplist la loy et qui est vrayement le tout homme; comme sans icelle, tout homme, pour grand qu'il puisse estre en tout le reste d'excellence, doit dire: Je ne suis rien.

            Le dessein du Calendrier sera la tablature dont Philothée se servira sur le clavier de son espinette, organizée pour conserver sa memoire des plus beaux airs spirituels que la necessité du corps et les autres occupations exterieures luy font interrompre actuellement plus souvent qu'elle ne voudroit. Ces cinquante deux semaines, quoy que reïterées par plusieurs années, ne luy dureront rien, luy representant les deux septenaires de gloire spirituelle et corporelle qui suivront le grand Jubilé qui ne finira jamais.

            Par les deux derniers projects que vous destinez, ce sera pepiner le monde de predicateurs qui fassent de mesme que vous; et je m'oseray promettre (s'il plaist à Dieu que vous puissiez esclorre ces [411] belles conceptions) une si acile et nombreuse reduction des desvoyez, soit en la doctrine, soit aux mœurs, que l'on sera contrainct d'advouër que l'on n'avoit encore point treuvé de semblable methode.

            Et puis, vous appeliez tout cela de petites entreprises de courte haleine, de basse estoffe! Et je persiste en tout ce que ma precedente vous representoit de la valeur de vostre livre, au dessus des grands et immenses volumes de plusieurs qui s'essayent de combattre l'heresie, dont l'obstination ne peut estre vaincue que par la melioration des volontez, s'il faut user de ce terme: à quoy la reformation des mœurs sert directement.

            Faictes donc, Monsieur, que ce vostre zele, qui est vrayement selon la science des Saincts, execute ce que vous me daignez communiquer. Pour mon symbole, je n'y peux contribuer que ceste tres-instante requisition que je vous en fais, pour la gloire de Dieu et service de son Eglise.

………………………………………………………………………………………

            Mars 1609.

 

 

 

III

 

………………………………………………………………………………………

            Je ne desadvouë pas que je n'aye faict une grande feste de vostre Introduction en plusieurs bonnes compagnies; mais ce n'est pas ma recommandation qui l'a mise en vogue: elle vole de ses propres aisles, elle est douce de son propre succre, elle est embellie et enrichie de ses propres couleurs et joyaux. Celuy qui a de bon vin, n'a point besoing d'enseigne........................................

            Avril 1609. [412]

 

C. Lettre du P. Jacques-Philibert de Bonivard, de la Compagnie de Jésus

 

                        Monseigneur,

            Nostre R. P. Provincial s'en retournant en France, layssa charge a nostre R. P. Recteur que l'on ne passast plus avant en l'affaire duquel je vous avois escrit, sans son expresse communication; ce qui tirera l'execution en longueur, et non sans ma langueur. Spes enim quæ differtur affligit animam; sed qui venit mittere ignem in terram, nec aliud vult nisi ut ardeat, eam reponit spem in sinu meo, ut quamvis me occiderit, sperem in eam; supliant en toute humilité Vostre Reverendissime Seigneurie d'aggreer recommander le tout a Nostre Seigneur, tant au famillier colloque du tres hault Sacrifice, comme en ses ferventes oraisons et sublimes elevations d'esprit a Dieu, afin que par sa toute puissante misericorde et paternelle providence, il ouvre les portes de salut a ceux qui s'amusent en l'ombre de mort. Hic zelus comedit me, qui ut sit secundum scientiam et spiritum Jesu Christi, libentissime dirigar consiliis Apostolicis et sapienti potestate Superiorum.

            Je me doubte bien que ce delay se procure pour ce que nos Superieurs m'ayant accordé a Gray pour le saint Advent et Caresme, ils ne voudroyent que l'on entamast besogne qui me tint engagé en ce temps la. Je vois bien qu'aux approches que nous en ferons, l'on ne pourroit estre si libre a s'entendre en la conference selon que la necessité le pourroit requerir. Sur quoy, attendant vostre saint advis, je pourray escrire a nostre Reverend Pere General, gardant la subordination de la pleyne puissance par laquelle il peut disposer de ses sujets; veu mesme que si, suivant ce que nostre R. P. Recteur propose, il est de besoing que le R. P. Provincial de Lyon y entrevienne et qu'en cela je deusse respondre a luy (selon que le pourroit [413] exiger ce qui se passera), des le commencement l'on aye prouveu a telle suave disposition, que le cours d'une si bonne entreprise ne soit entrecoupé.

            Et pour l'heureuse conduitte d'un si salutaire ouvrage, je suplieray Dieu, le Createur et Gouverneur de l'univers, Monseigneur, vous conserver en toutes prosperités et vous combler de ses dons celestes, pour les despartir heureusement a tout vostre troupeau, vous remettant les clefs de tout le bercail pour le rameiner au vray pasturage de vie.

                        De vostre Reverendissime Seigneurie,

                                               Tres humble et indigne serviteur,

                                                                                  JAQUES PHRT BONIVARD.

            De Besançon, le 24 septembre [1609].

 

Revu sur une ancienne copie inédite, conservée à la Visitation d'Annecy.

 

D. Lettre de Mlle Fayre. (Fragment)

 

………………………………………………………………………………………

            Je n'ay plus besoin de chercher le chemin de la vertu; monsieur de Boisy, en vôtre absence, Monseigneur, me le montre si clairement, que je n'ay qu'à l'embrasser et affectionner. Contre la liberté que mon esprit ayme si fort, je travaille, selon mon premier desir, à me rendre obeyssante, et je ne puis être touchée lâchement en ce dessein, puis qu'il y a des couronnes eternelles jointes à une temporelle, qui est l'honneur d'être eternellement vôtre fille.

            Monseigneur, je tacheray de me conserver [ce bonheur,] me soumettant entierement à vos volontez

            [Fin octobre-novembre 1609.] [414]

 

 

 

E. Lettre du Président Frémyot

 

            Monseigneur,

            Ce papier devroit estre marqué de plus de larmes que de lettres, puis que ma fille, en laquelle, pour ce monde, j'avois mis la meilleure partie de ma consolation et du repos de ma miserable vieillesse, s'en va et me laisse pere sans enfans. Toutesfois, à vostre exemple, Monseigneur, qui sur le decez de Madame vostre mere avez pris une ferme et constante resolution sur la volonté de Dieu, je me resous et conforme à ce qui plaist à Dieu; et puis qu'il veut avoir ma fille pour son service en ce monde, pour la rendre, par ce chemin, en sa gloire eternelle, je veux bien monstrer que j'ayme mieux son contentement avec le repos de sa conscience, que mes propres affections.

            Elle s'en va donc consacrer à Dieu, mais c'est à la charge qu'elle n'oubliera pas son pere, qui l'a si cherement et tendrement aymée. Elle emmeine deux gages, l'un desquels j'estime heureux, puis qu'il entre en vostre beniste famille; l'autre, je voudrois bien qu'elle voulust nous le conserver. Pour son fils, j'en auray le soing qu'un bon Pere doit aux siens; et tant que Dieu aura aggreable de me laisser en ceste vallée de pleurs et de miseres, je le feray instituer en tout honneur et vertu.

            Je vous supplie tres-humblement, Monseigneur, de me continuer tousjours vos bonnes volontez, et croire que je ne desire rien plus, apres les graces et benedictions de ce bon Dieu que j'implore, et dont j'ay bien besoing, que d'estre conservé en vostre souvenance, et demeurer toute ma vie,

                        Monseigneur,

                                   Vostre tres-humble et tres-affectionné serviteur,

                                                                                                          FREMIOT.

            Dijon, 29 mars 1610. [415]

F. Lettre du Cardinal Jean Garcia Millino

 

            Illustre et molto Reverendo Monsignore,

            Il Rev. Giovanni Sauli, sacerdote di Verduno in Lorena, è venuto qui et ha esposto alla Santità di Nostro Signore che 166 heretici calvinisti delle città di Losana et Geneva vogliono tornare alla fede cattolica con le famiglie loro et abiurare l'heresie in mano di V. S. a Tunone; rapresentando che non possono conferirsi (sic) altrove con le famiglie, senza pericolo della vita di molti di essi, facendo instanza che si conceda a lei facoltà di assolverli et reconciliarli in utroque foro. Di che essendosi trattato in Congregatione del Santo Officio avanti Nostro Signore a XI del presente, la Santità Sua si è contentata dar ampia facoltà a V. S. di assolvere detti heretici, con le amiglie loro, in utroque foro, procurando di farli prima instruir bene negl'articoli della fede cattolica contro l'heresie tenute, et che per l'avvenire, per mezzo di sacerdoti dotti et prudenti, siano mantenuti et conservati nella purità della fede cattolica; confidando Sua Beatitudine et questa sacra Congregatione nella molta bontà, prudenza et zelo di lei in procurare la salute dell' anime, ch' Ella darà in ciò quelli buoni ordini et avvertimenti che saranno in ciò necessarii, piacendole, a suo tempo, dare avviso de' nomi et cognomi delle persone che assolverà et reconciliarà in vigore della presente, per farne relatione a Sua Beatitudine.

            Et a V. S. tra tanto mi offero et raccommando.

                        Di V. S. Illustre et molto Reverenda,

                                                                                              Come fratello,

                                                                                  Il CARDINALE MILLINO.

            Di Roma, li 13 di novembre 1610.

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation. [416]

 

II. Lettre de Sainte Jeanne-Françoise de Chantal a Monseigneur Jean-Pierre Camus

 

 

VIVE † JÉSUS !

 

                        Mon tres-honoré et très-cher Seigneur,

            Vous avez laissé cette petite ville toute parfumée de la suavité de votre douce, dévote et débonnaire conversation, particulièrement Messeigneurs nos bons prélats, qui en parlent avec grand sentiment. Mais surtout nos pauvres Sœurs sont demeurées tellement consolées de l'entretien de la pure dilection, qu'elles regrettent avec moi de n'avoir su jouir plus souvent du bonheur de votre désirable présence.

            Il est vrai, mon très-cher Seigneur, à vous parler dans la pure vérité, que j'étais intérieurement sollicitée du désir de vous parler d'un sujet que ces bonnes âmes ne savent pas; et bien que ma bassesse et la révérence que je porte à votre mérite et que je dois à votre dignité combattissent cette pensée, néanmoins c'était elle qui m'excitait à vous prier souvent de nous venir voir, et à me plaindre à votre bonté de ce que vous ne le faisiez pas. Or je croyais que par votre absence je serais défaite de cette secrète excitation, et néanmoins je m'en trouve plus pressée et si fort que je ne puis l'anéantir sans scrupule; c'est pourquoi, mon très-cher Seigneur, me confiant en votre débonnaireté et humilité, et prosternée en esprit à vos pieds, je vous supplie et conjure, avec toute la révérence qui m'est possible, par la pure dilection que vous avez à notre divin Sauveur, et par l'amour que vous portait et que vous portez à notre Bienheureux Père, de vous déporter d'écrire contre les Religieux, et de prendre garde aussi de ne heurter personne, ni en général ni en [417] particulier, pour chétive qu'elle soit, dans vos livres, ni d'y rien dire qui puisse émouvoir des contentions ou réfutations, car tout cela ne fait qu'engendrer beaucoup d'offenses contre notre bon Dieu, les Religieux qui répondent n'ayant pas assez de mortification pour le faire avec l'humilité et le respect qu'ils doivent à votre digne personne et à votre qualité.

            Ce mépris que l'on donne des Religieux peut aussi grandement diminuer la piété des peuples, qui est fort soutenue et accrue par leurs bons exemples et doctrine, et de plus, mon très-cher Seigneur, les ennemis de la sainte Eglise se fortifient dans leurs erreurs, et font des trophées et des risées quand ils voient que ses propres enfants se dévorent l'un l'autre, et surtout quand les pères, qui sont Messeigneurs les prélats, découvrent les plaies de leurs enfants, avec confusion, et que les enfants ne le souffrent dans la soumission qu'ils doivent; cela, dis-je, donne un grand scandale, ce qui ne peut apporter qu'un très-grand détriment à la très-sainte Epouse de Notre-Seigneur. Il vous a donné une âme et un esprit propres pour écrire de son divin amour, et enrichir l'Eglise d'infinité de traités de dévotion, pour le bien et avancement des âmes: c'est la sainte occupation que ceux qui vous honorent désirent maintenant à votre aimable loisir, afin que, par le moyen de cette pure dilection de notre divin Sauveur, dont votre chère âme est si parfaitement amoureuse, vous preniez garde dorénavant d'épargner dans vos écrits les Religieux. Vous voyez qu'ils ne reçoivent pas avec profit vos avertissements, et qu'il y a grand risque, si cela n'est bientôt étouffé par votre bonté et charitable support, qu'il ne s'allume un feu qui éteigne celui de la sainte charité en plusieurs âmes, et ne cause de très-grands scandales en l'Eglise de Dieu, ainsi que plusieurs bien sensés appréhendent et prévoient qu'il arrivera infailliblement, si votre débonnaireté et votre zèle à la plus grande gloire de Dieu ne vous fait supporter sans revanche l'insolence d'une réponse que l'on dit avoir été faite à un de vos livres, laquelle, étant si extravagante et éloignée de la vérité et du respect qui vous est dû, ne peut porter coup contre l'estime que l'on a de v.otre véritable vertu.

            Oubliez donc, mon très-cher Seigneur, cette offense, à l'imitation du divin Sauveur, qui en avait reçu de bien plus grandes de ceux pour qui il demanda pardon en les excusant, et vous souvenez aussi, mon bon Seigneur, de la modestie et douceur avec laquelle notre Bienheureux Père parle en la préface de l'Amour divin, de celui qui l'avait si insolemment bafoué en pleine chaire: il attribue cette faute à son zèle. Vous chérissez si tendrement l'esprit de ce Bienheureux, [418] imitez-le, mon très-cher Seigneur, en sa patience à tout supporter, et en cette prudence charitable qui le tenait attentif à ne dire ni écrire jamais aucune chose qui pût tant soit peu blesser le général, ni les particuliers d'aucun Ordre, ni décrier personne du monde, pour vile et chétive qu'elle fût. L'on voit cette vérité dans ses écrits, où il oblige par témoignages d'honneur et d'estime tout le monde, et particulièrement les Ordres religieux qu'il révérait et aimait, et disait que c'était l'une des plus saines parties de l'Eglise. Quand il en savait quelque défaut, il les couvrait tant qu'il pouvait, et s'employait soigneusement à les aider à réparer: je l'ai vu dans cette pratique seize années; avec combien de charité, de travail et d'écrits il se conduisait! les sensibles douleurs qu'il ressentait quand leurs défauts et ceux des ecclésiastiques venaient en évidence, parce que la mésestime de telles personnes diminue et affaiblit grandement la piété des peuples, qui est fort soutenue et conservée par leurs bons exemples.

            Monseigneur mon très-cher frère, votre bonté me pardonnera-t-elle la confiance que je prends de lui dire ainsi simplement tout mon sentiment? Certes, après la gloire de Dieu, j'ai été excitée par le véritable amour que je vous dois et veux vous rendre toute ma vie, et prie Dieu de vous donner la sainte inspiration d'employer dorénavant ce talent qu'il vous a donné pour écrire de sa pure dilection, et par ce moyen enrichir la sainte Eglise de plusieurs traités utiles à ses enfants. Permettez-moi, Monseigneur, de vous supplier de me donner quelques petits témoignages que vous n'aurez point désagréé ma simplicité et confiance en votre bonté, car mon cœur aurait une bonne touche s'il pensait avoir fait quelque chose qui vous déplût, ayant tant de désirs de se voir continuer l'honneur de votre précieuse amitié……………………………………………………..

            [Annecy, 1632.]

 

D'après l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [419]




Copyright © 2014 Salésiens de Don Bosco - INE